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De l’impossibilité de travailler

Aujourd’hui s’est tenu — sans pouvoir se tenir — le jury de la licence de sociologie, à l’université Paris 8. Le jury n’a pu se tenir parce que le logiciel “Apogée”, installé en septembre 2010 (il y a donc deux ans), n’est toujours pas opérationnel.
Quatre enseignants-chercheurs se sont réunis, pendant plus de six heures, pour délivrer des licences et permettre aux étudiants de passer à l’année supérieure. Mais il n’y a plus de suivi informatisé des étudiants. Certaines notes disparaissent, les règles de calcul des moyennes sont étranges (par exemple, les notes reçues en seconde session ne sont pas prises en compte)… Quelques étudiants semblent avoir “disparu” pendant un an.
Ce problème dure depuis plus d’un an. J’en avais parlé en février 2011 par exemple. Et il suffit de consulter les archives du site du département de sociologie pour s’apercevoir, par exemple, qu’en juillet 2011 il a fallu délivrer des “attestations formulaires” parce qu’il n’était pas possible de connaître les notes des étudiants. Cette année — plus d’un an après le jury de juillet 2011 — le problème n’est pas réglé, et il a fallu mettre en place une adresse mail spécifiquement destinée aux problèmes de “non-remontée” des notes sur Apogée… et demander aux étudiants de s’inscrire aux cours avec “doodle”. Certains étudiants commencent à porter ces problèmes sur la place publique.
Les responsables des jurys, les secrétariats, les responsables des cursus, non seulement s’arrachent les cheveux, mais doivent consacrer des heures, des jours, des semaines pour rattraper tous les cas individuels rattrapables, en retrouvant une note de seconde session “mal remontée”, en découvrant telle règle de compensation…
Voici, par exemple, une liste d’étudiants ayant fait un signalement précis des problèmes qu’ils ont rencontré (notes “disparues”, erreurs dans la “remontée”, non prise en compte de certaines notes…)

Et ce ne sont là que les étudiants et étudiantes ayant pris le temps de rédiger une lettre de demande, qui ont réussi à identifier le problème les concernant. Nous allons devoir, tout au long de l’année, organiser des permanences pour essayer de comprendre les situations individuelles, identifier la source des problèmes, etc…

Et parce que de nombreux départements, à Paris 8, sont dans cette situation depuis plus d’un an, les problèmes s’accumulent et se multiplient. L’année dernière, seule “une promotion” était concernée, cette année, ce sont “deux promotions”. Les problèmes rencontrés par le département A se répercutent sur les étudiants du département B qui ont suivi des cours dans le département A (par exemple des cours de langue, ou une mineure).
 
En bref : il n’est plus possible de travailler (et ne pensez pas aller aux toilettes).
 
Ou si alors vous décidez d’y aller, ce sera à vos risques et périls. C’est un problème récurrent (voir ces archives). Voici une photographie d’un urinoir pris en photo ce jour, à Paris 8, urinoir non-fonctionnel, dont la réparation a été demandée en juillet dernier — par la procédure officielle, “par intranet, sinon cela ne sera pas pris en compte”. Après signalement, le 2 juillet, j’ai reçu ce mail du service concerné par la réparation : “Votre demande de travaux concernant l’urinoir bouché va être traitée par notre service”… Nous sommes le 18 septembre, je vais devoir refaire une demande de travaux. La photo ne rend pas bien compte de la réalité : l’odeur pestilentielle (imaginez, de l’urine macérant depuis plus de deux mois) est insupportable, même dans les couloirs… et l’hygiène est loin d’être respectée. C’est la rentrée, et voici donc ce que les étudiants découvrent à leur arrivée à l’université… des toilettes bouchées depuis plusieurs mois.

 
Mise à jour du 27 septembre 2012 : Neuf jours après la publication de ce billet, cet urinoir a été débouché. Il aura donc fallu exposer publiquement des toilettes bouchées pour obtenir une réparation, plus de deux mois après un premier signalement.

Cabines de sex-shops et impôts

Un petit article paru dans la Voix du Nord a attiré mon attention : il parlait de masturbation payante et de nettoyage de cabines. Je me permets de le reproduire en grande partie.

La patronne de sex-shop, les impôts et la pompe à fric
samedi 16.01.2010, 05:05 – La Voix du Nord
(…)
Chacun connaît l’une des méthodes employées pour contrôler un restaurant. On compte le nombre de dosettes individuelles de sucre. Cela offre une idée de la masse de cafés consommés dans l’établissement et donc de repas servis. Et pour un sex-shop, quel mètre étalon ? (…)

Dans la ligne de mire de la direction des services fiscaux du Nord, une dame de 46 ans, patronne, entre autres, d’une société gérant un sex-shop à Rouen et un autre dans le centre de Lille… Le fisc s’interroge sur des déclarations allant du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2005. Les contrôleurs finiront par faire preuve – comment dire ? – d’une certaine dextérité.

Preuve par l’essuie-tout

À Lille, la maison propose le confort de seize cabines et salon consacrés au visionnage de films X. Rouen ? Douze cabines et un salon… Rigoureux, les polyvalents se penchent… sur les chiffres présentés. Une comptabilité trop raide à leurs yeux. Selon les observations des agents du fisc, les cahiers présentés laissent figurer une fréquentation d’un client par jour et par cabine. Or, d’après des repérages – un testing ? – réalisés par les fonctionnaires, les lieux sont régulièrement pleins. « On fait même la queue », précise, presque sans sourire, un fin connaisseur du dossier. Qui, ici, jouera le rôle du sucre ? L’idée jaillira très vite. L’essuie-tout fourni au client, pardi ! Résultat : au regard des sommes présentées par la patronne, la consommation par client égale… neuf mètres de papier tendre.

Pour redresser la commerçante, défendue par Gérard Frézal, du barreau de Rouen, le fisc, représenté par l’avocat parisien Jean-Marie Bouquet, se placera, lui, sur une base de deux mètres par client et réclamera plus de 120 000 € d’arriérés. Deux mètres par client ? Les impôts ne sont pas les seuls experts en redressement… Décision le 29 janvier. •

LAKHDAR BELAÏD

L’autre quotidien du Nord, Nord-Eclair a quelques autres informations :

Quand le fisc s’intéresse au sexe, Publié le samedi 16 janvier 2010 à 06h00

Aurélia C., 47 ans, s’occupe, comme le dit le président Jean-Marc Défossez, d’un « commerce de détail d’articles spécialisés dans le sexe ». L’établissement, vaste et bien connu des juristes puisqu’il jouxte une célèbre salle de ventes aux enchères, est établi rue des Jardins à Lille.
Un autre établissement similaire est établi à Rouen et une succursale existait, au moment des faits, à Tourcoing. Mais elle a fermé : « Dans cette ville, un sex-shop, ça ne marche pas » souligne Aurélia C.

Curieuses recettes des cabines

Bref, la société « Carré Blanc », gérée par Aurélia C., son mari et son fils, se retrouve dans le collimateur de l’administration des impôts. Ce ne sont pas tellement les objets revendus qui posent problème mais plutôt une TVA trafiquée – c’est du moins la thèse de l’accusation – et les recettes curieuses des cabines où l’on peut visionner des films pornos.
À Lille, par exemple, il existe 12 cabines pour les spectateurs isolés et un salon où l’on peut regarder les films de façon plus conviviale avec une amie.
« L’administration, en divisant les recettes officielles par le nombre de jours ouvrables, a eu l’impression qu’on ne visionnait qu’un ou deux films par jour » résume le président Défossez. Comme le dit l’administration des impôts : « Le service a évalué les prestations d’après les quantités d’essuie-tout achetées et consommées ». Et là, la comptabilité des sex-shops de Lille et Rouen capote : 21 262 mètres d’essuie-tout ont été consommés en 2007, 28 350 en 2006, 21 262 en 2005.
Bref, même à raison de 2 m d’essuie-tout par visionnage de film, base très large retenue par l’administration, on arrive à des totaux de films visionnés et payés bien plus importants que le nombre officiel. « Le vérificateur des impôts estime à 18 mètres la longueur d’essuie-tout utilisée en moyenne chaque jour » souligne le président. « Il faut tout de même prendre en compte les besoins du personnel qui utilise aussi ces torchons en papier » objecte la prévenue.
Il n’empêche que la société est redressée singulièrement. La face cachée de la comptabilité est estimée à 67 000 euros et à 47 000 euros. Ce sont en tout cas les sommes exigées par Me Bouquet pour le fisc. Les magistrats ajoutent que, déjà en 2002, la même société a fait l’objet de récriminations similaires.
Le procureur Didier Cocquio n’y va pas de main morte en réclamant 10 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende. Me Frézal, du barreau de Rouen, conteste les prétentions de l’administration. Prononcé du jugement dans quelques semaines.
DIDIER SPECQ

Les services des impôts ont donc mesuré la longueur totale des essuie-tout achetés par le sex-shop et estimé ensuite un nombre de clients annuels. Des sociologues verraient dans ces rouleaux de sopalin un “indicateur” — l’objectivation n’est pas leur monopole.
Une chose n’est pas précisée dans les articles nordistes : à quoi servent ces feuilles d’essuie-tout ? Les cabines, dans lesquelles sont diffusées des films pornographiques, sont des lieux de masturbation et doivent être nettoyées régulièrement. Comme le disait une employée de sex-shop interrogée par Irene Roca Ortiz, “les hommes des fois, ben, ils sont maladroits, et ils visent pas là où ils devraient viser“.

Mais ces cabines sont aussi des lieux honteux : personne ne protestera en ne recevant pas de ticket ou de reçu, ce qui permet assez facilement aux sex-shops de sous-estimer les recettes engendrées par ces dispositifs. Divers procès ont rappelé que la délivrance d’un ticket était obligatoire ou fortement souhaitée (voir aussi ce procès ou encore celui-ci)… et que, sans cette trace, il fallait pouvoir estimer le nombre de clients :

pour reconstituer le chiffre d’affaires et le montant du bénéfice réalisé par la société MARATHON à raison de son activité de projection de films à caractère pornographique, le vérificateur s’est fondé sur la consommation électrique de l’établissement ; qu’il a déduit la consommation électrique liée à l’éclairage, au chauffage et aux travaux réalisés dans les locaux ; que le montant des recettes a été obtenu en déterminant, en fonction de la consommation électrique horaire de chaque cabine et du prix moyen horaire d’une projection, le nombre total annuel de projections

source

Mais je n’avais jamais entendu parler de l’objectivation par l’essuie-tout.

Mes conditions de travail (suite)

Je découvre aujourd’hui, affiché dans l’université, un “courrier des lecteurs” paru dans Le Journal de Saint-Denis, un hebdomadaire municipal et recopié ci-joint. “Pauline G.”, étudiante en italien, est ma nouvelle héroïne !
Il semble que le Président de l’université va demander un droit de réponse. Je lui conseille de répondre point par point à l’étudiante. Mais pour cela, il faudrait que les fuites soient réparées, que les fenêtres soient changées, que les enseignants disposent d’un matériel adéquat… Sinon, franchement, répondre en disant “on a fait des efforts”… on peut faire plus malin. Car ce que je montrais dans un billet publié il a deux semaines (vitres cassées…) n’a pas été réparé… Et la salle A382, dans laquelle je passe plusieurs heures par semaines, est toujours dans le même état.
Extrait de la lettre de Pauline G.

En effet, nous avons des cours dans des salles où les fenêtres sont ouvertes et cassées (réparées une semaine plus tard par du ruban adhésif), un manque de tables et de chaises, il faut donc aller dans la salle d’à côté pour trouver une table et une chaise, des radiateurs qui ne fonctionnent pas et des papiers journaux en guise de rideaux.
Nous avons cours dans des petites salles, mais malgré notre nombre d’étudiants (une dizaine par cours), on se retrouve à quatre sur une même table et certains étudiants se voient obligés d’écrire sur leurs genoux… Et il n’y a pas que ça : lorsque les professeurs écrivent au tableau, ils doivent ramener eux-mêmes un chiffon et de l’alcool car il n’y a rien pour effacer à l’université. Il y a aussi des fuites d’eau (une semaine plus tard, un seau était mis pour récupérer l’eau, mais la fuite n’était toujours pas réparée) (…)
source

Fin de l’extrait
L’un des seuls lieux propres de l’université semble être la bibliothèque, très agréable. Mais là, aujourd’hui, j’ai cru que le fou au slip sur la tête s’était installé au milieu de la bibliothèque… En raison de la mort d’un ancien professeur, Georges Lapassade, le contenu de son bureau a été exposé, avec ses médicaments périmés, sa collection de vieux “Gai Pied”, ses sacs à merdouilles. Quel meilleur hommage à l’un des importateurs de l’ethnométhodologie que d’exposer sa collection de trucs pourris.

Mes conditions de travail

Quand j’arrive à Paris 8, les portes de l’université annoncent une triste histoire. Cassées je ne sais comment il y a plusieurs semaines, elles ne sont pas réparées mais attendent probablement la fin de l’hiver :

Sans regarder, dans le hall, le faux plafond qui tombe et les distributeurs de friandise eux aussi en panne, je me dirige vers le bâtiment B. Au rez de chaussée, le local des pompiers annonce toute une histoire : une vitre (blindée ?) est cassée et sortie de ses gonds. Comme pour les portes d’entrée de l’université, des bandes rouge et blanche disent “attention, c’est cassé”. C’est cassé depuis plusieurs jours, mais pas encore réparé :

Je prends l’ascenseur, et en entrant, je vois ceci :

Il y avait un miroir dans l’ascenseur, il a été cassé, je ne sais comment, et les réparations tardent : cela fait au moins une dizaine de jours. C’est un peu dangereux, tous ces éclats de verre, mais il semble qu’il faille faire avec.
Si je me retourne pour éviter de voir les réfractions infinies de mon portrait dans ce miroir, me font face quelques propos graffités :

Plus tard, je vous photographierai l’une de mes salles de cours, la A382, dont les fenêtres sont bouchées par des rideaux métalliques qu’il est impossible de relever. Cela a été signalé, mais comme “certains font refaire leur parquet” (oui, certains bureaux ont du parquet), les étudiants attendront avant d’avoir des conditions de travail simplement hygiéniques. Mais peut-être que ce billet aura plus d’effet que deux demandes de réparation, et que je trouverai, dans ma salle de cours, des fenêtres ouvertes sur le monde (enfin… sur la nationale).
Pour en voir plus :
Paris 8 sur flickr, une tentative de cambriolage, le classement de vincennes, pauvre université, une jolie photo,