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Communautés de prénoms

Le monde social est complexe, mais pour le penser, il faut d’abord le simplifier. D’où la production de catégories, catégories savante ou du sens commun. C’est ainsi qu’on parlera de « prénoms arabes », de « prénoms juifs », de « prénoms turcs », de « prénoms aristocratiques »… en mélangeant aléatoirement et allègrement des ethnies, des positions sociales, des religions, ou des origines nationales et linguistiques. Faire cela, c’est ne pas rendre justice à la complexité du monde social ni à celle des classements quotidiens. Car ce qui est « arabe » pour certains est « méditerranéen » pour d’autres, par exemple, ce qui est « aristo » pour les uns est juste « moche et ringard » pour d’autres.
On peut cependant essayer de repérer des proximités et des distances entre prénoms, à partir des choix effectifs des parents. Notamment quand les parents ont plusieurs enfants. Si l’aîné est Augustin, la cadette sera-t-elle Clotilde ou Carla ? À partir des listes électorales parisiennes, j’ai constitué des « fratries » (à partir de l’année de naissance, du nom de naissance et de l’adresse d’inscription) : ce ne sont pas des fratries complètes (il n’y a que les personnes inscrites à Paris) et je capte sans doute de fausses fratries. Mais on fait avec ce qu’on a.
Le graphique suivant rapproche entre eux des prénoms qui sont assez souvent donnés au sein d’une même fratrie : à Paris, le frère d’Augustin c’est Timothée.


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Les couleurs ont été déterminées par un algorithme de recherche de communautés, mais elles sur-interprètent les différences : il n’y a pas des archipels de prénoms, mais un grand continuum le long duquel l’on passe, insensiblement, de Philippine à Abdoulaye.

Certains “clusters” font sens. Ainsi, en bas à droite, on trouve un groupe de prénoms qui ont été donnés “en retard”. Le corpus utilisé contient des individus qui sont au plus âgés de 28 ans et au plus tôt nés en 1986. Les Delphine, Thierry, Stéphanie… nées après 1986 ont reçu ces prénoms alors qu’ils étaient déjà sur le déclin. Qu’ils apparaissent ici ensemble est le signe que les parents aiment ces “prénoms démodés” ensemble. Dans les années 1990, si l’ainée est Célia, la cadette ne sera pas Virginie.

Tout en bas du graphique, deux “clusters” : l’un comportant une série de prénoms bourgeois (Augustin, Domitille), l’autre comportant des prénoms moins bourgeois (Quentin, Romain, Marion), des prénoms à la mode dans les années 1990… et ces prénoms sont reliés à des prénoms exotiques, néo-bretons ou pseudo-polynésiens (Nolwenn et Maéva). En combinant Thibaut et Thibault, Gautier et Gauthier, prénoms proches mais un peu différents, j’ai probablement contribué à la création de liens qui n’en sont pas.

Au centre du graphique, on trouve des prénoms à la mode entre 1990 et 2000 :

Cela explique leur caractère central : ce sont les prénoms du cœur de mon corpus de fratrie, et ils ont tendance à être fortement reliés entre eux. J’y verrai une petite différence, probablement : le groupe bleu/vert des Charlotte-Pauline-Paul né enter 1990 et 2000 est sans doute d’une origine sociale un peu plus élevée que le groupe des Alexandre-Nicolas-Audrey.

Au centre-gauche, un autre cluster de prénoms bourgeois (on est à Paris, il y en a beaucoup, mais il me faudrait un vocabulaire plus fin).

Oscar, Virgile et Hippolyte, Gabrielle et Héloïse. Mais Ophélie ? N’y a-t-il que moi qui aurait mis “Ophélie” ailleurs ?

Et en haut du graphique, trois clusters de prénoms.

Tout en haut, De Abdoulaye à Ibrahim, des prénoms d’Afrique sub-saharienne : le frère de Fatoumata est Moussa. En vert, des prénoms maghrébins, Mohamed formant un grand “hub”. Des prénoms plutôt en voie d’abandon (Walid, Ali, Ahmed), ou donnés en début de période (1986-1990). En rose le cluster le plus complexe, puisqu’on y trouve Isaure et Sofiane, Nathan et Aymeric. Comment est-ce possible ? Deux prénoms en sont responsables. Sarah, qui a comme frère Mohamed et David. Et Inès, qui a comme frère Yanis et comme sœur Alix. Deux prénoms assez fréquemment donnés dans les années 1990, et par des parents différents. Si Sarah avait été un garçon, certains parents aurait choisi Sofiane, d’autres parents Nathan. Si Inès avait été un garçon, c’aurait pu être Samy (ou Axel). Un même prénom, des mondes différents.

Si j’avais à poursuivre l’exploration, je pourrai projeter « l’arrondissement moyen » des prénoms de chaque cluster : 19e pour les uns, 6e pour les autres… Mais cela conduirait encore à différencier les prénoms, alors que, comme on peut le voir ici, c’est sans solution de continuité que l’on passe de l’un à l’autre.

Notes : Pour simplifier le graphique, je n’ai retenu que les liens les plus fréquents entre prénoms. Dans le monde réel, il y a des Augustins qui ont comme sœur Célia. Mais cela n’arrive pas souvent. Le but de cette simplification était de montrer l’enchaînement des choix, sans proposer une grosse boule de laine emmêlée où tout aurait été relié avec tout.

Des prénoms à la mode en Turquie ?

Par Elifsu Sabuncu (https://penserclasser.wordpress.com/) et Baptiste Coulmont
 

L’INSEE turc [Turkish Statistical Institute] met à disposition deux fichiers donnant le rang des 100 premiers prénoms, depuis 19501.

La belle longévité de certains prénoms, la mort d’autres

Certains prénoms connaissent une belle longévité : Zeynep, prénom féminin, est dans le “top 10” de 1950 à 2010; Mehmet, prénom masculin, est presque constamment le prénom le plus donné. On le voit assez facilement dans le graphique suivant, qui donne le rang de quatre prénoms masculins et quatre prénoms féminins depuis 1950 en Turquie.

Mais cette image de grande stabilité est trompeuse. On voit déjà que Elif, prénom féminin, connaît un succès grandissant, et que Hasan, prénom classique, a tendance être de moins en moins donné (relativement aux autres).

Et l’on pourrait tout aussi bien, comme nous le faisons dans le graphique suivant, insister sur les abandons. Certains prénoms, très populaires dans les années 1950, quittent le palmarès, abandonnés par les parents, qui ne nomment plus leur fille, ni leur garçon, ainsi.

Ainsi Serife disparaît du “top 100” avant 2000, et Bayram, prénom masculin, un peu après 2000. Visiblement, tous les grands-pères et toutes les grands-mères n’arrivent pas à transmettre leurs prénoms. En Turquie comme en France, les prénoms des vieux ne sont plus toujours les prénoms des plus jeunes.

Sous la stabilité, de nombreux mouvements

Les abandons (c’est à dire des prénoms qui passent sous la barre du 100e rang) sont très fréquents. Pour les filles : seuls 12 prénoms dans le “top 100” de 1950 sont encore présents dans le “top 100” en 2010 : Zeynep, Elif, Zehra, Fatma, Meryem, Ayşe, Medine, Hatice, Rabia, Emine, Melek, Esma. Les 88 autres prénoms de 2010 sont des prénoms “neufs” (ou peut-être, comme en France, d’anciens prénoms revenus au goût du jour2). Il en va de même pour les garçons, même si les changements sont un peu moins rapides (En 2010, il reste encore 29 prénoms présents en 1950, Yusuf, Mustafa, Mehmet, Ahmet, Ömer, Ali, Ibrahim, Hüseyin, Hasan, Ismail, Hamza, Abdullah, Ramazan, Murat, Mehmet-Ali, Salih, Yakup, Osman, Kadir, Bilal, Halil, Mehmet-Emin, Abdülkadir, Halil-Ibrahim, Süleyman, Musa, Adem, Mahmut et Isa).
Cette première différence entre garçons et filles est importante : en Turquie, tout comme dans les autres pays européens pour lesquels l’on dispose de données, les prénoms des filles se renouvellent plus vite que les prénoms des garçons. Les parents turcs en Turquie, aussi bien que ceux nés en Turquie mais immigrés en Allemagne ou en France, se permettent de donner aux filles des prénoms ayant une “carrière culturelle” plus courte que celle des prénoms masculins. Il y a plus d’inertie associée aux prénoms donnés aux garçons.

Si des prénoms disparaissent, il faut bien que d’autres les remplacent. Et ils ne sont pas remplacés par des prénoms aussi “classiques”. Les Turcs ont bien l’équivalent de nos “Martine” (1950-1960), “Aurélie” (1980-1990) ou “Manon” (1990-2000), prénoms générationnels qui connaissent un engouement très rapidement suivi par un désintérêt.

Le graphique montre bien le succès éphémère de quelques prénoms : Tuǧba pour les filles, ou Emrah pour les garçons ne restent pas longtemps au sommet du classement. Un prénom comme Sıla semble arriver de nulle part et disparaître aussi vite : il semble lié à la diffusion d’une série de télévision du même titre, dans lequelle une pauvre fille est recueillie par une famille riche d’Istanbul (vidéo ici)

Certains prénoms, qui se trouvent dans le “top 10″en 2009, n’ont que quelques années de popularité réelle : Ecrin (qui viendrait de l’arabe, et qui se prononce “edjrine”), Irem, Merve, Yaǧmur, Eylül et Nisanur pour les filles, Yiǧit ou Arda pour les garçons.

De la mode, donc !

Le cas turc est intéressant. L’étude des variations temporelles de la popularité des prénoms s’est appuyée sur les exemples de pays comme les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas… pour lesquels un état civil ancien permettait de repérer des phénomènes de mode. Rares sont les travaux à avoir essayé d’observer les mêmes phénomènes dans des pays, disons “extérieurs au G7”.
Dans les études portant sur les conséquences de la migration sur le choix des prénoms, il est parfois écrit que les prénoms des immigrés et de leurs enfants sont “traditionnels”, comme si, dans “leurs pays”, il n’y avait que “tradition”.

This corresponds to the results of Lieberson (2000), and Sue and Telles (2007), who have reported a higher use of more traditional (ethnic) first names for boys than for girls in Mexican-American families. This gender difference in naming is not easy to interpret. One possibility is that parents want traditions to be continued primarily by their male offspring.
Becker, B. [2009], Immigrants’ emotional identification with the host society. Ethnicities, 9[2], p.200-225.

Oftentimes, ethnic groups voluntarily give up their traditional first names and adopt names of the dominant ethnic group without state in- tervention.
Gerhards, J. & Hans, S. [2009], From Hasan to Herbert: Name-Giving Patterns of Immigrant Parents between acculturation and Ethnic Maintenance. American Journal of Sociology, 114[4], p.1102-1128.

De ce fait, il est implicitement sous-entendu que les pays à majorité musulmane (ou, plus largement, les pays d’émigration) auraient des “prénoms traditionnels” (Ali, Mohamed, Fatima…), qui, en plus, seraient hérités de (grand-)père à (petit-)fils. Ces pays ne connaîtraient pas la mode… et le fait de porter des prénoms ressemblant à des prénoms “musulmans” serait une preuve d’attachement à des “traditions”.

De rares travaux ont montré que ce n’était pas le cas, la mode n’est pas une spécificité occidentale. Et l’on peut, en cherchant bien, disposer maintenant de données statistiques au niveau national, qui le prouvent.

Peut-on repérer autre chose ?

Accessoirement, les données turques permettent d’autres interprétations. Par exemple, le succès récent de Muhammed (que l’on voit dans le graphique précédent), semble remplacer Mehmet. Si l’on fait l’hypothèse que Mehmet, forme turquisée de “Mohamed”, pouvait être lié au nationalisme des parents (préférant des prénoms “turcs” pour leurs enfants), alors on peut supposer que Muhammed est donné par des parents plus islamistes que nationalistes (ou trouvant désuet le recours à une forme éloignée de l’arabe).

Un premier classement des prénoms origine etymologique (“arabe”, “turc”, “persan”…) donne des résultats incertains (ci-dessous, pour les prénoms des filles). Les prénoms “turcs” (en bleu) ont tendance à être de moins en moins nombreux dans le “top 100”, alors que les prénoms “arabes” se maintiennent. Apparaît très visible, en revanche, l’augmentation du nombre de prénoms “difficiles à classer”, prénoms neufs ou sans ancrage.

Sources et bibliographie
Données turques :
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1331 #filles
et
http://tuik.gov.tr/PreIstatistikTablo.do?istab_id=1332 #garçons

Aslan, S. [2009], Incoherent State: The Controversy over Kurdish Naming. European Journal of Turkish Studies, [10]. Available at: http://ejts.revues.org/index4142.html [Consulté août 16, 2011].
Bulliet, R.W. [1978], First Names and Political Change in Modern Turkey. International Journal of Middle East Studies, 9[4], p.489-495.
Borrmans, M. [1968], Prénoms arabes et changement social en Tunisie. IBLA, revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes, 121, p.97-112.

Notes
1 Ces données ne représentent pas directement les naissances, mais les personnes nées une année donnée, et encore vivantes vers 2009. Nous allons faire ici comme si ces données étaient assez fidèles aux naissances.
2 Mais pour le savoir, il faudrait disposer de données remontant aux siècles précédents. Les spécialistes d’histoire turque nous renseigneront en commentaire.

Des réseaux religieux d’invitations

Les données recueillies à partir d’une collection de 150 affiches d’églises africaines sont très riches. J’ai déjà montré ici qu’on pouvait y déceler des indications d’implantation géographique, ou une “politique du titre” qui manifeste l’existence d’une hiérarchisation poussée.
Ces affiches donnent aussi des informations “réticulaires” : les pasteurs pentecôtistes passant une partie de leur temps à s’inviter les uns les autres, à pratiquer le “partage de la chaire”, un réseau apparaît. Voici une représentation graphique de ce réseau d’invitations. Vous remarquerez, en plissant les yeux, une grosse composante et de nombreuses petits groupes. Le nombre de composantes est de 60.
La question que je me pose est : mais comment donc un tel réseau est généré ? Est-ce qu’il peut être simplement déduit de certaines contraintes ?
Pour commencer à apporter une réponse, j’ai demandé à R de générer des réseaux aléatoires qui respectent 2 contraintes.

  • 1/ si dans le réseau observé l’individu (i) participe à (n) événements, il en va de même dans le réseau généré
  • 2/ si dans le réseau observé l’événement (j) a réuni (m) personnes, il en va de même dans le réseau généré

Les réseaux générés “aléatoirement et sous contraintes” ont une particularité : leur nombre moyen de composantes n’est pas proche de 60, il est proche de 41. Les réseaux “aléatoires” relient beaucoup plus les individus (alors que chaque individu participe au même nombre d’événements et que chaque événement réuni le même nombre de personnes, par comparaison avec le réseau observé).
Mes pasteurs pentecôtistes noirs, donc, semblent ne pas “inviter au hasard”, mais choisir une “distance” moindre que les “pasteurs aléatoires”. De ce fait, ils créent un monde un peu plus “troué” que celui du modèle.
Note : Je ne sais pas si je dois vraiment mettre cela en ligne. En effet, je ne maîtrise pas totalement ce dont je parle et j’ai peut-être fait n’importe quoi… J’expose donc maintenant la méthode utilisée. Je démarre d’une matrice d’adjacence, nommée “mat”, qui indique “qui participe à quoi” :
E1 E2 E3 E4
P1 1 0 1 0
P2 1 1 0 0
P3 0 1 0 1
P4 0 0 0 1
P5 0 0 0 1
P6 1 1 1 0

Dans laquelle E1 est l’événement n°1, P1 la personne n°1 (qui ici, participe à E1 et E3).
Dans le logiciel R, le package “vegan” dispose d’une commande :
b< -commsimulator(mat, method="quasiswap")

Methods quasiswap and backtracking are not sequential, but each call produces a matrix that is independent of previous matrices, and has the same marginal totals as the original data.

Cette commande permet de générer des matrices qui ont les mêmes marges que les matrices de départ (ce qui fait que chaque événement aura le même nombre de participants et chaque personne participera au même nombre d'événements).

Suites : Voici un synthèse du nombre de composantes après avoir généré 1000 réseaux aléatoires :

La probabilité de tomber sur un réseau à 60 composantes (avec les contraintes de départ) est donc bien faible.

Dieu change…

Après avoir collectionné, sur plus d’un an et demi, une petite centaine d’affiches de prédicateurs noirs et commencé à analyser ce matériaux, le moment est venu de commencer à présenter ce travail. Le lieu dans lequel commence à se fixer certaines explications, c’est le séminaire de recherche : pour moi, ce sera celui de Martine Cohen et Sébastien Fath, Dieu change à Paris, le jeudi 18 février à partir de 14h.
J’aurai, là, l’occasion de répondre aux interrogations que mon analyse suscitera.

Jeux d’échelles : circulations évangéliques

Parlons un peu de circulation régionale, de circulation internationale et de religion.
Il y a quelques jours, je proposais cette carte de la répartition des églises évangéliques “noires”, ou “d’expression africaine” en région parisienne, en me basant sur une collection d’affiches :
eglisesnoires1
Cette carte incite implicitement à une lecture “locale” : les lieux de culte sont situés dans les communes les plus pauvres de la région parisienne [pour être plus précis dans les communes où sont sur-représentés les ménages pauvres]. Et comme le soulignait en commentaire F. Dejean une autre lecture “locale” est possible, en associant cette carte à celle de la répartition des immigrés d’Afrique sub-saharienne.
L’on pourrait ainsi comprendre ces églises comme ancrées sur un espace communal. Mais le processus même de recueil des données incite à une autre interprétation. Toutes les affiches dont je dispose (presque 80) ont été photographiées à Château Rouge, un quartier commerçant de Paris proche de Barbès fréquenté par les diasporas africaines, qui sert ici de “plaque tournante” ou de “redistributeur” : c’est en allant faire ses courses à Château Rouge que l’on peut rencontrer l’église dans laquelle on ira le vendredi soir ou le dimanche suivants.
oursinlocalL’on pourrait donc représenter les adresses des lieux de culte comme des directions plutôt que comme des points. Si l’on considère que Château-Rouge est l’origine, alors il est possible de dresser cette carte étoilée, “en oursin” [au centre, Château Rouge, et à chaque extrémité, un lieu de culte]. Inversement, cette carte montre l’attraction régionale (ou le rayonnement) de ce quartier parisien.
Quel est l’intérêt d’une telle carte ? Elle donne peut-être un peu mieux l’idée du mouvement ou des déplacements que les fidèles peuvent faire.
exempleaffiche
Elle entre aussi en résonnance avec la carte des invitations de pasteurs. La carte suivante est une ébauche de représentation spatiale des voyages des pasteurs mentionnés sur les affiches d’églises africaines.
Car l’on trouve souvent, sur ces affiches, mention d’un “pasteur invité” accompagné de son pays de résidence (parfois aussi de la ville). Au centre de l’étoile l’on trouve la région parisienne (les lieux de culte mentionnés sur les affiches), et au bout des rayons, les villes de résidence de ces pasteurs.
pasteurs invitations

Avec ces cartes, je souhaite rendre visible la multiplicité des échelles utilisables pour décrire ces églises. J’ai précédemment cartographié la répartition des églises en Île de France : c’est principalement en Seine-Saint-Denis qu’elles sont localisées.
Ici l’on voit qu’à cet espace s’est “accroché” une dimension transnationale, qu’au “local” s’est accroché le “global” mais que ces deux dimensions sont “lues” simultanément sur ces affiches. Je multiplie ici à dessein les guillemets : je n’ai pas encore de vocabulaire précis à ma disposition qui me plaise suffisamment. Le passage obligé par l’objectivation statistique m’aide donc à asseoir l’usage de termes comme “global” sur les possibilités offertes par la cartographie.
Continuons.
L’espace dessiné par les invitations de pasteurs étrangers révèle plusieurs choses :
1- Un espace africain : l’afrique sub-saharienne uniquement. Peut-être parce que certaines églises sont des boutures européennes de créations congolaises (par exemple). Peut-être parce que d’autres, inscrites dans des liens préalables à l’immigration, continuent à entretenir la référence à l’Afrique.
2- Un espace européen : Londres, Berlin, Bruxelles sont les pointes d’un polygone qui inclut la Seine-Saint-Denis en tant qu'”espace européen” ou “espace TGV”. Est-il alors suffisant de décrire ces églises comme “noires” ou “africaines” ou même “d’expression africaine” ? Même en acceptant, et l’hypothèse est très restrictive, que les fidèles sont des locaux, à l’échelle régionale, il semble que les pasteurs (sous cette dénomination ou une autre, apôtre, prophète…) dessine un espace clérical à une autre échelle : ils circulent entre pays.
3- Un espace américain : Canada, Bahamas, Etats-Unis et même au Sud. L’Amérique, c’est à la fois des sessions de formation, des stages bibliques, auxquels ont pu participer certains pasteurs, mais c’est aussi le lieu mythique de la réussite, réussite évangélique et réussite sociale.

Note sur la méthode : J’ai utilisé R pour tracer les cartes, puis un logiciel de dessin vectoriel. Pour dessiner des cartes en oursin, il m’a semblé “simple” de faire ainsi :
Mes données ont cette structure. Les données, ici, s’appellent “oursinlocal”

Adresse		lon		lat
briand 		2.448342	48.868919
ChatRouge 	2.351933	48.887745
arago 		2.325025	48.904659
ChatRouge	2.351933	48.887745

Je répète, une fois sur deux, la longitude latitude de Château-Rouge ce qui permet de tracer des lignes.
J’ai téléchargé un fichier shapeline (.shp) de la France sur le site de l’IGN (qui s’appelle GEOFLA ou un truc de ce genre). Il faut aussi les packages “maptools” et “sp” pour R
franceshp<-read.shape("geofla/LIMITE_DEPARTEMENT.shp", dbf.data = TRUE, verbose=TRUE, repair=FALSE)
plot(franceshp,xlim=c(2,2.6),ylim=c(48.6,49))
lines(oursinlocal$lon,oursinlocal$lat,col="red")

J’en profite pour signaler que je n’ai pas compris comment passer d’une projection à une autre… Ce qui donne, au départ, des cartes un peu “écrasées” par rapports aux projections habituelles de la France. Mais si j’utilise le fichier GEOFLA en projection “lambert”, je n’arrive plus à placer mes églises…
Pour la carte “mondiale”, il existe, dans le package “maps”, des données sur les principales villes du monde, world.cities. La partie complexe consiste à lier ces données, world.cities, à la liste des villes relevées sur les affiches.

Mise à jour
franceshp< -readShapeSpatial("Desktop/geofla/LIMITE_DEPARTEMENT.shp",proj4string=CRS("+proj=longlat")) fonctionne parfaitement (avec R 2.11.1)

Lectures

Geoffroy de Lagasnerie vouvoie Didier d’Eribon, dans un Hommage à Eve Kosofsky Sedgwick. Toujours sur Médiapart, Jean-Louis Fabiani a une peau de bébé (et des cheveux teints ?).
Frédéric Dejean parle d’islamisations.
Pierre Maura, sur son blog “Comprendre”, wébérise la Nouvelle Star et ses spectateures.
Chat c’est amusant (et c’est pour Anniceris-Phersv)

Liste de choses variées

Le robot vicieux de la BNF : Je l’ai vu fouiller dans des parties de mon site que robots.txt exclut explicitement de toute recherche…

Le robot n’est pas limité par les exclusions spécifiées dans le protocole robots.txt, en accord avec la loi (article 41) : “La mise en oeuvre d’un code ou d’une restriction d’accès par ces personnes [les producteurs ou éditeurs de sites Internet visés par la loi] ne peut faire obstacle à la collecte par les organismes dépositaires précités”.
source

Je vais devoir agir plus sévèrement : ce robot fouineur va maintenant recevoir des pages rien que pour lui ! Que dois-je ajouter au .htaccess pour envoyer au robot vicieux de la BnF des pages ne comprenant qu’un texte choisi s’il visite un certain dossier ?

*

Le Tigre inaugure le “portrait google” : tirez un inconnu au hasard — Marc L*** — et racontez sa vie grâce à google et aux traces laissées en ligne. Les descendants de Louis-François Pinagot vivent parmi nous.
Pour aider à un futur portrait : voici des morceaux de Raphaël M*** et Laetitia B*** lors de la dernière soirée du Tigre :

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Université et religion
Comment la religion est-elle présente à Paris 8 ? Elle l’est sans doute plus chez les étudiantes que chez les enseignantes-chercheures. On croise quelques têtes voilées. On croise des Témoines de Jéhovah (toujours à deux, parfois à trois, jamais seules) à la sortie du métro, proposant La Tour de Garde. On croise aussi, si l’oeil est averti, quelques affiches, que j’ai décrochées ces jours derniers pour en faire collection :


L’Eglise des Nations de Pantin, vous pourrez le constater sur leur site, a une activité d’évangélisation (médiatique ou non) qui semble importante [regardez par exemple ce reportage de M6].

Ils ne sont pas seuls. En bonne logique compétitive, d’autres églises protestantes évangéliques proposent leurs services :

Mais les affiches qui m’ont le plus étonnées sont les suivantes (cliquez sur l’image pour les voir en entier). Un groupe de missionnaires coréens, nommé “Good News Corps” ou “International Youth Fellowship”, propose toute une série d’activités :

Etude biblique proposée par mk993*… OK, ça semble direct… Mais l’affiche suivante proposait toute autre chose, des cours gratuits de coréens, avec la même adresse mail :


Cette histoire de cours de coréen m’a amusé : l’organisation qui les promeut, “Good News Corps” étant, si l’on cherche un peu sur leur site, une entreprise d’évangélisation.

D’autres affiches de la même organisation proposent des séjours à l’étranger, sans que soit à aucun moment mentionnée le but des activités, la conversion…

*

Damien Babet travaille pour Obama, et fait de la sociologie :

J’avais un alibi sociologique pour participer à la campagne. Dans son livre Activism Inc., Dana Fishers décrit en détail le fonctionnement des organisations militantes (de gauche) qui s’appuient sur des troupes salariées, jeunes et mal payées. Quand, à Washington Square, un “militant” de Greenpeace vous demande un chèque, il n’est généralement pas bénévole. Il n’est même plus employé par Greenpeace. Il travaille pour une entreprise (généralement à but non-lucratif) sous-traitant le recrutement des donneurs [pour Greenpeace].

L’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah

S’est réunie à Lens, dans le Pas de Calais, ce week end l’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah. Cette réunion de plusieurs milliers de fidèles avait lieu dans le Stade Bollaert : le maire de Lens s’en était offusqué, pour lui, les Témoins de Jéhovah sont “une secte”. La responsable locale de l’ADFI (association de défense de la famille et de l’individu), l’une des principales associations de lutte contre les sectes, avait enchéri, en demandant que les Jéhovistes restent cachés et ne fassent pas de rassemblement public visible. Les journalistes, dans les reportages, renchérissent, en essayant de “coincer” des participants, et en citant des extraits de rapports parlementaires, comme si ces rapports pouvaient épuiser le débat démocratique, et avaient force de loi. Mais ils s’ennuient un peu, et leur description se résume en partie à «visiblement, il n’y a pas grand chose de choquant, on lit la bible, on prend des notes»… Mais comme me le signale l’un de mes correspondants, la journaliste précise immédiatement que « derrière la façade religieuse, il y a de l’anesthésie mentale » : on a là un discours « humanitaire » sur les sectes, qui s’accorde très bien de l’existence des religions tant qu’elles restent modérées (en pratiques, idéologiquement…)

Quelques reportages sur cette assemblée générale (10 min. format Quicktime)

J’ai demandé à ce même correspondant de mettre en perspective ces reportages :

Quelques brèves remarques sur les Témoins de Jéhovah en France
Quand ce qu’on appelle les « nouvelles sectes » s’implantent en France en dans les années 1970 (Moon, Krishna, Enfants de Dieu, et un peu plus tard Scientologie et Ecoovie pour ne citer que les plus importants), peu de personnes évoquent la présence des Témoins de Jéhovah sur le territoire national.
Présents depuis les années 1930 au moins, ces derniers sont largement ignorés des associations anti-sectes comme des pouvoirs publics qui commencent leur action (première ADFI à Rennes en 1974 puis Paris, Lyon et Toulouse un an plus tard, le Centre d’information et de lutte Contre les Manipulations Mentales est créé par Roger Ikor en 1981, enfin premier rapport parlementaire rendu au Premier Ministre en 1983 par Alain Vivien intitulé Les sectes en France. Expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation). Ils ne seront inquiétés qu’à partir de la fin des années 1980, période à partir de laquelle la progression numérique se ralentit fortement (de 36 000 en 1970 à 69 000 en 1980, puis 114 000 en 1990 et 126 000 en 1995 [source : Watchtower organization http://www.watchtower.org/statistics/worldwide_report.htm]).
Dans un premier temps ignorés par les pouvoirs publics, ils furent ensuite surveillés et leurs demandes d’obtention du statut d’association cultuelle (en jeu : taxation des dons manuels) furent refusés (Conseil d’Etat, 1985). Le sommet de la réprobation fut atteint en 1995 quand dans le rapport parlementaire préparé par J.-P. Guyard (PS) et A Gest (RPR), les TJ furent placés de manière ambiguë au même niveau que 172 autres groupes qualifiés de sectes sur les bases d’un travail des RG (pas à proprement parler dans la liste puisque disposent d’un paragraphe pour eux, mais le nombre « d’adeptes de sectes » incluait les 130 000 TJ de l’époque, tout comme les cartes d’implantation des groupes l’échelle nationale).
Connus du grand public pour leur prosélytisme (la plupart des adeptes sont régulièrement envoyés prêcher la parole de Jéhovah et annoncer le retour prochain de dieu pour mener la bataille d’Armageddon), les conversions se font cependant de plus en plus rares : alors qu’il fallait quelques 1200 heures de porte à porte pour convertir une personne en 1970, il en faudrait désormais plus de 7000 (source : unelueur.org/stats-tj.htm).
Ils sont attaqués par les associations, et parmi elles par l’Union Nationale des ADFI (on peut voir la présidente de l’antenne ADFI-Nord, Charline Delporte, dans plusieurs des reportages, qui est une des plus active dans ce domaine), qui leur reprochent un endoctrinement important, une éducation religieuse intense, une vie dévouée à la communauté (dons financiers et du temps personnel requis : les « salles du royaume » sont construites avec les dons des fidèles, souvent en grande partie par eux les dimanches et jours de fête) et un « refus d’intégration » à la société (refus du service national, du salut au drapeau, des transfusions sanguines y compris quand le pronostic vital est en jeu).
Les TJ sont l’objet des plus vives querelles en France : Alain Vivien, un des piliers de la lutte contre les sectes en France depuis 30 ans, ancien président de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires, créée en 1998), les considérant comme une confession, alors que JP Brard (député apparenté PCF de Montreuil et très actif depuis des années dans la LS lui aussi les considère indiscutablement comme une « secte »).
Il est intéressant de saisir la manière dont furent appréhendés (au double sens du terme) les TJ au prisme des transformations de la lutte contre les sectes en France. Pour faire vite, avant les années 1970 et l’implantation de ce qu’on a appelé les « nouvelles sectes » ou « sectes religieuses », les TJ sont une secte au regard des seules personnes qui portent l’accusation en France : les catholiques. La secte, c’est alors un groupe schismatique d’une grande religion, qui conteste un ou plusieurs points théologique mais partage le reste des rites, des pratiques et de la liturgie. A ce titre, le jéhovisme est une secte protestante issue de l’adventisme, et née en 1874 en Angleterre (Charles T. Russell). Les TJ sont ensuite largement ignorés des années 1970 aux années 1990, quand des laïcs commencent à porter l’accusation de « sectarisme » avec des définitions (et, en creux, des intérêts différents) qui ne recoupent pas celles des Eglises instituées (secte comme atteinte à la personne ou à la société).
Implantés depuis longtemps, avec des rites et des pratiques qui, à la différence des groupes allogènes, ne choquent pas, les TJ sont largement ignorés (la seule critique antisecte vient du pôle « libre penseur » qui y voit une aberration, au même titre que les religions, d’où les critiques émises par le CCMM à leur encontre). Ils sont finalement massivement critiqués que vers 1990 (l’UNADFI ne s’intéresse vraiment à eux que vers 1989) quand des associations luttant contre les sectes selon un mode « humanitaire » (la secte comme danger pour l’individu et la société) utilisent les catégories qui forgées dans le combat contre des groupes plus éloignés des traditions chrétiennes sont appliquées aux TJ (les ADFI et l’UNADFI étant à l’origine des groupes composés de parents chrétiens mais refusant toute référence religieuse pour justifier leur action, ils étaient moins susceptibles d’attaquer 1. les TJ et 2. les groupuscules dans l’Eglise catholique, ce qu’ils commencent à faire alors).

Les dénonciations du week-end dernier autour de l’A.G. des Témoins de Jéhovah à Lens s’inscrivent dans le contexte d’une Commission d’enquête sur les sectes et les mineurs qui s’est créée à l’Assemblée nationale fin juin et à laquelle participent d’éminents députés, comme Jean-Pierre Brard (pour qui les Témoins sont de “parfaits délinquants”, ce qui laisse présager des résultats de l’enquête de cette commission), comme Christian Vanneste (pour qui l’homosexualité est une condition moralement inférieure et qui invente une proposition de loi visant à annuler sa condamnation); comme Eric Raoult (le député anti-string)… Une belle brochette de winneurs.

Communauté, religion, médecine

A quelques jours de distance, deux articles fort intéresants dans le New York Times.
Le premier s’intéresse aux maladies génétiques qui touchent principalement les Amish et les Mennonites : ces deux communautés religieuses anabaptistes sont fortement endogames et réduites en nombre. Certaines maladies très rares les touchent en priorité : certaines variations chromosomiques(nanisme, 6e doigt) ne mettent absolument pas en jeu la vie de ceux qui en sont touchés, d’autres sont fatales.
Le deuxième article s’intéresse à la polio chez des Amish du Minnesota, et à la difficulté rencontrée par les campagnes de santé publique quand elles sont confrontés à certaines règles de vie bien différentes.
Les Amish sont ici vus comme un cas extrème de vie communautaire, et, plus ou moins explicitement, comme une forme de vie un peu dangeureuse. D’autres religions sont associées à des formes de mortalité particulière. J’avais lu, je ne sais plus où, la spécificité de l’Utah (une région presque totalement mormone) : les Mormons vivent vieux (ils ne sont pas autorisés à fumer, à boire du café ou de l’alcool…) mais ils meurent beaucoup plus que le reste des américains des conséquences du diabète (leur seule drogue est le sucre…)