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11 ans, bel âge pour un site !

Le site internet du Département de sociologie de l’Université Paris 8 va bientôt fêter ses 11 ans (comme j’ai oublié d’en parler quand il a oublié de fêter ses 10 ans, j’en parle maintenant).
D’un côté, c’est un site “classique”, avec Brochures de licence, thèmes de recherche des enseignants-chercheurs et un moignon de version in English.
Sa spécificité, je pense, est ailleurs. L’archivage automatique des textes qui y ont été publiés laisse voir le quotidien d’un Département de sociologie, en France, aujourd’hui.
Ce quotidien est fait :

Plein de choses à découvrir, donc, et sans corporate buzzwords : allez-y voir par vous-même. Cela devrait vous donner envie de venir y faire de la sociologie, ou de venir l’apprendre.

Il y a 33 ans, jour pour jour, à Paris 8

L’un des événements marquant de l’Université dans laquelle je travaille, Paris 8, est l’anniversaire de la « Lettre du 25 mars ». Des réunions publiques, des colloques, des minutes de silences sont organisés un peu partout pour se souvenir, se recueillir et apprécier.
Nous venons de fêter cette année le 33e anniversaire de la Lettre, en visitant les lieux mentionnés. Rien n’a changé: Paris 8 est toujours fidèle à l’esprit de Vincennes.
Ci-dessous, la Lettre :
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La Lettre du 25 mars (1982), en PDF

Universités en ruine

Héloïse Duché, doctorante à l’université Paris 8, a été surprise de l’état de délabrement des bâtiments. Elle est à l’origine d’un tumblr Ruines d’Université qui présente des photos de divers bâtiments, de Paris à Toulouse, de Caen à Aix.
Quand il n’y a plus assez d’argent pour assurer le recrutement des enseignants-chercheurs, quand tout le personnel ouvrier non qualifié a été externalisé, quand il n’est plus possible d’entretenir des bâtiments construits il y a 50 ans, ou même 30 ans, et jamais rénovés… alors la ruine s’installe.
Les reportages, sur France 3, sur France 2, sur M6 sont édifiants : toilettes bouchées, fuites de canalisation, chauffage cassé, murs qui s’effritent.
On trouvera même dans des articles académiques d’historiens, ou des ouvrages de sociologues, des mentions des toilettes délabrées de Paris 8 :

jounin-toilettes
un exemple : l’introduction à Voyage de classes de Nicolas Jounin (ed. La Découverte, 2014)

Dans le monde concurrentiel de l’enseignement supérieur, il ne fait pas bon parler de cela : “cela va faire fuir les étudiants”, prétendent les chargées de communications, repris par les Présidences et quelques collègues. Alors les sites internet présentent de belles photos de comédiens souriants jouant aux étudiants, des cadrages artistiques qui éliminent la vision des risques sanitaires. Il faudra sans doute un décès du à la chute d’un mur pour qu’un “plan campus” soit mis en place.
J’ai documenté à plusieurs reprises mes conditions de travail à Paris 8. Jean-No*el Lafargue aussi : et récemment. Et une de mes photos a été fortement diffusée suite à sa reprise sur le tumblr Ruines d’Université :

toilettes

C’est une jolie photo : cadrage central, lumière zénithale, fort contraste. Elle montre un wc cassé, resté dans cet état pendant plusieurs semaines (j’ai des preuves photographiques). C’était à une époque où Paris 8 (25 000 étudiants), n’avait plus aucun plombier à plein temps : les temps sont durs pour les universités quand, année après année, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche diminue.

Refuser le plagiat

Depuis quelques années, en France (mais pas seulement), le plagiat entre universitaires devient une question politique : comment empêcher ces plagiats, et comment lutter contre les plagiaires. Souvent, les universités sont lentes à réagir… et les plagié-e-s se retrouvent seul-e-s.
Et c’est pourtant bien un problème collectif : la pétition suivante, publiée sur le blog de Jean-Noël Darde, de l’Université Paris 8, vise à rendre visible le caractère collectif de ce problème :

«Refusons de fermer les yeux sur le plagiat dans la recherche
À quelques jours de la conclusion des Assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les universitaires et les chercheurs soussignés estiment de leur devoir de rappeler que l’université doit pouvoir garantir la légitimité des diplômes qu’elle délivre. En particulier, elle doit veiller à ce que le plagiat dans les mémoires, les thèses et les publications scientifiques ne puisse discréditer la qualité des formations proposées et de la recherche française.»

La conclusion de la pétition/lettre ouverte est ici :

La sauvegarde de la liberté de la recherche et de la liberté académique dépend de la qualité des diplômes, des publications et des productions. Laisser ces dossiers en l’état ne pourrait qu’aggraver une situation qui tend à laisser penser que l’Université française, persistant dans l’ignorance de l’ampleur du phénomène du plagiat, a renoncé à défendre un niveau d’excellence indispensable pour tenir son rang aux niveaux européen et international.

Je suis réservé sur ce point : cette conclusion a certainement pour but d’alerter les autorités de tutelle (rectorats, ministères), en utilisant le langage de l’excellence. Mais le plagiat pose un autre problème : il ruine la collégialité de la recherche en conférant à des plagiaires le monopole de bénéfices matériels et symboliques qui auraient du revenir aux plagiés. Où est le mal, disent celles et ceux qui, “oubliant” de citer sans oublier de copier, deviennent docteurs, “publiant” ou universitaires ? Le mal est dans la rupture de la confiance collégiale sans laquelle il n’est plus possible de travailler.

La rentrée à Paris 8, édition 2012

Rarement rentrée universitaire aura été aussi catastrophique. A Paris8, depuis deux ans, un logiciel est censé géré toute la scolarité des étudiants, mais il n’est pas fonctionnel. « Apogée » — le nom de ce machin — a été mis en place aux forceps, sans période d’adaptation, et depuis deux ans, des problèmes, qui n’avaient pas été réglés en septembre 2010, s’accumulent, se multiplient, d’ajoutent, se diffractent, forment des rhizomes…
Un exemple : l’année dernière, un bon étudiant avait accumulé suffisamment de crédits pour être inscrit en 3e année de licence… Mais « apogée » n’arrivait pas à additionner ses crédits. Donc : pour apogée, l’étudiant ne pouvait pas être en L3, mais pour le département de sociologie, cet étudiant avait bien la possibilité de suivre les cours, de passer les examens, etc… Cet étudiant a donc obtenu sa licence (selon le jury), mais comme le logiciel ne lui permettait pas l’inscription administrative en 3e année de licence, l’étudiant devrait se réinscrire cette année pour qu’apogée puisse faire l’addition de ses crédits.
Des problèmes comme celui-là, 175 étudiants les ont signalés, par écrit, au secrétariat de la licence de sociologie. Ces 175 problèmes généraux forment plus de 500 problèmes “atomiques” : question de note non entrée, de notes “qui ne remontent pas”, de crédits non pris en compte etc… Mes collègues ont résumé cela sur le site du département de sociologie.

Parce qu’apogee ne fonctionne pas, depuis deux ans les différents départements ont du développer en interne des solutions leur permettant d’assurer le suivi de la scolarité et des études des étudiants. Tel département a mis en place un fichier Excel relié tant bien que mal à apogee, tel autre gère l’entièreté des crédits “à la main” (dans des fichiers papiers), tel autre a choisi de ne se fier qu’à Apogee (vaille que vaille)… Et parfois, d’une année sur l’autre, les solutions imaginées ont du être modifiées, parce qu’elles ne permettaient plus de gérer la complexité.

Voici comment un collègue me résume la situation dans un autre département :

J’ai parlé vendredi avec le malheureux maître de conf qui en […] s’occupe d’Apogée. Ils n’utilisent pas Apogée, font tout sur excel et introduisent seulement les moyennes globales au niveau du L 1, du L 2 puis du L 3. Quand aux étudiants d’autres disciplines, ils leurs donnent des bouts de papier…

Comprenez bien ceci : les étudiants de ce département ont donc bien leurs crédits, et leur diplôme, mais plus aucune trace des cours individuels qu’ils ont pu suivre. Pour l’instant, ça marche, les diplômes sont délivrés. Mais dans 5 ans, 10 ans ou 15 ans cela posera problème.

Dans n’importe quelle organisation, face à ces bricolages, des discussions auraient eu lieu, des personnes embauchées pour aider les départements à faire la transition d’un logiciel vers un autre. Mais pas à Paris 8.

Il y a plus de six mois maintenant, un collègue adressait une lettre au président de l’université, dont voici un extrait :

” (…) la seule inscription, manuelle, des étudiants aux cours de sociologie dans Apogée aura mobilisé 5 personnes (3 secrétaires et 2 enseignants-chercheurs) à plein temps sur 10 jours, et ce sans tenir compte des situations problématiques et du temps nécessaire à leur résolution. Une telle procédure, extrêmement consommatrice en temps, demandant d’attendre la fin du semestre et nécessitant une très grande vigilance ainsi que la mobilisation intense des enseignants-chercheurs, n’est pas envisageable comme procédure habituelle. C’est un mode de gestion ponctuel d’une situation de crise (…)
Pendant ces dix jours, deux tutrices, de 9 heures jusque 21 heures ont porté à bout de bras cette procédure. La survie de notre licence ne repose que sur l’investissement quotidien, de bonne foi et à plein temps de ses deux responsables, au détriment de toute autre tâche, qu’elle soit d’enseignement ou de recherche, ainsi que sur la bonne volonté de deux tutrices dont ce n’est assurément pas le rôle. A ce stade, je peux témoigner de l’état d’épuisement des troupes et de ma grande inquiétude “

Ce collègue n’aura pas été entendu : il lui a été dit que tout allait bien dans le reste de l’université… alors que d’autres départements, un peu avant ou un peu après, faisaient le même signalement. Il ne faut pas me croire sur parole : mais lisez simplement la profession de foi d’un candidat à la vice-présidence du CEVU de Paris8, anciennement membre du Conseil d’administration, qui ne mentionne à aucun moment les problèmes liés à ce logiciel… alors que le CEVU est spécifiquement en charge de la “vie étudiante”. [Notons qu’il ne mentionne pas non plus la situation des toilettes, mais qu’il met en avant la politique d’excellence du “PRES”. Signe d’un changement, peut-être, ce candidat n’a pas été élu…]

Au département de science politique, mes collègues ont rendu publique une déclaration au sujet d’apogée : après avoir « procéd[é] manuellement à l’inscription pédagogique des étudiant-e-s. Nous réitérons notre demande que soient prises des mesures permettant d’arriver à une solution rapide et définitive de ces problèmes »

Comment comprendre l’absence de prise considération de ces demandes anciennes ? Dès décembre 2011 sur le bondyblog des étudiants rendent compte de leurs problèmes. Et lors de cette rentrée, plusieurs sites internet en parlent :
http://yahoo.bondyblog.fr/201209140217/fac-de-paris-8-un-passage-en-annee-superieure-compromis-par-un-logiciel/http://yahoo.bondyblog.fr/201209181356/les-deboires-dun-etudiant-pour-se-reinscrire-a-la-fac-de-saint-denis/http://mcetv.fr/mon-mag/1909-la-reinscription-a-luniversite-paris-8-ou-la-desillusion-des-etudiantshttp://www.mediaetudiant.fr/vie-etudiante/logiel-complique-inscription-etudiants-paris8-11896.php

Il se murmure maintenant que la nouvelle direction de l’université accepterait un “audit”… mais l’on murmure aussi que cela risque d’être un audit “interne”.

*

Arrivés ici, vous, lectrices habituées de ce blog, ne comprenez pas pourquoi cette rentrée serait catastrophique. C’est que la situation, cette année, est différente des années précédentes. Depuis 2009, à Paris8 (comme dans les autres universités françaises), nous bénéficions du “plan licence”, qui nous a permis d’accueillir dans des conditions minimales des étudiants de plus en plus nombreux — dont les détenteurs d’un bac professionnel. Cette année, comme l’écrit Camille Peugny, ce plan est supprimé :

Pire, cette année, à Paris comme ailleurs, plus de plan licence. Nous devons donc fonctionner avec vingt charges de cours de moins que l’année dernière, mais autant d’étudiants. Message nous est transmis que nous avons vécu « au-dessus de nos moyens » artificiellement pendant les trois années du Plan licence et qu’il faut redevenir raisonnable. Des cours en amphi sont ainsi rétablis dès le premier semestre de la première année de la licence, mais des cours en amphis sans amphis : les étudiants seront parfois 80 ou 90 dans des salles pouvant accueillir 35 personnes. Pour faire face, on nous incite alors à faire des démarches intensives pour récolter de la taxe d’apprentissage qui désormais devra financer les charges de cours supplémentaires (en plus du service des titulaires). Mais évidemment, cette dernière ne suffira pas. Le message, au final, visiblement assumé par mon université, est le suivant : il faut diminuer les capacités d’accueil. En clair, ne plus accueillir tous les étudiants qui veulent s’inscrire dans notre formation. Un pas supplémentaire est donc franchi : nous ne pouvons plus accueillir tout le monde, et nous accueillons mal ceux que nous accueillons. Voilà où en est la France de 2012 : incapable de former tous les jeunes qui le souhaiteraient.

Pour cette raison, la rentrée sera catastrophique : pas d’outil de suivi de la scolarité et perte de vingt cours (l’équivalent de 800 heures de cours supprimées, rien qu’en licence de sociologie) dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants.

*

On ne peut même pas terminer sur une note heureuse : Quand Paris 8 est mentionnée sur arte-radio, c’est pour faire l’histoire d’un ancien enseignant, devenu fou, qui habite maintenant dans une salle de cours et qui ère dans l’université. Ceci dit, je vous recommande ce reportage-documentaire.
*

Allez, une note d’humour. Cette photo a été prise par une twitteuse de Paris8. J’y ajoute mon petit commentaire :

L’université qu’on abandonne…

Lisez ce texte de Camille Peugny, co-responsable (avec Livia Velpry) de la licence de sociologie de l’université Paris 8 : Rendez-nous nos mines !

Si je réanime ce blog, c’est pour faire part, assez régulièrement j’espère, de mon expérience de responsable de licence et d’enseignant-chercheur dans une université de banlieue. Pas pour me plaindre de mes conditions de travail ou de la difficulté de la tâche, mais pour rendre compte de ce que devient l’université française, ou du moins celle que l’on abandonne et qui abandonne ses étudiants. La licence de sociologie, à Paris 8, voit ses effectifs croître à nouveau depuis quelques années. Lors de la dernière année universitaire, 290 étudiants étaient inscrits en première année, près d’une centaine de plus que deux ans auparavant.

Allez lire…

De l’impossibilité de travailler

Aujourd’hui s’est tenu — sans pouvoir se tenir — le jury de la licence de sociologie, à l’université Paris 8. Le jury n’a pu se tenir parce que le logiciel “Apogée”, installé en septembre 2010 (il y a donc deux ans), n’est toujours pas opérationnel.
Quatre enseignants-chercheurs se sont réunis, pendant plus de six heures, pour délivrer des licences et permettre aux étudiants de passer à l’année supérieure. Mais il n’y a plus de suivi informatisé des étudiants. Certaines notes disparaissent, les règles de calcul des moyennes sont étranges (par exemple, les notes reçues en seconde session ne sont pas prises en compte)… Quelques étudiants semblent avoir “disparu” pendant un an.
Ce problème dure depuis plus d’un an. J’en avais parlé en février 2011 par exemple. Et il suffit de consulter les archives du site du département de sociologie pour s’apercevoir, par exemple, qu’en juillet 2011 il a fallu délivrer des “attestations formulaires” parce qu’il n’était pas possible de connaître les notes des étudiants. Cette année — plus d’un an après le jury de juillet 2011 — le problème n’est pas réglé, et il a fallu mettre en place une adresse mail spécifiquement destinée aux problèmes de “non-remontée” des notes sur Apogée… et demander aux étudiants de s’inscrire aux cours avec “doodle”. Certains étudiants commencent à porter ces problèmes sur la place publique.
Les responsables des jurys, les secrétariats, les responsables des cursus, non seulement s’arrachent les cheveux, mais doivent consacrer des heures, des jours, des semaines pour rattraper tous les cas individuels rattrapables, en retrouvant une note de seconde session “mal remontée”, en découvrant telle règle de compensation…
Voici, par exemple, une liste d’étudiants ayant fait un signalement précis des problèmes qu’ils ont rencontré (notes “disparues”, erreurs dans la “remontée”, non prise en compte de certaines notes…)

Et ce ne sont là que les étudiants et étudiantes ayant pris le temps de rédiger une lettre de demande, qui ont réussi à identifier le problème les concernant. Nous allons devoir, tout au long de l’année, organiser des permanences pour essayer de comprendre les situations individuelles, identifier la source des problèmes, etc…

Et parce que de nombreux départements, à Paris 8, sont dans cette situation depuis plus d’un an, les problèmes s’accumulent et se multiplient. L’année dernière, seule “une promotion” était concernée, cette année, ce sont “deux promotions”. Les problèmes rencontrés par le département A se répercutent sur les étudiants du département B qui ont suivi des cours dans le département A (par exemple des cours de langue, ou une mineure).
 
En bref : il n’est plus possible de travailler (et ne pensez pas aller aux toilettes).
 
Ou si alors vous décidez d’y aller, ce sera à vos risques et périls. C’est un problème récurrent (voir ces archives). Voici une photographie d’un urinoir pris en photo ce jour, à Paris 8, urinoir non-fonctionnel, dont la réparation a été demandée en juillet dernier — par la procédure officielle, “par intranet, sinon cela ne sera pas pris en compte”. Après signalement, le 2 juillet, j’ai reçu ce mail du service concerné par la réparation : “Votre demande de travaux concernant l’urinoir bouché va être traitée par notre service”… Nous sommes le 18 septembre, je vais devoir refaire une demande de travaux. La photo ne rend pas bien compte de la réalité : l’odeur pestilentielle (imaginez, de l’urine macérant depuis plus de deux mois) est insupportable, même dans les couloirs… et l’hygiène est loin d’être respectée. C’est la rentrée, et voici donc ce que les étudiants découvrent à leur arrivée à l’université… des toilettes bouchées depuis plusieurs mois.

 
Mise à jour du 27 septembre 2012 : Neuf jours après la publication de ce billet, cet urinoir a été débouché. Il aura donc fallu exposer publiquement des toilettes bouchées pour obtenir une réparation, plus de deux mois après un premier signalement.

Un mythe à détruire ?

Les Presses universitaires de Vincennes viennent de publier un très beau livre Un mythe à détruire ? Origines et destin du Centre universitaire expérimental de Vincennes, livre dont j’ai pu suivre d’assez près la réalisation.
Ouvrage de près de 500 pages, il se distingue fortement des quelques autres livres publiés sur Vincennes-l’université. En effet, il ne se centre pas sur les égos surdimensionnés des membres du “noyau cooptant” (Badiou, Serres, Foucault, Cixous, Duroselle…) mais sur les disciplines et les départements. Les années soixante voient la recomposition des facultés et des disciplines académiques sur de nouvelles bases… et Vincennes est une université “à départements”, où la pluridisciplinarité s’est toujours appuyée sur des départements, disciplinaires, à l’identité affirmée.

Un mythe à détruire interroge donc les niveaux intermédiaires du monde universitaire, absents des hagiographies : les étudiants (et notamment les étudiants étrangers, rapidement très nombreux à Vincennes), les chargés de cours, les “professeurs ordinaires” qui font “tourner la boutique”, et les logiques internes au monde académique (souvent éloignées de la fabrique des grands hommes).

Ces niveaux intermédiaires sont saisis par l’intermédiaire de traces statistiques laissées un peu partout dans les archives de l’université : origines des étudiants, choix des mineures (il y a un beau graphe montrant les flux entre mineures), statuts des enseignants-chercheurs (chargés de cours, vacataires, maitre-assistants…). Un gros travail a été accompli pour synthétiser ces traces, fort bien mises en valeur dans l’ouvrage :

D’autres traces se prêtent moins à la mise en tableau : Un mythe à détruire a recours aux illustrations (ci-contre, un jeu de l’oie “Vincenn-oie”) pour montrer le monde de l’époque. Ainsi le “participationnisme” électoral est rendu visible à la fois par des statistiques (le département de sociologie était très peu “participationniste”) et par la reproduction de tracts de l’époque.
 
La présentation générale [PDF] rédigée par Charles Soulié est en ligne sur le site des PUV.
Un mythe à détruire est sur amazon, dans les bonnes librairies à partir du 22 mars, et dès maintenant sur le site des Presses universitaires de Vincennes.

 
Je disais plus haut que j’avais suivi ce livre…
Il y a quelques années, alors que se préparait le quarantième anniversaire de l’université Paris 8, fondée en tant que “Vincennes” à la fin des années soixante, Charles Soulié, collègue du département de sociologie avait commencé à réunir autour de lui une petite équipe qui s’était donnée pour tâche d’explorer l’histoire et la sociologie de l’université de “Vincennes → Saint-Denis”. Et je savais par ailleurs, parce que j’étais au comité éditorial des Presses de Vincennes (qui sont les presses universitaires de Paris 8), qu’existait un intérêt à la publication d’un ouvrage en lien avec les “40 ans”. Ma contribution fut de relier ces deux envies de recherche (et de participer à la relecture de versions préliminaires des différents chapitres). Charles Soulié et son équipe ont laissé passer les “40 ans”, et c’est pour le mieux : l’anniversaire a contribué en partie à libérer la parole de certains, et ce temps a aussi permis la découverte d’archives inexplorées.
 
Note : Pour les anciens du département : vous trouverez page 188 une copie de la carte d’étudiant “millésime 1969” de Guy B*, qui fut longtemps secrétaire du département de sociologie.

Combien de temps, combien de temps…

Combien de temps faut-il aux services concernés, à Paris 8, pour remettre une porte dans ses gonds.
18 février 2011 : je remarque ceci :

Une porte dé(-ver-)gondée. Je la prends en photo pour faire un signalement.
8 mars 2011 : la porte a changé de position

14 mars 2011 : nouveau changement de position

21 mars 2011 : la porte s’est stabilisée

Il semble donc qu’il faille plus d’un mois, à Paris 8, pour qu’une salle de cours retrouve sa porte (j’écris ceci dimanche. J’irai vérifier demain lundi où se trouve la porte).

 
L’équation vincennoise : Si (tags>0) alors (pissotières>1) sinon (pissotières=0)
La preuve : Voici des toilettes du bâtiment A.

Vous remarquerez l’absence de lunettes sur les toilettes. L’étude du temps nécessaire aux services de l’entretien ou de la logistique pour les remplacer se mesure non pas en mois, mais probablement en décennies (je mène cette étude depuis 2004).

Et, pour conclure la preuve, des toilettes du bâtiment B. Sans tags, mais sans pissotières. Pas de bras, pas de chocolat.

 
Et puisque j’y suis, dans la description des conditions d’hygiène et de sécurité dans lesquelles je travaille.
A quoi sert un distributeur de savon ?

Pas à distribuer du savon, cette denrée très rare dans l’université. Mais à bloquer-ouverte une porte, bien entendu. [C’est une porte qui ne s’ouvre que d’un côté, une invention formidable et sans doute utile, mais pas dans le contexte d’une porte d’entrée.]
A quoi sert une chaise ?

Surtout pas à s’asseoir dessus — ou alors de manière connexe aux autres fonctions. Ca sert à bloquer-fermée une sortie de secours. Car, comme on le sait, en cas d’urgence, merci d’enlever la chaise qui vous permettra d’échapper au feu. Comment ? c’est coincé ? Ah ?

 

Je suis tombé récemment sur le tract suivant (dont voici quelques extraits) :

Voilà ! Après un semblant d’escapade, [Paris 8] réintègre le giron de l’université française. Finie la fameuse expérience; finie l’entrée massive des non-bacheliers, finie la liberté du choix d’inscription pour les étudiants de la région parisienne, finie la liberté du choix de ses études. Aujourd’hui, tout doit rentrer dans l’ordre […]
Ainsi [Paris 8] réintègre le cadre “normal” de l’université, pour connaître le même sort que les autres facs… et même plus,… vu son caractère “expérimental”.
Rentabilisation : Avec l’ “autonomie” des facultés, qui organise concrètement la mainmise du patronat dans le cadre des conseils […] qui passeront des contrats d’enseignement avec les professeurs […]
Cela signifie : la suppression progressive de la gratuité de l’enseignement, la mise en place de l’auto-financement des facs au moyen de la hausse de plus en plus grande des droits d’inscription […] et par les dons privés qui seront octroyés aux facs par des mécènes, tout à fait désintéressés, personne n’en doute !!

Il n’est pas étrange que la “LRU” ne soit pas mentionnée… le tract date de 1969, et il est disponible sur un site d’archives numériques de Paris 8.

 

Et puisque nous parlons d’histoire, et de la fin des années 1960… Mes collègues Charles Soulié et Jean-François Laé ont mis en ligne une série de documents relatifs à l’enseignement de la sociologie à Vincennes [PDF, 40p.].

Apoapside…

La mise en place du logiciel de management des étudiants et des cours, “Apogée”, à Paris 8, pose de gros problèmes. Une lettre ouverte a été envoyée au président de l’université pour lui faire part des revendications du personnel administratif et des universitaires :

Deux courriers (…) font déborder la coupe Apogée.
Passe encore que l’on nous assène que le logiciel est « absolument nécessaire » : peut-être, mais quand le débat supposé nous en convaincre a-t-il eu lieu ? Vieille pratique de gestion, on a enclenché un processus à marche forcée dont l’urgence, constamment martelée et malheureusement réelle, devient le seul élément de mobilisation des personnels.
Passe encore que l’on nous enjoigne de « ne pas baisser les bras », alors que cette rentrée n’a pu se faire que parce que les personnels l’ont portée, justement, à bout de bras. Si le sens de cette implantation n’a pas été explicité au tout-venant du personnel de l’université, le tout-venant estimait pourtant de son devoir que les étudiants puissent s’inscrire et étudier.
Mais lorsqu’on explique que les difficultés rencontrées (pardon, « ressenties » ! il ne faudrait pas laisser penser qu’elles sont réelles) sont liées à une « déstabilisation des habitudes de travail », cela devient carrément insultant pour les personnels qui ont à peine le temps de sortir le nez d’Apogée pour lire cette prose institutionnelle.
source

Un compte-rendu, celui de la réunion du 20 janvier 2011, explique les raisons des problèmes d’implantation :

(…) la mise en place [d’Apogée] suit un processus itératif non séquentiel qui nécessite de la part de la cellule apogée un travail plus important que ce qui peut être perçu dans les composantes et crée nécessairement des phases de mises en attente des demandes de ces dernières.
[je souligne, mais je n’invente pas.]

Et un schéma vient nous expliquer les raisons de l’itération non séquentielle :

Et c’est vrai qu’à la lecture de ce schéma, on comprend tout.
Un petit malin s’est amusé à améliorer ce schéma :

[L’illisibilité est, je pense, voulue.]

Heureusement que, pour l’instant, les problèmes d’Apogée n’empêchent pas l’université de tourner. Au moins — à la différence des problèmes d’hygiène — Apogée ne donne pas la gastro.