Categories

Archives

Quels prénoms les immigrés (et leurs descendants) donnent-ils à leurs enfants ?

Vous arrivez peut-être ici après avoir lu le numéro de Population et Sociétés publié aujourd’hui, et vous souhaitez en savoir plus.
Le format de Population et Sociétés, 4 courtes pages, est parfait pour résumer des recherches, mais laisse parfois sur sa faim. Voici ce que je souhaite ajouter.
 
Le score de distance :
Tout d’abord, avec Patrick Simon, nous étudions les choix des prénoms de deux manières. Une première (centrale dans l’article) consiste à classer les prénoms en grandes zones nationales/culturelles/religieuses en fonction de leur structure syllabique. Une deuxième manière (moins utilisée dans l’article) consiste à calculer, pour chaque prénom, un score, variant entre zéro et 100, en fonction de la proportion relative des prénoms dans deux groupes : celui des enfants dont les deux parents sont nés en France, et celui des enfants dont un des parents au moins est né hors de France. Ce score, utilisé assez souvent depuis une quinzaine d’années, permet de repérer les prénoms que portent les enfants de natifs et les prénoms que portent les autres enfants. Un score de 75 indique que le prénom est trois fois plus fréquent dans le groupe des enfants de natifs que dans le deuxième groupe. Un score proche de zéro indique que ce prénom n’est presque jamais choisi par deux parents nés en France pour leur enfant.
Prenons les Sabrina. 0,2% des Sabrina sont enfant de couples nés en France, mais 1% des Sabrina sont enfant de couples dont un des membres est né à l’étranger. Le score du prénom Sabrina sera 100 * 0,2 / (1+0,2), soit 17.
Dans le cas des Océane, les chiffres sont 0,8% (couples nés en France), et 0,1% (couples dont un des membres est né à l’étranger). Son score est donc 100*0,8/(0,8+0,1), soit 89.

Voici le score moyen des prénoms portés par les immigrés, les descendants d’immigrés, les enfants de descendants d’immigrés et la “population majoritaire” (et ses descendants) :

Ce score est intéressant en lui-même, mais aussi en comparaison avec la classification “syllabique” des prénoms. Avec la classification des prénoms, on peut constater par exemple (c’est le graphique 1 dans le Population et Sociétés), que les Français sans origine migratoire directe (la “population majoritaire”) donne de moins en moins souvent des prénoms français à ses enfants : Erwan, Kilian, Clara, Enzo… ont remplacé les prénoms des Saints, ou les prénoms fréquents au XIXe siècle, ou les prénoms “qui sonnent français”. Quel que soit l’indice retenu, on constatera l’abandon, par les Français sans origine migratoire directe, du registre des prénoms français. Cela se fait au profit du registre “latin”, du registre “anglo”, “celtique”, etc…
Le score numérique nous apporte une autre information : comme vous pouvez le constater ci-dessous, il reste stable. Les Français sans origine migratoire directe piochent dans des registres non-français… sans que le score moyen des prénoms choisis ne se rapproche de celui des immigrés ou de leurs descendants ? Pour une raison simple : les Français (sans origine etc…) ne piochent pas dans le stock des prénoms porté par les immigrés. Ils continuent à maintenir une distance culturelle : Enzo devient possible quand les immigrés ne s’appellent plus Enzo.
 
La course à l’assimilation :
Imaginons l’assimilation (la disparition des différences saillantes entre deux populations) comme une course de 100 mètres, sur plusieurs générations. La vitesse de course peut se calculer, par exemple, à partir de l’abandon des prénoms du pays d’origine (le passage de 90% à 50% puis à 20%, par exemple). Ou se calculer à partir du score moyen des prénoms des immigrés, des descendants, et des enfants des descendants…
Ce que l’on verra, si l’on calcule la vitesse à laquelle courent les groupes d’immigrés et leurs descendants (par exemple les originaires d’Afrique du Nord par comparaison avec les originaires d’Europe du sud), c’est que, sur deux générations, des immigrés à leurs petits enfants, la vitesse est grosso-modo la même, la distance parcourue sur deux génération est comparable. L’assimilation est un processus social collectif auquel il est difficile d’échapper.
Mais si les immigrés courent tous au même rythme, ils ne participent pas à la même course. Les immigrés d’Europe du Sud (et leurs descendants) arrivent avec des prénoms plus proches des prénoms portés en France : il arrivent avec 10 à 20 mètres d’avance sur les immigrés d’Afrique du Nord. Et l’adoption, par les Français sans origine migratoire directe, de prénoms “latin” fait que, pour le dire vite, les immigrés d’Europe du Sud n’ont pas besoin de courir pour voir la distance se raccourcir.
J’ai essayé de montrer ceci avec un Gif Animé, mais je ne suis pas graphiste :

Et on accueille Didier et Nathalie… Les prénoms dans les jeux télévisés.

Dans «Le petit peuple des sociologues», j’ai montré comment les sociologues français avaient cherché à individualiser les personnes auprès desquelles ils enquêtent, en leur donnant des prénoms fictifs.
Les sociologues ne sont pas les seules à donner des prénoms. Les présentateurs et présentatrices de jeux télévisés aussi. Mais aujourd’hui plus qu’avant. Quand on regarde, sur le site de l’INA, les premiers jeux télévisés (comme Gros lot en 1957), on voit que les candidats sont appelés par leur nom de famille. Madame Nanin en 1958 dans Télé match. Mais aujourd’hui, on va nous annoncer “Sébastien, notre champion”. Un prénom, sans nom de famille.
De quand date ce changement ? J’ai, pour répondre à cette question cruciale, examiné la présentation des candidats dans une bonne soixantaine de jeux télévisés depuis 1968, principalement en me fiant à des extraits sur le site de l’INA ou sur Youtube. Voici le résultat :
Le graphique suivant représente chaque jeu télévisé par un point. Ce point est placé en bas (zéro) si le jeu télévisé n’utilise pas le prénom tout seul. Et en haut s’il utilise le prénom seul. La courbe rouge estime la probabilité d’utilisation du prénom seul à partir d’une regression logistique.
 

cliquez pour agrandir

Avant 1976, aucun jeu télévisé n’utilise le prénom seul. Les candidats sont “Monsieur Dupont” ou “Jean-Christophe Dupont”. En 1976 (pour la première fois dans mon corpus), Les Jeux de 20h font intervenir des candidats qui n’ont qu’un prénom : “C’est une jolie Florence”, nous dit-on.
Dans les années 1980, et notamment avec les multiples jeux télévisés diffusés sur La Cinq, les prénoms se diffusent: les nouveaux jeux télévisés créés à partir de 1990 ont une probabilité très élevée de présenter les candidates et les candidats uniquement à l’aide de leur prénom. Et Des chiffres et des lettres, créé en 1972, et qui utilisait le nom de famille, s’est enfin mis, très tardivement, à utiliser les prénoms, au cours des années 2000.

Cette étude a ses limites :

  1. Le corpus est limité, et il me manque des jeux entre 1978 et 1983. Justement une période qui semble être une période de basculement
  2. Il faudrait examiner plus en détail les usages des noms et prénoms au cours des jeux eux-mêmes : je me suis limité à l’introduction des candidats, et à ce qui est écrit sur leur badge
  3. Il faudrait examiner la permanence du vouvoiement associé au prénom
  4. Je n’ai pris en compte que des jeux d’adultes (parce que les enfants, on les tutoie et on les appelle par leur prénom), ou se présentent des individus, en excluant les jeux où se présentent des familles (qui, par nécessité, sont référencées par un nom de famille)
  5. Et plein d’autres limites

Le petit peuple

Si vous avez lu de la sociologie, vous avez pu tomber, par exemple au milieu d’un article sur le ressentiment, sur un paragraphe construit ainsi :

 

« Des minus… je veux dire… des moins que rien… des envieux. J’ai une œuvre, moi. » (Didier, 58 ans, ancien journaliste)

Les propos de Didier [*] témoignent de l’angoisse produite par le déplacement social qu’il a connu récemment. […]
* Note 1 : Dans cet article, les prénoms ont été anonymisés pour protéger la vie privée de nos enquêtés.

 

Point n’est besoin de multiplier les exemples. Vous aurez reconnu l’habitude d’indexer « ses » enquêtés par un prénom. C’est cet usage que j’explore (en multipliant les exemples) dans un article paru aujourd’hui dans la revue Genèses : « Le petit peuple des sociologues. Anonymes et pseudonymes dans la sociologie française » (Genèses, n°107, juin 2017)
Quand j’ai commencé à écrire de la sociologie, vers 1996, dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, je faisais déjà ça : mes enquêtées, des talas, s’appellent Marie-Adélaïde ou Juliette. En licence de sociologie, à Paris 5, on faisait ça (je me souviens d’un travail rendu dans le cadre du cours de François de Singly). À Paris 8, dans les séminaires de master, on faisait ça. À l’Ecole normale supérieure, où se déroulait une partie de ma formation, on faisait ça. Mais si vous lisez des articles de sociologie publiés avant 1995 (que ce soit dans la Revue française de sociologie, dans Sociétés contemporaines, dans les Actes de la recherche en sciences sociales, dans les Cahiers internationaux de sociologie ou dans L’Année sociologique…) vous ne trouverez qu’une poignée d’articles proposant des enquêtés résumés à un prénom. Il y eu un moment où on ne faisait pas ça, donner un prénom aux enquêtés.

Je le sais, parce que (après avoir repéré cette habitude) j’ai lu environ 1450 articles, publiés entre 1960 et 2015, pour repérer l’arrivée de l’utilisation des prénoms dans la sociologie française. Le résultat : un article qui retrace les incitations à l’individualisation du monde social, à la décomposition des collectifs réifiés, à la prise en compte de la dignité de la personne, à la “narrativisation”.

Mais seule une partie du monde social enquêté reçoit des prénoms : les « petits ». Faites une enquête dans les cabinets ministériels, et vos enquêtés ne seront pas Emmanuel, Pierre et Jean-Claude, il seront indexés autrement, souvent par la fonction (“directeur”), le titre, la profession, une place dans la structure. Faites une enquête auprès d’intermittents du spectacle, de femmes sans papier, et vous trouverez Camille et Fatou. Cela a pour conséquence une théorie implicite de la domination : la domination ne s’exerce pas directement, dans le corps à corps, mais de fonction à individu : c’est « Le manager » qui sanctionne « Josiane ». C’est « le responsable de la maraude » qui incite « Dylan » à se soigner.

Ainsi, au détour d’un article sur les réseaux de l’aristocratie parisienne, vous pourriez lire ce qui ressemblerait à ceci :

 

Après les déboires causés par la nationalisation de la banque familiale, en 1981, le maintien du statut de la lignée passa par des formes d’expatriation coloniale dont les enquêtés s’avèrent fort capables de retracer a posteriori la rationalité :

« Mon frère a choisi la Nouvelle-Calédonie et mon oncle le Mali, tous les deux dans l’import-export. Pas glorieux, mais ça rapportait beaucoup, à l’époque. Moi j’ai fait consultant en philo, j’ai monté ma boîte. » (Geoffroy-Marie [*], 35 ans, cadet de la branche cadette, héritier de l’appartement parisien)

* Note 1 : Les prénoms ont été modifiés pour protéger l’anonymat.

 

Mais dans un autre article, portant sur la même personne, vous pourriez lire ceci :

 

La densité des contacts, facilités par l’entregent familial et la sociabilité professionnelle — G. est l’auteur d’essais à prétention philosophique qui lui ont fait connaître les réseaux de la diplomatie culturelle — rend compte de la bifurcation :

« C’est D. qui m’a fait connaître E., qui était à l’époque Ambassadeur à Varsovie. C’est sur sa recommandation que j’ai pu entrer [dans le corps diplomatique]. » (G., directeur des services culturels)

 

Comme le montre l’exemple précédent, fictif mais pas tant que ça, utiliser un prénom place l’enquêté.e en situation de minorité.

Ainsi même les collectifs les moins susceptibles de sombrer dans la promotion des inégalités peuvent différencier les « grandes » (philosophes, cheffes d’orchestres, théoriciennes) des « petites » (paysannes, migrantes, caissières). Les grandes ont nom et prénoms, les petites, au mieux, l’initiale de leur nom de famille — quand bien même le but serait de donner la parole aux petites :

Il serait possible, avec un peu d’ironie, de proposer une version “égalitaire”, en privant les grandes du nom qui fait leur renom. Nancy “philosophe rebelle”, Claire “cheffe”, et “Judith B.”.

Dans une séquence hiérarchique, le prénom, selon qu’il est seul ou non, ou associé ou non au nom, à l’initiale, à la fonction… est confié aux plus petits d’entre nous.

Ce n’est pas la même chose d’indiquer « Baptiste Coulmont, professeur (classe exceptionnelle) au Collège de France et secrétaire général de l’Académie des sciences morales et politiques » ou « Baptiste, sociologue » : le personnage n’est pas le même [de fait, l’un est fictif, je vous laisse deviner lequel].
À cela on me répond : « oui mais c’est ainsi que j’interpellais mes enquêtés sur le terrain ». Devant la récurrence des usages différenciés, permettez-moi d’en douter. Et pourquoi un terme d’interpellation (dans l’interaction) devrait-il devenir, sans traduction aucune, un terme de référence (dans un article) ? L’usage du prénom, en assignant une place implicite aux enquêtés, permet à la sociologue de se mettre en scène au sein du monde décrit : à distance des dominants (réduits à une fonction lointaine), à proximité des petits (dont on a su capter la confiance, avec qui nous sommes à tu et à toi, comment en douter ?).
Je présenterai cet article au congrès de l’Association française de sociologie, et en attendant, vous pouvez lire l’article : « le petit peuple des sociologues ».

Pour l’anonymisation, voir Coulmont ?

Il y a quelques années, j’ai mis en ligne un outil permettant l’anonymisation des enquêtés : à partir des résultats nominatifs au bac, j’ai regroupé les prénoms qui obtenaient le même profil de résultats.
Après quelques années, cet outil commence à être utilisé [j’en avais parlé en 2012]. Et parfois, celles et ceux qui l’utilisent font le plaisir de le citer. Comme je suis un peu bête, j’ai oublié d’indiquer une manière unique de citer cet outil : voilà qui ne facilite pas la citation. Un petit bilan quantitatif s’impose donc.

Nicolas Jounin le mentionne dans Voyage de classes.

Et on en trouve l’usage dans une poignée de thèses soutenues récemment :


Thèse de Géraldine Comoretto

 


Thèse de Maud Gelly

 


Thèse de François Reyssat

 


Thèse de Marjorie Gerbier-Aublanc

 

Youpi ! N=5 ! [Si vous l’avez utilisé dans votre thèse, n’hésitez pas à me le signaler]

 
Mises à jour :

Thèse d’Arthur Vuattoux :

Et :

Thèse de Melina Landa :

Et aussi :

Thèse de Guillaume Petit :

et :
Thèse d’Anne-Valérie Housseau :

Continuons la mise à jour.

Thèse de Morgane Maridet :

Livre de Nathalie Lapeyre (Le nouvel âge des femmes au travail) :

Rapport de recherche de Aragona, Baudot et Robelet :

Thèse de Valentin Berthou :

Thèse de Romain Gallart :

Thèse de Cécile Thomé :

Thèse de Tristan Haute :

Thèse d’Alix Boirot :

Thèse de Ghislain Chasme :

Thèse de Jaques Henno :

Muriel Darmon (Réparer les cerveaux) :

Thèse de Magali Loffreda :

Thèse de Maxime Lescurieux :

Thèse de Clément Dusong :

Signalons aussi le Mémoire de M1 de Romain Comparot :

Thèse de Marion Jacquet-Vaillant :

Thèse d’Alice Simon :

Et en 2022 :
Article de Florence Ihaddadene :

Prénoms d’entrepreneurs : Sébastien le boucher, Mohamed le taxi

La base SIRENE a été mise en ligne sur data.gouv.fr et elle contient notamment les prénoms de près de 4 millions d’entreprises ayant un entrepreneur à prénom.
Au cours des dernières années, le prénom “Marie” est devenu l’un des plus fréquent parmi les chefs et cheffes d’entreprises. En revanche, “André” et “Michel”, eux, ne sont plus répandus parmi les personnes ayant créé leur entreprise récemment.
prenomsirene
On remarque, avec un certain délai, les modes : “Nicolas”, prénom à la mode vers 1980 (c’est un des prénoms les plus donnés) se repère chez les entrepreneurs à partir des années 2000, quand des dizaines de milliers de “Nicolas” entrent sur le marché du travail.

Si l’on s’amuse à regarder quels sont les prénoms fréquents par secteur d’activité, pour les entreprises créées récemment, alors on retrouvera Jean, Marie et Nicolas un peu partout. Mais on repèrera aussi “Mohamed” à la tête des entreprises de “Transports terrestres et transport par conduites” et de “Poste et courrier” (avant ce que l’on a appelé “l’übérisation des banlieues”). On repèrera aussi les activités où les hommes sont majoritaires et ceux où les femmes le sont : activités administratives, activités liées à la santé, “autres services personnels”.

Prénoms les plus fréquents par secteur NAF
NAF 1 2 3
Culture et production animale, chasse et services annexes JEAN MARIE NICOLAS
Sylviculture et exploitation forestière JEAN MARIE MICHEL
Industries alimentaires SEBASTIEN DAVID CHRISTOPHE
Industrie de l’habillement MARIE ISABELLE NATHALIE
Autres industries manufacturières MARIE NATHALIE ISABELLE
Réparation et installation de machines et d’équipements JEAN CHRISTOPHE PHILIPPE
Production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné JEAN PHILIPPE MICHEL
Travaux de construction spécialisés JEAN DAVID SEBASTIEN
Commerce et réparation d’automobiles et de motocycles SEBASTIEN DAVID JEAN
Commerce de gros, à l’exception des automobiles et des motocycles JEAN NICOLAS PHILIPPE
Commerce de détail, à l’exception des automobiles et des motocycles MARIE NATHALIE JEAN
Transports terrestres et transport par conduites MOHAMED JEAN CHRISTOPHE
Activités de poste et de courrier MOHAMED THOMAS ALEXANDRE
Hébergement MARIE JEAN CATHERINE
Restauration JEAN CHRISTOPHE MARIE
Production de films cinématographiques, de vidéo et de programmes de télévision ; enregistrement sonore et édition musicale NICOLAS JULIEN GUILLAUME
Programmation, conseil et autres activités informatiques NICOLAS JULIEN SEBASTIEN
Activités auxiliaires de services financiers et d’assurance JEAN NICOLAS CHRISTOPHE
Activités immobilières JEAN PHILIPPE MARIE
Activités juridiques et comptables MARIE ANNE JEAN
Activités des sièges sociaux ; conseil de gestion JEAN PHILIPPE MARIE
Activités d’architecture et d’ingénierie ; activités de contrôle et analyses techniques JEAN NICOLAS PIERRE
Publicité et études de marché JEAN NICOLAS JULIEN
Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques NICOLAS JEAN JULIEN
Services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager JEAN DAVID SEBASTIEN
Activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises MARIE NATHALIE ISABELLE
Enseignement NICOLAS MARIE JEAN
Activités pour la santé humaine MARIE ANNE SOPHIE
Activités créatives, artistiques et de spectacle MARIE JEAN NICOLAS
Activités sportives, récréatives et de loisirs NICOLAS SEBASTIEN JULIEN
Réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques JEAN DAVID SEBASTIEN
Autres services personnels MARIE NATHALIE STEPHANIE
Insee, Base Sirène. Création postérieures à 2007

Il y a beaucoup de doubles comptes (un même entrepreneur pouvant avoir, assez souvent, plusieurs entreprises, plusieurs établissements, plusieurs magasins… à son nom).

Quels prénoms ?

Depuis le 1er septembre, et pour un an — jusque fin août 2017 donc —, je suis en délégation pour recherches à l’INED. Mon travail va porter sur les prénoms que les immigrés (et les descendants d’immigrés) donnent à leurs enfants, à partir de l’enquête TeO. C’est une étude que j’avais commencée il y a quelques années déjà, mais que je n’avais pu terminer (en raison de la rédaction d’un ouvrage sur les changements de prénoms, d’une habilitation à diriger des recherches et de responsabilités administratives variées, au sein du département de sociologie de Paris 8).
Dans un contexte juridique entièrement libéral, quels prénoms les parents choisissent-ils ? A quelles caractéristiques individuelles (niveau de diplôme, ancienneté de résidence en France…) et contextuelles (lieu de résidence, environnement familial, amical et de travail…) sont associés certains choix ? Garçons et filles reçoivent-ils des prénoms du même registre ? Y a-t-il un lien entre l’expérience du racisme (en raison du nom ou du prénom) et le choix de tel ou tel prénom ?
Il existe une poignées d’articles sur les prénoms que reçoivent les enfants des immigrés, et même des travaux récents, qui montrent une tendance à l'”acculturation conservatrice” (le choix de prénoms “qui ont fait leur preuve” plutôt que de prénoms neufs). Mais ces enquêtes ne portaient pas sur la France. Essayons donc d’en savoir un peu plus.

Line ? un prénom de coiffeuse !

J’avais apprécié la lexicologie commerciale de Mathieu Garnier (@matamix). J’ai donc téléchargé les données disponibles sur infogreffe (greffes des tribunaux de commerce). Et j’ai exploré la fréquences des prénoms dans les intitulés des entreprises (dans les données de 2013). Pour des raisons d’efficacité (il y a plus d’un million d’entreprises et plus de 25 000 prénoms en usage en France) j’ai restreint la recherche aux prénoms donnés à plus de 1000 bébés en France depuis 1930. Y a-t-il beaucoup de « Maxime Coiffure » et de « Les Pâtisseries de Marie » ? Beaucoup de « Alain Bernard Consultant » ?

Le premier tableau montre que la fréquence d’apparition des prénoms dans les intitulés varie beaucoup. Les entreprises de “Conseil en systèmes et logiciels informatiques” n’utilisent pas les prénoms (à peine 3%). Alors que les salons de coiffure, oui, beaucoup. Et ce n’est pas juste à cause des franchises “Jean-Louis David”. L’opposition est visible entre d’un côté les sociétés de consulting, de gestion, d’informatique. Et de l’autre les sociétés de maçonnerie et du soin (habillement, coiffure).

Secteur d’activité Pourcentage de prénoms Nombre d’entreprises
Conseil en systèmes et logiciels informatiques 3 12181
Ingénierie études techniques 4 19260
Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion 6 39605
Activités des sociétés holding 6 41272
Activités des marchands de biens immobiliers 7 12729
Agences immobilières 8 21148
Location de terrains et d autres biens immobiliers 9 17901
Restauration de type rapide 9 16462
Hôtels et hébergement similaire 9 15151
Commerce de voitures et de véhicules automobiles légers 9 12167
Restauration traditionnelle 10 45400
Activités comptables 10 10221
Entretien et réparation de véhicules automobiles légers 11 19570
Travaux d installation électrique dans tous locaux 12 18526
Boulangerie et boulangerie-pâtisserie 15 10775
Commerce de détail d habillement en magasin spécialisé 15 15023
Travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre de bâtiment 16 24676
Travaux de peinture et vitrerie 16 11826
Travaux de menuiserie bois et pvc 16 14647
Coiffure 20 17434
Travaux d installation d eau et de gaz en tous locaux 21 12159
Données Infogreffes 2013, Réalisation B. Coulmont

Si l’on se penche sur les prénoms eux-même alors on trouvera Jean, Pierre, Michel, Philippe et Bernard dans les intitulés de plus de 1500 entreprises chacun. Les premiers prénoms féminins sont Marie (15e position) et Marine (20e position)… Mais Marine n’est pas toujours un prénom, c’est aussi un adjectif… Ces 40 prénoms les plus fréquents dans les intitulés commerciaux sont donc très, très, très masculins.

Prénom Nombre d’entreprises Prénom Nombre d’entreprises
1 JEAN 4534 DANIEL 917
2 PIERRE 2914 PAUL 913
3 MICHEL 2326 LOUIS 908
4 PHILIPPE 1761 MARC 886
5 BERNARD 1491 ANDRE 885
6 ALAIN 1379 CHRISTIAN 879
7 LAURENT 1344 NICOLAS 854
8 MARTIN 1193 BRUNO 820
9 PASCAL 1119 DIDIER 795
10 PATRICK 1067 VINCENT 779
11 ERIC 1067 DENIS 723
12 OLIVIER 1065 ROBERT 708
13 CHRISTOPHE 1054 GERARD 703
14 FRANCOIS 1053 STEPHANE 688
15 MARIE 1035 FRANCK 650
16 DAVID 1026 DOMINIQUE 630
17 JACQUES 1024 RICHARD 628
18 CLAUDE 978 FREDERIC 619
19 THIERRY 963 GILLES 602
20 MARINE 957 GEORGES 590
Données Infogreffe

On peut aussi mettre en rapport le nombre de bébés nés avec tel prénom et le nombre d’entreprises qui portent un tel prénom dans leur intitulé. Il devrait y avoir un rapport : plus la population d’Enzo augmente, plus le nombre de « Enzo Coiffure » ou « Enzo Consulting » devrait augmenter. C’est en effet le cas : il y a beaucoup de Michel en France, et beaucoup de « Michel Michel Maçonnerie ».

Mais certains prénoms sont sous-représentés : Il y a en France très peu de « Mohamed et Associés », de « Biscuiterie Rolande » et de « Les beaux dessous de chez Ginette ». En revanche, les prénoms Lambert, Loup, Alma, Alizé, Ben, Gaia, Neo… sont moins des prénoms que des intitulés d’entreprise. L’exemple parfait est probablement “Fleur” : qui n’est pas « Fleur Dupont, Fleuriste », mais « A Fleur de Peau, épilation ». Idem avec Franco et Urbain…

Prénoms peu utilisés pour les intitulés d’entreprise   Prénoms très utilisés pour les intitulés d’entreprise
Prénom Nombre de naissances
depuis 1930
Nombre d’entreprises Rapport   Prénom Nombre de naissances
depuis 1930
Nombre d’entreprises Rapport
1 MOHAMED 69464 2 34732   LAMBERT 1542 275 6
2 JEANNINE 144328 6 24055   LOUP 1260 171 7
3 ROLANDE 20660 1 20660   ALMA 1167 150 8
4 MAURICETTE 37708 2 18854   ALIZE 1787 191 9
5 LILIANE 99379 6 16563   BEN 1759 175 10
6 JANINE 49451 3 16484   GAIA 1196 120 10
7 TITOUAN 16050 1 16050   NEO 1664 174 10
8 CHRISTIANE 219952 16 13747   HARMONIE 2058 212 10
9 JOSIANE 118708 10 11871   FRANC 1014 94 11
10 RAYMONDE 57134 5 11427   FRANCO 2160 174 12
11 JOCELYNE 102799 9 11422   ROCH 1643 139 12
12 MICHELINE 77311 7 11044   URBAIN 1288 106 12
13 GINETTE 87742 8 10968   FLEUR 4195 314 13
14 CLAUDETTE 43114 4 10778   CRYSTAL 1033 75 14
15 JOSETTE 128881 12 10740   OLLIVIER 1053 71 15
Données Infogreffes, Réalisation B. Coulmont

Il resterait à repérer dans quel secteur d’activité les prénoms “sous-représentés” (Mohamed, Rolande…) sont fréquents. Ce que je n’ai pas encore fait.

Terminons avec les prénoms les plus fréquents par secteur d’activité. C’est souvent “Jean”. Et “Pierre” dans les métiers de l’immobilier ou ceux de la pierre (eh oui). Les Line coiffeuses ne sont pas les “Info-Line” des sociétés d’informatique. La restauration rapide fait preuve de l’exubérance la plus grande : Lou, Sam, Rose & Ben… « Lou Kebab » ? Et les coiffeuses, en effet, s’appellent Line.

Prénoms les plus fréquents dans les intitulés d’entreprise par secteur d’activité
Secteur 1 2 3 4 5
1 Boulangerie et boulangerie-pâtisserie JEAN MARIE PIERRE OLIVIER PHILIPPE
2 Commerce de détail d habillement en magasin spécialisé JEAN MARIE ROSE MARINE PIERRE
3 Entretien et réparation de véhicules automobiles légers JEAN MICHEL ALAIN BERNARD CHRISTOPHE
4 Travaux d installation électrique dans tous locaux JEAN MICHEL PHILIPPE PIERRE PASCAL
5 Travaux de menuiserie bois et pvc JEAN MICHEL PHILIPPE PASCAL PIERRE
6 Commerce de voitures et de véhicules automobiles légers JEAN MICHEL PIERRE CHRISTOPHE LAURENT
7 Ingénierie études techniques JEAN MICHEL PIERRE ALAIN BERNARD
8 Activités comptables JEAN PHILIPPE MICHEL PIERRE BERNARD
9 Travaux d installation d eau et de gaz en tous locaux JEAN PHILIPPE MICHEL DAVID ALAIN
10 Hôtels et hébergement similaire JEAN PIERRE MARIE JACQUES MARINE
11 Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion JEAN PIERRE MICHEL PHILIPPE ALAIN
12 Travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre de bâtiment JEAN PIERRE MICHEL PHILIPPE BERNARD
13 Travaux de peinture et vitrerie JEAN PIERRE PHILIPPE MICHEL LAURENT
14 Conseil en systèmes et logiciels informatiques LINE JEAN OLIVIER MICHEL ERIC
15 Restauration de type rapide LOU SAM ROSE JEAN BEN
16 Coiffure MARIE JEAN LINE NATHALIE SOPHIE
17 Activités des marchands de biens immobiliers PIERRE JEAN LAURENT ANDRE MARCEAU
18 Restauration traditionnelle PIERRE JEAN LOU MARIE LOUIS
19 Activités des sociétés holding PIERRE JEAN MICHEL PHILIPPE BERNARD
20 Agences immobilières PIERRE JEAN MICHEL LOUIS MARTIN
21 Location de terrains et d autres biens immobiliers PIERRE JEAN MICHEL MARTIN FRANCOIS
Données Infogreffe. Réalisation B. Coulmont

Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom

changer-prenom-couv-petitIl y a quelques semaines sortait Changer de prénom (PUL, 2016), le fruit d’une enquête sur la procédure en changement de prénom. Je décris, dans ce livre, une tendance ancienne à la libéralisation qui soutient ce qui peut se comprendre comme un droit à devenir soi-même. Ainsi, la quasi totalité des demandes adressées aux juges aux affaires familiales étaient acceptées, mais après un examen pouvant prendre plusieurs mois, et, très souvent, une audience devant juge, procureur et greffière.
Le gouvernement a proposé une modification de l’article 60 du code civil venant conclure cette tendance à la libéralisation : “Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom.” Et cette demande est acceptée, sauf si l’officier pense que la demande ne revêt pas un intérêt légitime : il saisit alors le procureur de la République, qui se penche à son tour sur la question, et qui peut s’opposer au changement.
Au cours de mon enquête, les oppositions des procureurs étaient rares. Ils émettent parfois des avis réservés, rarement des oppositions totales.
Interventions télévisées sur ce sujet :

Quelques prénoms bien corrélés

Dans un monde idéal, je disposerais d’informations nominatives individuelles comportant une indication sur la profession des parents. Dans le monde réel, je dispose d’éditions récentes du Fichier des prénoms, qui nous donne, pour chaque département, le nombre de bébés nés chaque année et portant tel ou tel prénom.
D’autre part les données des recensements nous indiquent la proportion de cadres, d’ouvriers, d’employés… dans la population active des 25-54 ans.
L’idée était de trouver des prénoms “bien corrélés” à certaines PCS. Voici quelques graphiques pour l’année 2012 (bébés nés entre 2010 et 2012, recensement 2012).
Ces corrélations écologiques risquent toujours de nous tromper. Dans les départements où il y a beaucoup de cadres, les prénoms Vadim et Brune sont plus fréquents que dans les départements où les cadres sont peu nombreux… Mais sont-ce les cadres qui appellent leurs enfants ainsi. C’est possible, c’est probable, mais ce n’est pas certain.
prenomscorreles2012

Jacobus, by any other name would smell as sweet

carlosmarxKarl Marx, né Carl Marx, est aussi connu en espagnol sous le nom de Carlos Marx : il est « conocido también en castellano como Carlos Marx » nous dit wikipedia. Il faut dire que ce celui qui est William ici, devient, au delà des Pyrénées, Guillermo, duque de Cambridge (fils de Carlos, époux de Catalina, père de Jorge et de Carlota).
En France, nous avons cessé de traduire ainsi les noms au début du XIXe siècle. L’on parlait bien de Godefroy Guillaume de Leibnitz (né à Leipsick) et encore d’Emmanuel Kant… mais on disserte rarement d'”Edmond” Husserl, sauf sous la plume d’Emmanuel Levinas, lui-même né Emanuelis / Эммануэль). Maria Antonia est bien devenue Marie Antoinette et Maria Ludovica Marie Louise… mais après, en gros, ça s’arrête.
Revenons à Carl/Karl : Dans la première section du 3e chapitre du livre 1 de Das Kapital (1867), l’on peut lire : [de] Ich weiß nichts vom Menschen, wenn ich weiß, daß ein Mensch Jacobus heißt.
Ce qui a été traduit, diversement, dans diverses langues. [fr] Je ne sais rien d’un homme quand je sais qu’il s’appelle Jacques. — [en] I know nothing of a man, by knowing that his name is Jacob. — [es] Nada sé de un hombre si sé que se llama Jacobo. — [ro] Eu nu ştiu nimic despre un om dacă ştiu numai că se numeşte Iacob. — [it] Se so che un uomo si chiama Jacopo, non so nulla sull’uomo. — [pt] Não sei nada de um homem quando sei apenas que ele se chama Jacó.
Le Jacobus latin germanique, qui n’est pas tout à fait Jakob, a été le plus souvent nationalisé : Jacques en français, Jacob, Iacob, Jacó… Cela a même pu inciter certains à décrire ce “Jacob” ainsi : « we know that that man, Jacob, to whom Marx referred is, most probably, an ex-Jew » Après tout, pourquoi pas ? Mon interprétation est différente : Jacobus est un nom de baptême latin (probablement catholique) ce qui était fréquent dans l’espace germanique. Ainsi Mozart fut-il déclaré-baptisé sous les prénoms de “Joannes Chrysost[omus] Wolfgangus Theophilus“. Mais ce nom de baptême n’est qu’un nom de papier, il n’est pas utilisé dans la vie courante : il n’y a pas de Jacobus pour les proches. Il y a peut-être une ironie à voir que l’exemple marxien, basé sur l’universalité du latin, est de suite traduit sous une forme nationale.