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Quelques idées de cadeaux

En 1896 Charles Delbret, dit Claverie, est entendu par un juge, Monsieur Espinas. Claverie, en effet, ne vendait pas que des Bas élastiques pour varices, mais aussi des Appareils spéciaux pour l’usage intime des deux sexes. Et ça, ça pouvait parfois poser quelques petits problèmes, que la justice était chargée de résoudre.
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Et il éditait un catalogue. L’on y trouve quelques idées de cadeaux (pour elle comme pour lui, car, en 1896 déjà, les cadeaux étaient genrés).
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ou encore
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Je comprends qu’il soit difficile, à quelques jours de Noël, de commander par correspondance de tels jouets. Mais le magasin est ouvert ! (Même les dimanches et fêtes, car en 1896, on était socialiste moderne : pas de vacances, pas de congés payés, pas de sécurité sociale…)
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Et n’ayez pas peur, les “clients répondant à un sentiment fort compréhensible désir[a]nt ne pas être vus en rentrant chez nous” ont la possibilité d’utiliser une “entrée particulière”.
Les vitrines du magasin, en effet, suscitaient parfois l’amusement des passants, comme l’indique ce rapport de surveillance policière : « à différentes reprises on a pu constater que des passants s’arrêtaient devant sa porte et se montraient en riant des articles spéciaux en caoutchouc et en baudruche d’un usage trop intime pour être publiquement exhibés. »
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Des articles spéciaux en caoutchouc ? Comme ceux-ci peut-être : des “excitateurs”…
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Décidément, nos arrières-arrières-grands-parents avaient le choix au moment de Noël.
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S’il est compliqué de se déplacer jusqu’en 1896, il est toujours possible, aujourd’hui, de visiter la Maison Claverie, toujours située au 234 Faubourg Saint Martin.
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Source : Archives de Paris, D2U6 110, Delbret. C’est le travail de Maxence Rodemacq (L’industrie de l’obscénité. Commerce pornographique et culture de masse à Paris (1855 – 1930), Univ. Paris 1, dit. Kalifa) qui m’a dirigé vers ce dossier de procédure.

L’image christique et l’objet phallique

La jurisprudence est aussi une mise en récit. Voici une petite histoire, en provenance d’une Cour d’appel (à peine réécrite).

Le 19 janvier 2010, des agents de la police municipale, alertés par des locataires d’une maison de retraite, se rendirent dans un passage près de l’avenue… Il constatèrent que sur le bord intérieur d’une fenêtre étaient apposées des feuilles A4, visibles de l’extérieur, sur lesquelles était représenté un Christ en érection avec une main faisant un doigt d’honneur. Ils constatèrent aussi ce qui paraissait être une sculpture de sexe d’homme.
Les policiers sonnèrent à la porte, et le locataire, qui comprit rapidement la situation, déclara : “Je retire mes images de suite. Sachez que j’en ai envoyé au Président de la République et que c’est une atteinte à ma liberté d’expression”.

Le 4 mars 2010, les policiers se rendirent à nouveau à cette adresse (car le locataire n’avait pas répondu aux convocations)… et ils constatèrent que l’affiche représentant le Christ (en érection et faisant un doigt d’honneur) était toujours à la fenêtre.

Le 8 mars le locataire déclare aux policiers que petit un les objets inscriminés ne sont pas à la vue des passant “dès lors qu’ils ne regardent pas à ma fenêtre, et que moi, quand je marche, je regarde droit devant moi”. Et que petit deux il a retiré l’objet mais qu’il a “entièrement le droit de mettre un tableau, quelle que soit la représentation de l’œuvre. je ne vois pas où est le mal et la raison profonde pour laquelle je suis convoqué, je n’en vois pas l’intérêt.”

Le 7 septembre, c’est devant le procureur qu’il doit s’expliquer. Il nie avoir diffusé un message à caractère pornographique. Il a même soutenu que “ce que je crée, c’est de l’art et j’ai le droit de faire ce que je veux chez moi”. Le procureur demande une expertise psychiatrique, mais le locataire refuse de se rendre au rendez-vous de l’expert “lui adressant un long courrier pour expliquer son refus”. Un peu plus tard, réentendu par les policiers, il leur remet un texte destiné “à tous les parasites de la République, donc tous les politiciens, et à l’armée et leurs esclaves”.

En novembre 2012, le Tribunal correctionnel condamne le locataire.

En mars 2013, la Cour d’appel relaxe en partie le locataire. Je vais citer l’arrêt

“Le dessin représentant un Christ en érection que Monsieur a désigné aux enquêteurs comme un tableau, avait manifestement pour objectif de provoquer ses éventuels contemplateurs, notamment dans leurs conviction religieuses ou sociales, mais il n’était pas de nature à provoquer chez le plus grand nombre une excitation sexuelle ce qui est le but principal de la pornographie qui ne peut se confondre avec la vulgarité ou la laideur. Par ailleurs ce même dessin qui en représente pas une image dégradée de l’homme, mais détourne et dévalorise un symbole religieux fort, porte atteinte aux convictions morales et religieuses des spectateurs mais pas à la dignité humaine.
Quant à la représentation d’un sexe d’homme en plastique, que l’on peut appeler godemiché ou olisbos, qui se trouvait posée à côté du dessin lors des premières constatations, [le locataire] a implicitement reconnu qu’elle présentait un caractère pornographique, ce qui est incontestable puisque cet objet a pour seule fonction de provoquer et de satisfaire le désir sexuel, et l’a retirée à la première demande. [Le locataire] fait observer devant la cour que de tels objets ou de semblables, sont visibles en bien d’autres endroits que sur sa fenêtre, notamment dans des catalogues de vente par correspondance généralement accessibles aux mineurs. Cependant l’affichage en vitrine d’un tel objet, à la vue de l’ensemble du public, est prohibé en raison justement de son caractère pornographique.
En conséquence de ce qui précède, il y a lieu de réformer le jugement et de relaxer [le locataire] des fins de la poursuite en ce qui concerne le dessin représentant un Christ, en maintenant en revanche la déclaration de culpabilité pou la reproduction de sexe d’homme en plastique.”

[Cour d’appel, Angers, Chambre correctionnelle, 28 Mars 2013, texte de l’arrêt sur droitdesreligions.net]

L’image (christique) ne semble donc pas avoir le même statut que l’objet (phallique).

Cet arrêt a été remarqué dans La semaine juridique (13/01/2014, “Les sanctions pénales et civiles de la diffusion d’un message à caractère pornographique”, Jean-Yves Maréchal, p.46), notamment parce qu’il y a eu aussi des conséquences civiles. Dans une décision du 29 octobre 2013, la Chambre civile de la Cour d’appel d’Angers rend un arrêt dont je cite un extrait :

En effet, s’il soutient n’être pas l’auteur des graffitis dégradant l’immeuble, alors qu’il a adressé au maire de la commune des courriers de même teneur, [le locataire] ne peut contester l’apposition d’affiches représentant un Christ en érection, avec commentaires, collées, de l’intérieur de son logement, contre les vitres des fenêtres et les volets, et la pose d’un sexe d’homme sur le rebord de sa fenêtre ainsi qu’il l’a été constaté par les policiers municipaux, et qu’il l’a reconnu, le 19 janvier 2010 (pièce n°10), ‘Je retire mes images de suite. Sachez que j’en ai envoyé au président de la république et que c’est une atteinte à ma liberté d’expression‘. Un tel comportement dans un immeuble collectif de 3 étages, divisé en 4 appartements (pièce appelant n°4), dont il occupe le rez de chaussée, constitue bien un manquement à l’obligation d’user paisiblement des lieux loués, visée à l’article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989 , suffisamment grave, à lui seul, pour justifier la résiliation du bail en application de l’ article 1729 du code civil . La décision qui a prononcé la résiliation du bail et ordonné l’expulsion sera confirmée de ce chef.

Sex & fisc

La commission de déontologie de la fonction publique, qui, en 2009, avait trouvé incompatibles la fonction de vendeur de sex toys et celle policier, vient préciser sa jurisprudence, en rendant incompatibles les fonctions d’agente du fisc et de vendeuse de sex toys :

La commission a rendu un avis d’incompatibilité s’agissant de l’activité de vendeuse en « sextoys » que souhaite exercer, en cumul d’activités, un agent administratif des finances publiques, affecté au service des impôts des particuliers de Tarascon, dans la mesure où cette activité peut porter atteinte à la dignité des fonctions administratives, dès lors qu’elle s’exercera dans un périmètre local, l’intéressée étant dès lors susceptible de rencontrer des personnes avec lesquelles elle est en relation professionnelle (avis n° 11.A1883 du 14 décembre 2011).
source

Ce n’est pas la moralité qui est en cause, mais la “dignité des fonctions administratives”, que les canards et les vibromasseurs peuvent sérieusement écorner. Et, comme l’avis de la commission le précise, l’atteinte à la dignité administrative est appréciée “localement”. L’agente du fisc de Tarascon ne peut vendre à Tarascon, mais à Aix en Provence, peut-être…
[merci à Matthieu P.]
Ailleurs : sur le blog d’André Icard, avocat.

Pour servir à l’histoire récente de l’obscénité

Il y a quelques mois, le propriétaire d’un magasin parisien vendant des “sex-toys” a été condamné pour s’être installé trop près d’une école. Depuis le 27 avril, le magasin est fermé.
La société n’a donc pas arrêté, loin de là, d’être lieu de débats autour de la signification et des dangers des objets phalliques. Plus largement, parce que les objets sont souvent associés à un sexe plutôt qu’à un autre, ils prennent un genre qui n’est pas que leur genre grammatical. Un ouvrage récent aborde ce thème , Les objets ont-ils un genre ? (sous la direction d’Elisabeth Anstett et Marie-Luce Gélard), dans lequel se trouve un chapitre, que j’ai rédigé. Dans cet article intitulé “les économies de l’obscénité“, j’essaie de comprendre le traitement policier des “godmichés” à la fin des années 1960, quand ces gadgets pour adultes étaient fabriqués artisanalement, ou importés d’Allemagne, cachés dans des coffres de voiture et utilisés dans des films “faits-maison”. J’y décrit les différents circuits qui permettaient à ces objets de circuler : circuits matériels, et circuits de significations.
Les autres chapitres, de facture plus anthropologique, décrivent la jupe nationale du Laos, les cuillères, et, ce qui m’a bien intéressé, le “bleu de travail” (chapitre d’Anne Monjaret). Enfin, un chapitre de Bjarne Rogan décrit comme je ne l’avais jamais vu les sexualisations des collections et des modes de collectionner : une activité de femmes oisives collectionnant des timbres (XIXe siècle) devient une activité masculine, la philatélie, dotée de sociétés savantes… et excluant les femmes.

Faut-il toujours camoufler les sex-toys ? Un procès en 2012

Le jugement mis en délibéré, dans une affaire opposant une association catholique à un magasin vendant des sex-toys, sera rendu le 29 février 2012. Je publie donc ces lignes, écrites rapidement, quelques heures avant de savoir ce que la juge Florence Schmidt-Pariset écrira.

En 1987, une loi est votée qui interdit l’installation des sex-shops à moins de 100 mètres des établissements scolaires. En 2007, cette loi est modifiée : la zone interdite passe à 200 mètres et toute une série d’associations peuvent porter plainte contre des magasins vendant des « objets à caractère pornographique ».
Depuis 2007, donc, j’attendais le test judiciaire de cette loi, votée, promulguée, mais sans conséquences jusqu’à maintenant. Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’un test judiciaire aurait, un jour ou l’autre, lieu, étant donné que la “zone interdite” rend quasiment impossible l’installation de ces magasins en centre ville (comme le signale une carte réalisée en 2007).
Pourtant, depuis 2007, plusieurs magasins s’étaient installés qui vendaient, apparemment avec succès, des vibromasseurs, menottes en fourrure et autres godemichets, masturbateurs et boules de geisha. Comment expliquer l’absence de plaintes ? Il me semble que, assez souvent, diverses pressions suffisent à faire disparaitre les “sex-toys” du stock des magasins, ou alors, les plaintes n’accèdent pas à l’espace public, comme dans ce cas d’une boutique installée dans un centre commercial.
 
Mais…
 
Le 14 février 2011 vers 15h10, Robert O*, huissier de justice, pousse la porte du 69, rue Saint-Martin, à Paris, 3e arrondissement. Cet huissier répond à une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris datée du 11 février 2011, ordonnance qui fait suite à une requête déposée par deux associations catholiques.
L’une de ces associations est familière du recours à la justice civile et à un argumentaire séculier pour faire entendre ses revendications morales et religieuses, ayant tenté de faire interdire aux mineurs un festival de rock, le “Hellfest” (ou fête d’enfer).
La date du 14 février 2011 n’a pas été choisie par hasard : il s’agit de la Saint-Valentin, date investie, depuis quelques années, par les vendeurs de petites culottes, de dîners romantiques et de vibromasseurs. Les deux associations (la confédération des associations familiales catholiques et l’association CLER amour et famille) le savent fort bien : l’huissier pourrait, le 14 février, trouver un magasin spécialement décoré pour la Saint-Valentin (mais pas pour Valentin le Saint) et probablement visité par des personnes en mal de cadeaux romantiques, pour lesquelles la sexualité comporte une part “récréative”.

photo prise par l'huissier Robert O*
[Photocopie scannée d’une photographie prise par l’huissier]

 

L’huissier décrit ainsi sa visite :

Je remarque la présence de :
D’objets phalliques Gode Buster family (pour utilisation anale)
D’un livre intitulé sextoys for ever
D’objets phalliques, vibromasseurs, de couleur rose, « rabbit sexy bunny », en exposition singeant un pénis
Des boîtes incluant des objets phalliques « sweet vibe », avec à l’intérieur un dépliant qui doit être visiblement un mode d’emploi
D’objets phalliques « Diamond Vibe » de couleur et taille différentes
De coffrets « Nooki Toys – Jouets pour garçons » avec l’indication « accessoires de plaisir » incluant des objets coniques creux et objets en forme de grosses bagues
Exposition de phallus divers, singeant un pénis
Sur une autre étagère, je constate la présence d’une affiche sous la dénomination Tenga avec notamment les mentions « le must de la masturbation est là maintenant », parmi des appareils coniques portant la mention New Adults Concepts.
(…)
Sur une autre pancarte je lis l’indication « Flip hole le futur de la masturbation » avec en dessous l’indication Tenga à côté d’un objet à trois orifices.
Présence de lingerie féminine.
Sur un présentoir au milieu du magasin se trouvent divers objets forme phallique certains à double extrémité, plus ou moins incurvés, de différentes couleur et souvent roses.
Je remarque encore des boîtes plastifiées à l’enseigne Fun Factory avec nombreux appareils de forme phallique type vibromasseur légèrement incurvés, à extrémité en forme de gland, avec la marque G2 Vibes, ou encore d’autres boîtes plastifiées avec la mention (…)
(…)
Petites boîtes avec des menottes, avec l’indication « menottes, attache moi »
Sur un autre présentoir, je note la présence de menottes, de phallus divers.
Sur une autre étagère, sur une pancarte à l’effigie de la marque 1969, avec l’indication « Pour la Saint Valentin découvrez les produits Love to Love toys et cosmétiques 1969 » et au droit de laquelle se trouvent divers produits « gel excitant » « crème après fessée »
En partie droite, sur un présentoir en verre, je remarque encore des objets à forme phallique, des anneaux en plastique (…)

Je termine mes constatations vers 16h10 à l’intérieur du local en avisant Mme G* de mon intention de prendre des photos de la vitrine extérieure. En ressortant, je constate que le phallus de couleur rose visible par la vitrine de droite, par le troisième cœur, vu précédemment au début de mes constatations, a disparu »

Source : Robert O*, Procès verbal de constat, 14 février 2011, 6p.

Ce conflit ne devient pas public avant avril 2011, par le biais de divers articles (dont une dépêche AFP).
Fin juin 2011, une première audience fixe la date du procès. C’est la 10e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, et non pas la 17e chambre (qui s’occupe, habituellement, des délits en lien avec la presse), qui se retrouve en charge de cette affaire.

Toute la question, dans cette affaire, est celle de l’extension de la définition de la pornographie. Car le magasin est s’est bien installé, et ce après 2007, à moins de 200 mètres d’une école. Le conflit ne porte pas sur la notion d'”installation” ni sur la manière de mesurer la distance entre le magasin et l’école.

Mais la défense du magasin attaqué va soulever aussi d’autres points dans ses “Conclusions au fond” (le mémoire écrit déposé avant l’audience).

– L’absence de photographie des objets :
Depuis un arrêt de la Cour de cassation en 1970, les condamnations pour outrage aux bonnes mœurs notamment devaient décrire en quoi les images “étaient contraires aux bonnes mœurs”. La photographie des lieux et des objets (on le voit assez bien dans les “dossiers de procédure” conservés aux Archives de Paris) devient alors, dans le travail policier, une obligation.
Or dans le cas présent, l’huissier n’a pas fourni de photographie des objets, il a limité son constat à des descriptions rapides (“phallique”, “conique”…) et à la citation des notices.

En d’autres termes, écrit l’avocat de 1969, il ne pourrait être procédé à une condamnation globale d’objets — dont on ne sait d’ailleurs pas lesquels sont précisément visés par la poursuite — sans que ceux-ci soient précisément individualisés et qu’il soit statué sur chacun, après description de ce qui constituerait leur caractère pornographique.
Source : Richard M*, “Conclusions au fond”, janvier 2012

Suffit-il de décrire comme phallique des objets sachant bien qu’il est possible, depuis Freud, de voir du phallus partout ?

– L’insécurité juridique et la “prévisibilité de la norme”
La loi de 1987, dans sa version de 2007, crée une forme d’insécurité juridique. Insécurité urbanistique tout d’abord, car il est assez complexe de savoir ce qui relève de l’établissement d’enseignement (qui possèdent souvent des annexes sportives, des cantines…) ni à quelle distance précise le magasin se trouve. Dans le doute, abstiens-toi, conseillent certains avocats à ceux qui veulent ouvrir un magasin vendant des sex-toys. Cette insécurité ne peut pas ne pas avoir été recherchée par les députés ayant proposé cet amendement (fruit de plus de vingt ans de réflexions) : il s’agit de rendre compliquée l’ouverture de magasins vus comme nuisibles en centre ville.

Insécurité liée à la définition de la pornographie ensuite, et nous allons nous centrer sur ce point.

Jusqu’en 2007, la chose était plus simple (notamment grâce à deux décisions de justice en 2002). Les magasins visés par l’interdiction d’installation étaient les magasins dont l’activité “principale” était la vente de “publications interdites aux mineurs”. Ces publications, soit se présentent comme “interdites aux mineurs” (par exemple sur la jacquette ou la couverture), soit l’ont été, interdites aux mineurs à la suite du dispositif mis en place après la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (commissions de contrôle…). Il fallait de plus, avant 2007, que l’activité soit “principale” — pour que les vendeurs de journaux échappent à l’interdiction. Les députés avaient d’abord pensé à modifier d’une autre manière la définition : la première version de l’amendement parlait des “objets interdits aux mineurs”, mais les vendeurs d’alcool et de tabac ont vite protesté et ont imposé — en quelques heures — une modification de l’amendement. Leur syndicat professionnel est vif à la détente [l’absence de syndicat dans le cas des magasins de sex-toys n’aide pas…]. La version définitive de l’amendement mentionne donc les “objets à caractère pornographique”, et l’activité n’a plus besoin d’être “principale”.

Mais qu’est-ce que le “caractère pornographique” d’objets ? Si une jurisprudence existe concernant les représentations pornographiques, la justice ne s’est que peu penchée sur les vibromasseurs, les sex-toys, les boules de geisha, les masturbateurs, etc… et ces objets ne se présentent pas comme interdits aux mineurs (rien n’indique, sur un paquet de vibromasseur, qu’il est interdit aux mineurs).
La jurisprudence “godemiché” est très maigre et remonte au début des années 1970. C’est une jurisprudence problématique voire désuète aujourd’hui : le contexte était celui de l’outrage aux bonnes mœurs, notion juridique qui n’existe plus en 2012.
Une affaire semble plus proche que les autres néanmoins. Il s’agit de l’affaire “Top Life”, qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (résumé dans la Gazette du Palais, GP.1974.I.somm.114). Le texte complet de l’arrêt est maintenant disponible aux Archives de Paris.

Le point de départ est une condamnation pour “outrage aux bonnes mœurs” par la 17e chambre. Un groupe de personnes avait été arrêté pour avoir vendu une « bague en caoutchouc rose destinée à enserrer le pénis en état d’érection, (…) bague elle-même surmontée d’une “protubérance” de même matière se présentant sous l’aspect d’une grosse fraise granuleuse destinée à frotter le sexe féminin lors des rapports sexuels ». Etait également vendu une « autre version comprenant un vibrateur électrique incorporé dans la protubérance, relié par un fil à un petit boitier comportant une pile électrique et un rhéostat [permettant] de faire varier l’intensité dela vibration ».

La condamnation, en première instance, est justifiée à la fois en raison de l’usage ou la forme de l’objet, mais aussi sur la base de la notice [bilingue, en anglais et en allemand] qui l’accompagne.

AdP cote 2344W 27 – Tribunal correctionnel 31 janvier 1973 – 17e chambre
Attendu que l’emballage de l’appareil comporte une notice bilingue de mode d’emploi, que l’appareil ‘TOP LIFE’ destiné à accroitre le plaisir durant l’amour pour les deux partenaires est présenté comme excitant pour l’homme durant le rapport, que le coussin en caoutchouc (ou la protubérance) transmet le mouvement de l’homme fidèlement au clitoris et aux zones érogènes aidant la femme à atteindre l’orgasme, que la bague élastique du ‘TOP LIFE’ provoque un effet positif pour l’érection du membre masculin
(…) ces articles par leur forme particulière, par l’usage auquel ils étaient destinés, et qu’explicitait sans fard la notice bilingue d’emploi, sont manifestement destinés à favoriser l’esprit de débauche ou à éveiller dans l’imagination du public des idées malsaines ou dépravées

Pour la 17e chambre du Tribunal, en 1973, ce “Top Life” a une “forme particulière” et un usage explicité par la notice. Ce sont donc des objets outrageant les bonnes mœurs.
Mais la Cour d’Appel en jugera autrement.

AdP cote 2302W 25 – Cour d’appel de Paris, 11e chambre, 13 novembre 1973
Considérant qu’il apparaît dès lors que tout en se situant à la limite de ce que tolère la morale commune contemporaine, les indication (sic) fournies sur la fonction de l’objet incriminé comme le comportement suggéré par son emploi n’excèdent pas cette limite et ne sauraient suffir à constituer une cause de désordre pour la Société ; que cet objet ne présentant enfin dans son apparence aucun caractère outrageant pour les bonnes mœurs, il échet de constater que le délit relevé par la prévention n’est pas légalement établi.

Favoriser l’excitation et l’érection de l’homme ainsi que l’orgasme de la femme (et l’écrire) ne suffit plus à constituer l’outrage. Parce que cet arrêt a été résumé dans la Gazette du Palais, il n’est pas tombé dans l’oubli. Mais il est quasiment le seul dans son genre, et de plus le résumé de la Gazette ne permet pas aux juristes de prendre connaissance de l’entièreté de ce qu’écrivit la Cour d’appel. Et les juges, après 1973, cesseront de se pencher sur la qualification et la caractérisation des divers gadgets que l’on trouve alors dans le catalogue La Redoute, des magasins de farce et attrape, les arrières-boutiques de certains magasins de lingerie ou des sex-shops. Et cet arrêt date maintenant d’une petite quarantaine d’années. Et l’outrage aux bonnes moeurs n’existe plus. Autant d’éléments, donc, qui rendent moins important cet arrêt de 1973.

Mais l’objet qui ne constituait pas un outrage aux bonnes moeurs en 1973 peut-il devenir “pornographique” en 2012 ? Comment les avocats des deux associations catholiques vont-ils développer leur argumentation ?

Un “sex toy” est-il pornographique ?
pour les sénateurs, oui, cela ne semble faire aucun doute : lors de l’examen en commission de l’amendement modifiant la loi de 1987, ils mentionnent explicitement le lien entre “sex-toys” et “objets à caractère pornographique”. Cet élément indique quelle était l’intention de l’amendement : les débats parlementaires et les rapports des commissions du Sénat ou de l’Assemblée sont parfois pris en compte par les juges.

– pour les promoteurs des “love store”, non : tout leur travail a consisté à séparer les sex-toys de la pornographie, en ne proposant aucune représentation pornographique (au sens de représentation interdite aux mineurs)

– pour l’huissier la chose n’est pas très claire. On peut remarquer qu’il semble indécis concernant les objets, qu’il va qualifier de “phallique” ou même de “phallus” sans décrire ce qui le conduit à qualifier telle chose de “phallique”, telle autre de “conique”. Il va surtout s’appuyer sur les textes décrivant les usages possibles.

– pour l’avocat de CLER/CNAFC : la stratégie va consister à insister sur certains objets, décrits par le “gland” ou à partir de leur fonction de masturbation masculine, comme on peut le constater dans cet extrait de leurs “Conclusions au fond”

il apparaît aux parties civiles que, dans le contexte du magasin décrit par Me O*,

  • un objet simulateur de fellation (nommé deep throat c’est à dire gorge profonde) ou masturbateur, dont l’essence même est de se substituer à un partenaire en vue d’une jouissance solitaire…
  • …et dont la description explicite comment “le gland rencontre et repousse une surface en silicone qui vient l’enserrer jusqu’à l’excitation” et “deux moteurs extrêmement puissants vibrent par pulsation sous le gland et l’excitent jusqu’à son apogée”…
  • … “prive les rites de l’amour de leur contexte sentimental” et décrit “des mécanismes physiologiques”.
    Source : Henri de B*, “Conclusions au fond”, 2012

    Le recours à la citation des notices est nécessaire, les appareils masturbateurs pour hommes se présentant sous une forme de bouteille, comme le montre l’illustration ci-dessous :

    Mais avoir recours aux notices a pour effet de souligner, en creux, combien certains de ces objets, sans notice, sont anodins (leur destination n’apparaissant pas clairement). On remarquera enfin que l’accent est mis, en 2012, sur la masturbation masculine comme repoussoir. La description de la masturbation masculine, en des termes explicites, rompt le contrat de camouflage qui règle encore les descriptions de la masturbation féminine, présentée comme une forme de “massage”, et qui était souligné dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de 1973 précité (“les explications qui sont fournies par la notice bilingue sur son mode d’utilisation et sur sa fonction ne contiennent aucune description de l’accouplement pratiqué dans ces conditions ni aucune recommandation (sic) spéciale relative à l’accomplissement de l’acte sexuel lui-même“).

    C’est peut-être bien la rupture du contrat de camouflage qui fait de cette affaire quelque chose qui intéresse le sociologue.

    * * *
    Dans cette affaire, mon rôle n’a pas été simplement celui d’un observateur. Les divers documents rédigés par les avocats (ceux du CLER/CNAFC comme ceux de 1969) citent mes travaux (ce blog, mais aussi mon livre). Je n’ai aucun intérêt, ni dans une cause, ni dans l’autre. Quelle que soit la décision que prendra la juge présidant ce procès, Florence Schmidt-Pariset, mon bonheur sera complet : les sex-toys auront un début de jurisprudence.
    Et puisque j’en suis à parler de moi, je signale la publication prochaine de Les objets ont-ils un genre ? (dir. Anstett-Gessat et Gélard) dans lequel se trouve un chapitre sur les circuits de vente et fabrication du godemiché, dans les années soixante.

    Il en faut bien un…

    De Luc Boltanski j’apprécie particulièrement cette citation :

    Je pense qu’il y a actuellement un degré de professionnalisation et de spécialisation que je regrette. Vous avez des gens qui font une excellente thèse, par exemple, sur, je ne sais pas moi, sur les kinésithérapeutes par exemple et puis, ensuite, toute leur vie ils vont rester spécialistes des kinésithérapeutes et puis, quand il y a un drame chez les kinésithérapeutes, ils vont parler à la radio des kinésithérapeutes.
    références

    J’y pense à chaque fois qu’une journaliste m’appelle : de quoi le spécialiste est-il le nom ? Cette semaine, ce ne fut pas suite à un drame chez les kinés mais à un procès impliquant un magasin vendant des gadgets pour adultes. En 2006-2007, un groupe de députés a réussi à modifier une loi datant de 1987 interdisant l’installation des sex-shops à proximité des écoles, en étendant à la fois la zone d’interdiction, la définition des magasins soumis à la loi et celle des associations pouvant porter plainte contre ces magasins. Depuis 2007 donc, j’attendais le test judiciaire, la mise à l’épreuve de cette loi.
    En avril 2011, deux associations décident de porter plainte contre un magasin du centre de Paris. Le procès a eu lieu mercredi dernier, et quelques journalistes (ou assimilées) ont cherché à recueillir mon discours, ce qui a parfois donné à des propos retranscrits dans les articles suivants :

    Parce qu’un sociologue expert ès procès contre les marchands de sex-toys, il en fallait bien un.

    La commission de déontologie et le devoir de moralité

    policièreL’on attire mon attention sur le dernier rapport de la Commission de déontologie de la fonction publique dont rend compte Les Echos. De plus en plus de fonctionnaires veulent cumuler leur emploi avec une activité privée.
    Les petits salaires de la fonction publique (et leur hausse réduite) incitent probablement à rechercher un cumul d’activités. Mais c’est ce passage qui plus précisément a attiré l’attention de mon informateur :

    Le sujet du cumul public-privé est assez nouveau pour la commission de déontologie qui commence à étoffer sa jurisprudence. Les professions évoquées sont d’une extrême diversité : depuis la création d’une société d’ambulances jusqu’à celle d’une agence de détectives privés en passant par l’expertise en sciences criminelles, voire l’activité d’achat et revente de « lingerie dite fine et autres produits à connotation marquée ». Une activité incompatible avec les fonctions de gardien de la paix, précise la commission.

    Les fonctionnaires doivent être de bonne vie et moeurs : dès la fin du XIXe siècle, les candidats aux fonctions d’instituteurs doivent disposer d’un “certificat de bonne vie et moeurs”. Les enquêtes de moralité touchent aussi, si je me souviens bien, les facteurs et postiers. Encore aujourd’hui, un devoir de moralité s’impose « y compris en dehors du service : un fonctionnaire ne doit pas choquer par son attitude (alcoolisme, scandale public…), ni porter atteinte à la dignité de la fonction publique ». Fonctionnaires adultères, tremblez. [Je n’arrive plus à retrouver les références d’un texte qui étudiait le traitement administratif de l’homosexualité des fontionnaires.]

    La décision citée se trouve dans ce rapport de la séance du 8 juillet 2009 :

    Incompatibilité entre une activité d’achat et de revente, notamment, de lingerie dite fine et autres produits à connotation marquée, et les fonctions, exercées concomitamment, de gardien de la paix au sein d’une circonscription de sécurité publique : un tel cumul serait de nature à porter atteinte à la dignité des fonctions exercées par l’intéressé dans l’administration (avis n° A0480 du 8 juillet 2009).

    et dans le rapport annuel, 2009, page 57.
    Il me semble clair, ici, que les membres de la commission évitent d’utiliser le terme de “sex toy”, qui, après tout, est un anglicisme peu utilisé dans les rapports publics (sauf au Sénat, particularité de la Chambre haute certainement). Mais peut-être trouverait-on plus de précisions dans la requête déposée à la commission. Je n’ai malheureusement pas trouvé l’avis n°A0480 du 8 juillet 2009 qui répond à cette requête. Comment faire pour disposer du texte complet ? Demander à la CADA ?
    En tout cas Anne Lolotte va devoir vérifier la profession de ses représentantes-“ambassadrices”, ou du moins les avertir.

    Petit déplacement

    Cette affiche sur les phtalates, les sex-toys et les perfusions médicales, m’a amusé

    Plus d’informations ici [L’affiche semble avoir été produite par le “c2ds“]
    Il y a quatre ans, la revendication était différente : “Si les Phthalates sont interdits dans les jouets pour enfants, pourquoi ne le sont-ils pas dans les jouets pour adultes ?” se demandait Greenpeace.

    Liste de choses

    Il faut suivre, de près, le travail d’Eli, son ethnographie de Paris 8 et ses colloques décommunisés. Il faut aussi le suivre dans sa tentative de donner un sens à la production de thèses en sociologie.
    Faut-il savoir où se fabriquent les dernières poupées gonflables françaises (ça c’est de l’identité nationale, non ?)
    Il faudrait toujours se méfier des moines qui sentent le fromage, non ?
    Il faudra probablement acheter, ou photocopier, mon manuel si l’on veut suivre mon cours “Genèse des sciences sociales 2” à Paris 8. Mais est-ce éthique ? Le manuel correspond en partie à l’esprit du cours (disons, aux deux tiers), et j’ai bien envie de mettre à l’épreuve ce texte, afin de voir si, dans l’éventualité d’une deuxième édition, des parties doivent être réécrites, ou écrites entièrement. Mais demander à un public captif d’acheter le manuel, c’est un peu “limite”, non ?
    [Autre question “éthique” ou plutôt de pratique, concernant les droits d’auteur : pour celles et ceux qui en ont déjà reçu, les utilisez-vous comme identiques au “traitement” ou comme “fonds de recherche” ?]

    Technologies

    J’ai appris hier que Technology of Orgasm de Rachel P. Maines, un ouvrage sur l’histoire technique et médicale du vibromasseur, venait d’être traduit en français. Les éditions Payot publient en effet Technologies de l’orgasme. Le vibromasseur, l’« hystérie » et la satisfaction sexuelle des femmes.
    En 2004, j’en avais fait une présentation rapide, dans la revue Labyrinthe [PDF], appelant à une traduction en français.
    Le livre de Maines a été (avec Les Cadres de Boltanski) l’une des influences de mon livre sur les sex-shops, notamment en s’appuyant sur les sources les plus légitimes pour étudier un objet illégitime. A mon avis, cette manière de faire s’oppose, en sourdine, à des ouvrages qui, pour parler de sexualité, de genre, d’orientation sexuelle…, refusent la confrontation avec des matériaux empiriques.
    Mon compte-rendu sur Technology of Orgasm.