RATP vs. TARP
On peut prendre le métro tous les jours et s’ennuyer de la répétition des mêmes lieux… D’autres s’en amusent. Un groupe de chanteurs avait disposé des “moustaches poétiques” sur les affiches publicitaires, en novembre dernier : Alain Souchon, Audrey Tautou ou Tom Cruise se couvraient alors d’une petite moustache… La chercher dans les stations rendait le trajet divertissant.
D’autres encore commentent ou modifient les slogans omniprésents de la RATP. Des articles dans le Tigre [ce curieux journal curieux] essaient de saisir, mot par mot, la logique de la Régie. Des autocollants proposent aussi un commentaire, en détournant les messages institutionnels.
Cherchez l’erreur :
Il y a quelques jours, ces autocollants avaient investi la station “Jourdain” (ligne 11) et m’ont incité à écrire cette note informe et sans direction. Ils ne sont restés que quelques heures, les autocollants : les sous-traitants de la Régie chargés du nettoyage ont fait vite. Le “si vous repérez un contrôleur, parlez-en à votre voisin” est mon préféré : les contrôleurs de la RATP ont la mauvaise habitude de se cacher pour leurs contrôles (derrière le coude d’un couloir le plus souvent).
Dans son analyse des consignes, Le Tigre écrivait :
ETIQUETEZ systématiquement tous vos bagages. Oui, oui, oui. Sys-té-ma-ti-que-ment. (…) N’est-ce pas d’une utilité extrême ? CQFD). Tout colis suspect abandonné étant de toutes manières détruit, boum ! la question est la suivante : le gros sac à dos de Durand, Pierrette, Nice, sera-t-il détruit avec moins de suspicion dans l’oeil du démineur que le gros sac à dos anonyme ? [source— voir aussi le dossier la société du slogan]
L’un des grands problèmes de la Régie autonome des transports parisiens est la discipline des “usagers”. Les clochards et les sans-toits ne peuvent plus s’allonger, grâce au travail des constructeurs de mobiliers. Les enfants, on le sait, ont tendance à se faire pincer les doigts très fort. Il y a quelques années, la RATP n’infantilisait que les enfants. Cela donnait déjà lieu à des détournements (au moment même où des petits vandales — le mouvement anti-pub — déchiraient des affiches de publicité pendant leur temps libre) [voir aussi paranos, ensemble] :
Peut-on penser que le succès du lapin rose ait poussé la RATP à concevoir des messages similaires, mais destinés aux adultes ? L’on a vu récemment poindre des “bulles”, visibles depuis début 2009, qui incitent les voyageurs à “faciliter leur sortie” en “préparant leur descente” :
Et ce sont les “bulles” actuelles de la RATP qui ont excité les graphistes rebelles (notamment ceux qui se réclament du TARP).
Le choix d’une bulle n’est pas anodin car, dans la tête des créatifs, c’est une manière de faire dévier le contenu autoritaire (un message, une voix qui vient d’ailleurs, d’au-dessus) vers une forme plus «humaine». Ainsi, dans le cas du métro, les autocollants ont été collés à hauteur des têtes des usagers;
source : formes-vives.org
Mais les réactions sont souvent négatives, dénonçant le caractère “passive-aggressive” des messages. Palagret écrit :
Le message “Retenir les portes, c’est retenir le métro” cherche à culpabiliser le pauvre voyageur qui essaye d’entrer dans un wagon bondé. Le quatrième message “1 seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne” fait appel aux capacités mathématiques du voyageur et l’accuse carrément d’être responsable de tous les dysfonctionnements de la ligne 13.
Pascal Riché sur rue89 lit les “bulles” de manière identique :
voilà que ces petits panneaux arc-en-ciel (une couleur joyeuse pour faire passer la pilule ? ) viennent me dire : « Mais non, usager, c’est toi le responsable des retards. Tu ne prépares pas ta sortie, tu perds des précieuses secondes, tu retiens la porte pour tes copains… Alors ne vas pas te plaindre ! »
Les observateurs attentifs ont pu aussi remarquer l’opposition de certains voyageurs. Les photographies de Palagret (j’en reprends une ci-dessous) sont exemplaires :
Des groupes (ou une personne seule bien organisée) ont été plus loin : en reprenant la forme des messages de la RATP, ils en détournent le sens.
N’attendez pas le signal pour offrir un sourire… le texte fleur bleue rappelle les poésies légères que la RATP affiche quand la publicité pour “Wall Street English” fait défaut. Mais la série offre aussi un petit message “philosophique” (si l’on accepte que la philosophie soit un guide de bonne vie).
Un groupe, le TARP, est à l’origine d’une série plus complète de messages. Je n’ai pas réussi à trouver des informations concernant ce groupe, mais j’y vois des étudiants en arts graphiques. Plus directes, souvent méchantes, les bulles du TARP s’inspirent de la culture grolandaise : “Quand le signal sonore retentit, je cris Youpi !”… Je reproduis ci-dessous certaines de leurs bulles :
Fumer des gros joints facilite ma descente :
Photo prise chez BlogMichet.
Le détournement est réjouissant… Pascal Riché place en fin d’article cette photo (prise par Philon) :
NeverMindTheBolog a trouvé une belle bulle : “Une narine bouchée, du retard sur toute la ligne” (avec le “fumer des gros joints”, l’on distingue une source commune) :
La dernière bulle vient du blog de Sycomore :
source
Les détournements ont peut-être une vertu indirecte, celle de réveiller le sens critique. BanMwenColombo écrit, après avoir vu les nouveaux slogans :
Voilà ce qui m’interpellait et je n’arrivais pas à exprimer : ces messages de la RATP sont condescendants vis à vis des usagers du métro.
source
Les lectrices intéressées pourront trouver ailleurs d’autres photos (chez LaQuincaillerieDuCentre, F. Briand, CMoi – flickr, Paternoster et un message scatologique et photo chez MonsieurPoulpe).
Pourquoi consacrer du temps à ces petites images ? D’abord parce qu’elles m’ont amusé. Et parce que ce qui m’intéresse, au delà du salutaire appel au sourire, c’est surtout la combinaison du respect formel du design des messages de la RATP et d’une rébellion limitée à contredire les instructions officielles. Pas vraiment une rébellion, donc.