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Les écoles à Paris – les sex-shops à Paris

Dans trois jours, la Commission des affaires sociales du Sénat examinera l’amendement au projet de loi sur la protection des mineurs interdisant l’installation des sex-shops à moins de 200m des établissements scolaires. J’ai eu l’occasion d’en parler auparavant, et de signaler l’évolution juridique que cet amendement représente.
Mais ce qui m’intéresse est d’essayer de comprendre ce que représente cette zone d’exclusion autour des établissements scolaires. J’ai décidé de me concentrer sur Paris. On trouve, pas facilement, mais en cherchant un peu, une liste des établissements scolaires maternels, primaires et secondaires sur internet, avec leur adresse postale. La liste n’est pas complète, je n’ai trouvé que 930 établissements. Une fois convertie en table, cette liste peut être “géocodée” à l’aide de googlemaps [il y a plusieurs solutions : soit utiliser cet exemple de HTTP geocoding qui nécessite PHP 5 et mysql, soit utiliser http://www.mapbuilder.net/]. Le géocodage consiste à transformer les adresses postales en coordonnées “latitude-longitude”. Ca a l’air simple, mais j’y ai passé plusieurs heures. Inutile de préciser que des solutions payantes et plus rapides existent, mais je n’y ai pas accès de chez moi.
Il est alors possible de générer une googlemap des établissements scolaires parisiens :
Ecoles a Paris
La densité faible d’écoles dans les seizième et septième arrondissements m’étonne : soit ma liste de départ est erronée, soit je n’ai que les établissements publics et pas les établissements privés. Mais je pense que cela ne remet pas en cause ce que je cherche à montrer.
Car ce qui m’intéresserait serait de pouvoir montrer que ce nouvel amendement aura pour conséquence l’impossibilité d’implantation de tout nouveau sex-shop à Paris. Ou alors de ne laisser libres que certains petits quartiers, comme pourrait le montrer cette carte fictive :
Carte fictive - 200m ecoles
L’on se retrouverait alors avec un résultat pervers : les députés et sénateurs contribueraient, par leur action, à la concentration des futurs magasins dans certaines zones, de petits réduits d’immoralité.
Plus généralement, ce “zonage inverse” est bâti sur l’établissement de zones protégées autour des écoles, que l’on pourrait sans doute appeler des zones morales. Dans la tradition de sociologie urbaine de l’Ecole de Chicago, l’étude de telles zones revêt son importance, mais est moins centrale, finalement, que l’étude des zones “démoralisées” ou vues comme telles — zones pauvres, quartiers noirs, quartiers de prostitution, ghettos. Et ces zones démoralisées naissent a priori du rassemblement de personnes partageant les mêmes caractéristiques.
Avec ce que je cherche à montrer, le processus est un peu différent : c’est la moralisation forcée de certaines zones urbaines qui donnerait naissance aux quartiers “rouges”, et pas le partage de caractéristiques essentielles.
Reste, bien entendu, à souligner, en conclusion, que je n’ai pas encore montré ce que je souhaite : je ne sais pas vraiment ce que donnera la représentation spatiale de l’interdiction, à moins de 200m des écoles, des magasins vendant des “objets pornographiques”.
 
Sur les sex-shops, je rappelle l’existence, encore virtuelle de Sex-shops, une histoire française (sortie le 20 avril 2007)…

Mise à jour (lundi 10h30 et mardi) :
Deux cents mètres de rayon représentent une distance moins importante que ce que j’imaginais — du moins à l’échelle de Paris. Voici donc une première cartographie représentant la zone de 200 mètres autour des écoles :
Carte version 01 - 200m ecoles
Si mes calculs sont bons, et si mes sources sont bonnes (ce dont je ne suis pas certain), il restera aux sex-shops “plein” de place où s’installer, du moins à Paris… En effet, les parcs et jardins (Rivoli, Luxembourg, Monceau, Buttes Chaumont…) restent libre. Les gares et voies ferrées aussi (Nord du 18e arrondissement, Est du 17e arr., …). Les “grands établissements publics” (ministères dans le 7e, Tour Eiffel) ainsi que les zones de bureaux seront fortement accueillants !
Carte version 01 – Les Ecoles et leurs deux cents mètres [au format PDF].

Des commentaires ?

Zonages et sex shops : où se trouvent-ils ?

Pas n’importe où, très certainement.
La politique new-yorkaise, rappelle cet article récent du New York Times intitulé Sex Shops Expect the Other Stiletto to Drop, est basée sur une description précise de ce que constitue un magasin pour adultes et sur les endroits où ils peuvent s’installer :

sex shops are banned from residential and most commercial zones. They are allowed in industrial zones and some commercial ones, including parts of Eighth Avenue, the garment district in Midtown, and the West Side of Manhattan. But there is a catch: No sex shop may sit within 500 feet of another such business, of a zone from which they are prohibited, or of “sensitive receptors” like schools or houses of worship

C’est que, dans le cas de New York comme ailleurs aux USA, les régulations sont laissées dans la grande majorité des cas au pouvoir municipal. A New York, c’est la Zoning Resolution (Article IV, Chapitre 2) du Department of City Planning qui précise les implantations autorisées :

42-01-a : Adult establishments are not permitted in a Manufacturing District in which residences, joint living-work quarters for artists or loft dwellings are, under the provisions of the Zoning Resolution, allowed as-of-right or by special permit or authorization. […]
42-01-b : In all other Manufacturing Districts, no adult establishment shall be established less than 500 feet from a house of worship, a school, a Residence District, a C1, C2, C3, C4, C5-1, C6-1, C6-2 or C6-3 District, or a Manufacturing District, other than an M1-6M District […]
42-01-c : No adult establishment shall be established less than 500 feet from another adult establishment. […]
42-01-e : Adult establishments shall not exceed, in total, 10,000 square feet […]
Sources : New York City, Zoning Resolution, Chapiter IV, Article 2.

Les justifications de ces zonages importent. Un article assez intéressant, écrit par un groupe d’universitaires américains nous renseigne [Linz, D., Land, K., Williams, J. Ezell, M. & Paul, B. (2004). An Examination of the Assumption that Adult businesses are Associated with Crime in Surrounding Areas: A Secondary Effects Study in Charlotte, North Carolina. Law and Society Review, Volume 38, Number 1, pp.69-104, DOI : 10.1111/j.0023-9216.2004.03801003.x]
Aux Etats-Unis, c’est la question des “effets secondaires” de l’implantation des “commerces pour adultes” qui est au coeur, car c’est en vertu de ces effets secondaires supposés (hausse de la criminalité, effondrement du marché immobilier…) que des interdictions d’implantation de sex shops et autres topless theatres peuvent être promulguées (d’où des études municipales). Interdire en fonction du contenu (nudité, actes pornographiques…) serait considéré (et l’a été) comme une atteinte à la liberté d’expression :
Sur la base des “effets secondaires”,

In City of Los Angeles v. Alameda Books, Inc., et al., the [U.S. Supreme] Court maintained that it was “reasonable for Los Angeles to suppose that a concentration of adult establishments is correlated with high crime rates because a concentration of operations in one locale draws, for example, a greater concentration of adult consumers to the neighborhood, and a high density of such consumers either attracts or generates criminal activity.”

Mais il faut aussi, depuis cette décision du début des années 2000, que ces effets secondaires soient prouvés par des méthodes méthodologiquement correctes, d’où l’arrivée de la science sociale dans l’affaire (c’est en 1993 que la Cour, dans l’affaire Daubert v. Merrell Dow, 509 U.S. 579 (1993), avait précisé ce qu’elle entend par méthodes reconnues).
L’article cité ci-dessus s’inscrit dans une telle démarche, et ses conclusions s’opposent à l’idée même des effets secondaires de la présence des “adult businesses” (en l’occurrence, pour leur étude, des bars-à-seins-nus) :

[W]e asked: once variables known to be related to crime events suggested by social disorganization and routine activities theories have been taken into account, does the presence of an adult business in a localized area increase the concurrence in space and time of offenders motivated to commit crimes together with suitable targets for the crimes in the absence of guardians capable of preventing or deterring the crimes? We found that, at least in Charlotte, North Carolina, it is not the case that the presence of an adult nightclub increases the number of crime incidents reported in localized areas surrounding the club as compared to the number of crime incidents reported in comparable localized areas that do not contain an adult nightclub. Indeed, the empirical data and analyses reported above imply the opposite, namely, that the nearby areas surrounding the adult nightclub sites have smaller numbers of reported crime incidents than do corresponding areas surrounding the three control sites studied.

Les auteurs tentent d’expliquer que l’absence d’effet criminogène a deux origines. C’est parce que ces établissements se sont banalisés et rapprochés du monde commun du commerce respectable (et la recherche du profit impose une forme de stabilité), et c’est aussi parce qu’ils sont extrêmement surveillés et qu’une forme de “civilisation” forcée leur a été imposée. Autocontrainte et contrainte imposée vont ici de pair.
En France, beaucoup moins de débats apparents, et les municipalités ont peu de marge de manoeuvre. Une loi nationale, l’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 qui régit les choses (et elle a été l’inspiration d’autres projets de loi “anti-racolage passif” qui tentent d’inclure les lieux de culte à l’ensemble formé par les écoles).
Citons cet article :

LOI n°87-588 du 30 juillet 1987, Article 99
Modifié par Loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 art. 284 (JORF 23 décembre 1992 en vigueur le 1er mars 1994).
Est interdite l’installation, à moins de cent mètres d’un établissement d’enseignement maternel, primaire ou secondaire, d’un établissement dont l’activité principale est la vente ou la mise à disposition au public de publications dont la vente aux mineurs de dix-huit ans est prohibée. L’infraction au présent article est punie de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende.
Pour cette infraction, les associations de parents d’élèves régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile.

Il semble donc bien que sex shops et peep shows ne puissent s’installer à trop grande proximité des écoles sous peine d’une action en justice de la part de la PEEP. Cette contrainte spatiale transforme l’entrepreneur en membre de l’OuGePo – l’Ouvroir de Géographie Potentielle : le lieu X est-il à moins de 100 mètres d’une école ? Le sex shop suivant, situé rue de la Gaité à Paris, l’est :

Mais à Lyon, en 2002, l’installation d’un tel revendeur de sex toys et de vidéos pornographiques (dans le quartier de Monplaisir – sic-) avait été jugé suffisamment importante par TF1 pour qu’un reportage (au format .mov Quicktime) y soit dédié (le reportage est aussi accessible sur http://hautdebit.tf1.fr/ ).
S’il faut en croire L’Humanité (en forme papale ce 10 juin 2002) cette loi est toujours jugée valable :

Pas de sex-shop pour Jean XXIII
Il fallait être représentant d’une firme suédoise pour oser imaginer installer un sex-shop sur le boulevard Jean XXIII, à Lyon, dans le quartier de cinq établissements scolaires fréquentés par 4000 élèves, et à moins de cent mètres d’une école maternelle et d’un lycée. Le tribunal de grande instance de Lyon a donc jugé, vendredi, l’initiative illicite. Le propriétaire réfléchit à une nouvelle définition de son activité.

MISE A JOUR : En juin 2005, le juge des référés du Conseil d’Etat a modifié la jurisprudence. Un sex shop de la ville de Houilles a été interdit.
Mise à jour du 22 février 2007 L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 a été modifié en février 2007 : l’interdiction d’installation est de deux cents mètres, et la définition des sex-shops change. Pour plus d’informations, consulter cet article.