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Professions et couples de même sexe

Depuis que le Recensement ne recode plus le sexe du conjoint (ou de la conjointe) quand le couple est de même sexe, il est possible d’étudier ces couples de même sexe. Du moins une partie de ces couples. Dans le graphique suivant, on trouvera les professions où la proportion de couples de même sexe est élevée. Je différencie les professions par sexe, et ainsi les « Stewards » sont les hommes de la profession « 546d » (Hôtesses de l’air et stewards). Les « Ambulancières salariées » sont les femmes de la profession « 526e : Ambulanciers salariés ». Et attention, je ne calcule ces proportions que sur les personnes en couple (il n’y a pas 9% d’ambulancières en couple avec une personne de même sexe, il y a 9% des ambulancières-en-couple qui sont en couple avec une personne de même sexe).

Ce graphique a été créé à partir des données du « Recensement 2021, fichier détail, individus localisés à la région » de l’Insee.

Un prénom pour la vie (et aussi pour la mort)

Le Fichier des prénoms donne le nombre annuel de bébés ayant reçu tel ou tel prénom. Le Fichier des personnes décédées donne le nom, le prénom, la date de naissance et la date de décès des personnes décédées. Mettons-les en relation et regardons si tout le monde meurt au même rythme.

Mais le Fichier des personnes décédées ne nous donne pas les décès avant 1970. Examinons-donc la génération 1970. Je prends les 14 prénoms masculins et les 14 prénoms féminins les plus donnés cette année-là et, année après année, je compte les morts. Fin 2024, plus de 9% des Franck de 1970 sont déjà décédés. À comparer avec 3,8% des Florence. Les Florence (de 1970) décèdent moins vite : peut-être parce qu’elles sont à la fois femmes et plus souvent d’une origine sociale élevée. Les Franck de 1970, eux, meurent peut-être comme des hommes de classes populaires, plus vite que tout le monde.

Le graphique précédent a été composé en rapprochant deux bases qui, si elles sont toutes deux produites par l’Insee, n’ont pas la même origine. Le Fichier des personnes décédées n’est peut-être pas entièrement exhaustif pour le début des années 1970… Ne tenez donc pas compte de micro-différences, qui sont peut-être le produit d’erreurs.

Le code R ayant servi à produire le graphique est disponible sur github (en version brouillon, à vous de l’adapter).

Le goût, mesure de la position sociale

Les travaux sur les prénoms, dans les années 1980 et 1990, ont montré que des milieux sociaux différents (par le diplôme, l’origine nationale, le revenu, la profession…) choisissaient des prénoms tendanciellement différents (Besnard et Grange 1993; Lieberson 2000; Gerhards 2005). Pour prendre un exemple simple, les employés et ouvriers, au début des années 1990, choisissent plus souvent que les cadres de prénommer leur enfant « Jordan » ou « Cindy ». Mais le choix des prénoms est libre, il dépend du goût des parents, et l’on trouvera certainement des parents de tel milieu social choisissant, pour leur enfant, des prénoms plutôt associé à un autre milieu.
Cette relation entre caractéristiques sociales des parents et prénoms apparaissant relativement stable, quelques chercheurs ont tenté de « retourner » la relation. Il ne s’agit plus ici de repérer quel prénom est choisi par tel groupe, mais de repérer ce qu’ont en commun ceux qui choisissent tel prénom. Dans ces recherches, les prénoms servent à faire apparaître une « topologie sociale » qui n’est pas construite à partir des grandes catégories habituelles de description de la société (diplôme, revenu, profession…).
Il y a eu plusieurs tentatives en ce sens, depuis le début des années 2000.
Dès 2001, John Levi Martin (Martin 2001), en commentant Lieberson, écrit que si l’on repère une disjonction entre les prénoms choisis et ce qui est mesuré par le « SES » (statut socio-économique, en langage sociologique étatsunien), cela ne doit pas nous conduire à dire que les prénoms ne sont pas un bon indicateur, mais doit plutôt nous indiquer que « taste is a superior measure of social location », que le goût est une mesure plus précise de la position sociale. La fin de son papier est consacrée à un premier test de cette hypothèse.
Les autres études sont un peu plus récentes (Mateos, Longley, et O’Sullivan 2011; Bloothooft et Onland 2011; Bloothooft et Groot 2008) et s’appuient sur des méthodes sensiblement similaires (que l’on trouve à l’état d’ébauche chez J. Levi Martin).
Tous ont en commun de commencer par réduire la diversité des prénoms, qui sont très nombreux et souvent très rares. Cette réduction s’obtient en considérant que deux prénoms peuvent être socialement « proches ». Bloothooft et Groot choisissent de considérer comme proches des prénoms donnés fréquemment à des frères et sœurs : aux Pays-Bas, les Johannes ont « souvent » comme sœur des Maria, et les Kevin des Melissa. Les groupes de prénoms ainsi constitués sont associés à des différences sociales.
Quelques remarques très rapides :

  1. – faire du goût une chose importante pour la sociologie est « classiquement » bourdieusien, depuis La Distinction (Bourdieu 1980), dont il est inutile de répéter, pour les lecteurs de ce blog, le sous-titre ;
  2. – … mais : ces tentatives de recomposition de la topologie sociale s’inscrivent dans de nombreuses réflections portant par exemple, sur la pertinence des nomenclatures nationales comme les « CSP »/« PCS » ou internationales
  3. – … mais : ces tentatives cependant prennent comme acquis la recherche d’une forme de description qui s’attache au plus près des pratiques des individus (sans la médiation par des institutions quasi-juridiques ayant « investi » dans des « formes » stables, comme des nomenclatures)…

Indications bibliographiques

Besnard, Philippe, et Cyril Grange. 1993. « La fin de la diffusion verticale des goûts? (Prénoms de l’élite et du vulgum) ». L’Année sociologique 43: 269-294.
Bloothooft, Gerrit, et Loek Groot. 2008. « Name Clustering on the Basis of Parental Preferences ». Names: A Journal of Onomastics 56 (3): 111-163. doi:10.1179/175622708X332851. [lien]
Bloothooft, Gerrit, et David Onland. 2011. « Socioeconomic Determinants of First Names ». Names: A Journal of Onomastics 59 (1): 25-41. doi:10.1179/002777311X12942225544679. [lien]
Bourdieu, Pierre. 1980. La Distinction. Paris: Editions de Minuit.
Gerhards, Jürgen. 2005. The Name Game. Cultural Modernization and First Names. Londres (Royaume Uni): Transaction Publishers.
Lieberson, Stanley. 2000. A Matter of Taste. How Names, Fashions, and Culture Change. New Haven et Londres: Yale University Press.
Martin, John Levi. 2001. « What’s in a Phoneme? Comments on Stanley Lieberson’s A Matter of Taste ». Communication en congrès présenté à la Special session « Author Meets Critics », Eastern Sociological Society.
Mateos, Pablo, Paul A. Longley, et David O’Sullivan. 2011. « Ethnicity and Population Structure in Personal Naming Networks ». PLoS ONE 6 (9): e22943. doi:10.1371/journal.pone.0022943. [plus de précisions ici]

Quelques flux de mobilité

Je continue l’exploration commencée dans le billet précédent. Je regarde ici, à partir de quelques dizaines de millier d’actes de mariage au XIXe siècle, les professions de l’époux, du père de l’époux et du père de l’épouse. Ceci pour prendre en compte non pas seulement la mobilité “père–>fils”, mais aussi la mobilité “beau-père–>beau-fils”.
Les “flux” ne sont pas les mêmes.
Ainsi “l’employé aux chemin de fer”, plus que de raison, épouse une fille d’employé, mais il est lui-même fils de mécanicien. L'”avoué” est fils de “propriétaire”, mais il épouse une fille de “rentier”. Le garçon boucher est fils de boucher, il épouse la fille d’un marchand. Les serruriers “donnent” leurs filles à leurs partenaires de travail : aux mécaniciens et aux menuisiers. Les filles de terrassiers et de peintres choisissent des maçons.
Explorez le graphe en haute résolution

La proximité sociale

Comment savoir si deux professions sont “proches” ? Blum et Gribaudi, dans un article célèbre, Des catégories aux liens individuels [ci après B&G] s’appuient sur l’enquête “TRA” (enquête des “3000 familles” dirigée par Dupâquier) pour repérer une partie des proximités.
Aujourd’hui, cette enquête est accessible aux chercheurs — et j’en ai demandé l’accès dans le cadre d’une enquête en cours. J’ai reproduit, très rapidement, une partie de la méthode utilisée par B&G pour repérer des professions proches.
Ici, j’ai restreint ma recherche aux époux : je considère que deux professions sont en lien quand le couple (ProfessionA–ProfessionB) est au moins neuf fois plus représenté dans la base que dans une population qui se marierait “au hasard”.

Cliquez pour visualiser le graphe

Ce graphe, une première exploration, laisse voir des choses amusantes : Les domestiques agricoles, ouvriers agricoles et servantes s’épousent… et épousent des métayers/métayères, fermiers et fermières. Les ouvriers du fil (fileuse, tisseurs, teinturiers…) s’épousent en suivant la chaîne de production. Les employés et instituteurs voisinent avec les comptables, les boulangers et les négociants. [Les couleurs des étiquettes ont été déterminées par un algorithme de recherche de communautés, “walktrap”]