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Les sectes, c’est plus ce que c’était

Dans un article qui vient d’être publié par la revue Genèses (une revue de sociologie et de sciences sociales), Etienne Ollion, sociologue, étudie ce qu’il appelle “un processus de requalification conceptuelle“, la sécularisation de la “secte”.
En effet, autant au début des années 70 la secte apparaissait comme un objet religieux, autant aujourd’hui, après tout un travail de requalification (travail politique et associatif), la secte est un terme utilisé pour décrire un ensemble de pratiques.

Trois périodes peuvent être distinguées : lors de la création des premières associations, les opposants cherchent d’abord à distinguer entre bonnes et mauvaises sectes (i) ; pourtant, la transformation des buts de celles-ci comme l’importation de théories psychologiques étasuniennes font qu’émerge une nouvelle approche de la secte comme groupe utilisant des techniques de conditionnement psychologique (ii). Finalement, c’est après une importante médiatisation et l’engagement d’opposants distants de l’Église catholique que le terme de secte est progressivement sécularisé, y compris chez certains opposants qui rejetaient cette approche quelques années auparavant (iii).

« Jusque dans les années 1970, les quelques personnes qui dénoncent publiquement les sectes sont, sans exception, proches des églises établies. » La création d’association de défense de la famille et de l’individu (ADFI) va venir modifier les dénonciations : « les membres des ADFI dénoncent les groupes non plus pour la « supercherie théologique » qu’ils constitueraient, mais pour les conditions de travail et les infractions au code de la Sécurité sociale et à celui des impôts. »
Les critiques contre “Les Enfants de Dieu” [The family] sont dirigées vers le « Flirty Fishing », [technique de recrutement où l’adepte est invitée à séduire de potentielles recrues, parfois en leur prodiguant des faveurs sexuelles].
[Note : si vous voulez en savoir plus sur le Flirty Fishing, une encyclopédie collaborative possède de nombreux documents : dont des bandes dessinées]
Dans sa conclusion, Ollion lance quelques indices sur ce qui va continuer à l’intéresser par la suite, l’étude des individus qui s’impliqueront dans les associations anti-secte :

La redéfinition de la secte est en effet une condition importante de l’engagement de toute une série d’acteurs qui ne se sentaient pas concernés tant que l’approche religieuse prévalait, où ne savaient pas comment aborder le sujet. Le sectarisme devient ainsi un sujet pour lequel des personnes qui ne se seraient probablement pas engagées dans un combat perçu comme interne au champ religieux peuvent s’investir, ce qui se produit de manière croissante à partir de la fin des années 1970.

Sectes : panique à l’Elysée ?

Par Etienne Ollion, doctorant, université Paris 1 et université de Chicago.
 
Mise à jour : une version bien plus développée a été publiée dans Ollion, E., “La secte sécularisée. Processus de requalification conceptuelle dans la lutte contre les sectes”, Genèses, n°77, Février 2010

L’interview d’Emmanuelle Mignon publiée aujourd’hui par VSD est loin d’être passée inaperçue. En déclarant qu’il n’y aurait pas (ou plus) de « problème des sectes » en France, la directrice de cabinet de N. Sarkozy a déclenché une polémique qu’elle pourrait rapidement regretter. Ces propos sont-ils toutefois le signe d’un changement dans la manière dont seront menées les oppositions aux sectes ?

Lorsque sont créées les premières associations (1) spécialement consacrées à ce sujet dans les années 1970, ce qui allait ensuite (et en France seulement) recevoir le nom de la « lutte contre les sectes », est alors un « non-problème », relégué aux pages faits divers. Et pourtant, en moins de dix ans, le sujet prend suffisamment d’ampleur pour qu’un rapport parlementaire soit commandé en 1982. Que s’est-il passé ?
Des adeptes de Moon sur la couverture du disque
D’abord une publicisation efficace de la question réalisé par les associations, qui se posent en experts à chaque fois qu’un fait divers amène les sectes sur le devant de la scène médiatique (du fait le plus local à la mort de plus de 900 adeptes du groupe People’s Temple au Guyana en novembre 1978).
Surtout, un changement a lieu dans la définition même de la secte. Un véritable travail de redéfinition est opéré dans et autour des associations de lutte contre les sectes dans ces années : nées avec le soutien de l’Eglise catholique, les premières ADFI prennent rapidement leurs distances avec l’institution qui avait jusqu’alors fait sienne la régulation du « sectarisme ». Les deux groupes d’acteurs s’opposent en effet rapidement sur ce qu’est une « secte » : alors que l’Eglise continue de les penser en termes d’hérésies, les associations insistent sur le conditionnement qui aurait lieu dans ces groupes fermés, et sur les atteintes aux droits de l’Homme qui y auraient cours.
Bref, alors que les Eglises dénoncent les sectes sur un mode théologique, les associations opèrent la leur sur une base qu’on pourrait qualifier d’humanitaire. Roger Ikor, fondateur du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) en 1981 et rationaliste de la première heure, écrivait comme pour illustrer : « Bien entendu, l’Eglise à le droit de décider ce qui est hérésie par rapport à elle ; mais secte, non : nous sommes tous concernés » (2) . Cette définition est reprise à son compte par Alain Vivien dans le rapport de 1983.
 
Les conséquences de cette transformation sont nombreuses, mais on peut montrer comment, d’hier à aujourd’hui, le changement de définition permet d’éclairer les succès et les difficultés des opposants aux « sectes ».

  • (i) Dans les premières années, la sécularisation de la définition de la secte joue un rôle important dans l’intéressement de nombreuses personnes au problème que soulèvent les associations. En faisant de leur combat non plus une querelle religieuse mais une bataille laïque, « contre l’aliénation de la volonté » et « au nom de l’Homme », les associations parviennent à enrôler des soutiens de plus en plus massifs.
  • (ii) La liste des groupes considérés comme sectaires se transforme radicalement : après une période de trouble dans les années 1970 ou « anciennes » comme « nouvelles sectes » sont évoquées indistinctement, tout une série de branches schismatiques ne sont désormais plus mentionnées comme telles. Les petits groupes protestants (baptistes, adventistes, …) ne sont plus qualifiés de « sectes », ou s’ils le sont, ils ne sont plus (explicitement du moins) incriminés pour leur caractère schismatique, mais pour les manipulations mentales qui se réaliseraient en leur sein.
  • (iii) A contrario, tout un ensemble de groupes sans prétentions religieuses ni relation à un groupe se voient qualifiés de sectaires. Au tournant des années 1980, des communautés agrariennes (Longo Maï), des groupes écologistes radicaux (Ecoovie) deviennent les cibles principales des associations et sont largement évoquées par la presse, signe de la victoire des associations. A partir de ces années, l’accusation de « sectarisme » peut, en France, toucher bien d’autres groupes, voire suite à l’introduction de la notion de « dérive sectaire », des individus (dans les années 1980, ce sont des tenants de médecines alternatives qui se voient ainsi incriminés, sans qu’il n’y ait de groupes, et plusieurs psychanalystes dans les années 1990).

Retracer la vie mouvementée de la définition de la « secte » éclaire les questionnements récents sur l’orientation à prendre en termes politiques publiques des sectes. Les déclarations de la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy ne sont qu’une formulation radicale, mais finalement pas si éloignée, de ce que disent depuis quelques années les opposants, associations et MIVILUDES en tête : les « sectes » sont désormais moins visibles qu’avant. Constat similaire, solutions opposées, mais même cause : à force d’extension, la « secte » s’est quelque peu dissoute, et l’objet de la lutte a perdu en clarté. Sont-elles devenues un « non-problème » pour autant ? A considérer la rapidité du démenti et le tollé qu’il a suscité, probablement pas pour l’Elysée.

                                                Etienne Ollion.

Notes
(1) La première est l’Association de Défense des Valeurs Familiales et de l’Individu (ADFVI), rapidement renommée en ADFI et dont plusieurs antennes s’installent dans les grandes villes françaises dans les années suivantes.
(2) Roger Ikor, La tête du poisson, 1983, Albin Michel, p. 40.

Mise à jour (par B.C.) : (1) Merci rezo.net !.
et (2) : des propositions de réforme chez Sébastien Fath

L’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah

S’est réunie à Lens, dans le Pas de Calais, ce week end l’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah. Cette réunion de plusieurs milliers de fidèles avait lieu dans le Stade Bollaert : le maire de Lens s’en était offusqué, pour lui, les Témoins de Jéhovah sont “une secte”. La responsable locale de l’ADFI (association de défense de la famille et de l’individu), l’une des principales associations de lutte contre les sectes, avait enchéri, en demandant que les Jéhovistes restent cachés et ne fassent pas de rassemblement public visible. Les journalistes, dans les reportages, renchérissent, en essayant de “coincer” des participants, et en citant des extraits de rapports parlementaires, comme si ces rapports pouvaient épuiser le débat démocratique, et avaient force de loi. Mais ils s’ennuient un peu, et leur description se résume en partie à «visiblement, il n’y a pas grand chose de choquant, on lit la bible, on prend des notes»… Mais comme me le signale l’un de mes correspondants, la journaliste précise immédiatement que « derrière la façade religieuse, il y a de l’anesthésie mentale » : on a là un discours « humanitaire » sur les sectes, qui s’accorde très bien de l’existence des religions tant qu’elles restent modérées (en pratiques, idéologiquement…)

Quelques reportages sur cette assemblée générale (10 min. format Quicktime)

J’ai demandé à ce même correspondant de mettre en perspective ces reportages :

Quelques brèves remarques sur les Témoins de Jéhovah en France
Quand ce qu’on appelle les « nouvelles sectes » s’implantent en France en dans les années 1970 (Moon, Krishna, Enfants de Dieu, et un peu plus tard Scientologie et Ecoovie pour ne citer que les plus importants), peu de personnes évoquent la présence des Témoins de Jéhovah sur le territoire national.
Présents depuis les années 1930 au moins, ces derniers sont largement ignorés des associations anti-sectes comme des pouvoirs publics qui commencent leur action (première ADFI à Rennes en 1974 puis Paris, Lyon et Toulouse un an plus tard, le Centre d’information et de lutte Contre les Manipulations Mentales est créé par Roger Ikor en 1981, enfin premier rapport parlementaire rendu au Premier Ministre en 1983 par Alain Vivien intitulé Les sectes en France. Expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation). Ils ne seront inquiétés qu’à partir de la fin des années 1980, période à partir de laquelle la progression numérique se ralentit fortement (de 36 000 en 1970 à 69 000 en 1980, puis 114 000 en 1990 et 126 000 en 1995 [source : Watchtower organization http://www.watchtower.org/statistics/worldwide_report.htm]).
Dans un premier temps ignorés par les pouvoirs publics, ils furent ensuite surveillés et leurs demandes d’obtention du statut d’association cultuelle (en jeu : taxation des dons manuels) furent refusés (Conseil d’Etat, 1985). Le sommet de la réprobation fut atteint en 1995 quand dans le rapport parlementaire préparé par J.-P. Guyard (PS) et A Gest (RPR), les TJ furent placés de manière ambiguë au même niveau que 172 autres groupes qualifiés de sectes sur les bases d’un travail des RG (pas à proprement parler dans la liste puisque disposent d’un paragraphe pour eux, mais le nombre « d’adeptes de sectes » incluait les 130 000 TJ de l’époque, tout comme les cartes d’implantation des groupes l’échelle nationale).
Connus du grand public pour leur prosélytisme (la plupart des adeptes sont régulièrement envoyés prêcher la parole de Jéhovah et annoncer le retour prochain de dieu pour mener la bataille d’Armageddon), les conversions se font cependant de plus en plus rares : alors qu’il fallait quelques 1200 heures de porte à porte pour convertir une personne en 1970, il en faudrait désormais plus de 7000 (source : unelueur.org/stats-tj.htm).
Ils sont attaqués par les associations, et parmi elles par l’Union Nationale des ADFI (on peut voir la présidente de l’antenne ADFI-Nord, Charline Delporte, dans plusieurs des reportages, qui est une des plus active dans ce domaine), qui leur reprochent un endoctrinement important, une éducation religieuse intense, une vie dévouée à la communauté (dons financiers et du temps personnel requis : les « salles du royaume » sont construites avec les dons des fidèles, souvent en grande partie par eux les dimanches et jours de fête) et un « refus d’intégration » à la société (refus du service national, du salut au drapeau, des transfusions sanguines y compris quand le pronostic vital est en jeu).
Les TJ sont l’objet des plus vives querelles en France : Alain Vivien, un des piliers de la lutte contre les sectes en France depuis 30 ans, ancien président de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires, créée en 1998), les considérant comme une confession, alors que JP Brard (député apparenté PCF de Montreuil et très actif depuis des années dans la LS lui aussi les considère indiscutablement comme une « secte »).
Il est intéressant de saisir la manière dont furent appréhendés (au double sens du terme) les TJ au prisme des transformations de la lutte contre les sectes en France. Pour faire vite, avant les années 1970 et l’implantation de ce qu’on a appelé les « nouvelles sectes » ou « sectes religieuses », les TJ sont une secte au regard des seules personnes qui portent l’accusation en France : les catholiques. La secte, c’est alors un groupe schismatique d’une grande religion, qui conteste un ou plusieurs points théologique mais partage le reste des rites, des pratiques et de la liturgie. A ce titre, le jéhovisme est une secte protestante issue de l’adventisme, et née en 1874 en Angleterre (Charles T. Russell). Les TJ sont ensuite largement ignorés des années 1970 aux années 1990, quand des laïcs commencent à porter l’accusation de « sectarisme » avec des définitions (et, en creux, des intérêts différents) qui ne recoupent pas celles des Eglises instituées (secte comme atteinte à la personne ou à la société).
Implantés depuis longtemps, avec des rites et des pratiques qui, à la différence des groupes allogènes, ne choquent pas, les TJ sont largement ignorés (la seule critique antisecte vient du pôle « libre penseur » qui y voit une aberration, au même titre que les religions, d’où les critiques émises par le CCMM à leur encontre). Ils sont finalement massivement critiqués que vers 1990 (l’UNADFI ne s’intéresse vraiment à eux que vers 1989) quand des associations luttant contre les sectes selon un mode « humanitaire » (la secte comme danger pour l’individu et la société) utilisent les catégories qui forgées dans le combat contre des groupes plus éloignés des traditions chrétiennes sont appliquées aux TJ (les ADFI et l’UNADFI étant à l’origine des groupes composés de parents chrétiens mais refusant toute référence religieuse pour justifier leur action, ils étaient moins susceptibles d’attaquer 1. les TJ et 2. les groupuscules dans l’Eglise catholique, ce qu’ils commencent à faire alors).

Les dénonciations du week-end dernier autour de l’A.G. des Témoins de Jéhovah à Lens s’inscrivent dans le contexte d’une Commission d’enquête sur les sectes et les mineurs qui s’est créée à l’Assemblée nationale fin juin et à laquelle participent d’éminents députés, comme Jean-Pierre Brard (pour qui les Témoins sont de “parfaits délinquants”, ce qui laisse présager des résultats de l’enquête de cette commission), comme Christian Vanneste (pour qui l’homosexualité est une condition moralement inférieure et qui invente une proposition de loi visant à annuler sa condamnation); comme Eric Raoult (le député anti-string)… Une belle brochette de winneurs.

Antimormonisme (2) ?

A Villepreux, charmante commune, l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers jours (les Mormons, ou “LDS Church”), veulent installer leur temple. [J’en ai parlé il y a une dizaine de jour : Des Mormons à Villepreux et une mailingliste inconnue en a parlé : que dit-elle, mystère ?]
Une association municipale, “Villepreux Autrement“, s’oppose vigoureusement au projet :

Le principe de précaution, inscrit dans la constitution et appliqué régulièrement aux risques alimentaires, ne devrait-il pas être utilisé dans le cas présent, alors que de nombreux documents montrent les dérives d’un tel mouvement ?

Les Mormons ressemblent — selon cette association — à une religion génétiquement modifiée… La même association avait fait circuler un tract décrivant l'”Eglise des Mormons (comme) un mouvement reconnu polygame et apocalyptique mettant en oeuvre le prosélytisme afin de recruter de nouveaux adeptes”, oubliant que, si l’Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours avait en effet soutenu la polygamie après 1843 et jusqu’au début des années 1890, une révélation divine était revenue dessus.
L’Association de défense du vieux Villepreux (attention, leur site est pourri par des “pop-under”) en rajoute dans l’amalgame :

Chacun est libre de penser ce qu’il veut des Mormons. En ce qui nous concerne, notre association, conformément à ses statuts, continuera à se battre pour la protection du site classé PLAINE DE VERSAILLES comme elle a déjà combattu la décharge du Trou Moreau, l’implantation des gens du voyage et le projet de déchetterie à la station d’épuration, situés dans la plaine classée .

Nous sommes toutefois reconnaissant à cette association de nous laisser libre de penser ce que nous voulons.
Devant cette montée de boucliers armés, France 2, récemment, a proposé un reportage “éducatif” : qui sont les Mormons. L’Eglise apparaît comme une “communauté” (il faut repérer l’absence d’utilisation du terme “Eglise” par le présentateur du journal). Une communauté de classe moyenne-supérieure, conservatrice socialement, moralement et politiquement, attachée à la défense de normes de genre traditionnalistes. Chose amusante, la journaliste les confond avec les Amish (“ici, pas de lampe à pétrole”), une confusion très fréquente [alors que les Amish sont un mouvement dont l’origine est véritablement européenne — géographiquement dans un triangle de 500 km entre la Suisse, l’Alsace et l’Allemagne]. Reportage très lisse, dont les sources manquent : comment les journalistes ont-ils trouvé cette famille modèle ? et qui semble suivre une plaquette de présentation officielle.
On remarquera, dans ce reportage, l’absence de ton polémique et la présence de Noirs dans l’assemblée religieuse (alors que, jusqu’à la fin des années 1970, les Noirs d’origine africaine étaient considérés par la LDS comme étant marqués d’une malédiction divine et donc interdits de prêtrise, alors que tous les hommes âgés de 12 ans et plus sont prêtres… Un dogme dont l’Eglise n’est pas très fière aujourd’hui.)
Reportage de France 2 (format Quicktime)
Le reportage est précédé d’une brève en provenance d’une télévision de l’Utah, où la LDS est la principale Eglise (on peut estimer à 80% la population mormone de cet Etat des USA — en se basant sur les types de mariages célébrés). Pour aller plus loin : une carte de la répartition des Mormons aux Etats-Unis (pdf).

Antimormonisme ?

J’avais parlé il y a quelques mois de ces manifestations récentes d’élus parisiens contre la Scientologie (fichier vidéo quicktime) ou de l’opposition de petits villages d’Alsace concordataire contre l’installation de lieu de culte jéhovistes (fichier quicktime).
Et bien l’on continue ici avec un reportage de France3 Paris sur l’opposition à un temple mormon à Villepreux.
Dénoncés dans Le Parisien par Catherine Picard, présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), comme « Une communauté à déviance sectaire », les Mormons, toujours dans le même journal, “s’offrent le tiers de Villepreux” (Le Parisien, le 5 mars 2006).
La maire de Villepreux précise même, dans une lettre ouverte à ses administré-e-s, qu’elle a contacté les “services spécialisés de l’Etat”. On apprend dans le reportage que ces services spécialisés sont les renseignements généraux (la police secrète a des spécialités bien étranges) et qu’on lui a dit que “c’était une Eglise, que ce n’était pas une secte”. De ce fait, dit-elle, comme on est dans une “République laïque”, elle n’a pas à se prononcer… Une laïcité qui précise cependant qui est “secte”, qui est “Eglise”; les sectes semblant explicitement hors du domaine de l’acceptable laïque.
Dans l’introduction du reportage, la présentatrice du journal télévisé déclare que “beaucoup de riverains s’opposent déjà au projet”… même si le reportage a du mal à trouver des oppositions hormis celle du représentant d’une association, dont les propos arrivent, ironiquement, après un plan sur l’église (catholique romaine) de Villepreux et un autre sur un salon de thé nommé “St. Vincent”.
Reportage de France 3 sur les Mormons à Villepreux (format Quicktime).
Reportage de France Bleue – Ile de France (format realmedia) : où l’on apprend les craintes sur la valeur des biens immobiliers si jamais…

Amma et l’importation du néo-hindouisme

Véronique Altglas est une jeune docteure, actuellement post-doctorante en Grande Bretagne, auteure d’un ouvrage paru aux éditions du CNRS, Le nouvel hindouisme occidental. En voyant ce reportage sur France 3, qui présentait la venue en France d’une gouroute, Amma (et faisait la pub pour un film de Jan Kounen, Darshan)
lien vers le reportage au format Quicktime
j’ai de suite pensé à contacter Véronique afin de lui demander un petit commentaire-analyse. Et elle a été très aimable et gentille de m’envoyer ceci :

Amma fait partie des nombreux gurus indiens qui parcourent la planète pour diffuser leur enseignement. Sa phrase dans le reportage – « tout le monde a besoin de spiritualité » – rappelle la rhétorique de Vivekananda, pionnier dans la diffusion du Védanta en Occident (Chicago, 1893), pour qui le grand rôle de l’Inde était d’offrir au monde sa « spiritualité », cette affirmation identitaire étant l’un des piliers de ses ambitions missionnaires en Occident.
Cette phrase dénote également un autre aspect fondamental de ces mouvements religieux d’origine hindoue qui se diffusent hors de la péninsule indienne, à savoir l’universalisation de l’enseignement proposé. Ainsi, l’hindouisme s’adresse à tous quelque soit la culture, la nationalité ou la religion d’origine, cette « indifférence » vis-à-vis des frontières religieuses et culturelles étant partagée par les disciples et sympathisants occidentaux qui peuvent ainsi interpréter l’enseignement proposé à la lumière de leur propre univers religieux. C’est ce que fait la seconde interviewée qui suggère qu’Amma pourrait être considérée comme une sainte par l’Eglise catholique mais que, surtout, « elle est, c’est tout ». L’ancrage culturel n’est pas important mais, ajoute-t-elle, « elle est l’incarnation de Dieu », télescopant ainsi l’image du Christ messager de Dieu, de l’avatar hindou tel Krishna, du guru et du sauveur christique. C’est précisément cette indifférence aux frontières culturelles et religieuses qui permet les réinterprétations et les appropriations de ces religiosités étrangères que sont les mouvements néo-hindous.
Dans ces transferts et télescopages, il y a des ressources symboliques qui jouent particulièrement bien le rôle de « passeur ». Ici, le véhicule clef est la notion d’amour. On retrouve l’amour universel et inconditionnel dans de nombreux enseignements néo-hindous mais ici, compte tenu de la pratique particulière d’Amma, elle est centrale. Elle satisfait les disciples occidentaux, en quête d’une religion intime où prime l’expérience individuelle qu’exprime souvent tout un champ sémantique relatif au « coeur » et à l’« amour divin ». Le reportage dévoile, tout comme certains entretiens que j’ai pu mener, combien cette notion d’amour résonne avec intensité dans un univers de sens chrétien. Elle permet de voir en Amma une « sainte », une « mère Thérésa hindoue » et de considérer son enseignement original comme une « religion de l’amour ». Mais surtout, et c’est ce point qui m’a particulièrement intéressé dans ce reportage, il me semble que la reconnaissance d’une certaine christianité de l’enseignement d’Amma, via cette notion d’« amour », est au principe des commentaires élogieux des reporters et du présentateur. Elle fonde la légitimité que les journalistes concèdent ici à Amma, dont l’enseignement se rapproche à bien des égards de celui des autres mouvements néo-hindous connus en Occident, souvent associés à un « dévoiement de l’Orient », une falsification éclectique et une « dérive sectaire » d’un enseignement traditionnel et véritable. Faux gurus ou vrais sages de l’Inde ? A mon sens, c’est la construction des frontières entre « secte » et « religion » du sens commun et plus largement la question de la normativité religieuse qui se joue ici*
(signé : Véronique Altglas).

Pour plus d’information sur Véronique Altglas et son livre, Le nouvel hindouisme occidental, vous pouvez consulter son blog, http://altglas.over-blog.com/ et un article dans le Journal du CNRS : 3 Questions à Véronique Altglas.