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Les prénoms et la mention, édition 2018

Entre l’année dernière et cette année, tous les candidats ou presque ont changé. Mais si les personnes ont changé, ce n’est pas le cas de leurs prénoms. Prenons les Juliette. Les Juliette qui ont passé le bac en 2017 ne sont pas celles qui ont passé le bac en 2018. Et même plus : les Juliette de 2017 n’ont pas les mêmes parents que les Juliette de 2018. Et pourtant leur nombre est presque le même (2200), et leur taux d’accès à la mention Très bien est identique (20%). En tant qu’individu, elles sont toutes différentes. En tant que groupe (du simple fait de partager un prénom) elles sont semblables. Les Juliette de 2018 sont, en tant que groupe, et au regard du taux d’accès à la mention Très bien, identiques aux Juliette de 2017.
Cette année, 25% des Garance (qui ont eu plus que 8 au bac général et technologique et qui ont autorisé la diffusion de leurs résultats) ont obtenu la mention Très bien. C’est le cas de 5% des Océane ou des Anthony. Les prénoms les plus donnés vers 2000 (quand ces bachelier.e.s sont né.e.s), Léa, Thomas et Camille, ont des taux moyens de proportion Très bien. Vous remarquerez aussi assez vite la plus grande excellence scolaire féminine : à la droite du graphique, on ne trouve que des prénoms féminins bourgeois (Garance, Apolline, Diane…). A gauche, ce sont surtout des prénoms masculins et de classes populaires (Steven, Ryan, Christopher, Allan).


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Pour les années précédentes, voir 2017, ou en 2016 ou encore en 20152014,2013, 2012 ou 2011. Vous pouvez aussi lire Sociologie des prénoms (édition La Découverte) [sur amazon, dans une librairie indépendante].

Des prénoms à la mode en Turquie ?

Par Elifsu Sabuncu (https://penserclasser.wordpress.com/) et Baptiste Coulmont
 

L’INSEE turc [Turkish Statistical Institute] met à disposition deux fichiers donnant le rang des 100 premiers prénoms, depuis 19501.

La belle longévité de certains prénoms, la mort d’autres

Certains prénoms connaissent une belle longévité : Zeynep, prénom féminin, est dans le “top 10” de 1950 à 2010; Mehmet, prénom masculin, est presque constamment le prénom le plus donné. On le voit assez facilement dans le graphique suivant, qui donne le rang de quatre prénoms masculins et quatre prénoms féminins depuis 1950 en Turquie.

Mais cette image de grande stabilité est trompeuse. On voit déjà que Elif, prénom féminin, connaît un succès grandissant, et que Hasan, prénom classique, a tendance être de moins en moins donné (relativement aux autres).

Et l’on pourrait tout aussi bien, comme nous le faisons dans le graphique suivant, insister sur les abandons. Certains prénoms, très populaires dans les années 1950, quittent le palmarès, abandonnés par les parents, qui ne nomment plus leur fille, ni leur garçon, ainsi.

Ainsi Serife disparaît du “top 100” avant 2000, et Bayram, prénom masculin, un peu après 2000. Visiblement, tous les grands-pères et toutes les grands-mères n’arrivent pas à transmettre leurs prénoms. En Turquie comme en France, les prénoms des vieux ne sont plus toujours les prénoms des plus jeunes.

Sous la stabilité, de nombreux mouvements

Les abandons (c’est à dire des prénoms qui passent sous la barre du 100e rang) sont très fréquents. Pour les filles : seuls 12 prénoms dans le “top 100” de 1950 sont encore présents dans le “top 100” en 2010 : Zeynep, Elif, Zehra, Fatma, Meryem, Ayşe, Medine, Hatice, Rabia, Emine, Melek, Esma. Les 88 autres prénoms de 2010 sont des prénoms “neufs” (ou peut-être, comme en France, d’anciens prénoms revenus au goût du jour2). Il en va de même pour les garçons, même si les changements sont un peu moins rapides (En 2010, il reste encore 29 prénoms présents en 1950, Yusuf, Mustafa, Mehmet, Ahmet, Ömer, Ali, Ibrahim, Hüseyin, Hasan, Ismail, Hamza, Abdullah, Ramazan, Murat, Mehmet-Ali, Salih, Yakup, Osman, Kadir, Bilal, Halil, Mehmet-Emin, Abdülkadir, Halil-Ibrahim, Süleyman, Musa, Adem, Mahmut et Isa).
Cette première différence entre garçons et filles est importante : en Turquie, tout comme dans les autres pays européens pour lesquels l’on dispose de données, les prénoms des filles se renouvellent plus vite que les prénoms des garçons. Les parents turcs en Turquie, aussi bien que ceux nés en Turquie mais immigrés en Allemagne ou en France, se permettent de donner aux filles des prénoms ayant une “carrière culturelle” plus courte que celle des prénoms masculins. Il y a plus d’inertie associée aux prénoms donnés aux garçons.

Si des prénoms disparaissent, il faut bien que d’autres les remplacent. Et ils ne sont pas remplacés par des prénoms aussi “classiques”. Les Turcs ont bien l’équivalent de nos “Martine” (1950-1960), “Aurélie” (1980-1990) ou “Manon” (1990-2000), prénoms générationnels qui connaissent un engouement très rapidement suivi par un désintérêt.

Le graphique montre bien le succès éphémère de quelques prénoms : Tuǧba pour les filles, ou Emrah pour les garçons ne restent pas longtemps au sommet du classement. Un prénom comme Sıla semble arriver de nulle part et disparaître aussi vite : il semble lié à la diffusion d’une série de télévision du même titre, dans lequelle une pauvre fille est recueillie par une famille riche d’Istanbul (vidéo ici)

Certains prénoms, qui se trouvent dans le “top 10″en 2009, n’ont que quelques années de popularité réelle : Ecrin (qui viendrait de l’arabe, et qui se prononce “edjrine”), Irem, Merve, Yaǧmur, Eylül et Nisanur pour les filles, Yiǧit ou Arda pour les garçons.

De la mode, donc !

Le cas turc est intéressant. L’étude des variations temporelles de la popularité des prénoms s’est appuyée sur les exemples de pays comme les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas… pour lesquels un état civil ancien permettait de repérer des phénomènes de mode. Rares sont les travaux à avoir essayé d’observer les mêmes phénomènes dans des pays, disons “extérieurs au G7”.
Dans les études portant sur les conséquences de la migration sur le choix des prénoms, il est parfois écrit que les prénoms des immigrés et de leurs enfants sont “traditionnels”, comme si, dans “leurs pays”, il n’y avait que “tradition”.

This corresponds to the results of Lieberson (2000), and Sue and Telles (2007), who have reported a higher use of more traditional (ethnic) first names for boys than for girls in Mexican-American families. This gender difference in naming is not easy to interpret. One possibility is that parents want traditions to be continued primarily by their male offspring.
Becker, B. [2009], Immigrants’ emotional identification with the host society. Ethnicities, 9[2], p.200-225.

Oftentimes, ethnic groups voluntarily give up their traditional first names and adopt names of the dominant ethnic group without state in- tervention.
Gerhards, J. & Hans, S. [2009], From Hasan to Herbert: Name-Giving Patterns of Immigrant Parents between acculturation and Ethnic Maintenance. American Journal of Sociology, 114[4], p.1102-1128.

De ce fait, il est implicitement sous-entendu que les pays à majorité musulmane (ou, plus largement, les pays d’émigration) auraient des “prénoms traditionnels” (Ali, Mohamed, Fatima…), qui, en plus, seraient hérités de (grand-)père à (petit-)fils. Ces pays ne connaîtraient pas la mode… et le fait de porter des prénoms ressemblant à des prénoms “musulmans” serait une preuve d’attachement à des “traditions”.

De rares travaux ont montré que ce n’était pas le cas, la mode n’est pas une spécificité occidentale. Et l’on peut, en cherchant bien, disposer maintenant de données statistiques au niveau national, qui le prouvent.

Peut-on repérer autre chose ?

Accessoirement, les données turques permettent d’autres interprétations. Par exemple, le succès récent de Muhammed (que l’on voit dans le graphique précédent), semble remplacer Mehmet. Si l’on fait l’hypothèse que Mehmet, forme turquisée de “Mohamed”, pouvait être lié au nationalisme des parents (préférant des prénoms “turcs” pour leurs enfants), alors on peut supposer que Muhammed est donné par des parents plus islamistes que nationalistes (ou trouvant désuet le recours à une forme éloignée de l’arabe).

Un premier classement des prénoms origine etymologique (“arabe”, “turc”, “persan”…) donne des résultats incertains (ci-dessous, pour les prénoms des filles). Les prénoms “turcs” (en bleu) ont tendance à être de moins en moins nombreux dans le “top 100”, alors que les prénoms “arabes” se maintiennent. Apparaît très visible, en revanche, l’augmentation du nombre de prénoms “difficiles à classer”, prénoms neufs ou sans ancrage.

Sources et bibliographie
Données turques :
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1331 #filles
et
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1332 #garçons

Aslan, S. [2009], Incoherent State: The Controversy over Kurdish Naming. European Journal of Turkish Studies, [10]. Available at: http://ejts.revues.org/index4142.html [Consulté août 16, 2011].
Bulliet, R.W. [1978], First Names and Political Change in Modern Turkey. International Journal of Middle East Studies, 9[4], p.489-495.
Borrmans, M. [1968], Prénoms arabes et changement social en Tunisie. IBLA, revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes, 121, p.97-112.

Notes
1 Ces données ne représentent pas directement les naissances, mais les personnes nées une année donnée, et encore vivantes vers 2009. Nous allons faire ici comme si ces données étaient assez fidèles aux naissances.
2 Mais pour le savoir, il faudrait disposer de données remontant aux siècles précédents. Les spécialistes d’histoire turque nous renseigneront en commentaire.

Sous sa véritable identité

Des sites comme facebook ou google+ insistent ou ont insisté pour que leurs utilisateurs s’identifient sous leur “véritable prénom”. De nombreuses raisons les poussent à agir ainsi : s’assurer de l’identité des utilisateurs permet sans doute plus de rentabilité… et permet aux autres utilisateurs de trouver “en ligne” les connaissances qu’ils ont “dans la vie réelle”.
Ces sites ne sont pas les seules institutions à exiger ainsi une et une seule “identité”. Le début du premier article de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794, et toujours en vigueur) est ainsi rédigé : “Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance”. Il y a loin de la loi à la pratique, et des désirs de google aux usages de l’internet : conférer une identité aux individus n’a jamais été simple.
Depuis 1794, diverses parades ont été inventées par les « citoyens » pour s’assurer une marge de manoeuvre face à l’identification étatique, et par les agents de l’État pour assurer une identification suffisante. Les cartes d’identité et les passeports sont ainsi devenus les supports de pseudonymes ou de noms d’usage, eux-mêmes soutenus par des “actes de notoriété”. Mais, au cours des dix dernières années, cela a été remis en cause. Prenons pour exemple l’extrait d’une requête en changement de prénom déposée récemment dans un tribunal. Mme NOMDEFAMILLE, depuis près de trente ans, utilise un autre prénom que celui qui a été inscrit sur son acte de naissance :

Le tribunal d’instance de XXX, par acte du … 1985, au vu des justificatifs produits et des témoins présents par devant lui “pour rendre hommage à la vérité” a dressé acte de notoriété de ce qu’elle est nommée “NNN”. La carte d’identité délivrée le … 1985 a fait l’objet de l’adjonction le … 1985 pour indiquer :
NOMDEFAMILLE dite “NNN”, prénom LLL
Elle est depuis connue professionnellement et personnellement sous les prénom et nom de NNN NOMDEFAMILLE et cette identité a été intégrée dans ses papiers d’identité et tous les documents de la vie quotidienne tant personnels qu’administratifs, en les ortographiant tantôt en majuscules, tantôt en minuscules. Sa carte d’identité a été renouvelée au nom de NOMDEFAMILLE dite NNN prénom LLL le … 1997. Son passeport a été établi le … 1992 au nom de NOMDEFAMILLE LLL dite NNN. Son passeport a été renouvelé le … 1998 au nom de NOMDEFAMILLE LLL dite NNN. Son passeport a été renouvelé le … 2002 au nom de NOMDEFAMILLE pseudo. NNN prénom LLL.
Par lettre du … 2009, la préfecture de Police de Paris a indiqué que le renouvellement d’un passeport avec le prénom de NNN était rejeté « a contrario de ce qui a été fait sur vos documents précédents », « l’état civil porté sur un titre d’identité devant être strictement conforme au document d’état civil », l’usage même prolongé ne pouvant conférer aucun droit. La préfecture de police lui rappelait, par ailleurs, la faculté de saisir le juge aux affaires familiales d’une demande fondée sur l’article 60 du code civil. Le 21 janvier 2010, madame NNN NOMDEFAMILLE a attiré l’attention de DEPUTEE, étant connue et identifiée dans son métier et la vie quotidienne comme NNN NOMDEFAMILLE. Laquelle a saisi la préfecture de police qui par lettre du … 2010 adressée à DEPUTEE a émis un nouveau rejet en se fondant sur la circulaire du 13 janvier 2010 sur les renouvellements des passeports selon laquelle les pseudonymes ne figurent pas sur les passeports et sur la circulaire du 10 janvier 2000 relative à la carte nationale d’identité autorisant l’insription du pseudonyme si la notoriété est confirmée par un usage constant, ininterrompu et sans équivoque.

Le cas de Mme NOMDEFAMILLE n’est pas isolé. La préfecture de police rechigne désormais à permettre l’usage de pseudonymes et de prénoms d’usage. [Je n’ai malheureusement pas retrouvé le texte complet de la circulaire du 13 janvier 2010, même avec son numéro NOR IOCD1001580C]. S’il suffisait d’une carte d’identité pour refaire une carte d’identité, le passage aux formes “sécurisées” a nécessité, à un moment, un retour à l’acte de naissance.
Il arrive donc à certaines personnes d’être identifiées par certaines branches de l’État comme “Delphine” (par exemple sur un permis de conduire, un diplôme du bac, une carte d’électeur…) et par d’autres comme “Nadine” (par exemple sur une carte d’identité). Conflit d’identité plutôt que conflit identitaire, mais qui pose quand même problème : la vie sociale repose souvent sur une identité fixe, solide.
Google+ a donc du souci à se faire : conférer aux individus une identité unique, même après deux siècles et plus d’incitations fortes de la part de l’État et de ses agents, n’est pas simple.

L’unité nationale

A l’échelle nationale, certains prénoms apparaissent comme des prénoms “mixtes” ou “épicènes”, portés à la fois par des filles et par des garçons. Mais c’est le résultat d’un effet de composition, d’une moyenne qui cache la dispersion. Le passage à l’échelle départementale vient modifier, parfois, les conclusions dressées à l’échelle nationale.
Ainsi “Dominique” apparaît aujourd’hui comme un prénom masculin au Nord (dans un croissant reliant Bordeaux à Strasbourg en passant par Paris) et féminin au Sud, de Toulouse à Monaco). “Claude”, tout en restant un prénom presque toujours masculin, est plus féminisé, disons, autour de Lyon et de la Bourgogne (les pointes du triangle seraient Clermont, Grenoble et Dijon).
Sur ces deux cartes, Paris a des Claude et des Dominique un peu plus féminines que les départements alentours.

D’autres exemples viennent soutenir l’idée que les Parisiennes et Parisiens donnent à leurs filles des prénoms qui sont donnés à des garçons au delà du périphérique. Deux exemples : Morgan et Noa. Morgan est toujours très masculin, mais moins à Paris. Noa est une fille à Paris (et plutôt un garçon en dehors).

Mon exemple préféré, j’en ai déjà parlé, concerne le prénom “Yael”.
L’on constate sur cette carte que les Yael sont des filles à Paris, dans sa banlieue, ainsi qu’à Strasbourg, Lyon et Marseille. Mais ailleurs, ce sont plutôt des garçons, les Yael. Le prénom est peu répandu, d’où un grand nombre de départements “blancs” (sans information statistique disponible). Mon hypothèse, spécifique à ce prénom : les unes naissent dans des familles juives, ou des familles ayant choisi de donner à leur enfant le nom d’une héroïne biblique n’ayant pas froid aux yeux ; les autres dans des familles inspirées par les modes celtiques, mais préférant Yael à Gael ou Mael (disposant d’une forme féminine, Yaelle, comme Gaelle et Maelle).

En catimini ?

En catimini, le coeur juridique de ma recherche actuelle, sur les changements de prénom, vient d’être modifié. Les réponses à la question “Comment changer de prénom ?” ne changent pas, mais les réponses à la question “Qu’est-il possible de changer ?” oui.
En effet, la « loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit », a un article 51 rédigé ainsi :

A la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

Jusqu’à présent, l’article 60 était rédigé ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction ou la suppression de prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Et maintenant ainsi :

Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction, la suppression ou la modification de l’ordre des prénoms peut pareillement être décidée.
Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

Cela ne change pas grand chose, mais quand même toute une jurisprudence, résumée ainsi dans le Rep. civ Dalloz (article de Florence Laroche-Gisserot) :

L’interversion pure et simple de l’ordre des prénoms, bien que celle-ci ait été admise de façon indirecte (…), est problématique. La Cour de cassation y est peu favorable, le demandeur ayant la liberté de choisir comme prénom usuel n’importe lequel de ses prénoms et pouvant imposer ce choix à l’Administration (Cass 1re civ. 4 avr. 1991, Bull. civ. I, no 117, Defrénois 1991.941, obs. Massip), et les arrêts récents de cours d’appel y sont généralement opposés, d’autant plus que la loi du 8 janvier 1993 (C. civ., art. 57, al. 2, in fine) a confirmé cette faculté (…).

Je n’ai pas encore compris comment, concrètement, dans le processus d’élaboration de cette loi, cet article 51 en est venu à exister. Il apparaît dans une version de 2009 (Article 28 bis nouveau de la proposition de loi adoptée le 2 décembre 2009, Texte n°376 http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0376.pdf)… et avant cela dans un amendement (CL409, déposé le 13 novembre 2009 par le député Sébastien Huyghe) refusé par la commission examinant le texte.

Après rectification de l’amendement, une discussion avait eu lieu à l’Assemblée nationale en décembre 2009 concernant l’amendement suivant :

Amendement n° 37 (2ème rectification) présenté par M. Huyghe, Mme Rosso-Debord, M. Alain Cousin, M. Straumann, Mme de La Raudière, Mme Vautrin, Mme Pons, Mme Grosskost, M. Spagnou, M. Vitel, Mme Fort, M. Piron, M. Diard, M. Christ, M. Dord, M. Mariani, M. Loïc Bouvard, M. Chossy, M. Geoffroy et M. Couve.
Après l’article 28, insérer l’article suivant :
À la dernière phrase du premier alinéa de l’article 60 du code civil, les mots : « ou la suppression de » sont remplacés par les mots : « , la suppression ou la modification de l’ordre des ».

L’amendement avait été déposé le 27 novembre 2009 :

Il est aujourd’hui possible de modifier tous ses prénoms mais non d’en changer l’ordre sur l’acte de naissance, alors même que de nombreux Français souhaiteraient pouvoir modifier cet ordre sans pour autant changer de prénoms.
Une personne qui use au quotidien d’un autre prénom que celui qui est placé à la première place sur l’acte de naissance par l’officier d’État civil, que ce soit pour des raisons d’appréciation personnelle ou la conséquence d’une actualité dont elle n’est pas responsable, se voit contrainte dans toutes ses démarches administratives.
Cet amendement vise donc à permettre à toute personne faisant usage d’un autre prénom que celui qui lui a été attribué en premier lieu de mettre en adéquation sa situation administrative avec sa situation personnelle et professionnelle.
source : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/2095/209500037.asp

Voici comment l’amendement est discuté :

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 37 deuxième rectification.
M. Sébastien Huyghe. En modifiant l’article 60 du code civil, cet amendement vise à réparer une bizarrerie. En effet, il est aujourd’hui permis à une personne de supprimer l’un de ses prénoms ou de changer ceux-ci, mais pas d’en modifier l’ordre. Avec cet amendement, cela sera désormais possible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission?
M. Étienne Blanc, rapporteur . Initialement, la commission a émis un avis défavorable.
Elle a rappelé que l’utilisation du prénom d’usage constitue une solution simple qui permet déjà d’obtenir le résultat que recherche notre collègue. Ainsi la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 4 avril 1991, que le prénom d’usage s’imposait au tiers comme aux autorités publiques. En clair, il suffit d’utiliser son deuxième prénom et cet usage s’impose à tous.
Cependant, une jurisprudence considère effectivement qu’il est difficile d’institutionnaliser cet état de fait et de le transcrire dans les actes d’état-civil. En conséquence, après avoir réétudié l’amendement dans le détail, nous pensons que le dispositif proposé peut être acceptable. À titre personnel, le président de la commission des lois et moi-même émettons donc finalement un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Le Gouvernement est d’autant plus favorable à cet amendement que je peux personnellement témoigner, pour avoir été confronté à ce type de situation, que le problème se pose parfois. Autant le résoudre!
(L’amendement n° 37 deuxième rectification est adopté.)
source

Les personnes qui demandaient, jusqu’à présent, à l’inversion de leurs prénoms quand elles utilisaient le deuxième et souhaitaient le voir passer en premier, se voyaient répondre que tout prénom inscrit à l’état civil pouvait être pris comme prénom d’usage (article 57 du Code civil), et que la demande n’était pas recevable.
Depuis le 19 mai, ce n’est plus le cas. Jean, François, Dupont peut demander au Juge aux affaires familiales à ce que son identité civile devienne François, Jean, Dupont. Mais cette information n’a pas encore été largement diffusée : à en croire google, seuls les sites proposant le Code civil électronique parlent de cette “modification de l’ordre”.

L’indicateur d’un milieu

Les prénoms sont des indicateurs de la position sociale des parents. Ils ne font pas qu’assurer l’identification des individus, ils sont associés à des caractéristiques collectives.
Je vais analyser ici des données recueillies par Henry Ciesielski. La plupart des académies publient, sur internet, les résultats individuels au brevet des collèges, sous la forme suivante : Coulmont, Baptiste, Mention, (collège).
Il est possible de retrouver, pour chaque collège, sa composition sociale, sous une forme très agrégée, donnant la proportion d’enfant de 4 catégories (fav a = enfants de chefs d’entreprise, cadres et enseignants, fav b = enfants de professions intermédiaires, moy = enfants d’artisans, commerçants et employés, défav = enfants d’ouvriers, de retraités employés et ouvriers et d’inactifs). L’on sait aussi si le collège est un collège privé ou public.
Ces données se prêtent à une “analyse en composante principale”, qui va proposer, sur un plan, une représentation synthétique des proximités sociales.

[L’image ci-dessus n’est qu’un extrait. Cliquez pour le PDF]

J’ai restreint l’analyse aux prénoms les plus fréquents, ceux qui avaient été donnés à plus de 1000 enfants en 1994, 1995 ou 1996. Sur l’image précédente, la place de chaque prénom dans le plan dépend de la composition sociale du collège et de deux scores. Le premier est la proportion de personne portant tel prénom se trouvant dans un collège privé. Le deuxième est un score de succès liées aux mentions reçues par les porteurs de tel prénom.
Le graphique oppose clairement les porteurs de prénoms “anglo-saxons” ou “arabes” aux porteurs de prénoms “anciens” : Sabrina se retrouve à côté de Brandon et Myriam et fort loin d’Agathe, Victor et Juliette. Ces deux types de prénom se trouvent dans des collèges fort différents socialement (les uns dans des collèges où sont surreprésentés les enfants d’ouvriers, les autres dans des collèges où sont surreprésentés des enfants de cadres). Et ils s’opposent aux prénoms des classes qualifiées ici de moyennes : Romain, Romane, Rémy, Sylvain et Bastien…
Cette cartographie sociale ne va pas vraiment surprendre : le sens commun arrive très bien à classer les prénoms des uns et des autres. Mais elle pourrait surprendre, pourtant. Je n’ai pas ici utilisé uniquement des données portant directement sur les porteurs de prénoms (par exemple la catégorie sociale des parents), mais des données portant sur le collège dans lequel les personnes se trouvent, des données portant donc sur un milieu social, des données “écologiques”. Les Brandon, ici, ne sont pas nécessairement des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, mais des enfants se trouvant scolarisés dans des collèges comprenant une surreprésentation d’enfants d’ouvriers ou d’inactifs. C’est, d’une certaine manière, la ségrégation scolaire qui apparaît, violemment.
 
Et Ines me direz-vous ? que fait-elle, seule, à une place étrange sur ce graphique. C’est, vers 1995, un des rares prénoms donnés aussi bien aux filles d’ouvriers maghrébins qu’aux filles des bourgeois de la région parisienne (et apparemment peu donné en dehors de ces deux milieux). Sur le graphique, c’est donc un prénom en “tension” entre deux positions.
 
Voici la “roue des variables”.

Je remercie encore Henry de m’avoir transmis ces données (ses données) ainsi que l’idée du traitement statistique.

Mise à jour
Arthur C. me signale que le traitement suivant est plus juste. Voici donc une analyse des correspondances :

Lien vers le fichier PDF

Et là, avec la prise en compte de la mention, on voit apparaître le genre, sur le 2e axe (les filles en bas, avec des résultats meilleurs, et les garçons en haut).

Sur la fiabilité du “fichier des prénoms”

Le “Fichier des prénoms” de l’Insee est un matériau formidable. Il a quelques limitations explicites : les prénoms très rares n’y sont pas présents (pour des raisons de respect de la vie privée).
Et la description du fichier précise ceci :

Le fichier des prénoms est établi à partir des seuls bulletins de naissance des personnes nées en France y compris les départements d’Outre-mer (DOM). En conséquence, l’exhaustivité n’est pas garantie sur toute la période, notamment pour les années antérieures à 1946. Les utilisateurs pourront donc constater des écarts avec le nombre annuel des naissances évalué par l’INSEE. Ces écarts, importants en début de période, vont en s’amenuisant. Après 1946, ils sont peu significatifs.

On peut se faire une idée du décalage entre la réalité des naissances et les données du fichier en calculant le ratio suivant (le nombre de naissances masculines pour 100 naissances féminines). On sait, en effet, que ce nombre tourne autour de 105 naissances masculines pour 100 naissances féminines (pour plus de précisions, pour beaucoup plus de précisions concernant l’établissement de ce ratio, lire l’ouvrage de Jaisson et Brian, Le sexisme de la première heure).
Le fichier des prénoms “décroche” de ce ratio avant 1946. Il en est très proche après.