Categories

Archives

Des adultes en mode mineur ?

Des adultes en mode mineurL’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) a publié fin décembre le rapport de l’enquête que j’ai menée avec Camille François (avec la participation de Gaële Gidrol-Mistral) : Des adultes en mode mineur. Enquête sur les procédures d’émancipation judiciaire.
Le rapport est en accès libre !

L’enquête montre qu’on peut distinguer aujourd’hui trois classes de trajectoires d’aspiration précoce aux capacités civiles des majeurs. Les émancipations certifiantes-moyennes qui vise l’acquisition de brevets et la certification d’examens professionnels. Les émancipations scolaires-bourgeoises liées à des stratégies scolaires internationales ou des départements d’outre-mer vers la métropole. Et des émancipations familiales-populaires qui apparaissent comme un instrument de régulation des trajectoires et des litiges familiaux.

Nous mettons ensuite en lumière l’existence d’un « effet tribunal » sur les jugements d’émancipation, dont les variations ne se résument pas aux différences de motifs des demandes. En situation d’incomplétude du droit — en lien avec l’absence de jurisprudence — les juges des tutelles transfèrent des normes juridiques secondaires et des dispositions professionnelles associées à leur trajectoire antérieure au sein du champ juridique, qui contribuent à la différenciation de leurs pratiques. L’attention portée aux usages du corps des mineurs, le recours aux notions extra-juridiques de « risque » et de « maturité », viennent combler cette incomplétude…
Lire la suite

L’ordinaire

Je suis très heureux de pouvoir annoncer la publication de L’Ordinaire de la sexualité, que j’ai coordonné avec Marion Maudet.
Cet ouvrage de la collection « La Vie des Idées » aux Presses universitaires de France, est composé de cinq chapitres rédigés par Yaëlle Amsellem-Mainguy, Arthur Vuattoux, Céline Béraud, Delphine Chedaleux, Cécile Thomé, Catherine Cavalin, Jaércio da Silva, Pauline Delage et d’un entretien avec Isabelle Clair.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire un extrait de l’introduction sur le site de la Vie des Idées.

À rebours d’une sociologie des pratiques sexuelles qui s’est souvent intéressée à la marge ou à ce qui apparaissait comme extraordinaire, le postulat de cet ouvrage est d’étudier les pratiques à l’aune de l’ordinaire sexuel. L’ordinaire, ce qui est « conforme à l’ordre », « ce qui n’a aucun caractère spécial », en matière de sexualité, ce sont des désirs, des apprentissages, mais aussi des violences, des productions culturelles et médiatiques, des injonctions normatives produites par des institutions.
Car les pratiques sexuelles sont, toujours, sociales.

Une nouvelle édition

La troisième édition de Sociologie des prénoms, qui avait été publié pour la première fois en 2011, puis en 2014, arrive dans les librairies cette semaine, avec une toute nouvelle couverture.
La structure de l’ouvrage n’a pas changé, mais il y a quand même quelques changements. Tous les graphiques ont été révisés et mis à jour avec les données les plus récentes, et produits avec {ggplot2}. J’ai revu parfois la composition des chapitres, parce que j’ai souhaité intégrer des travaux récents, voire quelques working papers qui n’ont pas encore été publiés dans des revues, et que cela a conduit à réécrire et réordonner des paragraphes.
D’autres informations se trouvent sur la page Sociologie des prénoms.

Paroles d’histoire

J’ai participé, avec Nicolas Todd, au podcast Paroles d’histoire : l’épisode 210 était consacré aux prénoms, à la guerre et à l’histoire.
Nous y avons présenté les principaux résultats de notre article Naming for Kin during World War I (Journal of Interdisciplinary History, 2021).
Vous pouvez écouter l’épisode ou vous abonner à Paroles d’histoire

Quelques nouvelles (2021)

Petites choses en vrac :

  1. Pendant deux ans, j’ai écrit, pour Le Monde des chroniques sur les prénoms. De « Pauline partout, Justine nulle part » à « Sultan », ces chroniques sont rassemblées ici Le prénom des gens. En plus, une dernière chronique « bonus », « Popaul et Zézette » a été rédigée avec Maïa Mazaurette.
  2. Pourquoi les top-modèles ne sourient pas (co-écrit avec Pierre Mercklé) fait partie de la sélection du prix lycéen du livre de sciences sociales (2021-2022).
  3. L’article co-écrit avec Nicolas Todd, « Naming for Kin during World War I » (Journal of Interdisciplinary History) a été remarqué par la newsletter The Interpreter du New York Times :

De tout pour faire un monde. Dix ans d’enquêtes sociologiques

(Un billet coécrit avec Pierre Mercklé)

Les sociologues enquêtent, d’abord. Puis ensuite ils parlent, généralement dans des « séminaires » et des colloques, c’est-à-dire des réunions de travail entre collègues ; et enfin ils écrivent, généralement dans des revues académiques au lectorat restreint. En se professionnalisant, c’est-à-dire en se dotant d’un cursus de formation et de méthodes d’enquêtes, la sociologie est devenue une science de spécialistes et les sociologues passent leur temps de travail, le plus souvent, entre sociologues. Il existe bien sûr d’autres prises de parole sociologique : celle de l’expert, qui, à la suite d’une étude financée par un ministère, une association ou une collectivité locale, va, en conclusion d’un « rapport », proposer des recommandations ; ou celle de l’intellectuel, qui, à la suite d’une longue carrière, est amené dans différentes « tribunes » à prendre position de manière générale, sur tout et n’importe quoi.

Entre 2011 et 2019, donc pendant presque toute la décennie écoulée, Baptiste Coulmont et moi avons pu expérimenter une forme de prise de parole un peu différente, en tenant une chronique sociologique dans le cahier « Sciences » du Monde, en alternance avec une poignée d’autres scientifiques, biologistes, physiciens, chimistes… Le rythme était régulier, environ un texte toutes les six à sept semaines. Les règles étaient simples, nous avions « Carte blanche » (c’était, et c’est toujours, le titre de la chronique) pour parler de l’actualité des sciences sociales, et rendre compte non pas de notre propre travail, et de nos propres enquêtes, mais de celles de nos collègues.

C’est la somme de ces chroniques que nous publions aujourd’hui en un seul volume, sous la forme d’une anthologie thématisée, qui reprend le titre d’une des chroniques, « Pourquoi les top-modèles ne sourient pas ». Nous avons choisi de conserver cinq grands thèmes organisateurs. D’abord une série de chroniques sur les coulisses de la science. Avec quoi travaille-t-on ? avec qui ? et comment ? Ensuite une série, intitulée « au travail », sur l’observation, par les sociologues, du travail des autres. On entre ensuite dans l’intimité des acteurs sociaux, avec une série sur la vie de famille et la sexualité. On s’intéresse à la politique, au sens large, que ce soient les formes de gouvernement (et de gouvernement de soi) et les formes de participation électorale. On termine par l’étude plus générale de la structure sociale et de la structure des relations sociales.

Dans Le Monde, la chronique était courte. C’est, pour des universitaires, une contrainte. Tout dire, ou presque, en quelques phrases et trois paragraphes. Ce fut parfois frustrant, aussi nous avons pris ici, en les rassemblant dans ce livre, la liberté de rajouter des documents, des graphiques, quelques références bibliographiques, d’allonger une peu certains textes et de les mettre en relation les uns avec les autres. Mais la brièveté n’est pas qu’une contrainte, c’est aussi un atout. Nous avons essayé de rester synthétiques en d’abord pensant aussi aux enseignants, de lycée ou de premier cycle, qui ont parfois envie de présenter un article récent, mais qui, en raison de la taille des articles, et du format des cours, ne peuvent pas le faire. Nos chroniques, courtes, peuvent servir de point de départ, de document d’appui dans un TD, par exemple.

La brièveté, c’est aussi une liberté. Celle de pouvoir utiliser des formules, ironiques, humoristiques ou imagées, que l’écriture académique n’autorise pas. Celle de pouvoir trahir – légèrement – la subtilité d’un argument pour appuyer le trait et la conclusion. Celle d’attirer l’œil de lecteurs et lectrices qui ne sont pas des habitués de la sociologie. Des lecteurs parfois surpris, outrés, amusés, énervés… et qui ont largement commenté certaines de nos chroniques, sur internet, ou en nous écrivant directement. Vous trouverez quelques exemples de ces réceptions dans l’ouvrage. Et nous espérons qu’à votre tour, vous aurez l’envie de réagir à ces chroniques, et de nous en faire part, par exemple ici, dans les commentaires de ce billet… En attendant, bonne lecture !

 

Référence :

Baptiste Coulmont et Pierre Mercklé, Pourquoi les top-modèles ne sourient pas. Chroniques sociologiques, Paris, Presses des Mines, parution le 19 novembre 2020, 183 p., 29 euros.

 

Voici la table des matières générale de l’ouvrage. Certains des chapitres avaient été repris ou avaient été complétés sur nos blogs respectifs : vous trouverez ci-dessous les liens vers ces billets quand c’est le cas…

1. Introduction générale

2. Science de la science. Des équipements et des laboratoires – Un échantillon de Français suivis pour la vie – À quoi servent les annuaires statistiques ? Vers des sciences sociales citoyennes ? Les statistiques sont-elles finies ? Le numérique, c’est fantastique ! Droit d’enquête pour le sociologue – Le regard de biais des sociologues – Tous des menteurs ? Cinquante nuances de tropL’Autolib’, révélatrice de la sociologie postmoderneMais que fabriquent les sociologues ? Astérix chez les « economists » – La dernière leçon du sociologue Erik Olin Wright

3. Au travail. Le tutoiement au travail, subtil marqueur social – Les pourboires, drôles d’espèces – Faut-il salarier les clients ? Hôtesses et hôtes d’accueil, révélateurs sexuels – Leur rythme dans ma peau – En prison, les vieux détenus, gardiens du quotidien – Trois mois ferme et deux cachets par jour

4. Famille et sexualité. L’art de l’insulte chez les jeunes filles – Anorexie, boulimie : le poids des rapports sociaux – Des familles pour tou.te.s – Mec hétéro cherche mec hétéro – Tout le monde savait… Des ordres amoureuxCols blancs et bleus se marient-ils vraiment ? Balayer plus pour divorcer plus ?De bonnes raisons de croire au Père NoëlJ’aime le rap, alors je vais redoubler et devenir un délinquant – Des paradoxes scolaires : l’intérêt des irrégularités statistiques

5. Politiques. La démocratie au hasardLes clandestins du vote américain – La queue et le compte – Les employés et les ouvriers ne votent jamais seuls – La popularité des politiques et le gloriomètre – Le prestige selon saint MatthieuLe management par les honneurs – La politique des palmarès – Faire commerce de soi pour trouver son bonheur – Mesurer le bonheur – Des individus tous singuliers

6. Classes et réseaux. Les réseaux sociaux contre les classes sociales ? Un monde de plus en plus petit – Durkheim : la vérité dans le réseau – L’ascenseur social et le ring – Deux générations de pauvres – Bon sang ne saurait faiblir – Le grand monde – En Algérie, les plages de la discorde – Les odeurs ont un sens, et une classe sociale – Pourquoi les top-modèles ne sourient pas – Le charme discret du contournement de l’ISF – L’école de la détestation – Des morts pas si accidentelles – Mesurer les inégalités ? Pas si simple…

7. En conclusion. Vagues de suicides : l’anomie contre-attaqueLa fin du monde, suite.

Combien y a-t-il de changements de prénoms en France ?

Jusqu’à 2017, pour changer de prénom, il fallait passer devant un.e juge. Le nombre de changements de prénom était ainsi comptabilisé par le Ministère de la justice. L’annuaire statistique de la Justice indique ainsi entre 2800 et 2900 changements de prénoms en 2014 et 2015. Mais 155 en 2017 et 149 en 2018.
C’est parce qu’à partir de 2017, le changement de prénom a été déjudiciarisé, et qu’il faut maintenant déposer un dossier au bureau de l’état civil de la commune de résidence (ou de naissance). Il devrait donc y avoir plus de changements de prénoms en 2018 qu’en 2015. Comme c’est un acte d’état civil, je pensais que l’INSEE colligeait les décisions des services d’état civil. Mais voici ce que l’Institut me répond :

L’Insee ne produit pas de statistiques sur les changements de prénoms. Vous pouvez toutefois toujours consulter ces données sur le site statistique du ministère de la justice.

Mais comme on l’a vu, le ministère de la justice ne compte plus les changements de prénom. Il y a 35000 communes environ en France, et sans comptabilisation centralisée, il est difficile de savoir combien il y a de changements de prénom “nouveau régime”. On va essayer de s’en faire une idée.
J’ai contacté les services de l’état civil parisien. Il y a eu environ 860 changements de prénoms en 2017 et autant en 2018. Comme la population parisienne représente environ 3% de la population française, cela voudrait dire qu’il y aurait eu — si la propension des parisiens et parisiennes à changer de prénom est semblable à celle du reste de la population française — environ 26 000 changements de prénom par an depuis 2017. Ca semble beaucoup. À Lyon, il y a eu entre 150 et 170 changements de prénoms en 2018 et 2019. Si l’on fait le même calcul, on tombe sur environ 21 000 changements de prénom.
En trouvant, au hasard de data.gouv.fr, le nombre de changements de prénoms à Antibes, Nemours, Angers, Lorient… et en faisant le même calcul, on tombe sur des chiffres qui varient entre 11 000 et 26 000 changements de prénoms par an. A comparer avec les 2800 de 2015 et 2016, ça serait une grosse augmentation.

Heureusement j’ai une autre source de données. Dans le cadre de l’enquête que j’avais menée sur les changements de prénom, au début des années 2010, j’avais eu communication du nombre annuel de changement de prénom par tribunal de grande instance, en France. Il y avait ainsi entre 250 et 300 changements de prénom au TGI de Paris, moins de 100 au TGI de Lyon, etc… Comme on peut le constater, Paris ne concentrait pas 3% des changements de prénom, mais environ 10% d’entre eux. Même chose pour Lyon, qui concentrait une proportion plus importante que ce que sa population laissait penser. En gros, on peut donc penser que le nombre de changements de prénoms, en 2018, est entre 2 et 3,5 fois plus élevé que le nombre de changements de prénoms de 2014 ou 2015.

Les autres TGI (Lorient, Angers…) traitent des affaires qui s’étendent au delà des frontières communales : leur ressort dépasse la commune. Or il y a en 2018 puis en 2019 entre 2 et 4 fois plus de changements de prénoms à Angers et Lorient que ce qui était traité annuellement par les TGI de Lorient ou d’Angers.

Il doit donc y avoir entre 6000 et 9000 changements de prénom par an en France depuis 2017, et non plus 2800. C’est une belle augmentation… mais les sources sont limitées (Paris, Lyon et quelques autres villes).

 
Pour en savoir plus, vous pouvez lire Changer de prénom (P.U.L. 2016).

 
Mise à jour : J’ai reçu le nombre de changements de prénoms à Marseille (240 par an au lieu de 60 pour tout le TGI de Marseille, soit 4 fois plus) et à Toulouse (entre 170 et 270 par an au lieu de 50 environ pour le TGI de Toulouse, soit 3 à 5 fois plus). Ça ne change pas les ordres de grandeur, mais ça le tire vers le haut. Il doit y avoir près de 10 000 changements de prénom par an en France aujourd’hui.

Quels prénoms les immigrés (et leurs descendants) donnent-ils à leurs enfants ?

Vous arrivez peut-être ici après avoir lu le numéro de Population et Sociétés publié aujourd’hui, et vous souhaitez en savoir plus.
Le format de Population et Sociétés, 4 courtes pages, est parfait pour résumer des recherches, mais laisse parfois sur sa faim. Voici ce que je souhaite ajouter.
 
Le score de distance :
Tout d’abord, avec Patrick Simon, nous étudions les choix des prénoms de deux manières. Une première (centrale dans l’article) consiste à classer les prénoms en grandes zones nationales/culturelles/religieuses en fonction de leur structure syllabique. Une deuxième manière (moins utilisée dans l’article) consiste à calculer, pour chaque prénom, un score, variant entre zéro et 100, en fonction de la proportion relative des prénoms dans deux groupes : celui des enfants dont les deux parents sont nés en France, et celui des enfants dont un des parents au moins est né hors de France. Ce score, utilisé assez souvent depuis une quinzaine d’années, permet de repérer les prénoms que portent les enfants de natifs et les prénoms que portent les autres enfants. Un score de 75 indique que le prénom est trois fois plus fréquent dans le groupe des enfants de natifs que dans le deuxième groupe. Un score proche de zéro indique que ce prénom n’est presque jamais choisi par deux parents nés en France pour leur enfant.
Prenons les Sabrina. 0,2% des Sabrina sont enfant de couples nés en France, mais 1% des Sabrina sont enfant de couples dont un des membres est né à l’étranger. Le score du prénom Sabrina sera 100 * 0,2 / (1+0,2), soit 17.
Dans le cas des Océane, les chiffres sont 0,8% (couples nés en France), et 0,1% (couples dont un des membres est né à l’étranger). Son score est donc 100*0,8/(0,8+0,1), soit 89.

Voici le score moyen des prénoms portés par les immigrés, les descendants d’immigrés, les enfants de descendants d’immigrés et la “population majoritaire” (et ses descendants) :

Ce score est intéressant en lui-même, mais aussi en comparaison avec la classification “syllabique” des prénoms. Avec la classification des prénoms, on peut constater par exemple (c’est le graphique 1 dans le Population et Sociétés), que les Français sans origine migratoire directe (la “population majoritaire”) donne de moins en moins souvent des prénoms français à ses enfants : Erwan, Kilian, Clara, Enzo… ont remplacé les prénoms des Saints, ou les prénoms fréquents au XIXe siècle, ou les prénoms “qui sonnent français”. Quel que soit l’indice retenu, on constatera l’abandon, par les Français sans origine migratoire directe, du registre des prénoms français. Cela se fait au profit du registre “latin”, du registre “anglo”, “celtique”, etc…
Le score numérique nous apporte une autre information : comme vous pouvez le constater ci-dessous, il reste stable. Les Français sans origine migratoire directe piochent dans des registres non-français… sans que le score moyen des prénoms choisis ne se rapproche de celui des immigrés ou de leurs descendants ? Pour une raison simple : les Français (sans origine etc…) ne piochent pas dans le stock des prénoms porté par les immigrés. Ils continuent à maintenir une distance culturelle : Enzo devient possible quand les immigrés ne s’appellent plus Enzo.
 
La course à l’assimilation :
Imaginons l’assimilation (la disparition des différences saillantes entre deux populations) comme une course de 100 mètres, sur plusieurs générations. La vitesse de course peut se calculer, par exemple, à partir de l’abandon des prénoms du pays d’origine (le passage de 90% à 50% puis à 20%, par exemple). Ou se calculer à partir du score moyen des prénoms des immigrés, des descendants, et des enfants des descendants…
Ce que l’on verra, si l’on calcule la vitesse à laquelle courent les groupes d’immigrés et leurs descendants (par exemple les originaires d’Afrique du Nord par comparaison avec les originaires d’Europe du sud), c’est que, sur deux générations, des immigrés à leurs petits enfants, la vitesse est grosso-modo la même, la distance parcourue sur deux génération est comparable. L’assimilation est un processus social collectif auquel il est difficile d’échapper.
Mais si les immigrés courent tous au même rythme, ils ne participent pas à la même course. Les immigrés d’Europe du Sud (et leurs descendants) arrivent avec des prénoms plus proches des prénoms portés en France : il arrivent avec 10 à 20 mètres d’avance sur les immigrés d’Afrique du Nord. Et l’adoption, par les Français sans origine migratoire directe, de prénoms “latin” fait que, pour le dire vite, les immigrés d’Europe du Sud n’ont pas besoin de courir pour voir la distance se raccourcir.
J’ai essayé de montrer ceci avec un Gif Animé, mais je ne suis pas graphiste :

À la rentrée

Couverture manuel courants contemporains montageEn 2008, Céline Béraud et moi avions écrit un manuel d’introduction, à destination des licences de sociologie, Les courants contemporains de la sociologie (Presses universitaires de France). Après dix ans dans les librairies, la première édition n’est actuellement plus disponible. Mais à la rentrée, c’est une nouvelle édition remaniée qui sera mise en vente, toujours aux Presses universitaires de France, mais dans la collection Quadrige – Manuels. Nous venons de rendre le manuscrit.
Pour en savoir plus sur ce manuel, vous pouvez consulter la page consacrée à la première édition.

Un enthousiasme débordant

« Par procuration, mais pas par défaut » : quelques pages qui décryptent le vote par procuration, à partir des données de l’Enquête électorale française du CEVIPOF (ENEF). Il apparaît bien comme une modalité préférentiellement choisie par des jeunes, des cadres, des diplômés du supérieur…
Mais ce que j’ai trouvé de plus intéressant, c’est le niveau d’intérêt des mandataires, celles et ceux qui reçoivent une procuration : ce sont des enthousiastes. J’imaginais, peut-être un peu naïvement, que les mandants (celles et ceux qui ne peuvent voter et qui font une procuration) étaient les plus enthousiastes (les plus intéressés par la politique en général, les plus décidés à voter, les plus intéressés par l’élection en particulier), notamment parce qu’ils doivent faire la queue, remplir un formulaire, etc… Mais non.
Mais alors pourquoi un tel enthousiasme ?

  • Voter est coûteux (en temps, en déplacement…) pour un rendement faible : que vaut sa toute petite voix individuelle ? Mais le rendement double pour les mandataires : ils sont porteurs de deux voix, la leur et celle de leur mandant. Doublement du rendement. Doublement de l’utilité de son déplacement. Création d’enthousiasme ! C’est la version pour économiste.
  • La confiance accordée par le mandant ou la mandante apporte de la satisfaction. « Vote pour Fillon. Je te fais confiance. » L’échange du secret (celui du vote) a un effet psychologique qui se traduit par une forme d’enthousiasme à l’idée de satisfaire la confiance qui nous a été faite. La version pour psychologue.
  • Le pouvoir détenu sur celle qui nous a donné sa voix pourrait aussi être une des pistes à suivre. « J’ai tout pouvoir sur cette voix. » La version libidinale.
  • C’est un effet de sélection. Face à divers choix possibles, les mandants ont sélectionné celui ou celle qui apparaît la mieux disposée à voter. « Théo BOF ? Non. Léa MOUAIS ? Non. Cléo WAOUH ? Ah oui. » On ne donne qu’aux plus enthousiastes du lot. La version à ne pas oublier.
  • L’enthousiasme préexiste, et il est même à l’origine de la procuration. « Quoi, tu n’es pas là dimanche ? Voter c’est important. En plus Mélenchon il a le meilleur programme ! Sérieusement. C’est facile de faire une procu. Ca te prendra même pas 15 minutes. Tu vois, tu télécharges et hop. T’as plus qu’à aller au commissariat. Non, c’est facile. Je t’y emmène. Là oui, tout de suite ! » La version dispositionaliste.
  • Ce n’est qu’un effet de la composition socio-démographique du groupe des mandataires : un peu plus âgés, plus “cadres sup”, plus diplômés, avec un peu plus d’enfants… que la moyenne. Si l’on compare à composition égale, il n’y a plus de débordement d’enthousiasme. L’enthousiasme n’est ici qu’un mirage. C’est la version toute-chose-égale-par-ailleuriste.

Tant d’hypothèses à tester ! N’est-ce pas formidable ?
Vous pouvez lire l’étude (sans la mise à l’épreuve des hypothèses) sur https://www.enef.fr/les-notes/