naturellement romanesque.
" Les délices perdues ont l'âge du souvenir. "
Béatrice Didier
Christian Baudelot se réveilla en sueur. Il avait crié. Joséphine, sa femme, lui dit :
" Christian, que se passe-t-il ?
- Rien Jo, rendors-toi... Ce n'est rien... "
Mais lui, Christian, ne pouvait pas se rendormir. Il savait que le cauchemar recommencerait.
" C'est l'inverse de cette Europe de progrès social, de paix et de prospérité que nous voulons. "
Tract du PCF intitulé Sept mois après, décembre 1997.
Monsieur Baudelot était directeur du département de Sciences sociales de l'ENS. Grand sociologue un peu voûté - grand voûté peu sociologue, disaient, perfides, ses ennemis -, il dirigeait un laboratoire de recherche, des étudiants, des chercheurs confirmés... Et, de sa jeunesse, il gardait le sourire éternel des espoirs illicites. Même s'il était difficile, sous sa barbe grise, de distinguer ce fameux sourire.
Jeune, Christian, qui avait quelques kilos en trop, tentait de les perdre à la sortie des usines, avec son fidèle Roger (Establet, 1964), en se faisant refouler par des communistes qu'en tant que maos, ils abhorraient. Cette surcharge pondérale n'avait pas fait que nuire à notre héros. Il se constitua une carapace, que bien peu arrivèrent à percer.
Il rencontra Joséphine au Bal de l'ENS. Joséphine, illustre héritière (Bourdieu, 1964) des savons Glux, fondit littéralement d'amour pour ce bibendum aux cheveux noirs d'ébène... Ils partirent en voyage de noce en Finlande... Et c'est là que l'engrenage.
Leur voyage de noce devait durer un peu plus d'une semaine, neufs nuits, pour être précis. C'est le dernier jour, alors que Joséphine rendait visite à une de ses amies, Béatrix Nakkonen, que Christian rencontra l'homme fatal, en la personne de Glokmak Vakkonen, taupe du KGB. Les conditions du recrutement de Christian par le KGB sont encore aujourd'hui bien obscures : appât du gain ? épargne de précaution ? tentative de réformer de l'intérieur une institution qu'il ne portait pas dans son coeur ? Nul, vraiment, n'a la réponse à cette question.
Toujours est-il que Christian devint une taupe. Il resta en sommeil plusieurs années, recevant ses instructions par téléphone, ou par lettre, ou par son boucher. Toujours, ces mêmes mots : " Rien à signaler. Glokmak. " Sa femme n'en savait rien. Il valait mieux qu'elle ne sache pas. Pour elle. Pour sa santé mentale, se disait Christian.
Une fois, il avait tenté de tout lui dire :
" J'ai été recruté par le KGB, je suis une taupe révolutionnaire.
- Pour moi, tu seras toujours mon gros nounours, lui répondit Joséphine. "
Il faut dire qu'il n'y avait pas mis beaucoup de sérieux.
Un jour, le KGB leur offrit un voyage en Thaïlande. C'était à la fin des années 1970. Christian y reçut un entraînement de ninja, devint tireur d'élite... pendant que Joséphine, sa femme, visitait les merveilles architecturales thaïlandaises. Baudelot, sous le nom de Chichon, devint un informateur du KGB. Il envoyait à l'ambassade d'URSS des tirés à part microfilmés, ne pouvant guère faire plus. Ses supérieurs directs l'estimaient.
L'effondrement du bloc de l'Est, la découverte de l'horreur communiste en acte, la chute de l'odieux mur de Berlin, la découverte de la liberté par des peuples qui avaient dû subir pendant plusieurs génération le joug stalinien... fut pour Christian une source d'inquiétude. Et si jamais le monde entier découvrait que les Russes possédaient la Revue Française de Sociologie dans son intégralité ?
Mais il y avait pire.
Le lendemain matin, dans le bureau de Stéphane Guyard, directeur de l'ENS...
" Anne-Marie, m'avez-vous apporté mon café ?
- Non monsieur Guyard, j'arrive... Il y a quelqu'un...
- Pouvez-vous vous dépêcher, Anne-Marie, savez-vous que je n'ai pas que ça à faire... Tant que vous êtes là. Où avez-vous mis le dossier du Nouvel Immeuble Rataud ?
- Mais je viens de vous l'apporter, monsieur Guyard.
- Non, Anne-Marie, non. Allez me le chercher.
- Mais je vous l'ai apporté... Et puis, il y a un él...
- Allez me le chercher, Anne-Marie, vous voulez bien ?! "
Et Anne-Marie repartit dans l'antichambre. Elle retomba sur Christophe MacAbiaut, qui attendait.
" C'est bon, Anne-Marie, vous aviez posé la tasse de café sur le dossier. Il est là.
- Monsieur Guyard, cria Anne-Marie, il y a un élève qui voudrait vous voir...
- Quoi ? Mais où avez vous la tête, Anne-Marie, vous savez bien que les élèves passent avant tout. Faites le entrer. Anne-Marie, mais pourquoi l'avez-vous fait attendre ?!
- C'est Monsieur MacAbiaut.
- Je ne suis pas là. Anne-Marie, dites-lui que je ne suis pas là ! "
Mais il était trop tard, Christophe était déjà entré dans le bureau de Guyard.
" Ah, vous êtes déjà là, entrez monsieur MacAbiaut... Je n'ai que très peu de temps à vous consacrer, j'ai rendez-vous au ministère, pour le NIR. "
Guyard rangeait déjà son dossier dans une mallette, et demandait à Anne-Marie de prévenir son chauffeur, un faux beau d'un petit mètre soixante-dix qui fumait des cigarillos et rêvait de téléphone portable. Le directeur demanda au détective la raison de sa visite.
" Oh, rien, visite de routine, pas de meurtres ? Pas de disparitions louches, pas de détournements de fonds... si tout va bien, je vais vous laisser. Je passais comme-ça et je me demandait si tout allait bien, c'est tout. Mais apparemment, tout va bien. N'est-ce pas ? dit Christophe en sortant du bureau de Guyard. Il referma la porte et attendit derrière.
" Anne-Marie, pouvait entendre Mac, combien de fois je vous ai dit de m'annoncer clairement les visites de MacAbiaut. Ce n'est pas un élève comme les autres, c'est une imposture intellectuelle, c'est une fouine...
- Mais monsieur Guyard, c'est un élève, regardez la liste des élèves, c'est un élève.
- Eh, tu fais quoi ? rugit une voix derrière Christophe, qui se retourna. "
C'était Recsonat, le chauffeur, costard, bien rasé, aftèrchévé, qui finissait un cigarillos en montant, quatre à quatre, les marches qui menaient au bureau de Guyard. Rien, je refaisais mes lacets, répondit Christophe, qui, il ne savait pas très bien pourquoi, se méfiait de l'homme à tout faire de Guyard. Mac descendit les escaliers. Il avait vu ce qui l'intéressait. Dans le bureau de Guyard, à côté de la machine à créer des mouvements aléatoires et des cacahuètes grillées dont raffolait le directeur, Mac avait pu lire, sur un dossier, le sigle du ministère de la défense. Il ne s'était pas trompé. L'homme qu'il avait vu entrer et sortir de l'escalier menant au bureau du directeur était bien un agent de la DST. Il fallait qu'il garde le secret. Mais s'il le disait juste à Anne, cela ne comptait pas. Anne aurait sans doute une explication à cet étrange phénomène.
Justement, il savait que Anne était en ce moment dans la thurne de jour du Jaune, qu'elle y était sûrement seule.
" Salut Anne.
- Salut Mac. J'ai passé une journée affreuse...
- Il n'est que onze heure, Anne.
- Hier. Une journée affreuse hier...
- Je pense que j'ai quelque chose qui peut t'intéresser : une nouvelle aventure en préparation.
- Ah, non, ça je peux pas, je suis agrégative, moi.
- Attends, lettres-modernes, c'est pas...
- C'est pas quoi ?
- Ben Alex Sourisgourdin il l'a eue, quand-même, et Margot Zidi, elle a le temps de s'occuper du ciné-club. Alors toi, t'as bien le temps de t'occuper un peu de sauver le monde... et l'ENS.
- Parlons-en, de tes aventures ! Ca fait un an que tu viens, régulièrement, me proposer des aventures, et je te rappelle que, les cinq dernières étaient un peu mollassonnes : quand tu as cru que le vaguemestre, Scrogneugneu, voulait assassiner Mme Palacin ? quand tu as défoncé la porte de la thurne de Julie Meuhmeut parce que, selon toi, elle parlait avec les morts, alors qu'elle était juste en train de...
- Oh, ça va, ça, je m'en souviens.
- Eh, ben, heureusement, c'est le seul moment où il y a eu du sexe, dans tes aventures. Et encore, t'étais pas vraiment concerné.
- Quoi, tu veux du sexe ?
- Pas moi personnellement, mais c'est vrai que les aventures de MacAbiaut, niveau cul, c'est pas hyper développé. D'ailleurs, Charlotte, dans sa dernière lettre... "
C'est à ce moment là qu'entra un des autres occupants de la thurne, Benni, devant qui il fallait un peu garder le secret.
" Vous parliez de cul ? demanda-t-il.
- Non, pas moi, Anne surtout, dit Christophe en jetant un regard noir à Anne, qui le lui rendit fort bien.
- Oh, je vois que l'ambiance est au beau fixe, remarqua intelligemment Benni, qui avait l'habitude des passes d'armes entre Christophe et Anne. "
Christophe préféra sortir et continuer seul son enquête...
" Je suis la mesure des choses. "
Baptiste Coulmont, Comment je suis devenu prix Nobel, Tome 2, p. 824
Christophe avait décidé de mener cette enquête méthodiquement. Il tenta donc de récapituler ce qu'il savait. Pas grand chose : alors qu'il attendait, dans l'Aquarium, que le téléphone public se libère, il avait vu entrer, et se diriger très rapidement vers le bureau de Guyard, un homme, d'environ 1,80m, les cheveux courts, grisonnant, avec une tête d'astronaute américain, et qui marchait sans bruit. Ce détail attira l'attention de MacAbiaut : lors de ses cours de reconnaissance auditive, en maîtrise de Sciences détectivales, à Jussieu, il avait appris à distinguer les démarches spionitives entre elles : et, là, il avait un cas parfait de démarche d'espion de la DST. Un cas d'école.
C'est pourquoi notre détective fut intrigué. Il attendit que ressorte du Bureau du directeur de l'ENS son suspect, écouta plus précisément sa démarche et fut convaincu : selon toute vraisemblance, il ne pouvait s'agir que d'un membre haut placé de la Direction de la Surveillance du Territoire. C'est pourquoi il alla sonner chez Guyard, tenter de comprendre ce qui se tramait. En presque trois ans de présence à l'ENS, jamais il n'avait eu à faire à la DST. Certes, il avait eu à retrouver des criminels, des tueurs, des fous... mais jamais ses protocoles d'enquête ne s'étaient retrouvés nez à nez avec des espions. C'est cela qui, pensait-il, faisait l'intérêt de ce qui se présentait comme une nouvelle aventure. Il fallait absolument qu'il fasse en sorte que Anne change d'avis et le rejoigne.
Il fallait en effet jouer serré : si quelque chose se passait dans l'Ecole, si la DST était au courant, tout laissait à penser que le risque à courir était grand. Mais cela ne faisait pas peur à notre détective. Il avait appris à aimer le danger.
" J'aime le danger, disait-il en effet à Anne.
- D'accord, mais j'ai une version latine pour demain, lui rétorqua-t-elle.
- C'est pas vrai, tu l'as faite avec Margot tout à l'heure.
- OK. t'as raison, mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse, ce soir. On ne peut rien faire, tu l'as dit toi-même, tu ne sais rien.
- PRESQUE rien. Je sais que le mec de la DST a apporté à Guyard un dossier. Il doit y avoir quelque chose d'intéressant dans ce dossier.
- Tu veux qu'on aille fouiller dans le bureau du directeur !? "
La nuit était très sombre, ce soir là, rue d'Ulm. Mac et Anne revenaient de Jourdan, où habitait cette dernière, et ils rentraient dans l'Ecole. Le concierge de service les regarda d'un oeil soupçonneux. Il avait appris à se méfier de MacAbiaut.
Dans l'Aquarium, pas grand monde. Ils attendirent un moment. Quand le lieu fut vraiment vide, ils montèrent vers le bureau de Guyard. Il fallait être silencieux. Les appartements privés du directeur n'étaient pas bien éloignés de son bureau. Et même s'il dormait en ce moment, son sommeil était réputé léger. Christophe sortit son passe partout et ouvrit, lentement, la porte. Anne râlait :
" Pourquoi je suis là, mais pourquoi je suis là !? J'ai rien à faire ici.
- Chut ! "
Ils entrèrent dans l'antichambre, qui servait à Anne-Marie, la secrétaire dévouée du directeur, de bureau. Son ordinateur était encore sous tension, il ronronnait très doucement. En face, la porte du bureau de Guyard, à droite, une porte qui menait vers le salon du directeur. Il y avait de grandes chances pour que le dossier se trouve dans le bureau et pas dans le salon. Au pire, ce dossier était dans le coffre du directeur, mais Mac était au courant de la combinaison[1], et il ne pensait pas qu'elle eût changé récemment. Le Détective, aidé de Anne, ouvrit donc la porte menant au bureau de Guyard. Ils voulurent y entrer, mais Mac, l'oreille aux aguets, s'immobilisa. Il attendit que son oeil s'accommode à la pénombre. Sur sa peau, il sentit comme un souffle... comme si quelqu'un était aussi dans cette pièce. Une odeur lui chatouillait les narines, un mélange de cacahuètes grillées, de vieux champagne, de moquette propre. Il se passa la langue sur les lèvres, comme cherchant à capter l'élément qui lui manquait... Son sixième sens lui disait de ne pas bouger, d'attendre, sagement. Mais Anne n'en pouvait plus.
" Alors, qu'est-ce qu'il y a ?
- Chtt, lui susurra Mac. Il y a quelqu'un dans cette pièce. Ah ! chuchota-t-il. C'est Recsonat ! "
Et en effet, Recsonat, chauffeur homme à tout faire de Guyard était assis, endormi, sur une chaise, la tête retombait sur son torse faussement musclé. Une carabine à canon scié sur les genoux.
Mac et Anne préférèrent faire marche arrière, lentement, sans un bruit. Guyard cherchait à protéger un précieux indice...
Le lendemain matin, au petit-pot de Jourdan[2], Mac et Anne avaient encore les yeux endormis. Deux thésardes américaines trouvaient wonderfull Christophe MacAbiaut, pur produit d'un métissage franco-écossais, et lui même ne dédaignait pas les compliments des deux pouffes. Mais Anne voulu changer de table, prétextant un courant d'air, et proposa à Christophe d'aller s'asseoir à côté de Bénédicte-Marie et Vincent, récemment fiancés, qui discutaient vivement avec un ancien prince tala, Igñace Selaromme.
" Mais si Christophe, j'ai une envie folle de savoir pourquoi saint Paul a écrit aux Corinthiens.
- Tu dis n'importe quoi, Anne, t'es jalouse parce que les Américaines...
- Tu fais ce que tu veux, tu peux rester avec tes pouffes, à ta guise...
- Mais non, moi aussi j'aime bien saint Paul.
- Et alors saint Paul leur dit " Non, non, Corinthiens, si je vous attriste, qui peut me réjouir, sinon celui qui est attristé par moi ? " Ah, salut Christophe, bonjour Anne...
- Igñace était en train de nous parler de saint Paul, précisa, gentiment, Vincent.
- Oui, bon, ça va, on a compris, dit Anne, un peu bougon. "
Igñace, qui n'avait pas trop apprécié qu'on l'interrompe en plein exposé, demanda à Christophe :
" Alors, les aventures, ça avance ?
- Oui, c'est pour quand, la prochaine aventure de Christophe MacAbiaut, demanda, excitée, Bénédicte-Marie, reposant ainsi une des questions qui furent le plus posées à Christophe au cours de sa scolarité. C'est pour quand ? "
Cela faisait un petit moment en effet que Mac ne vivait que des aventures d'une nuit, deux tout au plus. Les mystères de la nature humaine n'avaient plus beaucoup de secret pour lui, et, passé quelques jours, une aventure lui semblait vite un fardeau... Retrouver le chat perdu de Mme Palacin, ramener Béatrice Didier chez elle, accompagner et protéger le président du COF à Cannes... cela n'avait que peu d'intérêt pour Mac. Il avait envie de vibrer, d'être excité par un mystère, de sentir la résistance de l'adversaire, de caresser sa victoire... Bref, il lui manquait, dans la vie, du piquant. Et les normaliens comprenaient cela.
" Oui, c'est vrai, les dernières aventures n'ont pas été bien brillantes, dit, un peu perfidement, Igñace, qui avait lu les derniers comptes-rendus dans le BOcal. Du nouveau ?
- Eh bien... c'est à dire que... Je ne peux pas dire grand chose, pour l'instant.
- On est sur une piste très dangereuse, dit Anne, sèchement. Mais on ne peut pas en parler. C'est top secret.
- Tu es au courant ?
- On fait équipe.
- Broumph, dit Philippe, qui arrivait avec sa tartine de Nutella. "
Christophe se demanda s'il n'avait pas déjà vécu cette scène plusieurs dizaines de milliers de fois. Anne, Philippe, Bénédicte-Marie... Il y avait quelque chose qui clochait. Il regarda distraitement autour de lui et comprit en un éclair pourquoi il avait cet étrange sentiment de déjà vu[3]. Par la fenêtre, il pouvait voir, dehors, le même homme dont il avait cherché à percer le mystère, hier. L'homme de la DST. Il espionnait Mac, mais, quand ce dernier se leva, brusquement, il se sauva et quitta Jourdan.
Pour Christophe, c'était signe qu'il était sur la bonne piste. Ils savaient qu'il savait qu'ils savaient. Le jeu s'annonçait serré. Mac mit Anne au courant, en quelques mots. Ils finirent de manger en silence et partirent, chacun de leur côté. Anne partait disserter sur Ronsard, Mac réfléchir à la Bibliothèque.
" Dites-donc monsieur MacAbiaut ! Vous n'auriez pas des revues en retard ? hurla Mme Boulez à son oreille dès qu'il eut signé le registre d'entrée.
- Oh, je ne pense pas, Madame. Peut-être une ou deux, mais c'est tout.
- Bien bien ! ALINE ! Vous pourriez vérifier si Monsieur MacAbiaut est à jour ? "
Sans attendre, Mac s'était dirigé vers la gauche et tentait de fuir Mme Boulez. Il ne fallait pas courir, sinon elle se douterait de quelque chose. De doute façon, elle se doutait en permanence de quelque chose.
Dans la salle Quatre, à leurs places habituelles et respectives, Laurent lisait Artaud et Emmanuelle un de ses historiographes. Après un rapide " lumière et honneur sur ta tête " à l'intention de Laurent, Mac parti s'asseoir aux côtés d'Emmanuelle.
" Alors, tes amours ? demanda-t-elle à Christophe avec un grand sourire qui cachait difficilement ses yeux bleus sans retour.
- Sans commentaire. Je suis sur une nouvelle aventure.
- Ah ?
- Mais je ne peux rien dire... "
Mac partit chercher les revues qui l'intéressaient. A la côte SDrm12A (in-octavo, Sciences Détectivales, renseignement militaire), il trouva ce qu'il cherchait, le dernier organigramme complet de la DST, dans la Revue du Renseignement Militaire. L'homme mystérieux s'appelait Bagdad DuVoltaire.
" C'est le frère de Byzance ! se dit MacAbiaut, repensant à la mort affreuse de Byzance DuVoltaire, précédente présidente du COF, sauvagement assassinée l'année dernière[4]. Je comprend mieux pourquoi il me disait quelque chose. Je l'avais vu à l'enterrement.
- Qu'est-ce qu'il y a demanda Emmanuelle, qui entendait Mac ronchonner tout seul.
- Rien rien, je trouve cela étrange, c'est tout.
- Quoi ?
- Rien...
- Monsieur MacAbiaut, Aline me dit que vous avez le volume trente de la Revue française de Criminologie expérimentale depuis plus de deux mois. Il faudra penser à la ramener, c'est le deuxième rappel, lui cria à l'oreille Mme Boulez, qui était venue silencieusement jusqu'à lui.
- Oui Madame, j'y penserai. "
Et il se replongea dans l'histoire de Bagdad. Après Polytechnique, Bagdad avait choisi de s'engager dans le renseignement militaire et de servir les intérêts de la France. Rapidement, son courage, son air d'astronaute et ses compétences avaient fait de lui un vaillant officier. Décoré de l'ordre du Renseignement, la plus haute distinction française, il avait quitté, relativement, le service actif pour se tourner vers le renseignement " politique ". On pouvait lire en filigrane dans la RRM qu'après l'assassinat de sa soeur, ne pouvant rien faire car totalement incompétent en ce qui concerne la recherche d'indice et de coupables, il avait décidé de suivre un cursus accéléré en sciences détectivales et en russe.
Et c'était lui qui avait prévenu Guyard de quelque chose de louche.
Mac pensait bien que le retrouver pourrait aider son enquête, ou, plutôt, satisfaire sa curiosité, car il n'avait pas grand chose à se mettre sous la dent, pour être précis. Rien qu'une rencontre entre Guyard et un espion de la DST, qui plus est frère d'une ancienne élève de l'Ecole. Christophe rêvait donc à ces maigres indices aux côtés de la blonde Emmanuelle quand une voix susurrante le détourna du chemin sinueux qui mène au royaume de Morphée :
" Dit, Christophe, tu pourrais y aller mollo avec Guyard...
- Hein ? Quoi ? "
C'était Alex Sourisgourdin, un garçon, brun, d'un tout petit mètre quatre-vingt, avec un peu d'embonpoint, le nouveau président du COF, le Comité d'Organisation des Fêtes, qui, encore rayonnant du succès relatif du dernier Bal, venait traduire au détective les propos que lui avait tenu Guyard ce matin même.
" Il trouve que tu te prends un peu trop pour la police de l'Ecole, et il croit que tu le surveilles. Tu devrais te faire un peu discret, il aimerait bien. Depuis plus d'un an, tout va bien dans cette Ecole, plus de meurtres, plus d'enlèvements...
- Tu oublies...
- Non, j'oublie pas, et Guyard non plus n'oublie pas, mais tu n'as pas à rajouter de l'huile sur le feu.
- Tu te fais le porte parole de la direction maintenant. Déjà que tes AG étaient pas marrantes, mais maintenant... "
La discussion menaçait de s'envenimer, Mac estimant que son travail de détective se devait d'être indépendant des pouvoirs en place. Mais notre héros fut sauvé par l'intervention d'une caïwoman de grammaire, Cathy Morsbihan, qui cherchait Alex depuis un petit moment. Christophe jubilait : si Guyard s'affolait, au point de faire d'Alex Sourisgourdin son factotum et son vaguemestre, c'était que l'affaire était encore plus grave que ne l'avait estimée son sixième sens détectival.
" C'est la première fois que je me sens aussi proche l'un de l'autre. "
Philippe des 2Be3, dans Pour être libre.
Nous avions laissé Christian avec sa femme, mais aux prises avec ce que Jean d'Ormesson ou l'archicube Peyreffite appelleraient des " remords ". Et en effet, il se tourna et se retourna toute la nuit dans son lit, cherchant vainement un sommeil qui, il le savait maintenant, ne viendrait plus.
Mais ce qui l'empêchait de dormir, surtout, c'était une décision prise la veille au soir quand, dans son bureau, en attendant le retour de sa femme, il regardait d'anciennes photos de jeunesse, accrochées au mur et qu'il n'avait pas regardé depuis plusieurs années. Roger et Christian à la plage, draguant la minette, comme on disait alors... Christian ne savait plus si on disait toujours comme ça. Christian et Roger aux éditions Maspero, devant le projet de couverture de L'Ecole capitaliste... Christian témoin au mariage de Roger, Roger témoin au mariage de Christian. Roger complètement torché, à Lille, alors qu'il était venu fêter... Qu'est-ce qu'il était venu fêter là ? se demanda le sociologue en se grattant la barbe. Il pencha la tête un peu plus vers la gauche. Non, vraiment, il ne se souvenait pas... Et puis, est-ce que cette photo avait été prise à Lille ? Pas sûr.
Il laissa alors son regard errer sur les autres photos, jusqu'à ce que ses yeux fatigués rencontrent la photo la plus récente, qu'il avait patafixée là, avec les autres, mécaniquement, il y a quelques mois. Sur cette photo, lui, Christian, avec Roger (Establet, 1996), et Pierre Bourdieu, qui leur expliquait comment scotcher les ectoplasmes[5]. C'était Nicole, la secrétaire du département, qui les avait pris en photo, pour finir son jetable, avait-elle dit, mais en fait parce qu'elle savait que Baudelot aimait les rencontres avec Establet, de plus en plus rares avec l'âge. Christian avait souri : c'était il y avait plus d'un an que cette photo avait été prise, et tout les trois avaient l'air absorbé par les queues de rat et les fruits secs dont Pierre justifiait l'usage ectoplasmocide.
C'est à ce moment là qu'il avait décidé de tout dire à Roger, qui venait à Paris le lendemain. Il ne pouvait plus garder pour lui ce secret, qui avait pesé sur son coeur si longtemps.
" Hé ! Roger ! cria Christian qui était venu chercher son ami à l'arrivée de son TGV, gare de Lyon.
- Ah ! Christian, comment ça va ? T'as l'air un peu fatigué.
- Ouais, un peu... Tu veux prendre un verre avant qu'on y aille ? Le café de la gare est pas mal.
- Alors on y va, dit Roger, avec une point d'appréhension dans la voix. C'est pas clair, pensait-il, c'est pas trop son truc d'habitude, de s'attarder dans les gares, ni de venir me chercher, d'ailleurs...
- Il faut que je te dise quelque chose, lui dit Christian lorsqu'ils eurent leurs bières.
- C'est grave ? Qu'est-ce qui est arrivé ? C'est Joséphine ?
- Non, c'est moi.
- Avec qui ? Ah, Christian, je savais que ça finirait par arriver un jour ou l'autre. Comment elle s'appelle ? C'est Céline ? Ta mascotte... La brunette de Bonheur et Travail dont tu m'as déjà parlé. C'est elle, hein, Christian ?
- Attends, qu'est-ce que tu crois ?
- Ben... tu trompes ta femme avec une de tes élèves, répondit, un peu interloqué, Roger.
- NON ! bien sûr que non ! c'est beaucoup plus grave que ça... Enfin, je veux dire, c'est pas du tout ça.
- Et tu me l'aurais dit, si c'était arrivé, demanda Roger.
- C'est pas à l'ordre du jour. Ce que je veux te dire, Roger, c'est que... (Christian marqua un temps d'arrêt.)
- Quoi, quoi ?
- J'ai été un espion pour Moscou.
- Ah ! Toi ? Mais... mais c'est pas possible. Et... Et tout ce qu'on a fait ensemble... Combien de temps... Pourquoi ? Christian ! (Roger était abattu.) "
Jamais Roger n'aurait pu imaginer cela de la part de Christian. Eux qui avaient partagé tant de choses, tant de luttes, de livres... Et Christian lui raconta comment il avait été pris dans un engrenage dont il avait remonté lui même le mécanisme. Et il finit par lui dire qu'on le menaçait de tout livrer au Nouvel Observateur s'il ne payait pas le silence...
" On te fait chanter ? Mais qui ?
- Je sais pas. Si seulement je savais...
- Et si tu laissais faire ?
- Pas possible : ma femme, je lui mens depuis plus de trente ans, tous mes amis... Non, il ne faut pas que ça se sache... Et puis j'ai pas été vraiment actif... J'ai rien fait de mal.
- Oh ! Vas pas trop loin non plus, Christian. "
Et Christian voyait que Roger ne s'apitoierait pas facilement sur son sort. Alors il resta silencieux. Roger finit sa bière et commanda un expresso.
" Il faut réagir Christian. Il ne faut pas te laisser abattre. On va l'avoir, ce fumier qui te fait chanter. "
Christian chercha à cacher son sourire. Son vieil ami ne l'avait pas abandonné.
Dans les sous-sols de la Rue d'Ulm, dans la Salle S pour être précis, ricanait un jeune homme à la figure quelque peu équestre, doté de mains trop grandes pour un corps d'adolescent rapidement monté en graine. Sa lèvre inférieure se balançait mollement au rythme du rire haché qu'émettait la combinaison de cordes vocales âbîmêês par une mue encore récente et d'un cou dont quelques poils fous et duveteux n'arrivaient pas à cacher l'extravagante difformité. Cet éphèbe pourtant n'était pas informaticien, il était Francis Canne. La Salle S, à l'ENS, il faut le signaler aux lecteurs qui pourraient ne pas être familiers avec l'univers normalien, était le lieu de rencontre des Stations de travail Sun et de nombreux informaticiens. Située au sous-sol, elle ne recevait que rarement la lumière du jour, ce qui favorisait l'oubli du temps. En permanence, elle était occupée par de beaux esprits jongleurs ou usant de monocycles, tapant l'annuaire des élèves en TEX (prononcer tek) ou finissant des sandwichs grecs en provenance directe de la rue Mouffetard. Parfois, elle était vide, lorsque le Club Cirque, en voyage à Foljuif, délaissait Paris.
Ce jour-là, elle était loin d'être vide : Francis Canne[6], que les informaticiens considéraient comme un Dieu parce qu'il savait enfourner les sandwichs grecs en deux bouchées et qu'il était littéraire, avait trouvé un nouveau jeu, qui réclamait l'attention de tous ses amis. Bien qu'agrégatif, Francis n'avait rien d'un " crouvieux ", movalise[7] par lequel il désignait les vieux croulants. Il ronchonnait souvent que cette école était pleine de crouvieux, qu'il faudrait " sucer ".
" Pleinécole de crouvieux. Je neplussupporte cette crouvieillécole. "
Francis Canne movocalisait, parlait par movalises. Longtemps, ses professeurs avaient cru déceler un défaut de prononciation dans ce qui n'apparaissait finalement que comme une légère incongruité de langage. Francis Canne cependant s'était aigri. " Je movalutilise " (j'utilise des movalises) n'avait jamais été compris par ses professeurs. " Confesseurs ! " (Ils sont cons les professeurs) en avait-il alors déduit. Et une partie de la haine qu'il vouait au genre humain s'incarnait dans une volonté perverse de nuire à quelques individus : Baudelot, Béatrice Didier... " Sale Baudel'haine Didincarne pervolonté indivinuire. "
Il était entré récemment en contact, par Internet, avec quelqu'un qui s'était présenté comme un vieil ami finlandais de Baudelot. Apprenant cela, Canne avait tenté de rompre le contact avec l'ami finlandais, juste au moment ou celui-ci lui demanda de faire une blague au crouprof. Mais pas une croublague, pas un canuvieux ou un normanular, non, Canne voulait une blague méchante, ce qu'il appelait, dans son " mongénie ", une blagueuméchante. Il décida donc de se jouer du vieil ami finlandais, de le doubler et d'accentuer le canular que voulait faire ce dernier à Baudelot. L'internaute lui avait en effet juste demandé de cacher dans le bureau de Baudelot une enveloppe contenant des photographies " érôtiques ". Canne trouvait cela bien trop croumalien (non pas malien croulant, mais croulant et normalien). Il avait donc blaguimaginé avec ses informamiticiens et finalement trouvé un génular qui allait permettre, enfin, de sucer un crouvieux, et quel crouvieux ! Baudelhimself !
Il n'avait aucune idée des affres dans lesquels se débattait actuellement le sociologue, mais cela ne l'aurait pas fait changer d'avis. Francis Canne était butêtu, très butêtu. Et il se disait qu'il ne risquait rien : si le génular était découvert et qu'une polivestigation avait lieu, tout retomberait sur le Finlandais, se disait-il.
" Tu penses quoi de mon génular ? demanda Francis à un des informaticiens.
- Ben, j'ai pas toucompris, répondit ce dernier avec un sourire de complicité, il venait, pensait-il de movaliser.
- C'est pourtant évissimple ! Le Baudelogue trouvera dans burecteur des érôtographies...
- D'accord, on met des photos de cul dans le bureau de Baudelot, mais après ?
- Pas des simplérôtographies : on va les ordiretoucher et le mettre, lui, sur les érôtographies. Et le plus rigodrôle : on va les postenvoyer au Nouvelobss.
- Grassouille[8] ! "
Francis Canne s'énervait. Son excitation se remarquait physiquement : en temps normal, non seulement le grand Francis movalisait, mais il compliquait cela en faisant de sa phrase un palindrome lipogramatique en e ou en a. Ce qui, joint à un léger défaut de prononciation (il avalait quelques syllabes), rendait une bonne part de son discours incompréhensible, d'autant que les voyelles qu'il tentait d'évincer, de refouler, revenaient en force, par à-coups, dans d'intenses " ricannements ".
Le soir même, les informaticiens, secondés par certains membres du Club Cirque, partirent piéger le bureau du sociologue. Il se trouvait alors dans un bâtiment maintenant détruit, le pavillon. Trois étages du plus beau béton préfabriqué, qui avaient pris avec les ans une douce teinte gris-marron. Baudelot et le " laboratoire de Sciences Sociales " occupaient une partie du rez-de-chaussée, l'autre étant habitée par des mathématiciens. Les Cannamis pensaient pouvoir entrer assez facilement dans le bureau du sociologue en passant par une fenêtre, ce qui, selon eux, ne devait pas poser de problèmes. Le bureau donnait sur la rue Rataud, et une fenêtre mal fermée en bouchait l'entrée. A l'intérieur, un bordel indescriptible, une étagère remplie de livres, de dossiers, de cartons divers... un bureau sur lequel trônait un ordinateur, à moitié recouvert de feuilles volantes, de stylos, de chemises cartonnées ou de boîtes d'archives. Au sol, plusieurs boîtes, cartons, livres...
Une partie des informaticiens aida Canne à entrer dans le bureau, l'autre regardait silencieusement, laissant échapper qui un " grassouille ", qui un " métatest ", qui un " ouin ". L'affaire fut rondement menée : le beau Francis déposa l'enveloppe contenant les photos que le finlandais lui avait envoyées (par Internet), photos retouchées. Canne avait aussi placé dans l'enveloppe une disquette contenant les mêmes photos, car la qualité de l'image était bien meilleure sur l'écran que sur le papier.
Ceci fait, ils rentrèrent en Salle S, non sans avoir collé sous le téléphone de Baudelot un petit micro, histoire d'être aux premières loges quand le canular génial serait découvert. Arrivés devant les ordinateurs, un concert de " grassouille " salua Francis Canne, rompant avec le silence relatif qu'ils s'étaient imposés depuis un long moment.
Ce même soir, Mac et Anne examinaient ensemble la situation :
" T'appelles-ça une aventure ? Rien, tu n'as rien trouvé : on a failli passer pour des cons hier soir dans le bureau de Guyard, et aujourd'hui, tu apprends que ton agent mystérieux n'est juste que le frère de Byzance.
- Anne, Anne, non, tu ne comprends pas. Souviens-toi de nos anciennes aventures...
- Des passades !
- Non ! je t'interdis de dire ça : quand tu fuyais, par dessus les toits de l'Ecole, avec Julien[9]...
- Ah, Julien, s'il était là, il serait d'accord avec moi, rétorqua Anne.
- Et quand tu l'obligeais à descendre dans les souterrains de la montagne Sainte Geneviève !
- Oui, ben là, rien de commun. Pas un seul frisson de peur ou de plaisir... A peine le sentiment de transgresser... C'est d'un plat...
- Nous vieillissons, Anne, dit Christophe, c'est tout simplement que nous vieillissons.
- Je crois pas, simplement c'est comme si t'étais passé de la drague du type 2Be3 à la drague du type Lévi-Strauss. Et moi, tu sais, l'anthropologie structurale, au lit, c'est pas trop mon truc.
- Tu serais pas plutôt du type Surveiller et Punir, Anne ? "
Anne et Mac se turent soudain. Ils avaient entendu quelqu'un frapper à la porte.
" Entrez, dit Anne.
- C'est Benni, dit Benny. "
Benni passait à Jourdan voir Anne, qui l'avait, il y a longtemps, invité à venir prendre une tisane, un soir. Mais il y avait aussi autre chose : il savait pouvoir trouver chez Anne, jusqu'à une heure parfois (très) tardive, le Détective. Et il pensait détenir une information privilégiée.
" Une info privilégiée sur quoi ?
- Au sujet de ton enquête...
- Qui te dis que je suis sur une affaire ?
- Ben, tout le monde le sait, à l'Ecole. Et puis le BOcal vient de sortir, et il y a un article d'Halenson qui prévoit de publier cette aventure dans le prochain Aquarium.
- C'est... Mais c'est fou ! Pas moyen d'avoir une aventure en paix dans cette foutue Ecole. Qu'est-ce que tu voulais me dire, Benni ?
- Eh bien voilà, je crois que le Club Cirque... ou la Salle S, j'ai pas bien distingué, est en train de faire un truc pas net. Il y avait Canne à leur tête, et ils sont entrés dans le bureau de Baudelot par la fenêtre, il était passé 22h...
- Ah ! s'insurgea Anne. Si la Salle S s'en mêle, c'est pas ça qui va rajouter du cul à ton histoire.
- Anne, un peu de calme, tenta de dire Christophe...
- Ca commence à me faire chier grave, cette aventure débile. Moi, je te laisse...
- Oh ! Anne, attends, sinon, ça va faire comme la fois où t'as préféré aller voir le Almodovar plutôt que Mister Bean... "
Anne ronchonna et prépara la tisane pendant que Benni précisait à Mac les circonstances de sa rencontre avec la Troupe.
" La différence entre les chiens et les chats a sans doute quelque chose à voir avec les chiens et les chats eux-mêmes. "
Richard Pring, 1972.
Le lendemain matin, au petit-pot, d'Ulm, cette fois-ci, Mac et Benni commençaient à boire, respectivement leur café et leur thé. Emmanuelle, les cheveux en désordre et la frimousse joyeuse, s'asseyait avec son eau chaude. Plus loin, un zozo chantait en occitan. Les talas remontaient des Laudes, la princesse Béatrice à leur tête indiquait la mesure, et, psalmodiant en choeur, reprenaient : " Dieu est mon berger, rien ne me manque. / Sur des près d'herbe fraîche il me fait reposer... ".
Mais tous, voyant Mac au petit pot, finirent par discuter du détective et de son affaire en cours. Personne ne savait sur quoi elle portait précisément. Certains osaient soutenir qu'Alex Sourisgourdin et Guyard en avaient discuté hier, quelques uns disaient que cette affaire n'avait rien à voir avec l'ENS, que Mac s'attaquait à d'autres lieux... Plus tard dans la journée, on me posa des questions, mais je n'avais rien à dire : " Vous saurez les choses en temps utile ", répondis-je.
Mac s'était réveillé si tôt et avait mangé à Ulm simplement pour arriver à l'Ecole avant Baudelot, pour pouvoir observer de près ce qui allait se passer. Il ne savait en effet pas encore à quoi avait assisté Benny, et se demandait s'il ne s'agissait pas juste d'un canular sans importance. Se méfier toutefois, il avait appris à.
Baudelot d'ailleurs était arrivé tôt au Laboratoire de Sciences Sociales. Avec l'imminence du déménagement à Jourdan de ces quelques pièces, remplies de livres ou de tables de cours, Baudelot se sentait parfois atteint d'une certaine nostalgie. Nicole, la secrétaire du département, elle, pestait ; elle n'avait pas trop envie d'être délocalisée à " Sèvres ".
Le Détective, de loin, vit Baudelot ouvrir la porte du département. Christian, tout de suite, trouva l'ambiance étrange. Il tenta d'analyser grossièrement cette impression : la photocopieuse était-elle restée allumée toute la nuit ? Non, pas d'odeur de grand brûlé, caractéristique de la photocopieuse trop longtemps en veille. Plutôt unedouce odeur de cacahuète grillée... Guyard serait-il passé par là ? Il ouvrit la seconde porte, qui menait à la salle commune du département, où se croisaient les ordinateurs antédiluviens, MacSE30 et MacClassics, NeXT ; le bureau de Nicole, qui, année après année, grandissait, s'amplifiait, annexait d'autres tables, s'informatisait ; les sociologues apprentis et les sociologues confirmés. Bref, le coeur du département, l'âme du laboratoire. Baudelot trouva l'ambiance changée ce matin là : était-ce parce que Nicole avait rangé sa collection de cartes postales ? Non, elles étaient toujours là. Était-ce parce que... une fenêtre avait été laissée ouverte ? Oui, cela semblait bien être cela. Un petit courant d'air, sentait Baudelot. Il prit la clé qui ouvrait la serrure de son bureau personnel. " Utopiste, debout ! " pouvait-on lire. Quelqu'un avait ajouté au marqueur un S au mot utopiste. Stéphane ou lui ? Il ne savait plus. Il ouvrit son bureau. Ah ! il avait oublié de fermer la fenêtre, c'était donc ça. Il faisait un peu froid, ce qui était rare, dans cette partie surchauffée de l'Ecole. Christian ferma la fenêtre : Roger devait arriver bientôt et il avait souvent froid depuis quelques années... les rhumatismes, sourit Baudelot. Quelque chose le troublait encore : il trouvait que quelque chose clochait. Tout, apparemment, était à sa place, mais...
Christophe MacAbiaut ne pouvait plus voir Baudelot. En revanche, en Salle S, les informamiticiens de Canne pouvaient écouter ce qui se passait dans ce bureau.
" Mwouf, fait froid ici, avait dit Baudelot en entrant.
- Clac, fit la fenêtre. "
Un bruit de roulettes... Baudelot s'était assis dans son fauteuil de directeur. Un cliquetis d'interrupteur, il avait allumé sa lampe de bureau.
" Mwouf, c'est quoi, ça ? s'interrogea Baudelot. "
Canne eut peur, soudain : et si le sociologue découvrait le micro, tout leur plan tombait à l'eau... Mais il fut vite rassuré : un frémissement de papier suivit la question du " crouvieux ", qui ouvrait l'enveloppe fatale...
" Mwouf, mais c'est... mais c'est moi ? "
Un éclat de rire secoua la salle S. La réaction de Baudelot avait été, jugeaient les informaticiens, très drôle. Ils l'imaginait, la tête penchée à gauche, ayant relevé la lèvre supérieure jusqu'à ce qu'elle disparaisse sous son nez imposant et sous la barbe grise, prononçant un mwouf de surprise, un surpmwouf, tenta de dire Canne, qui, pris par un fou-rire, s'étrangla.
Dans le bureau de Baudelot, un téléphone sonna.
" Mwallo ?
- Bonjour Monsieur Baudelot, vous vous souvenez de moi... Glokmak Vakkonen.
- Que veux-tu ?
- Je veux juste te laisser en paix... avec un petit dédommagement.
- C'est toi, les photos ?
- Moi et des amis. Des amis bien placés.
- Qu'est-ce que tu veux que cela me fasse, ces photos.
- Si tu remarques bien, Chichon, tu verras que sous les fesses de la jeune femme, il y a toute une pile de Revues Françaises de Sociologies... Ta collection.
- ..., dit Baudelot, silencieusement.
- Et la photo a été prise au Kremlin. D'ailleurs, tu reconnais l'étalon.
- Ah, très drôle, c'est moi. Mais c'est un montage, ça se voit bien.
- ..., s'étonna Vakkonen. Un montage ? pensa-t-il. Sûrement une initiative des informaticiens à qui il avait envoyé les photos.
- Bon, qu'est-ce que tu veux ?
- Toi et moi, ce soir, à l'ENS, ou plutôt à Jourdan... dit Vakkonen, pris de court. Je te dirais en face. "
Vakkonen comptait demander à Baudelot un " dédommagement ". En Salle S, en revanche, les amis de Francis Canne ne comprenaient plus grand chose. Pourquoi Vakkonen et Baudelot avaient-ils parlé de Kremlin, de RFS, et avec un ton aussi sec. Pourquoi ne s'étaient-ils pas esclaffés, ensemble, comme de vieux amis, qu'ils étaient. Canne faisait une drôle de tête : sa lèvre inférieure pendait douloureusement sur son torse, tandis qu'un filet de bave, translucide, tendait de rendre connexe une station Sun et son propre corps. Il éructait quelques cris, qui, dans une lointaine peuplade, ou chez les fourmis, aurait pu passer pour du remords. Mais ce n'était que de la haine : il avait été joué par un Finlandais, et il ne se le pardonnerait jamais tant qu'il ne se serait pas vengé.
Baudelot était, dans son bureau, effondré. Que faire ? pensait-il. Comment sortir de cette histoire de fou. La situation était maintenant hors de son contrôle. Sa lèvre inférieure était parcourue d'un léger tremblement, sa main gauche aussi. Il tentait de reprendre son calme, d'analyser clairement la situation quand entra, l'air joyeux, le teint frais, l'oeil vif et l'esprit alerte, notre détective normalien.
" L'aujourd'hui est vierge et vivace, ne trouvez vous pas ? dit Mac en guise de salut.
- Mwouf... répondit le sociologue, l'air hagard. Que fait-il ici, pensait-il...
- Je passais comme ça, pour voir si tout allait bien.
- Oh, oui, tout va bien ! dit Baudelot, qui avait retrouvé un air potable. Et l'agrèg, comment ça se passe ?
- Mais je ne passe pas d'agrèg. je suis en enquête.
- Ah.... Ah bon... et ... sur quoi tu enquêtes ? demanda, l'air très intrigué, Baudelot.
- Oh, sur rien de précis, des intuitions, des petits riens... une ambiance qui incite à l'enquête. Et je trouve que, dans votre bureau, l'ambiance incite particulièrement à l'enquête, dit MacAbiaut en s'asseyant sur l'un des sièges qui se trouvait devant le bureau du directeur du département de sciences sociales.
- Mon bureau ? bafouilla Baudelot en rangeant vite fait dans un tiroir les photos compromettantes qu'il venait de découvrir. Et pourquoi ?
- Oh, pour rien, sourit Mac. "
Si Christophe souriait, c'est qu'il venait de voir s'afficher, sur l'écran de l'ordinateur de Baudelot, que ce dernier avait allumé pour tenter de faire comprendre au détective qu'il souhaitait mettre un terme à l'entretien, une photo porno d'assez bonne qualité, représentant un acte certain et équilibriste sur une pile de Revues Françaises de Sociologies, dans un intérieur slave, voir moscovite... qui avaient pour Mac un air étrange de schon gesehen[10], mais il n'arrivait pas à savoir pourquoi.
Quand Baudelot tourna la tête et vit la raison du sourire macAbiautesque, il éteint vite son ordinateur. Mais comme c'était un MacIntosh tout neuf, il refusa de s'éteindre et demanda, après un " coin " de rigueur, si Baudelot voulait vraiment éteindre son ordinateur.
" Oui, hurla Baudelot, en frappant comme un malade sur Enter.
- Toc toc, fit Establet à la porte du bureau de Baudelot.
- Ah, Roger, entre, je t'attendais...
- MacAbiaut est là ? Alors nous sommes sauvés, dit Establet en découvrant la présence du détective, dont il avait fait la connaissance lors d'une précédente aventure[11].
- Nous sauver, nous sauver, mais TOUT VA BIEN, hurla Baudelot, excédé, à l'oreille d'Establet.
- Ah... AAHH, oui, tout va bien.
- D'ailleurs, MacAbiaut s'en allait, n'est-ce pas ?
- Oh, oui, je ne voulais pas vous déranger. "
Le détective avait trouvé le comportement du vieux sociologue très étrange. Il avait l'air énervé, comme si un filet, un piège se refermait autour de lui, lentement, sans qu'il ne puisse rien faire. Etrange, se dit Mac. Mais sans doute rien à creuser de ce côté là, se dit-il encore.
Comme il avait déjà énervé Baudelot, Mac se décida à aller rendre visite à Guyard, qui, pensait-il, finirait peut-être par lui révéler les raisons de la présence de Bagdad Duvoltaire dans les locaux de l'Ecole ces jours derniers, à Ulm, à Jourdan...
" Bonjour, Anne-Marie, Monsieur Guyard est-il là ?
- Oh ! .... euh... non, il n'est pas là, Monsieur MacAbiaut.
- Vraiment pas ?
- Euh... euh... non, il n'est pas là du tout.
- Anne-Marie, combien de cafés j'ai pris, ce matin, criait une voix en provenance du salon du directeur.
- Euh... Je ne sais pas, Monsieur le dir... commença à répondre Anne-Marie avant de comprendre qu'elle risquait de révéler à Mac la présence du directeur si elle finissait sa phrase. Or Guyard lui avait bien fait comprendre qu'il ne voulait pas avoir affaire à Mac.
- Anne-Marie, je crois que je vais en reprendre un. Et est-ce que vous avez fini de taper mon édito pour l'ErNeSt ?
- Non, pas encore, Monsieur le directeur, dit Anne-Marie en se levant pour porter à Stéphane Guyard une tasse de café chaud. Non, vous ne m'avez pas dit ce qu'il fallait que je mette dedans.
- Enfin, brodez, Anne-Marie. Pourquoi donc est-ce qu'on vous paye ? Et apportez-moi le dossier du Nouvel Immeuble Rataud. Vous voulez bien ?
- Mais je viens de le ranger, soupira Anne-Marie, qui désespérait de trimbaler partout de dossier de plusieurs kilos.
- Il est pas dans un bon jour ? demanda Mac à la secrétaire du directeur.
- Oh, si, aujourd'hui, ça va, mais hier, il était d'une humeur massacrante.
- Anne-Marie, avec qui parlez-vous ? Et c'est à quelle heure, ma réunion avec Alex Sourisgourdin, il faut qu'il m'élimine ce MacAbiaut de malheur, je compte sur lui.
- C'est à 11h30, monsieur le directeur.
- Bien, bien. Et avec qui parlez-vous ?
- Oh, personne, monsieur le directeur.
- Vous parlez toute seule ? s'inquiéta Guyard. Oh, non, pensait-il, ma secrétaire est devenue folle. A force de rien faire, c'est moi qui fait tout ici, pensait-il encore. Oh non, pas possible, songeait-il en se levant. "
Guyard se dirigea vers le secrétariat. Il fallait qu'il voit clairement si Anne-Marie était folle, si elle présentait les symptômes de la folie : yeux exorbités, gestes désordonnés, souffle court, paroles désordonnées.
" Non, euh, enfin oui, dit la secrétaire en s'élançant vers Guyard avant qu'il n'aperçoive Mac. Euh, non pas tout à fait ", dit-elle en repoussant le directeur, en pantoufles, vers son salon, et en roulant des yeux exorbités en direction de Mac pour qu'il comprenne qu'il doive partir. Ce que comprit fort bien le détective, qui n'avait pas envie de mettre dans la gêne la secrétaire du directeur.
Mais ce dernier avait eu, pensait-il, la confirmation de son idée. Sa secrétaire était devenue folle. Heureusement qu'Alex Sourisgourdin pourrait la remplacer assez bien, pensait le directeur de l'ENS. Ah ! si tous les présidents du COF étaient comme lui... Il faudrait que je pense à l'inviter, à midi...
" Anne-Marie, reprenez-vous. Appelez Recsonat, vous voulez bien ? Demandez lui de dire au chef de rajouter un couvert à midi, pour Sourisgourdin.
- D'accord Monsieur le Directeur, soupira la secrétaire, contente d'avoir réussi à empêcher Guyard d'apercevoir MacAbiaut. "
Ce dernier avait d'ailleurs entendu la fin de la conversation entre Guyard et Anne-Marie, et il s'éclipsa très rapidement : il n'avait aucune envie de rencontrer Recsonat, qui venait d'acheter un téléphone portable. Il remonta donc à la turne de jour du Jaune, pour travailler un peu sur cette enquête. Il était sûr de pouvoir y trouver un peu de calme, car ni Anne, ni Benny, ni Philippe n'y étaient, à cette heure de la journée.
La fenêtre de la turne de jour donnait sur la cour aux Ernests. L'hiver avait fait tomber les feuilles de tous les arbres, et seules quelques branches que le froid et le vent avait épargné arrivaient à en retenir quelques unes, brunies par l'automne. Le soleil cependant était vigoureux, le ciel bleu... Mac ferma les yeux un moment, pour mieux se concentrer sur cette étrange aventure, dont il ne voyait encore ni les tenants, ni les aboutissants. Il avait sommeil et laissa sa tête reposer sur ses bras, posés sur la table.
Il rouvrit un peu plus tard les yeux, car il sentait une présence derrière lui. Il se retourna.
" Bonjour Christophe, lui dit une grande perche, une blonde surexcitée dont on aurait pu croire qu'elle avait un air de parenté avec un astronaute américain.
- Hein... Byzance ????
- Oui, Byzance Duvoltaire.
- Mais tu es morte[12] !
- Les morts ne sont jamais vraiment morts, ils survivent dans les souvenirs.
- Tu es un fantôme ?
- Si tu veux... Un fantôme. "
Mac n'était pas trop surpris de retrouver Byzance. Ce qui l'étonnait, un peu, c'était qu'elle ne correspondait pas à l'image dont il se souvenait, à savoir un petit demi-kilo de cervelle répandue sur les murs du COF. Byzance, là, avait toute sa tête, et même un petit cheveux sur la langue.
" Tu es là pourquoi ?
- Je hante, par-ci, par-là... je n'ai pas encore atteint la paix... Mais... Je suis venu te parler un peu. Peut-être que je peux t'aider, on ne sait jamais.
- Pour mon enquête.
- Oui... Regarde bien autour de toi, Mac, ne te laisse pas distraire. Surveille Alex Sourisgourdin... Il parle avec des officiers des R.G...
- A propos, ton frère, pourquoi il... "
A ce moment là, Mac entendit de grands coups frappés à la porte de la turne.
" Ouvre-moi Mac, disait Anne. Avec qui tu es !? C'est qui !?
- Je dois partir, dit doucement Byzance en disparaissant.
- Attends, lui cria Mac.
- Attends quoi ? OUVRE ! Ah, si j'avais un marteau, j'enfoncerais la porte, criait Anne. "
La porte s'ouvrit brusquement et Anne se retrouva par terre.
" Qu'est-ce que tu faisais ?
- Rien, Anne, répondit Christophe, je parlais avec les morts... avec une morte, plus précisément.
- Ah bon, je croyais que tu... dans la turne de jour.
- Oh ! Anne, tu croyais que je...
- Oui ! sourit Anne, soulagée à l'idée que Christophe ne...
- Je... peux entrer, dit une tête, à savoir Benny. "
C'était l'heure du Pot. Mac se demandait combien de temps il avait dormi. Il croyait n'avoir fermé les yeux qu'un moment, mais apparemment, cela avait duré plus longtemps que cela.
" Je vais vous expliquer la différence entre l'indicatif et le subjonctif : si je vous dis " C'est le plus bel homme que j'ai jamais vu ", c'est la nana rationnelle. Si je dis " que j'aie jamais vu ", c'est la nana romantique, et si je dis " c'est le premier homme que j'ai embrassé ", c'est la nana qui tient ses comptes... "
Catherine C*ste**in, Cours de Grammaire aux Agrégatifs, 1997-1998
Le reste de la journée se passa sans beaucoup de perturbations, pour Mac et Anne. Il n'en va pas de même en salle S, où Francis Canne et ses amis informaticiens découvraient l'horreur de leurs actes. Petit à petit, ils comprenaient que Baudelot avait trempé dans une affaire louche en relation avec l'ancien bloc de l'est, et qu'ils avaient contribué à un chantage... Ils savaient que Baudelot devait rencontrer à Jourdan ce mystérieux Finlandais, Glokmak Vakkonen, qui faisait chanter le sociologue.
Francis Canne était hors de lui. Roulant des yeux féroces, il ne cessait de tourner autour des ordinateurs, de lancer des anathèmes, des imprécations, des exécrations, des malédictions, et, une fois calmé, des excommunications ou de vives réprobations. Glokmak, il le haïssait, le maudissait, l'abhorrait, le détestait, l'avait en horreur, en abomination, le maudissait encore une fois. Il l'exécrait. Tous ces synonymes, bien entendus, movalisés.
Quelques temps après, il décida qu'il fallait agir. Il fallait faire payer au Finlandais sa sale blague, et lui faire passer l'envie de revenir en France :
" On va l'exilabominer, l'abhorrabominabannir, le proscrhaïr.
- Oui, mais comment faire pour le proscrabominer ?
- Il faut qu'on aille à Jourdan !
- Non ! "
Canne s'était vocexprimé clairévidemment pour bien faire comprendre aux informaticiens qu'il était nécessaire, pour contrer Glokmak, de descendre à Jourdan. Cet internat, ancienne ENS de jeunes filles, dite Sèvres, n'était que peu fréquenté par les informaticiens. Ils en avaient peur, même, prétendait ne pas savoir où cela se trouvait...
Mais Canne arriva, tant bien que mal, à les persuader de descendre avec lui jusqu'à cet ancien repaire de sévriennes.
Pendant ce temps là, dans le bureau de Baudelot, Establet apprenait avec stupeur le coup de téléphone de Glokmak.
" Et tu vas le voir, ce soir ?
- Ben oui, il faut bien, pour en finir une bonne fois pour toute.
- Comment tu veux faire ? lui demandait Roger Establet.
- Je ne sais pas... Le tuer, peut-être. Non, je ne sais pas, Roger. Mais il faut que ça s'arrête. Je n'en peux plus. C'est plus possible. "
Baudelot et Establet décidèrent alors de descendre eux aussi à Jourdan. Establet se cacherait dans l'un des buissons qui parsème le jardin de cet internat, et volerait au secours de Baudelot si ce dernier en avait besoin. Les deux sociologues mirent au point un plan d'attaque.
Au Nouvel Observateur, on avait reçu avec un grand étonnement la photographie de Baudelot et d'une Russe en pleine action slave sur une pile de RFS. Baudelot était un de leurs collaborateurs ; chaque année, il leur concoctait un classement indexé des meilleurs lycées de France afin que les enfants des abonnés puissent choisir leur lycée d'abonnés du Nouvel Obs. Si cela s'avère être vrai, que faut-il faire ? se demandaient les journalistes. Est-ce que plus de transparence serait utile à Christian Baudelot, et que la révélation de quelques pratiques universitaires serait peut-être utile à l'ensemble des Français ?
Les rédacteurs du Nouvel Obs décidèrent très tôt d'envoyer auprès de Baudelot un de leur reporter. Il devait se poster à proximité du bureau de Baudelot et écouter ce qui s'y passait. Toute la journée donc, un journaliste du Nouvel Obs entendit une partie de ce que disait Baudelot. Mais, arrivé après Establet, il ne comprit pas tout à fait la portée de ce qui allait se passer à Jourdan ce soir là.
Il décida donc d'y aller seul, sans prévenir le journal.
Il était donc maintenant environ dix ou onze heures du soir, à Jourdan, et Mac et Anne parlaient aux morts, ou plutôt tentaient de parler aux morts.
" Comment tu fais, d'habitude ? demandait Anne à Christophe.
- D'habitude... ? Mais je sais pas, moi... Je m'endors et puis Schlack, un fantôme apparaît.
- C'est un peu tordu, comme truc.
- Peut-être, mais c'est efficace. "
Anne habitait au premier étage, sa fenêtre donnait sur le jardin. Comme toutes les tentatives de conversation avec les morts avaient échoué ce soir là, même si Mac assurait avoir entendu quelques voix, Anne était vraiment déçue.
" Dans mon souvenir, on entendait quand-même mieux, dit-elle en ouvrant la fenêtre pour fumer une cigarette.
- Dans ton souvenir... ?
- Oui, parler avec les morts, avec toi, c'est un peu un délice perdu d'avance : ça ne marche pas !
- Mais Anne, comme le dit Béatrice Didier, les délices perdues ont l'âge du souvenir.
- Ben oui, avec toi, j'ai l'impression d'avoir l'âge de Jeanne Calment, dit Anne, perfidement. "
Anne fumait lentement à la fenêtre. L'air était doux, pour la saison, et l'on entendait encore quelques voix dans le jardin. Quelque agrégatif en promenade vespérale ? Deux ou trois normaliens rentrant d'un ciné... ? Le plus étrange, pensait silencieusement Anne, c'était cet étrange clapotis continuel, comme si la pluie tombait régulièrement sur des morceaux de plastique... et cette chanson, qui lui rappelait un beau slave, " Petite Pomme ", qu'elle avait connu, et qui paraissait sortir de nulle part et habiller Jourdan de sa mélodie. Ayant fini sa cigarette, elle referma la fenêtre et se tourna vers Mac.
Dans le jardin, sous les quelques buissons qui le parsèment, étaient cachés des informaticiens, qui, ayant tous ramené leurs ordinateurs portables, avaient installé un réseau local et communiquaient en direct, tapant sur les claviers les pensées qui les parcouraient. C'était cela qu'avait entendu Anne, le bruit permanent des bouts de doigt frappant les touches des ordinateurs.
Les informaticiens voulaient prendre sur le fait Glokmak Vakkonen et l'empêcher d'agir de nouveau. La blague avait assez durée, pensaient-ils tous. A un moment, une fenêtre s'était ouverte, à l'étage, et ils avaient vu, ou cru voir, le détective MacAbiaut, celui que Canne, avec humour (sic) nommait Christian MathSpébio. Mais la fenêtre était maintenant fermée, et Mac ne semblait pas s'intéresser à la situation du jardin. Toutefois, certains, inquiets, semblaient entendre comme une petite chanson, fredonnée ; une chanson slave, nostalgique et triste qu'une voix grave avait l'air d'entonner malgré le silence nocturne.
Francis Canne n'avait pas vraiment de plan d'action, encore. Il avait précipitagi. Souvent, il précipitagissait : en marchant, en parlant, en se servant de l'eau. Il regrettait, ensuite, de tels égarements. Il venait, là, de voir arriver Baudelot...
Ce dernier était arrivé depuis un petit moment avec Establet, qui s'était caché, et il avait attendu. L'heure étant arrivée, il s'avançait dans le jardin, bien en vue, pour avoir avec Vakkonen une discussion finale.
Les informaticiens, cachés, correspondaient grâce à leur réseau et suivaient pas à pas les gestes de Baudelot :
" If Baud{vivant} $kill$ \finlandais, se demandait l'un d'eux.
- Then \nous {intervenir;vite} :( , proposait alors un autre.
- Else a$:="kaputt", écrivait un troisième.
- Taissilencez-vous, écrivait Francis Canne, le Finlandécevant marcharrive.
- Baudelot, dit Vakkonen, tu sais pourquoi tu es là !
- Vakkonen, chuchota Baudelot avec une extrème colère, si t'étais un mec, je te casserai la gueule !
- {newprocedure} $injure$:="casser;gueule"...
- Tu ne peux pas arrêter le cours de l'histoire, Christian. Il faut savoir retourner sa veste à temps. Et puis... je suis un homme.
- <u></h2>Étonnant !
- Tu vas passer un sale quart d'heure, Vakkonen. Tu as tenté de détruire ma vie, je vais détruire la tienne, dit Baudelot en amenant la main droite vers sa poche. "
Dès lors, tout se passa très vite : un éclair brillant, un coup de feu, Vakkonen s'effondre. Baudelot, pétrifié, ne bouge plus.
" Toc toc toc, fut le son que produisit la main de Benni sur la porte de Anne.
- Salut, c'est Benny. Je pense que Baudelot vient de tuer un mec dans le jardin, là, juste dehors, dit-il avec un sourire.
- Oui, on vient d'entendre un coup de feu, bafouilla Anne, décomposée.
- NON ! Ce n'est PAS possible, hurla Mac. Ce n'est pas ça qui devait se passer. Baudelot n'a rien à voir avec cette enquête, j'en suis persuadé, poursuivit-il, petit-à-petit gagné par le doute. "
Et, pendant que Bennÿ restait avec Anne, pour l'assurer que Jourdan resterait toujours ce lieu de calme et de paix, qu'on n'installerait pas un blocus policier pour un meurtre, qu'il ne faudrait pas de C.R.S. pour garder l'entrée de l'ENS... Mac descendait voir de lui même ce qui s'était passé dans la cour.
Baudelot était relativement effondré : il ne comprenait pas pourquoi la tête de Vakkonen, à moins d'un mètre de la sienne, avait explosé, ayant reçu une balle dans la nuque. D'où venait le coup ? Qui ? Le sociologue ne comprenait pas.
" Eh, Christian, qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Roger Establet en sortant de sa cachette.
- Je... je sais pas, j'allais... j'étais en train de... Mais Mwouf ! Boum. Plus de tête !
- C'est étrange, confirma Establet, qui prenait le pouls du mort. Il est bien mort. On est dans le pétrin, Christian.
- Attends, si on se sauve assez vite, personne ne saura que c'est nous, proposa Christian dans un accès de panique. De toute façon, c'est pas nous. "
Mais tout laisse penser qu'ils ne pourraient guère agir ainsi : une bonne partie de Jourdan était descendue voir ce qui se passait dans la cour. Les Américaines ne furent pas étonnées de voir arriver, très vite, leur détective préféré, MacAbiaut. Les yeux un peu gonflés par le sommeil (il commençait à s'endormir quand le coup de feu avait retenti), le dos voûté (une longue journée, qui se poursuivait), avec un vieux T-shirt et un jeans passablement délavé, il avait l'air d'un cendrier sale. Et, mal coiffé, il s'approcha du duo de choc :
" Je pense que nous devons avoir une petite conversation, tous les trois.
- Euh, non, tous les deux... il est mort, dit Establet, qui ne se sentait pas visé.
- Vous venez aussi ! "
Les " mais j'ai rien fait " du sociologue ne firent pas changer d'avis Christophe MacAbiaut. Ils remontèrent chez Anne. Baudelot expliqua à Mac ce qu'il savait, ne cachant que quelques détails sans importance. Establet, muet, confirmait parfois d'un signe de tête. Anne avait fait du café, mais elle avait une toute petite cafetière, et elle dut en refaire souvent : l'interrogatoire dura un petit moment. Le jour se levait quand Mac estima en avoir fini.
" Cocorico, fit Bennï, qui apportait des croissants. Je pensais que ça pourrait vous être utile. "
" Les acteurs peuvent être sincères, mais il n'est pas nécessaire de croire sincèrement à son rôle pour le jouer de façon convaincante. Il n'y a sans doute pas beaucoup de cuisiniers français qui soient en réalité des espions russes (...) "
Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Tome 1, p. 72.
À Ulm, le petit-pot bruissait des rumeurs les plus folles. Beaucoup savaient qu'un meurtre avait eu lieu la veille, à Jourdan, mais peu savaient qui avait vraiment été tué. Pour certains, c'était Baudelot qui avait été tué ; mais d'autres disaient qu'au contraire, c'est lui qui avait tiré. Les rumeurs enflèrent quand Guyard entra dans le petit-pot pour venir prendre son petit-déjeuner. Il avait prévu cela depuis un petit moment déjà, car un élève lui avait dit qu'il n'y avait pas de croissants le matin, ce que n'avait pas voulu croire Guyard. Recsonat, qui, tous les matins, lui apportait ses croissants, devait bien les trouver quelque part. Et comme le directeur n'avait pas osé demander à Anne-Marie ce que mangeaient les élèves, il avait décidé de venir au petit-pot.
La nouvelle du meurtre n'avait pas changé son programme. Il avait décidé de ne pas s'en mêler, de laisser MacAbiaut se dépêtrer, seul. C'est étrange, pensait-il, que depuis que cette école a fait entrer un détective parmi ses élèves, il y a des meurtres[13], des enlèvements[14].
Le directeur regarda comment faisaient les élèves : ils entraient, regardaient où étaient leurs amis, allaient chercher un bol d'eau tiède s'ils voulaient du thé, de café dégueu s'ils voulaient du café, du pain... Comme cela avait l'air bien organisé, soupira-t-il, car il était un peu fatigué. Guyard regarda donc autour de lui s'il voyait un de ses amis. Mais non. Cela ne l'étonnait pas trop. Il vit un garçon tout seul, qui avait l'air, pourtant, de parler. Il avait un grand menton, des cheveux bouclés d'une couleur indéfinissable, assez longs. Je vais aller lui tenir compagnie.
" Toi, tu es le directeur, dit le garçon avec un drôle d'accent.
- Oui, répondit lentement Guyard avec un air un peu gêné. Merde, je suis tombé sur un Roumain, pensait-il.
- Si tu es le directeur, pourquoi tu déjeunes au petit-pot ? poursuivit le garçon avec, toujours, son accent indéfinissable.
- ...
- On n'est pas des bêtes sauvages, monsieur le directeur.
- Oh, je sais, vous avez souffert sous le communisme...
- Qui te parlou du communisme, monsieur le directeur...
- Euh... dit Guyard qui ne savait pas où se mettre. Je devrais réduire le nombre de place pour les pays de l'Est, se disait-il. Vous êtes roumain.... ?
- Mais non je ne souis pas roumain, Monsieur le directeur. Tu ne sais pas qui je souis ? dit avec un grand sourire le garçon en sautant sur la table et en commençant une danse occitane spécialement pour le directeur. Tu parles l'Occitan, lui demanda-t-il.
- Non, répondit Guyard.
- Moi, je parle l'Occitan, dit le garçon.
- Et est-ce que vous avez des croissants... le matin ?
- Qui te parlou de croissant, le directeur ? Tu me parles de communisme, tu me parles de croissants, mais tu ne sais pas ce que tou veux ? Viens danse avec moi, le directeur. C'est pas grave si tu es en pyjama. "
Mais Guyard fut sauvé par l'arrivée, essoufflée, de sa secrétaire, Anne-Marie :
" Monsieur le directeur, monsieur le directeur...
- Quoi, Anne-Marie, qu'est-ce qu'il y a ? Combien de fois je vous ai dit de ne pas m'interrompre quand je suis en conversation avec un élève ! ?
- Mais... monsieur Guyard, il y a qui vous savez...
- Quoi, parlez plus clairement, Anne-Marie, voulez-vous ?
- Bagdad Duvoltaire...
- Déjà ! cria Guyard qui se leva en courant. "
Les élèves présents n'avaient entendu que " Duvoltaire "... ce qui relança les rumeurs :
" Tu vois, je te le disais, ça a un lien avec l'assassinat de Byzance Duvoltaire, disait l'un.
- Mais non, on n'a pas entendu, on ne peut pas savoir... "
L'entrée d'Alex Sourisgourdin déchaîna les interrogations : quelques personnes se levèrent pour aller lui demander ce qui se passait. En tant que président du COF et représentant officieux - il ne tenait pa spécialement à ce que cela se sache - de la direction auprès des élèves, il devait bien être au courant.
" Je ne peux rien dire, disait-il. Je vais écrire un mot pour le BOcal. Ca tombe bien, je devais taper le BOcal hier, mais j'étais trop crevé. Je vais le faire aujourd'hui.
- Allez, quand-même, dis-nous...
- Non, je dois me taire, susurra Alex avec un sourire contraint et forcé. "
En fait, il ne savait rien, mais ce n'était pas pour cette raison qu'il avait un sourire contraint et forcé : il venait de voir apparaître Cathy Morsbihan. Habillée à la va-vite et en rose, elle était visiblement bouleversée par ce qu'elle venait d'apprendre. Elle se demandait même où elle trouverait la force de faire cours avant de voir Alex entrer au petit-pot. Tout de suite, elle changea de direction, et, au lieu de se diriger vers son bureau, elle obliqua vers le petit-pot :
" Alex, Alex, que se passe-t-il ? criait-elle, comme si elle criait " Youhou ! ".
- Bonjour... oh, je ne sais pas vraiment...
- J'en suis toute retournée. Il faut que vous me disiez ce qui s'est passé. Vous avez déjà mangé ?
- Euh... pas encore. J'...
- Bien, allons dans mon bureau. J'ai un divanlit et du raisin.
- DU RAISIN !, s'écria Alex, étonné.
- Oui, j'en ai acheté hier, et je ne l'ai pas encore mangé.
- Mais ce n'est pas la saison.
- Il n'était pas cher[15]... "
Cathy poussant Alex devant elle, ils sortirent du petit-pot. Ils rencontrèrent dans le couloir Guyard qui discutait avec Bagdad Duvoltaire, mais ils ne connaissaient pas Bagdad, et Cathy était toute à (sa discussion avec) Alex :
" Il faudra juste laisser tremper le raisin un moment.
- Mais...
- J'ai un saladier, ne vous inquiétez pas. "
Bagdad espérait avoir de Guyard des informations au sujet de ce qui s'était passé cette nuit à Jourdan. Mais Guyard lui expliquait :
" Cette histoire ne concerne que MacAbiaut. Depuis qu'il est entré à l'Ecole, tout va de travers. Les seuls événements heureux depuis près de trois ans, c'est le mariage de mon fils, le départ de Lattemanne et le prix Nobel de Claude Cohen-Tannugi[16].
- Oui... je suis d'accord avec vous, et j'ai essayé de l'éviter... Mais... Pourtant, c'est grâce à lui qu'on a retrouvé le meurtrier de ma soeur, Byzance.
- AAAAH ! vous êtes son frère. Je me disais bien, un air de famille. Et... Anne-Marie, cria Guyard à sa secrétaire qui se tenait un peu éloignée : Pourquoi vous ne m'avez pas dit que Monsieur était le frère de Byzance ?
- Mais je vous l'ai dit, Monsieur Guyard.
- Dans quelle langue, Anne-Marie, dans quelle langue !!!
- Monsieur Guyard, je suis sûr que ce qui s'est passé cette nuit a quelque chose à voir avec ce sur quoi j'enquête. Dois-je vous rappeler que je suis à la recherche d'un ancien agent du KGB, qui a sans doute donné à l'URSS des secrets normaliens... voire secret-défense. Et celui qui a été assassiné, c'était un officier du KGB, Glokmak Vakkonen.
- Eh bien ! Allez voir MacAbiaut. Moi, je ne veux pas être mêlé à cette histoire. Allez, Anne-Marie, allons nous en !
- Je vous suis, monsieur le directeur.
- Quel est mon programme, ce matin, Anne-Marie ?, dit le directeur à sa secrétaire en remontant vers son bureau.
- Euh... vous avez une réunion avec le président du Club Oenologie, un certain Romain Desrousseaux...
- Il est pas mort, lui ?
- Non, vous devez confondre avec Laurent Lapage[17]. Et ensuite, vous avec un rendez-vous avec le cuisinier du Pot de Jourdan, qui prend sa retraite anticipée. Vous n'avez pas oublié : vous mangez à Jourdan ce soir.
- Quoi ?! Il y a un Pot le soir à Jourdan ?, s'étonna Guyard en entrant dans son bureau. "
Bagdad Duvoltaire était seul, abandonné de tous. Il comprenait maintenant la complexité du monde normalien. Il avait voulu résoudre cette affaire tout seul, mais il voyait bien que, sans l'aide du Détective, il n'y arriverait pas. Il décida d'aller le trouver à Jourdan.
A Jourdan, au même moment, Mac, après avoir laissé partir Baudelot et Establet, cherchait, une fois que la police avait enlevé le corps de Glokmak Vakkonen, des indices, alors que le jour n'était encore qu'un mélange de gris clair et de bleu foncé. Ce qui intéressait très fortement le Détective, c'était l'angle de tir. S'il arrivait à savoir d'où le coup était parti, alors il aurait une petite idée du coupable.
Il se souvenait vaguement de la position dans laquelle se trouvait le cadavre. Il regarda d'où pouvait venir le coup : quelques buissons cachaient les abords du bâtiment D. Il décida d'aller voir de plus près. Comme la balle avait touché et éclaté la tête de Vakkonen, il y avait peu de chance qu'elle vienne du sol, mais bien plutôt du haut. Mais il ne fallait négliger aucune piste. Or Mac trouva dans ces buissons d'étranges indices. Tout laissait croire que des individus y avaient séjourné plusieurs heures : herbes foulées, restes de sandwiches, quelques cheveux... et des traces de roues de vélo. Mais des vélos étranges, se disait Mac. Normalement, on distingait les deux roues des vélos, quand ils laissaient une trace sur le sol. Là, une seule trace, comme si ces vélos n'avaient qu'UNE seule roue.
" Des monocycles ? se demanda Mac. Que pouvait bien faire le Club Cirque à Jourdan hier soir ?
- Alors, tu trouves ? lui demanda Anne, dont la chambre se situait juste au dessus de l'endroit où se trouvait Mac.
- Ben... à part des monocycles, peu d'indices. En fait, le coup a du venir de cette direction, si on considère la direction des éclaboussures de cervelle au sol...
- T'es dégoûtant !
- Je fais mon boulot. T'as qu'à pas me poser de questions. Mais je pense que le coup est venu de plus haut. C'est qui au dessus de chez toi, Anne ?
- C'est vide. Il n'y a personne depuis que Ivan est parti. "
La thurne était en effet vide. Mais elle semblait avoir été occupée assez récemment, du moins temporairement. Les yeux experts de Mac purent déceler de la poudre à fusil. Et l'odeur de poudre brûlée était encore vivace, même si on distingait aussi, pensait Mac, une odeur qui lui rappelait la cacahuète grillée. Il ouvrit la fenêtre et regarda : la vue était dégagée, et Glokmak Vakkonen avait été une cible parfaite pour le tireur. Mais les autres indices étaient maîgres, voire inexistants.
Mac décida de se reposer un peu avant de reprendre son enquête. Il lui restait quelques heures avant le pot de midi, et il voulait être en forme pour la suite des événements : maintenant qu'il y a eu un meurtre, se disait-il, le tueur va devoir encore tuer, pour effacer ses traces. Et il s'agit alors d'être plus rapide que lui.
Mais il ne put réaliser ce désir : devant la thurne de Anne, il rencontra Bagdad Duvoltaire :
" Je pense que nous devons parler, lui dit-il.
- Oui. Je ne vous attendais plus. "
Mac et Bagdad ne s'étaient jamais vraiment rencontré : ils s'étaient croisés à l'enterrement de Byzance, mais sans avoir pu parler. Et ensuite, quand Bagdad était venu Rue d'Ulm et Boulevard Jourdan, il avait pris grand soin d'éviter le Détective.
Rapidement, ils comprirent qu'ils n'avaient tous les deux qu'un morceau du puzzle : Mac, en parlant avec Baudelot, avait compris que le crime du sociologue n'était qu'un pêché véniel. Et Bagdad Duvoltaire élimina de la liste des suspects Baudelot une fois que Mac lui eut expliqué ce qu'il savait. Bagdad, cependant, apprit à Christophe qu'il recherchait toujours un ancien espion du KGB, beaucoup plus dangereux que Baudelot, car il avait, semble-t-il, tourné sa veste et remis aux Américains les plans d'un laser à atome qu'avait en projet de construire Claude Cohen-Tannugi, ce qui était un des secrets les mieux gardés de l'ENS. Guyard lui-même n'était qu'à moitié au courant. Duvoltaire pensait que la présence de Glokmak Vakkonen en France n'était pas un hasard : tout laisse à penser qu'il avait été l'officier traitant de l'espion mystérieux, en même temps que celui de Baudelot.
" C'est complètement tordu, cette histoire, dit Mac une fois que Bagdad lui eut tout expliqué.
- Oh, non, pas tant que ça. L'effondrement des anciens pays communistes a créé dans le monde du renseignement des problèmes énormes. Les gens n'en font plus qu'à leur tête. "
Il était maintenant l'heure de manger. Le pot de Jourdan était presque complet, peut-être en raison du fait qu'on y servait ce midi-là l'avant-dernier repas. La fermeture du pot aurait lieu ce soir. Le chef, qui revenait de son entrevue avec Guyard, passa entre les tables, sourire aux lèvres, pour demander aux élèves et au profs s'ils trouvaient la nourriture bonne. Il fit une allocution, disant à tous de venir manger ce soir...
" Pour le dessert, j'ai changé le menu. Je vais vous faire une pâtisserie délicieuse... d'ailleurs, son nom, c'est " Délices perdues ", parce que vous n'en mangerez qu'une fois dans votre vie. "
Anne fit à Christophe un sourire, du genre : " Encore un qui a trop entendu de cours de Béatrice Didier. " Christophe, lui, était soucieux. Il n'avait entendu qu'à moitié le cuisinier, il recherchait qui pouvait être le coupable, et quand est-ce qu'il frapperait de nouveau.
Mais Anne n'en revenait pas. Pendant qu'elle et Mac prenaient leur café, dans leur thurne, elle téléphona à Margot Zidi :
" Il faut que tu viennes ce soir au pot de Jourdan. Au dessert, il y aura des délices perdues.
- Des délistses perdues ? fit Margot en imitant la voix de Béatrice Didier.
- Oui, c'est drôle, on en parlait justement hier soir avec Christophe, des délitstes perdues... et puis il y aura aussi Julie Meuhmeut, Buzz Garcier et Pat... et peut-être Mac s'il arrête de se tordre l'esprit.
- Je peux entrer, demanda Bennì.
- Tu veux du café ? lui demanda Anne juste après avoir raccroché. "
" C'est la luutteu finaaleu... "
" Anne-Marie, quelle heure est-il ?
- Minuit, Monsieur Guyard !
- Mais... Mais vous dites n'importe quoi, Anne-Marie ? Il n'est que... (Guyard regarde sa montre.) que 18h30. Enfin !
- Si vous savez, alors pourquoi vous me le demandez, monsieur Guyard ? lui demanda-t-elle, excédée.
- Ben... euh..., bafouilla Stéphane Guyard.
- Pourquoi vous me posez sans cesse des questions dont vous avez PERTINEMMENT la réponse ?! C'est tuant à la fin. Vous commencez à me taper sur le système et je vais vous foutre mon poing sur la gueule, tu l'auras mérité, monsieur le directeur.
- Non... mais vous voulez bien vous calmer, Anne-Marie ?
- ARRÊTEZ DE ME POSER DES QUESTIONS !
- Mais... je ne vous pose pas de question... vous voyez bien, Anne-Marie... ?
- AAARRRRGH ! cria-t-elle en sortant et en claquant la porte.
- Alex, vous avez compris ce qui se passe ?
- Non, monsieur le directeur... Elle doit être très fatiguée.
- Bon, c'est pas tout ça. Il faut y aller. Quelle heure est-il déjà, Alex ?
- Oh... Il est bien 18h30 passées.
- Bien bien. J'appelle Recsonat et on y va, dit Guyard en donnant un petit coup de la main droite à sa machine à créer des mouvements aléatoire, en avalant une poignée de cacahuètes grillées et en appuyant sur une sonnette, qui servait à avertir son homme de main. "
Quelques minutes après, dans la Safrane de fonction du directeur, Alex et Stéphane papotaient gaiement de choses et d'autres : aller à Jourdan, pour eux, relevait de leur travail de représentation. Il fallait représenter l'Ecole à l'Ecole et à l'Extérieur. Alex avait remis son beau costume de Bal...
" Vous savez quoi, Alex, j'ai rarement eu un président du COF aussi efficace que vous.
- Oh, vous me flattez, monsieur le directeur, susurra de joie Alex Sourisgourdin.
- Non, vraiment, je le pense. Olive Glace ne vous arrivait pas à la cheville... et les tragiques événements que nous avons connus n'ont fait que renforcer mon intuition. Et vous compter choisir qui pour vous succéder ?
- Mais ce sont des élections libre...
- Oh ! A d'autres. J'ai aussi été président du COF, vous l'oubliez un peu facilement, Alex. J'ai rencontré un jeune homme très bien aujourd'hui, un peu émêché, mais sensé. Romain Montesq... je sais plus. Le Club Oenologie, c'est qui ?
- Desrousseau, Monsieur le directeur. Mais il ne faut pas vous fier à lui, il est retors. "
Au même moment, en salle S, les informamiticiens de Canne et leur chef, hésitaient à se rendre aux aussi à Jourdan. Certes, ils avaient réussi à s'échapper, hier soir, mais chacun soupçonnait l'un d'eux d'avoir tué Glokmak Vakkonen. Et beaucoup soupçonnaient Francis Canne, qui avait déclaré vouloir se venger du Finlandais. Mais l'envie fut plus forte : ils savaient que Mac, Baudelot, Establet... seraient présents au dernier repas du chef (le micro du bureau de Baudelot fonctionnait toujours). Canne réussit à convaincre les derniers :
" Vous marchallez à Sèvrourdan. Nécessimportant pour compressaisir ce qui s'est passéroulé le jouravant le jourd'hui. J'y voitumarche. Il faut.
- T'as compris pourquoi on doit y aller, demanda un informaticien à un autre une fois que Canne eut conclu ?
- Ben non, mais on dirait que c'est important. "
Anne et Benny se préparaient : Bennî s'était recoiffé, Anne faisait un grand sourire, prête à déguster les " délices perdues " - manger de telles pâtisseries, c'était presque manger Béatrice Didier.
" Où est Mac ? demanda Bennì en ouvrant la porte.
- Je ne sais pas. Figure-toi que je sais pas. Il n'a pas arrêté de marmonner, toute l'après-midi. Il calculait des angles de tir, il courait dans les couloirs pour mesurer le temps qu'on met à aller d'un endroit à un autre...
- Tu crois qu'il viendra manger ?
- Il m'a dit de ne pas lui garder une place, qu'il avait mieux à faire, dit Anne en ouvrant la fenêtre pour fûmer une cigarette. "
Dehors, Alex Sourisgourdin et Stéphane Guyard discutaient :
" C'est donc ça, Jourdan. C'est pas mal, ce petit jardin, ça fait un peu province. Et je parle en connaissance de cause, je suis provincial, disait Guyard.
- Ah bon, et de où, précisément, demandait Alex pour faire poli.
- Et dire qu'on va donner ça aux sciences sociales, poursuivait Guyard, qui n'écoutait pas plus Alex qu'habituellement sa secrétaire. "
D'ailleurs cette dernière se dirigeait vers le Pot de Jourdan.
" Anne-Marie, Anne-Marie, que faites-vous là, lui cria Guyard ?
- J'ai été INVITÉE, monsieur le directeur, lui répondit-elle en pressant le pas pour l'éviter. "
Pour la première fois depuis très longtemps, il fallait faire la queue pour entrer, le soir, au Pot de Jourdan. Et dans cette queue, les normaliens discutaient de la MacAffaire en cours.
" La question de l'enquête, comme dirait Barthes, qui est à ouvrir ici, rique bien de se fermer à l'endroit de sa béance, disait Grichka Sinistre.
- Pareil pareil, mais en fragmenté, et en italique, disait sa copine.
- Non, soyez sérieux, disait Régis. Si on le laisse enquêter comme il le fait, qui sait ce qui se passera ?
- T'as vu, il y a Baudelot, là, qui arrive. Il est donc pas mort ?
- Mais non, c'est pas lui qui est mort, c'est un autre. D'ailleurs, il y a la trace de son corps, sur l'herbe, là, au milieu du jardin...
- Ah... C'est sale. On aurait pu l'enlever.
- Fermebouche et paparler ! Clownimitez des littégrégatifs, disait Canne à sa troupe. "
Le repas fut somptueux. Le chef, à aucun moment, ne se montra, sauf arrivé au dessert, quand il apporta à chacun ses " délices perdues " :
" Ne les mangez pas encore, attendez que tout le monde soit servi, disait-il a chacun. "
Une fois tout le monde servi, le chef commença un discours.
" Chers amis, cher directeur, vous mengez pour une dernière fois à Jourdan ce soir...
- Attendez ! cria Mac, qui déboula en sueur dans le Pot. J'ai quelque chose à dire.
- Vous pouvez pas attendre, s'insurgea Guyard, qui voulait pas rentrer tard chez lui.
- Non, c'est très important, dit Mac (et tout le monde préférait écouter ce qu'avait à dire le Détective plutôt que le cuisinier). J'ai le fin mot de toute cette histoire. Voilà : vous n'êtes pas sans ignorer que se sont déroulés depuis quelque jours dans cette Ecole d'étranges événements, qui se sont conclus malheureusement par un meurtre hier soir, meurtre que nous aurions de toute façon eu du mal à éviter. Tout a commencé il y a quelques jours par la visite qu'a rendu à Monsieur Guyard, notre directeur, un agent secret qui n'était autre que le frère de Byzance Duvoltaire. Il venait révéler à notre directeur qu'un ancien agent d'obédience moscovite, ou plutôt un agent d'ancienne obédience communiste, sévissait et avait sévi dans notre Ecole. Cela a beaucoup inquiété Stéphane Guyard, n'est-ce pas ? Et, quand je suis passé le voir quelques instants après le départ de Bagdad Duvoltaire, il était visiblement très énervé par ce qu'il venait d'apprendre, et quitta rapidement l'Ecole sous la conduite de son homme de main, son éminence grise, Monsieur X.S. Recsonat. Je n'ai pas tout de suite soupçonné le directeur, mais j'aurai peut-être du le faire plus tôt, cela m'aurait évité de vérifier aujourd'hui seulement qu'il avait été à la DGSE pour tenter d'étouffer les recherches de Bagdad, soit disant pour ne pas faire de vagues. Est-ce lui qui a tué Glokmak Vakkonen hier ? Non. Cet agent communiste venait rencontrer et faire chanter Christian Baudelot, plus connu à l'Est sous le nom de Chichon, et grâce à qui les textes de François Héran[18] ont passé le rideau de fer. Baudelot n'avait cependant pas l'intention de tuer Glokmak, mais de lui " casser la gueule " (je cite), n'est-ce pas, monsieur le directeur ?
- Mwoufoui ! dit Baudelot, penaud.
- Qui alors avait tué Glokmak ? Était-ce Anne-Marie, la secrétaire du directeur, rendue folle par des années de mauvais traitements. Était-ce elle, cet agent moscovite, ce qui expliquerait qu'elle ait accepté de souffrir aussi longtemps ? Non, non pas : je l'ai vérifié aujourd'hui. Mais l'hypothèse Anne-Marie m'a permis d'éliminer assez rapidement l'hypothèse Canne. J'avais en effet remarqué les traces de monocycles à côté des buissons, et une démarche claudiquante qui indiquait la présence d'une partie du Club Cirque à Jourdan au moment du meurtre. Mais cela ne tenait pas la route.
- Vraixact !
- J'ai alors étudié plus précisément la thurne à partir de laquelle on avait tiré sur Glokmak. Une odeur qui me rappelait la cacahuète grillée m'avait frappé. Mais ce n'était pas une odeur de cacahuète grillée, mais bien une odeur d'alcool fort. Grâce au président du club Oenologie, nous avons trouvé ce dont il s'agissait. Dit le, Romain :
- S'est de là vodequa ruçe très rarre.
- C'était de la vodka russe très rare, merci Romain. Et surtout, une seule personne dans cette Ecole buvait de cette vodka, Romain me l'a affirmé, c'était LE CUISINIER DE JOURDAN !
- Oh ! fit toute la salle, se tournant vers le cuisinier.
- Oui, je l'avoue, je suis fait. Mais vous ne saurez jamais pourquoi !!! "
Et le cuisinier avala, toute entière, une " délice perdue ". Elle était empoisonnée, il mourut. Max n'avait pas prévu cela. Les efforts de chacuns pour résusciter le cuisinier furent inefficaces, et, quand Béatrice Didier arriva, en disant " Je suis en retard ", tout le monde sut qu'il était impossible de continuer à espérer connaître un jour le mobile du cuisinier.
Mac n'avait pas vraiment d'explication. " Sûrement un mobile boîteux... Il ne voulait pas qu'on découvre qu'il avait été un espion russe pendant toute sa vie. Et, sachant que je finirais par le découvrir, il a préféré en finir une fois pour toute, en tuant avec lui ceux qu'il avait côtoyé pendant si longtemps, pour que son souvenir disparaisse avec lui... Je ne sais pas. "
" C'est peu après l'eau tiède que j'ai découvert l'Amérique... "
Baptiste Coulmont, Comment...
Christian Baudelot se réveilla en sueur. Il avait crié. Joséphine, sa femme, lui dit :
" Christian, que se passe-t-il ?
- Rien Jo, dit Baudelot, qui, dans son sommeil, avait cru que Mac l'avait désigné coupable, rendors-toi... Ce n'est rien... "
Halenson, Paris, Janvier 1998
[1] Un jour en effet, il avait entendu Guyard :
" Anne-Marie, dites-moi, c'est quoi déjà la combinaison du coffre ?
- C'est 12, monsieur le directeur.
- Ah, oui. Faites-moi penser à la changer, Anne-Marie. "
[2] L'histoire se passe avant la destruction du Pot de Jourdan et son remplacement par des salles de cours et une plaque électrique pour chauffer les pâtes.
[3] En anglais dans le texte.
[4] Voir Sanglant Automne.
[5] Voir Sanglant Automne.
[6] Sur ce personnage, voir Un meurtre anormal.
[7] Un index des movalises sera disponible à la fin de la nouvelle.
[8] Contrairement aux apparences, grassouille n'est pas un movalise, mais une interjection.
[9] Voir Au silence d'une après-midi d'été.
[10] En Allemand dans le texte.
[11] Voir Sanglant Automne.
[12] Voir Sanglant Automne.
[13] Voir Un meurtre anormal, L'affaire Lapage, Sanglant Automne.
[14] Voir Au silence d'une après-midi d'été.
[15] Et c'étaient de grosses grappes.
[16] Pour plus d'informations, voir respectivement : Guyard Mémoire d'un Directeur, PENS ; Halenson L'affaire Lapage, Bibl. de l'ENS, et Haroche Mon ami Claude, Courrier de l'ENS, décembre 1997.
[17] Voir L'affaire Lapage ou Nightmare on Ulm Street, une nouvelle vachement bien.
[18] Président du jury de l'agrégation de sciences sociales, NDLR.