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Sex-shops, une histoire en ligne

Il y a quinze ans paraissait, en avril 2007, mon premier ouvrage, Sex-shops, une histoire française, publié par les éditions Dilecta. Cet ouvrage, auquel avait participé Irene Roca Ortiz, alors étudiante en master à l’Université Paris V est désormais disponible, en accès libre, sur Hal, en version pdf : il avait quasiment fini sa carrière en librairie et je remercie vivement les éditions Dilecta de m’avoir autorisé à le mettre en ligne.

Je pourrais faire un bilan. Premier bilan : replacer, par exemple, mon texte dans un ensemble de travaux d’histoire et de sociologie des sexualités. En 2003-2004, quand je commence à m’intéresser à ces magasins, il y avait moins de travaux qu’aujourd’hui. Mais je n’étais pas précurseur : il y avait plein d’études et de travaux. De nombreux champs (sociologie de la prostitution, sociologie des pratiques sexuelles, etc…) étaient bien défrichés. Il y avait peu d’enquêtes sur le petit commerce et les petits commerçants, et c’est encore le cas aujourd’hui. Deuxième bilan : si j’avais à réécrire le texte, je n’écrirais pas tout à fait la même chose. J’ai découvert d’autres archives après la fin de la rédaction du livre (et j’ai publié quelques articles à partir de ces archives, dont la liste est ici). J’ai fait d’autres lectures, et puis je suis passé à autre chose. Troisième bilan : quand l’ouvrage est rédigé, il y a près de 130 sex-shops à Paris. En 2020 il en restait, selon la BD-COM de l’Apur, 69. Un petit commerce en déclin, donc.

La mise en ligne de Sex-shops va peut-être donner une deuxième carrière à l’ouvrage : il est maintenant beaucoup plus facile d’accès. Il reste disponible à l’achat en librairie, et il ne faut pas hésiter à l’acheter : c’est un bel ouvrage, au papier soyeux couleur ivoire et à la mise en page soignée.

Les sex-shops à Paris. Quelques chiffres

Comment les sex-shops, à Paris, ont évolué numériquement depuis une douzaine d’années. Est-il possible d’avoir des chiffres comparables ? Oui, car l’APUR (l’Atelier parisien d’urbanisme) réalise, tous les trois ans environ, une étude très poussée sur les quelques 60 000 commerces parisiens, et que les différentes études sont globalement comparables entre elles. Comme nous allons pouvoir le constater, ces magasins sont actuellement en crise :
 
Entre 2000 et 2005 l’évolution avait été changeante : une petite hausse entre 2000 et 2003, une forte baisse entre 2003 et 2005.


source : Banque de données sur le commerce parisien. Résultats du recensement 2005 et évolutions 2000-2003-2005. (APUR, 2005)

Depuis 2005, la tendance est encore à la baisse : -3 % entre 2005 et 2007, -4% entre 2007 et 2011.


source : L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)

Depuis 2003, la baisse cumulée est d’environ 25% (il y en avait près de 130 en 2003, il y en a un peu moins de 100 aujourd’hui).

De manière intéressante, les autorités municipales semblent ne pas s’inquiéter de la disparition d’un petit commerce de quartier, qui avait pourtant l’intérêt d’être ouvert en soirée et d’avoir une clientèle habitant parfois assez loin. Au contraire, il semble qu’une politique d’urbanisme bien réfléchie vienne contribuer au remplacement des sex-shops par d’autres magasins :


source : extrait de L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)
 

Il faudrait signaler, aussi, les restrictions spatiales mises à l’installation de nouveaux sex-shops depuis 2007 (où un amendement à une loi de 1987 est venu étendre à 200m autour des établissements scolaires la zone d’interdiction des sex-shops). Cela pourrait expliquer pourquoi, si des magasins ferment, d’autres ne se créent pas. Mais pour en être certain, il faudrait pouvoir étudier, outre le stock, les flux (ouvertures et fermetures depuis 2000).

Note : Je disais au début que les vagues d’enquête de l’APUR étaient globalement comparables entre elles. Car dans le détail, certains magasins peuvent apparaître à certains enquêteurs comme des magasins de lingerie (CC108) ou des magasins de vidéo (CF405, SA401) et non pas comme des sex-shops (CF502)… De même les séries d’arrondis sur les pourcentages, et l’incertitude à la marge (est-ce 125 ? est-ce 131 ?) ne doivent pas tromper : la tendance est bien à la baisse.

Faut-il toujours camoufler les sex-toys ? Un procès en 2012

Le jugement mis en délibéré, dans une affaire opposant une association catholique à un magasin vendant des sex-toys, sera rendu le 29 février 2012. Je publie donc ces lignes, écrites rapidement, quelques heures avant de savoir ce que la juge Florence Schmidt-Pariset écrira.

En 1987, une loi est votée qui interdit l’installation des sex-shops à moins de 100 mètres des établissements scolaires. En 2007, cette loi est modifiée : la zone interdite passe à 200 mètres et toute une série d’associations peuvent porter plainte contre des magasins vendant des « objets à caractère pornographique ».
Depuis 2007, donc, j’attendais le test judiciaire de cette loi, votée, promulguée, mais sans conséquences jusqu’à maintenant. Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’un test judiciaire aurait, un jour ou l’autre, lieu, étant donné que la “zone interdite” rend quasiment impossible l’installation de ces magasins en centre ville (comme le signale une carte réalisée en 2007).
Pourtant, depuis 2007, plusieurs magasins s’étaient installés qui vendaient, apparemment avec succès, des vibromasseurs, menottes en fourrure et autres godemichets, masturbateurs et boules de geisha. Comment expliquer l’absence de plaintes ? Il me semble que, assez souvent, diverses pressions suffisent à faire disparaitre les “sex-toys” du stock des magasins, ou alors, les plaintes n’accèdent pas à l’espace public, comme dans ce cas d’une boutique installée dans un centre commercial.
 
Mais…
 
Le 14 février 2011 vers 15h10, Robert O*, huissier de justice, pousse la porte du 69, rue Saint-Martin, à Paris, 3e arrondissement. Cet huissier répond à une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris datée du 11 février 2011, ordonnance qui fait suite à une requête déposée par deux associations catholiques.
L’une de ces associations est familière du recours à la justice civile et à un argumentaire séculier pour faire entendre ses revendications morales et religieuses, ayant tenté de faire interdire aux mineurs un festival de rock, le “Hellfest” (ou fête d’enfer).
La date du 14 février 2011 n’a pas été choisie par hasard : il s’agit de la Saint-Valentin, date investie, depuis quelques années, par les vendeurs de petites culottes, de dîners romantiques et de vibromasseurs. Les deux associations (la confédération des associations familiales catholiques et l’association CLER amour et famille) le savent fort bien : l’huissier pourrait, le 14 février, trouver un magasin spécialement décoré pour la Saint-Valentin (mais pas pour Valentin le Saint) et probablement visité par des personnes en mal de cadeaux romantiques, pour lesquelles la sexualité comporte une part “récréative”.

photo prise par l'huissier Robert O*
[Photocopie scannée d’une photographie prise par l’huissier]

 

L’huissier décrit ainsi sa visite :

Je remarque la présence de :
D’objets phalliques Gode Buster family (pour utilisation anale)
D’un livre intitulé sextoys for ever
D’objets phalliques, vibromasseurs, de couleur rose, « rabbit sexy bunny », en exposition singeant un pénis
Des boîtes incluant des objets phalliques « sweet vibe », avec à l’intérieur un dépliant qui doit être visiblement un mode d’emploi
D’objets phalliques « Diamond Vibe » de couleur et taille différentes
De coffrets « Nooki Toys – Jouets pour garçons » avec l’indication « accessoires de plaisir » incluant des objets coniques creux et objets en forme de grosses bagues
Exposition de phallus divers, singeant un pénis
Sur une autre étagère, je constate la présence d’une affiche sous la dénomination Tenga avec notamment les mentions « le must de la masturbation est là maintenant », parmi des appareils coniques portant la mention New Adults Concepts.
(…)
Sur une autre pancarte je lis l’indication « Flip hole le futur de la masturbation » avec en dessous l’indication Tenga à côté d’un objet à trois orifices.
Présence de lingerie féminine.
Sur un présentoir au milieu du magasin se trouvent divers objets forme phallique certains à double extrémité, plus ou moins incurvés, de différentes couleur et souvent roses.
Je remarque encore des boîtes plastifiées à l’enseigne Fun Factory avec nombreux appareils de forme phallique type vibromasseur légèrement incurvés, à extrémité en forme de gland, avec la marque G2 Vibes, ou encore d’autres boîtes plastifiées avec la mention (…)
(…)
Petites boîtes avec des menottes, avec l’indication « menottes, attache moi »
Sur un autre présentoir, je note la présence de menottes, de phallus divers.
Sur une autre étagère, sur une pancarte à l’effigie de la marque 1969, avec l’indication « Pour la Saint Valentin découvrez les produits Love to Love toys et cosmétiques 1969 » et au droit de laquelle se trouvent divers produits « gel excitant » « crème après fessée »
En partie droite, sur un présentoir en verre, je remarque encore des objets à forme phallique, des anneaux en plastique (…)

Je termine mes constatations vers 16h10 à l’intérieur du local en avisant Mme G* de mon intention de prendre des photos de la vitrine extérieure. En ressortant, je constate que le phallus de couleur rose visible par la vitrine de droite, par le troisième cœur, vu précédemment au début de mes constatations, a disparu »

Source : Robert O*, Procès verbal de constat, 14 février 2011, 6p.

Ce conflit ne devient pas public avant avril 2011, par le biais de divers articles (dont une dépêche AFP).
Fin juin 2011, une première audience fixe la date du procès. C’est la 10e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, et non pas la 17e chambre (qui s’occupe, habituellement, des délits en lien avec la presse), qui se retrouve en charge de cette affaire.

Toute la question, dans cette affaire, est celle de l’extension de la définition de la pornographie. Car le magasin est s’est bien installé, et ce après 2007, à moins de 200 mètres d’une école. Le conflit ne porte pas sur la notion d'”installation” ni sur la manière de mesurer la distance entre le magasin et l’école.

Mais la défense du magasin attaqué va soulever aussi d’autres points dans ses “Conclusions au fond” (le mémoire écrit déposé avant l’audience).

– L’absence de photographie des objets :
Depuis un arrêt de la Cour de cassation en 1970, les condamnations pour outrage aux bonnes mœurs notamment devaient décrire en quoi les images “étaient contraires aux bonnes mœurs”. La photographie des lieux et des objets (on le voit assez bien dans les “dossiers de procédure” conservés aux Archives de Paris) devient alors, dans le travail policier, une obligation.
Or dans le cas présent, l’huissier n’a pas fourni de photographie des objets, il a limité son constat à des descriptions rapides (“phallique”, “conique”…) et à la citation des notices.

En d’autres termes, écrit l’avocat de 1969, il ne pourrait être procédé à une condamnation globale d’objets — dont on ne sait d’ailleurs pas lesquels sont précisément visés par la poursuite — sans que ceux-ci soient précisément individualisés et qu’il soit statué sur chacun, après description de ce qui constituerait leur caractère pornographique.
Source : Richard M*, “Conclusions au fond”, janvier 2012

Suffit-il de décrire comme phallique des objets sachant bien qu’il est possible, depuis Freud, de voir du phallus partout ?

– L’insécurité juridique et la “prévisibilité de la norme”
La loi de 1987, dans sa version de 2007, crée une forme d’insécurité juridique. Insécurité urbanistique tout d’abord, car il est assez complexe de savoir ce qui relève de l’établissement d’enseignement (qui possèdent souvent des annexes sportives, des cantines…) ni à quelle distance précise le magasin se trouve. Dans le doute, abstiens-toi, conseillent certains avocats à ceux qui veulent ouvrir un magasin vendant des sex-toys. Cette insécurité ne peut pas ne pas avoir été recherchée par les députés ayant proposé cet amendement (fruit de plus de vingt ans de réflexions) : il s’agit de rendre compliquée l’ouverture de magasins vus comme nuisibles en centre ville.

Insécurité liée à la définition de la pornographie ensuite, et nous allons nous centrer sur ce point.

Jusqu’en 2007, la chose était plus simple (notamment grâce à deux décisions de justice en 2002). Les magasins visés par l’interdiction d’installation étaient les magasins dont l’activité “principale” était la vente de “publications interdites aux mineurs”. Ces publications, soit se présentent comme “interdites aux mineurs” (par exemple sur la jacquette ou la couverture), soit l’ont été, interdites aux mineurs à la suite du dispositif mis en place après la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (commissions de contrôle…). Il fallait de plus, avant 2007, que l’activité soit “principale” — pour que les vendeurs de journaux échappent à l’interdiction. Les députés avaient d’abord pensé à modifier d’une autre manière la définition : la première version de l’amendement parlait des “objets interdits aux mineurs”, mais les vendeurs d’alcool et de tabac ont vite protesté et ont imposé — en quelques heures — une modification de l’amendement. Leur syndicat professionnel est vif à la détente [l’absence de syndicat dans le cas des magasins de sex-toys n’aide pas…]. La version définitive de l’amendement mentionne donc les “objets à caractère pornographique”, et l’activité n’a plus besoin d’être “principale”.

Mais qu’est-ce que le “caractère pornographique” d’objets ? Si une jurisprudence existe concernant les représentations pornographiques, la justice ne s’est que peu penchée sur les vibromasseurs, les sex-toys, les boules de geisha, les masturbateurs, etc… et ces objets ne se présentent pas comme interdits aux mineurs (rien n’indique, sur un paquet de vibromasseur, qu’il est interdit aux mineurs).
La jurisprudence “godemiché” est très maigre et remonte au début des années 1970. C’est une jurisprudence problématique voire désuète aujourd’hui : le contexte était celui de l’outrage aux bonnes mœurs, notion juridique qui n’existe plus en 2012.
Une affaire semble plus proche que les autres néanmoins. Il s’agit de l’affaire “Top Life”, qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (résumé dans la Gazette du Palais, GP.1974.I.somm.114). Le texte complet de l’arrêt est maintenant disponible aux Archives de Paris.

Le point de départ est une condamnation pour “outrage aux bonnes mœurs” par la 17e chambre. Un groupe de personnes avait été arrêté pour avoir vendu une « bague en caoutchouc rose destinée à enserrer le pénis en état d’érection, (…) bague elle-même surmontée d’une “protubérance” de même matière se présentant sous l’aspect d’une grosse fraise granuleuse destinée à frotter le sexe féminin lors des rapports sexuels ». Etait également vendu une « autre version comprenant un vibrateur électrique incorporé dans la protubérance, relié par un fil à un petit boitier comportant une pile électrique et un rhéostat [permettant] de faire varier l’intensité dela vibration ».

La condamnation, en première instance, est justifiée à la fois en raison de l’usage ou la forme de l’objet, mais aussi sur la base de la notice [bilingue, en anglais et en allemand] qui l’accompagne.

AdP cote 2344W 27 – Tribunal correctionnel 31 janvier 1973 – 17e chambre
Attendu que l’emballage de l’appareil comporte une notice bilingue de mode d’emploi, que l’appareil ‘TOP LIFE’ destiné à accroitre le plaisir durant l’amour pour les deux partenaires est présenté comme excitant pour l’homme durant le rapport, que le coussin en caoutchouc (ou la protubérance) transmet le mouvement de l’homme fidèlement au clitoris et aux zones érogènes aidant la femme à atteindre l’orgasme, que la bague élastique du ‘TOP LIFE’ provoque un effet positif pour l’érection du membre masculin
(…) ces articles par leur forme particulière, par l’usage auquel ils étaient destinés, et qu’explicitait sans fard la notice bilingue d’emploi, sont manifestement destinés à favoriser l’esprit de débauche ou à éveiller dans l’imagination du public des idées malsaines ou dépravées

Pour la 17e chambre du Tribunal, en 1973, ce “Top Life” a une “forme particulière” et un usage explicité par la notice. Ce sont donc des objets outrageant les bonnes mœurs.
Mais la Cour d’Appel en jugera autrement.

AdP cote 2302W 25 – Cour d’appel de Paris, 11e chambre, 13 novembre 1973
Considérant qu’il apparaît dès lors que tout en se situant à la limite de ce que tolère la morale commune contemporaine, les indication (sic) fournies sur la fonction de l’objet incriminé comme le comportement suggéré par son emploi n’excèdent pas cette limite et ne sauraient suffir à constituer une cause de désordre pour la Société ; que cet objet ne présentant enfin dans son apparence aucun caractère outrageant pour les bonnes mœurs, il échet de constater que le délit relevé par la prévention n’est pas légalement établi.

Favoriser l’excitation et l’érection de l’homme ainsi que l’orgasme de la femme (et l’écrire) ne suffit plus à constituer l’outrage. Parce que cet arrêt a été résumé dans la Gazette du Palais, il n’est pas tombé dans l’oubli. Mais il est quasiment le seul dans son genre, et de plus le résumé de la Gazette ne permet pas aux juristes de prendre connaissance de l’entièreté de ce qu’écrivit la Cour d’appel. Et les juges, après 1973, cesseront de se pencher sur la qualification et la caractérisation des divers gadgets que l’on trouve alors dans le catalogue La Redoute, des magasins de farce et attrape, les arrières-boutiques de certains magasins de lingerie ou des sex-shops. Et cet arrêt date maintenant d’une petite quarantaine d’années. Et l’outrage aux bonnes moeurs n’existe plus. Autant d’éléments, donc, qui rendent moins important cet arrêt de 1973.

Mais l’objet qui ne constituait pas un outrage aux bonnes moeurs en 1973 peut-il devenir “pornographique” en 2012 ? Comment les avocats des deux associations catholiques vont-ils développer leur argumentation ?

Un “sex toy” est-il pornographique ?
pour les sénateurs, oui, cela ne semble faire aucun doute : lors de l’examen en commission de l’amendement modifiant la loi de 1987, ils mentionnent explicitement le lien entre “sex-toys” et “objets à caractère pornographique”. Cet élément indique quelle était l’intention de l’amendement : les débats parlementaires et les rapports des commissions du Sénat ou de l’Assemblée sont parfois pris en compte par les juges.

– pour les promoteurs des “love store”, non : tout leur travail a consisté à séparer les sex-toys de la pornographie, en ne proposant aucune représentation pornographique (au sens de représentation interdite aux mineurs)

– pour l’huissier la chose n’est pas très claire. On peut remarquer qu’il semble indécis concernant les objets, qu’il va qualifier de “phallique” ou même de “phallus” sans décrire ce qui le conduit à qualifier telle chose de “phallique”, telle autre de “conique”. Il va surtout s’appuyer sur les textes décrivant les usages possibles.

– pour l’avocat de CLER/CNAFC : la stratégie va consister à insister sur certains objets, décrits par le “gland” ou à partir de leur fonction de masturbation masculine, comme on peut le constater dans cet extrait de leurs “Conclusions au fond”

il apparaît aux parties civiles que, dans le contexte du magasin décrit par Me O*,

  • un objet simulateur de fellation (nommé deep throat c’est à dire gorge profonde) ou masturbateur, dont l’essence même est de se substituer à un partenaire en vue d’une jouissance solitaire…
  • …et dont la description explicite comment “le gland rencontre et repousse une surface en silicone qui vient l’enserrer jusqu’à l’excitation” et “deux moteurs extrêmement puissants vibrent par pulsation sous le gland et l’excitent jusqu’à son apogée”…
  • … “prive les rites de l’amour de leur contexte sentimental” et décrit “des mécanismes physiologiques”.
    Source : Henri de B*, “Conclusions au fond”, 2012

    Le recours à la citation des notices est nécessaire, les appareils masturbateurs pour hommes se présentant sous une forme de bouteille, comme le montre l’illustration ci-dessous :

    Mais avoir recours aux notices a pour effet de souligner, en creux, combien certains de ces objets, sans notice, sont anodins (leur destination n’apparaissant pas clairement). On remarquera enfin que l’accent est mis, en 2012, sur la masturbation masculine comme repoussoir. La description de la masturbation masculine, en des termes explicites, rompt le contrat de camouflage qui règle encore les descriptions de la masturbation féminine, présentée comme une forme de “massage”, et qui était souligné dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de 1973 précité (“les explications qui sont fournies par la notice bilingue sur son mode d’utilisation et sur sa fonction ne contiennent aucune description de l’accouplement pratiqué dans ces conditions ni aucune recommandation (sic) spéciale relative à l’accomplissement de l’acte sexuel lui-même“).

    C’est peut-être bien la rupture du contrat de camouflage qui fait de cette affaire quelque chose qui intéresse le sociologue.

    * * *
    Dans cette affaire, mon rôle n’a pas été simplement celui d’un observateur. Les divers documents rédigés par les avocats (ceux du CLER/CNAFC comme ceux de 1969) citent mes travaux (ce blog, mais aussi mon livre). Je n’ai aucun intérêt, ni dans une cause, ni dans l’autre. Quelle que soit la décision que prendra la juge présidant ce procès, Florence Schmidt-Pariset, mon bonheur sera complet : les sex-toys auront un début de jurisprudence.
    Et puisque j’en suis à parler de moi, je signale la publication prochaine de Les objets ont-ils un genre ? (dir. Anstett-Gessat et Gélard) dans lequel se trouve un chapitre sur les circuits de vente et fabrication du godemiché, dans les années soixante.

    Il en faut bien un…

    De Luc Boltanski j’apprécie particulièrement cette citation :

    Je pense qu’il y a actuellement un degré de professionnalisation et de spécialisation que je regrette. Vous avez des gens qui font une excellente thèse, par exemple, sur, je ne sais pas moi, sur les kinésithérapeutes par exemple et puis, ensuite, toute leur vie ils vont rester spécialistes des kinésithérapeutes et puis, quand il y a un drame chez les kinésithérapeutes, ils vont parler à la radio des kinésithérapeutes.
    références

    J’y pense à chaque fois qu’une journaliste m’appelle : de quoi le spécialiste est-il le nom ? Cette semaine, ce ne fut pas suite à un drame chez les kinés mais à un procès impliquant un magasin vendant des gadgets pour adultes. En 2006-2007, un groupe de députés a réussi à modifier une loi datant de 1987 interdisant l’installation des sex-shops à proximité des écoles, en étendant à la fois la zone d’interdiction, la définition des magasins soumis à la loi et celle des associations pouvant porter plainte contre ces magasins. Depuis 2007 donc, j’attendais le test judiciaire, la mise à l’épreuve de cette loi.
    En avril 2011, deux associations décident de porter plainte contre un magasin du centre de Paris. Le procès a eu lieu mercredi dernier, et quelques journalistes (ou assimilées) ont cherché à recueillir mon discours, ce qui a parfois donné à des propos retranscrits dans les articles suivants :

    Parce qu’un sociologue expert ès procès contre les marchands de sex-toys, il en fallait bien un.

    Un sex-shop contre l’administration fiscale

    Les sex-shops, pour le moment, sont non seulement interdits d’installation à proximité des établissements scolaires, mais ils sont aussi surtaxés [plus de précisions].
    Je vais donc parler ici de droit des impôts. Mais ne partez pas tout de suite, ça peut vous intéresser quand même.

    *

    Cette surtaxe, donc, consiste en “un prélèvement spécial de 33 % (…) sur la fraction des bénéfices industriels et commerciaux imposables à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu”. Les établissement déclarés licencieux “soit en application de l’ordonnance n° 59-28 du 5 janvier 1959 (…), soit en vertu des pouvoirs de police que le maire et le représentant de l’Etat dans le département” tiennent de certains articles du Code des collectivités territoriales.

    C’est un impôt étrange, qui est déclenché quand un préfet (ou un maire) déclare certains magasins licencieux ou interdits aux mineurs. Comme il n’y a ni “Ordre des patrons de sex-shops”, ni nécessité d’obtention d’une licence préalable à l’installation, ni obligation de déclaration… des magasins s’ouvrent et se ferment sans que les autorités soient au courant. Parfois, un préfet ou un maire se réveille, déclare tel magasin interdit aux mineurs… ce qui peut conduire à cette surtaxe. Les autres magasins, s’ils connaissent les arcanes du Code des impôts, vivent dans l’insécurité juridique (et financière) : ils peuvent très bien être ouverts depuis longtemps sans être soumis au “prélèvement spécial”. [Il me semble que c’est le cas des grandes surfaces sexy/porno ouvertes en zones commerciales, qui, éloignées des centres-villes, sont aussi éloignées du regard du “représentant de l’Etat”.]
    Devant une telle insécurité, allez-vous me dire, les sex-shops se sont unis pour agir… C’est sans compter sur l’individualisme de ce monde : parce qu’ils sont nombreux à percevoir dans leurs concurrents des personnes de peu de foi, les patrons et propriétaires de sex-shops n’ont jamais réussi à constituer de syndicat professionnel. Il y eu deux tentatives : une en 1973-1974, et une autre vers 1986.
    Pendant longtemps, donc, il n’y eu aucune protestation publique ou action en justice. Cela a changé. Le 21 juin 2010, le Tribunal administratif de Paris a rendu une ordonnance (dans l’affaire n°0701697). Cette ordonnance transmet au Conseil d’Etat une “Question prioritaire de constitutionnalité”. D’ici quelques mois, le Conseil d’Etat se prononcera et transmettra (ou non) la question au Conseil Constitutionnel.
    C’est une première victoire pour un sex-shop, qui a réussi à intéresser les juges du T.A. (la question “n’est pas dépourvue de sérieux” écrit la vice-présidente). Il est possible que le texte de l’article 235 ter MB du Code général des impôts ne soit pas conforme à la Constitution : la taxe n’est pas prélevée de manière uniforme sur le territoire national ; la perception [au sens du Trésor public, collecter] d’un impôt national dépend donc de la perception [au sens de la connaissance] de la pornographie qu’ont les maires et des préfets.
    Citons un peu l’ordonnance du T.A. qui résume un “mémoire” déposé par l’avocat du sex-shop : “en l’absence d’arrêté d’interdiction, des établissements vendant des articles similaires sont traités différemment, un arrêté d’interdiction n’est pas obligatoire eu égard aux circonstances locales et aux différences d’interprétations auxquelles elles peuvent donner lieu, et la taxation fiscale dissuasive auxquels sont soumis les seuls établissement interdits aux mineurs favorise la diffusion de la pornographie dans un secteur non protégé et contrevient ainsi aux impératifs de la protection de l’enfance“.
    Si le Conseil constitutionnel juge fondée la Question prioritaire de constitutionnalité, l’article du CGI sera abrogé. Les sex-shops qui avaient dû payer cette taxe pourraient demander son remboursement. C’est probablement financièrement intéressant — s’ils ne laissent pas passer les délais de recours.

    Parce que la question des mobilisations collectives est sociologiquement intéressante, que la “mobilisation par le droit” l’est tout autant, il s’ensuit que l’inverse, la mobilisation individuelle devrait être intéressante (il faudrait que je lise L’arme du droit de Liora Israël). Car pour l’instant seul un magasin s’est lancé dans cette aventure judiciaire. Si d’autres se joignaient au litige, cela donnerait, presque mécaniquement, plus de poids à la Question de constitutionnalité. Il me semble, en effet, qu’une action en justice est d’autant plus grande qu’il y a de personnes mobilisées.
    Quel pourrait être l’intérêt de ces magasins à sortir de la routine ?

    • Pour les magasins “sexy”, qui vendent des culottes fendues, des caches-tétons et des godemichets, l’intérêt pourrait être de régler l’insécurité fiscale : ces magasins, qui disent ne pas vendre de pornographie, se conçoivent comme des “non-sex-shops”, comme des “love-stores”. Mais ils ne sont pas à l’abri d’un-e maire qui décide d’interdire l’entrée des mineurs. Surtout quand ces magasins, d’eux-mêmes, restreignent l’entrée aux “adultes consentants”.
    • Pour les sex-shops “classiques”, l’intérêt de se joindre au litige avant que le Conseil constitutionnel prenne sa décision est financier, le remboursement des impôts qui seraient jugés anticonstitutionnels. Comme me le précise un informateur, “les réclamations qui seront déposées après la décision du Conseil se heurteront aux délais de recours contentieux” (il sera alors trop tard pour le remboursement des impôts payés il y a plus de quelques années).

    Ces magasins se découvriront-ils un intérêt commun ?

    *

    Parce que l’affaire m’intéresse, j’essaierai d’assister aux éventuelles audiences publiques du Conseil d’Etat (comme je l’avais fait pour l’Affaire Poppers il y a deux ans). Si le Conseil constitutionnel devait se prononcer, j’espère qu’il y aura aussi des audiences publiques.
    Note conclusive : si j’ai commis d’honteuses erreurs juridiques, confondant “décision” et “jugement”, “litige” et “contentieux”, merci de me le signaler, gentiment, en commentaire.

    Les femmes et les sex-shops

    Une enquête a enfin relevé la proportion d’hommes et de femmes entrant dans les sex-shops. Petite victoire, peut-être, mais qui permet d’en savoir un peu plus sur les modes genrés de consommation. Des travaux précédents s’étaient intéressés à certains magasins mais n’avaient pas procédé à un relevé méthodique des entrées sur plusieurs magasins (Berkowitz, Hefley — mentionné rapidement ici).
    Que nous apprend alors l’article de Richard Tewksbury [cv] et Richard McCleary [cv], Female Patrons of Porn ? [Notez : en anglais, “Patron” signifie client. L’article porte sur les clientes.]
    Un mot sur la procédure de recherche : 9 assistants de recherche ont observé 33 sex-shops californiens : 271 observations, le tout ayant duré 162 heures, réparties sur l’ensemble du jour et de la nuit.
    Qu’est-ce qui a été observé :

    Of the 1,258 patrons who entered the 33 stores during 162 hours of observation, 1,044 (83 percent) were men, 214 (17 percent) were women. Most men (75.6 percent) entered alone, most women (86.9 percent) entered in groups, either same-sex (49.1 percent), mixed-sex (22.4 percent), or in a traditional couple (15.4 percent).

    Les femmes constituent donc 17% du public des sex-shops. C’est non négligeable, mais minoritaire. Si les hommes visitent le plus souvent ces magasins seuls, les femmes font partie de groupes.

    Quel type de magasin préfèrent-elles ? Plusieurs caractéristiques ont été relevées. “Toutes choses égales par ailleurs”, la présence de vigiles à l’extérieur fait fortement augmenter la probabilité que des femmes soient observées parmi les clientes. Une forte fréquentation est aussi lié à une forte proportion de femmes parmi les clients. La présence de cabines vidéo est négativement reliée à la présence de femmes parmi les clientes. Plus étrange, les femmes sont moins présentes dans les magasins qui emploient des vendeuses, ce qui semble opposé au “bon sens” des entrepreneurs (notamment en France, où la présence de femmes parmi les vendeuses est présentée comme le signe que le magasin s’adresse aux femmes).
    L’on trouve, sur le site de l’association qui a financé la recherche, un rapport de McCleary qui donne d’autres informations, sur la variation journalière et horaire (en nombre de clients par heure) :

    Les femmes sont du milieu de la semaine et du milieu de la journée, les hommes plutôt de la fin de la semaine et du milieu de la nuit. Comme si l’on avait, finalement, deux publics prêts à s’éviter.

     

    Ailleurs sur internet : ceci.

    Bibliographie :
    Berkowitz, Dana. 2006. Consuming Eroticism: Gender Performances and Presentations in Pornographic Establishments. Journal of Contemporary Ethnography 35, n°. 5: 583-606. doi:10.1177/0891241605285402.
    Hefley, Kristen. 2007. Stigma Management of Male and Female Customers to a Non-Urban Adult Novelty Store. Deviant Behavior 28, n°. 1: 79-109. doi:10.1080/01639620600987491.
    McCleary, Richard, et Richard Tewksbury. 2010. Female Patrons of Porn. Deviant Behavior 31, n°. 2: 208-223. doi:10.1080/01639620902854985.

    Consuming sex…

    L’article que j’ai écrit avec le géographe Phil Hubbard est maintenant disponible sur le site du Journal of Law and Society. C’est sur “Wiley InterScience” et l’accès est payant, mais en ce moment, un accès gratuit pendant 30 jours après inscription est en cours.
    Il y a d’autres articles intéressants, sur le “mainstreaming” de l’industrie du sexe ou sur les danseuses de bars en Inde.

    Quelques interviews

    [Attention, publicité éhontée] Parler de mes travaux me fait plaisir, et c’est sans doute pour cela qu’on peut me trouver sur SecondSexe.com ou sur les sites d’étudiants en journalisme de Toulouse (actutoulouse.fr) ou de Marseille. J’accepte en général les demandes d’interview des étudiants (je n’ai eu qu’une mauvaise expérience, avec des étudiants d’une école parisienne, qui n’ont pas rempli leur part du contrat, m’envoyer le reportage vidéo qu’ils avaient fait).

    J’accepte aussi ce qui peut être considéré comme extérieur à la “valorisation”. Pour la deuxième fois en trois ans, j’ai été interviewé pour une émission de la chaine TPS-Star, “En attendant minuit”, diffusée en fin de soirée avant le film pour adultes.

    Les deux fois, j’ai été agréablement surpris par les journalistes venant filmer (1 et 2). Ma vanité est toutefois ici blessée par les reflets sur mes lunettes et par certains effets de mise en scène.

    J’ai aussi été filmé pour une émission de la chaine Direct 8, Business : l’interview s’est passée dans un magasin “pour adultes” du centre de Paris. Je ne sais pas encore ce que les journalistes ont gardé de mes paroles.

    Un petit panonceau indiquait, sur la porte d’entrée, qu’il était recommandé de ne pas photographier l’intérieur du magasin. Mais comme j’étais filmé, j’en ai profité pour prendre quelques photos et un petit film (voir plus bas). Autant poursuivre l’amusement jusqu’au bout et filmer ceux qui me filment.

    Une petite vidéo sans le son :
    [flashvideo file=”https://coulmont.com/ouordpress/wp-content/uploads/2009/12/direct8-business.flv” width=500 height=270 /]

    Cabines de sex-shops et impôts

    Un petit article paru dans la Voix du Nord a attiré mon attention : il parlait de masturbation payante et de nettoyage de cabines. Je me permets de le reproduire en grande partie.

    La patronne de sex-shop, les impôts et la pompe à fric
    samedi 16.01.2010, 05:05 – La Voix du Nord
    (…)
    Chacun connaît l’une des méthodes employées pour contrôler un restaurant. On compte le nombre de dosettes individuelles de sucre. Cela offre une idée de la masse de cafés consommés dans l’établissement et donc de repas servis. Et pour un sex-shop, quel mètre étalon ? (…)

    Dans la ligne de mire de la direction des services fiscaux du Nord, une dame de 46 ans, patronne, entre autres, d’une société gérant un sex-shop à Rouen et un autre dans le centre de Lille… Le fisc s’interroge sur des déclarations allant du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2005. Les contrôleurs finiront par faire preuve – comment dire ? – d’une certaine dextérité.

    Preuve par l’essuie-tout

    À Lille, la maison propose le confort de seize cabines et salon consacrés au visionnage de films X. Rouen ? Douze cabines et un salon… Rigoureux, les polyvalents se penchent… sur les chiffres présentés. Une comptabilité trop raide à leurs yeux. Selon les observations des agents du fisc, les cahiers présentés laissent figurer une fréquentation d’un client par jour et par cabine. Or, d’après des repérages – un testing ? – réalisés par les fonctionnaires, les lieux sont régulièrement pleins. « On fait même la queue », précise, presque sans sourire, un fin connaisseur du dossier. Qui, ici, jouera le rôle du sucre ? L’idée jaillira très vite. L’essuie-tout fourni au client, pardi ! Résultat : au regard des sommes présentées par la patronne, la consommation par client égale… neuf mètres de papier tendre.

    Pour redresser la commerçante, défendue par Gérard Frézal, du barreau de Rouen, le fisc, représenté par l’avocat parisien Jean-Marie Bouquet, se placera, lui, sur une base de deux mètres par client et réclamera plus de 120 000 € d’arriérés. Deux mètres par client ? Les impôts ne sont pas les seuls experts en redressement… Décision le 29 janvier. •

    LAKHDAR BELAÏD

    L’autre quotidien du Nord, Nord-Eclair a quelques autres informations :

    Quand le fisc s’intéresse au sexe, Publié le samedi 16 janvier 2010 à 06h00

    Aurélia C., 47 ans, s’occupe, comme le dit le président Jean-Marc Défossez, d’un « commerce de détail d’articles spécialisés dans le sexe ». L’établissement, vaste et bien connu des juristes puisqu’il jouxte une célèbre salle de ventes aux enchères, est établi rue des Jardins à Lille.
    Un autre établissement similaire est établi à Rouen et une succursale existait, au moment des faits, à Tourcoing. Mais elle a fermé : « Dans cette ville, un sex-shop, ça ne marche pas » souligne Aurélia C.

    Curieuses recettes des cabines

    Bref, la société « Carré Blanc », gérée par Aurélia C., son mari et son fils, se retrouve dans le collimateur de l’administration des impôts. Ce ne sont pas tellement les objets revendus qui posent problème mais plutôt une TVA trafiquée – c’est du moins la thèse de l’accusation – et les recettes curieuses des cabines où l’on peut visionner des films pornos.
    À Lille, par exemple, il existe 12 cabines pour les spectateurs isolés et un salon où l’on peut regarder les films de façon plus conviviale avec une amie.
    « L’administration, en divisant les recettes officielles par le nombre de jours ouvrables, a eu l’impression qu’on ne visionnait qu’un ou deux films par jour » résume le président Défossez. Comme le dit l’administration des impôts : « Le service a évalué les prestations d’après les quantités d’essuie-tout achetées et consommées ». Et là, la comptabilité des sex-shops de Lille et Rouen capote : 21 262 mètres d’essuie-tout ont été consommés en 2007, 28 350 en 2006, 21 262 en 2005.
    Bref, même à raison de 2 m d’essuie-tout par visionnage de film, base très large retenue par l’administration, on arrive à des totaux de films visionnés et payés bien plus importants que le nombre officiel. « Le vérificateur des impôts estime à 18 mètres la longueur d’essuie-tout utilisée en moyenne chaque jour » souligne le président. « Il faut tout de même prendre en compte les besoins du personnel qui utilise aussi ces torchons en papier » objecte la prévenue.
    Il n’empêche que la société est redressée singulièrement. La face cachée de la comptabilité est estimée à 67 000 euros et à 47 000 euros. Ce sont en tout cas les sommes exigées par Me Bouquet pour le fisc. Les magistrats ajoutent que, déjà en 2002, la même société a fait l’objet de récriminations similaires.
    Le procureur Didier Cocquio n’y va pas de main morte en réclamant 10 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende. Me Frézal, du barreau de Rouen, conteste les prétentions de l’administration. Prononcé du jugement dans quelques semaines.
    DIDIER SPECQ

    Les services des impôts ont donc mesuré la longueur totale des essuie-tout achetés par le sex-shop et estimé ensuite un nombre de clients annuels. Des sociologues verraient dans ces rouleaux de sopalin un “indicateur” — l’objectivation n’est pas leur monopole.
    Une chose n’est pas précisée dans les articles nordistes : à quoi servent ces feuilles d’essuie-tout ? Les cabines, dans lesquelles sont diffusées des films pornographiques, sont des lieux de masturbation et doivent être nettoyées régulièrement. Comme le disait une employée de sex-shop interrogée par Irene Roca Ortiz, “les hommes des fois, ben, ils sont maladroits, et ils visent pas là où ils devraient viser“.

    Mais ces cabines sont aussi des lieux honteux : personne ne protestera en ne recevant pas de ticket ou de reçu, ce qui permet assez facilement aux sex-shops de sous-estimer les recettes engendrées par ces dispositifs. Divers procès ont rappelé que la délivrance d’un ticket était obligatoire ou fortement souhaitée (voir aussi ce procès ou encore celui-ci)… et que, sans cette trace, il fallait pouvoir estimer le nombre de clients :

    pour reconstituer le chiffre d’affaires et le montant du bénéfice réalisé par la société MARATHON à raison de son activité de projection de films à caractère pornographique, le vérificateur s’est fondé sur la consommation électrique de l’établissement ; qu’il a déduit la consommation électrique liée à l’éclairage, au chauffage et aux travaux réalisés dans les locaux ; que le montant des recettes a été obtenu en déterminant, en fonction de la consommation électrique horaire de chaque cabine et du prix moyen horaire d’une projection, le nombre total annuel de projections

    source

    Mais je n’avais jamais entendu parler de l’objectivation par l’essuie-tout.

    « Ils sont de retour »

    Qui est de retour ? Les poppers : ces petites fioles vendues en sex-shops dont le contenu avait été interdit à la vente, en novembre 2007, par décret.
    Mélismes, sur son blog, retraçait début 2008 le processus ayant conduit à ce décret : la volatilité du droit.
    En mai 2009, le Conseil d’Etat annule le décret : une telle interdiction était excessive.

    poppers
    Pendant une bonne année, donc, les poppers ont été interdits à la vente. Les sex-shops ont du s’habituer à la perte de ce “produit d’appel” aux marges très intéressantes et qui occasionnait les visites de clients peut-êtres plus jeunes que les habitués.
    Jeunes ? Ce ne sont pas seulement les vendeurs qui parlent de jeunes consommateurs, “teufeurs” ou autres. Les enquêtes sur la consommation des “produits psychoactifs” ont repéré la consommation juvénile des poppers. Ainsi peut-on lire ce tableau dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire de mars 2008 :
    behmars2008
    source : Les usages de drogues des adolescents et des jeunes adultes entre 2000 et 2005. B.E.H., 25 mars 2008 / n°13.

    On le constate aisément : l’enquête repère ici que les poppers sont l’autre produit psychoactif le plus consommé [ne figurent pas, dans ce tableau, l’alcool et le cannabis]. En très bref, en 2005, à 17 ans, 5% des Français en ont déjà consommé (au moins une fois). L’intérêt de cette enquête, “ESCAPAD”, c’est qu’elle est reproduite régulièrement. En 2008, beaucoup plus de jeunes semblent avoir touché aux poppers : un peu plus de 13% déclarent en avoir déjà consommé. Thrill face à l’interdit ? Plus grande facilité de déclaration ? Influence de la tektonik ? [Cherchez l’hypothèse étrange.]
    poppers-ofdt-2009
    source : Les drogues à 17 ans – Résultats de l’enquête ESCAPAD 2008, OFDT, juin 2009.
    Les auteurs de l’enquête semblent perplexes devant une telle augmentation :

    Cela pourrait être en lien avec le changement de statut légal de ces produits dont la vente était contrôlée (limitée aux majeurs dans les sex-shops) avant d’être interdite en novembre 2007. Une soudaine augmentation de l’offre via une baisse des prix pour liquider les stocks des fabricants et des revendeurs autorisés n’est pas à exclure. De plus, la visibilité et la disponibilité de ces produits sont également croissantes sur Internet. En 2008, le poppers domine donc largement les expérimentations de produits psychoactifs illicites (…)

    Mais en 2009, ces produits ne sont (de nouveau) plus illicites…
    Et les sex-shops cherchent à le faire savoir : à part les abonnés du Recueil Lebon en effet, rares étaient les personnes au courant de la décision du Conseil d’Etat.
    L’on a vu fleurir, à côté des “Déstockage Massifs DVD Rocco Siffredi”, de petites affichettes : “Ici Poppers”. L’entreprise fabricant le “Sex Line” propose même une petite affichette pour les vitrines.
    poppers 2009
    On a peu parlé de ce retour du poppers… pour quelles raisons, je l’ignore. Que trouve-t-on ? Un article intéressant dans La Voix du Nord qui interviewe un sexshopiste :

    Il faut dire qu’avant le décret, sa boutique écoulait « en gros, entre quarante et cinquante flacons par mois. Ça se vend 12€ la bouteille, c’était un vrai manque à gagner. » Soit entre 480 et 600€ de perte tous les mois. Laurent était donc le premier surpris quand, en mai, le Conseil d’État a annulé le fameux décret. Une « très bonne nouvelle », assure-t-il.
    Rapidement, il affiche sur la porte du magasin une affiche qui dit : « Ici, vente de vrai poppers ». Le but étant de retrouver la clientèle perdue durant le temps de l’interdiction.
    source. Le vrai poppers est de retour, La Voix du Nord, (Arras), juillet 2009

    Et un autre article dans Sud Ouest qui développe l’idée selon laquelle l’interdiction a rendu le produit plus attractif.

    Après le décret ministériel, la quête du poppers devient un nouvel enjeu. À Bordeaux, comme ailleurs, la consommation progresse. (…) Franck, homosexuel bordelais, âgé de 35 ans raconte : « Le poppers était un produit un peu ringard il faut bien le reconnaître, à l’image du Viagra… Du fait de l’illégalité, il a gagné une seconde jeunesse. Une espèce de “revival”. Et surtout, nous n’avions aucun mal à en trouver.
    On entrait dans un sex-shop pour acheter du poppers, on nous répondait “vous savez que c’est interdit” et en général, on nous sortait une ou deux fioles de derrière les fagots. Le fameux stock à écouler… Il existait un trafic dans les bars gays (…) Et puis, les gens achetaient sur des sites Internet belges ou anglais à 20 euros la fiole, au lieu des 15 habituels.
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