Basques et bretons au collège
Dans un quotidien, récemment, l’un des frères Fassin disait que la culture, ce n’est pas une explication, c’est ce qu’il faut expliquer. Pour cela, il faut probablement encore croire que la culture existe un tant soit peu, ce qui n’est pas vraiment mon cas.
Cependant, il faut reconnaître que certaines personnes construisent activement des identités collectives et qu’on ne peut les effacer aussi rapidement. J’avais déjà mentionné l’existence de prénoms bretons : depuis une cinquantaine d’années, des promoteurs de la culture bretonne publient dictionnaires, calendriers, listes… comprenant ce qu’ils appellent des “prénoms bretons”. Si l’on agrège différentes listes, l’on finit par obtenir une grosse liste de prénoms bretons.
Le “fichier des prénoms” de l’INSEE propose des données au niveau national et au niveau de chaque département. Mais rien en dessous : rien au niveau des communes ou des cantons.
Mais, peut-être par inadvertance, l’éducation nationale, elle, donne accès à des données intéressantes. Une bonne partie des académies publient les résultats nominatifs au brevet des collèges. Henry Ciesielski a repéré cela et a réussi à récupérer une bonne partie de cette liste.
L’on dispose ainsi d’informations assez fines au niveau de chaque collège. La suite est le résultat d’une collaboration entre Henry et moi. Les 4800 collèges ont été géolocalisés (assez grossièrement et avec des erreurs, car nous ne disposions que de la commune, pas de l’adresse postale complète). Et, pour chaque collège, la proportion de “prénoms bretons” parmi les admis au brevet a été calculée.
La carte suivante permet de voir, rapidement, qu’il y a plus de prénoms bretons en Bretagne qu’en dehors. Il est bien dommage que les académies limitrophes n’aient pas publié les résultats au brevet : l’on aurait pu voir où s’arrêtait la frontière culturelle… [Notez : la taille des points est fonction du nombre de prénoms bretons, la couleur fonction de la proportion.]
Des résultats plus fins sont disponibles : les collèges “Diwan” regroupent plus d’enfants avec des prénoms bretons.
La carte suivante m’intéresse plus. En effet, les promoteurs de la culture bretonne semblent avoir réussi un double essai : rendre visible les prénoms bretons à l’état civil pour une minorité non négligeable d’enfants, et diffuser à l’ensemble de la Bretagne-région cette pratique. Cela dans un contexte intéressant : plus personne ou presque ne parle breton…
Les promoteurs du basque n’en sont pas là encore. Voyez la carte : seuls une poignée de collèges contiennent une proportion importante de prénoms basques, et cela est limité à l’extrême sud-ouest du Sud-Ouest. Autant les Morgane, les Gwenn et les Ewen se sont diffusés au delà du monde des bretonisants, autant les Bixente, les Ainhoa et les Aguxtin restent confinés au pied des Pyrénées-Atlantiques. [Ce n’est peut-être pas vrai pour quelques prénoms, mais, pris collectivement, ils n’ont aucune existence en dehors de la micro-région.]
Prenez ces deux cartes comme un début de recherche, une première visualisation des effets à la fois de la libéralisation du choix du prénom et, je le pense, des entreprises politiques de différenciation culturelle.