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SANGLANT AUTOMNE
ou LES LUMIÈRES D'OCTOBRE


PAR HALENSON

AVERTISSEMENT : toute ressemblance avec des événements passés ou à venir ainsi qu'avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que fortuite et non intentionnelle... exception faite des événements et personnages publics de cette Ecole.

" ... cet usage tout à fait spécial du discours qu'est la citation littéraire, sorte de sommation à comparaître à titre de défenseur et de témoin qui est adressée à un auteur du passé sur la base d'une solidarité sociale déguisée en solidarité intellectuelle ... "
La Distinction, p. 79, Pierre Bourdieu


Prélude : Où la concision de l'auteur se révèle...


" At first I was afraid
I was petrified
Kept thinkin' I could never live
Without you by my side... "

I will survive, Gloria Gaynor

Cette fois-ci, l'enquête s'annonçait rude.

La présidente du C.O.F. était morte, assassinée, une balle dans la tête.


Chapitre premier : Peinture fraîche...


" Ici je suis heureux, et j'ai mon sarcophage "

La ville parjure, p. 39, Hélène Cixous

Tout n'avait jamais commencé. 1848, 1898 ou maintenant. A vrai écrire, jusqu'où fallait-il remonter pour comprendre la macabre découverte que je fis un matin ?
" L'Ecole normale supérieure, chantée par Romain Rolland, n'est plus. Le cloître littéraire fréquenté par une centaine de jeunes garçons, philosophes ou mathématiciens, est en ruines. Aujourd'hui, la pieuvre normalienne s'étend sur la montagne Sainte Geneviève, et le centre de l'Ecole, la cour aux Ernests, est bien petite pour accueillir le millier de jeunes en jeans, des deux sexes, vautrés dans une luxure éhontée de laquelle s'échappent les soupirs stupreux des ventres assoiffés par l'attente d'un Bal imminent... "
C'est ainsi que commençait l'article de Paris-Match, illustré de photos prises dans différents endroits de l'Ecole æ le directeur, Stéphane Guyard, souriant æ, une semaine après la découverte du corps sans vie de Byzance Duvoltaire.
Tout n'était pas faux, dans cet article.

L'Ecole était réellement devenue un " gros truc "1, qui, loin de sentir le renfermé, s'ouvrait sur le " monde réel ". Il fallait dès lors bien un jour se douter que le monde réel la rejoignît.
Si l'aptitude à conjuguer au subjonctif avait eu tendance à se perdre avec les générations, il n'en était pas moins demeuré un gošt certain pour la parlote. Le Pot jouait le rôle de causoir, boudoir, salon où l'on cause ; et le Pot, c'était la cantine de l'Ecole. C'est là que je prévins Christophe MacAbiaut de ma " macabre découverte "2.
La cantine se trouvait au même étage que le Bureau du C.O.F., le Comité d'Organisation des Fêtes ou Bureau des Elèves. Il n'était pas encore neuf heures du matin, et je venais de quitter le Pot et un MacAbiaut aux yeux lourds de sommeil, au teint cireux, à la langue p’teuse, voûté, tordu par un sommeil difficile sur un matelas sans confort... bref, un Mac au mieux de sa forme. Moins de cinq minutes plus tard, les yeux révulsés, je courus le rejoindre :
" Christophe, Byzance a été assassinée...
- Où ?
- Suis-moi... "

Le bureau du C.O.F., une salle carrée, d'environ cinq mètres de largeur, éclairée par une vitre salle mais de plus de deux mètres de haut, doté d'une mezzanine et d'une moquette grise, encombré par une grande table qui servait aux réunions générales, avait été éclaboussé par la cervelle de Byzance, qui s'était répandue sur l'un des murs, annulant, dans les tons gris-rouge, le travail de peinture que nous venions d'achever. Le capharna¸m qui régnait dans le bureau - dossiers éventrés, à terre, centaines de feuilles volantes et de postites jaunes, poussière grise et grasse, vieilles feuilles de journaux d'époque... - ne révélaient pas du tout une bagarre ou une mise à sac de cette pièce. C'était son état normal.
C'est ce que j'expliquai au commissaire Lamouque, " venu constater, avec l'aide de la médecine légiste et de la police scientifique, la réalité des faits allégués par M. MacAbiaut "3.
Byzance Duvoltaire était morte debout, hands-up, et il avait suffit d'un seul coup d'un revolver muni d'un silencieux pour la faire passer de vie à trépas. Pas d'autres indices. L'heure du décès, entre minuit et 4 heures du matin. Pas d'empreintes digitales. L'arme du crime n'avait jamais été repérée par la police : l'examen de la balle révéla qu'il s'agissait d'un 22 long rifle. L'argent du coffre n'avait pas disparu (or il y avait plus de 45 000 francs en espèces). Rien qui permette un début d'enquête.
Christophe MacAbiaut adorait démarrer une enquête sur un fait vide. Depuis son entrée à l'Ecole, il avait eu à en résoudre plusieurs, avec succès. Premier dans son genre, il était Elève-Détective : il apprenait à l'ENS les rudiments du métier d'inspecteur, d'agent-secret, de federal. Toute la question était alors de savoir si l'absence apparente d'indice indiquait un fait vide. Rien n'était moins sûr...

Le commissaire Lamouque assura au détective qu'il lui fournirait les informations nécessaire à son enquête.


Chapitre deux : Un vieil ours bien étrange...


" Nul ne perd une vie autre que celle qu'il vit, et il ne vit pas une vie autre que celle qu'il perd. "

Pensées pour moi-même, Livre II,14, Marc-Aurèle

L'Ecole normale supérieure avait en son bec un détective, Christophe MacAbiaut. Brun et voûté, l'oeil torve, c'est ainsi que je le décrivais l'année dernière, lorsqu'il me fallait le décrire4. Il mérite cependant plus que ces quelques termes. J'ai lu récemment que le roman contemporain autorisait les longues descriptions.
Christophe MacAbiaut n'avait jamais eu les cheveux longs, ni la tentation de les avoir un jour. Sans craindre toutefois de les laisser libre dans le vent, un soir, sur une plage, au soleil couchant, il aimait néanmoins l'ordre. L'ordre et le crime. L'ordre parce que sans ordre, on ne pense pas5 ; le crime parce qu'il est énigme. Il aimait penser dans l'énigme. Il avait toujours pensé dans l'énigme. Et parce que l'énigme posée par le crime offrait toujours une solution, il aimait le crime.
Christophe MacAbiaut était né à Douai, dans le Nord de la France, et il s'en foutait royalement, même si, pour une obscure raison, il n'aurait jamais pu naître ailleurs.
Christophe à l'Ecole était détective.

Byzance était, vivante, une grande blonde, un grand échalas, une perche, surexcitée. Elle parlait beaucoup. Elle avait été élue présidente du Bureau des Elèves de l'ENS, le COF, à la fois parce qu'elle était active et dynamique, et parce qu'elle était une fille. Le machisme des élèves de l'Ecole normale, héritage de presque deux cents ans de vie masculine cloîtrée, fonctionnait parfois à l'envers, ou s'atténuait : le précédent président du COF avait été une présidente : Olive Glace
Elle était morte.

C'est sous un soleil resplendissant et la chaleur qui y est associée qu'elle fut inhumée.

L'analyse médico-légale n'avait rien donné.

La police conclut à un suicide.

On n'avait toujours pas retrouvé l'arme du crime.

Il n'y avait jamais eu crime.

Selon la police.

Cette dernière se fondait, pour affirmer cela, sur plusieurs éléments " troublants " : on n'avait pas retrouvé l'arme du crime, la morte n'était pas suicidaire, rien ne laissait penser à un suicide, la police scientifique avait relevé des traces de poudre dans le couloir (signe que le meurtrier avait pu s'enfuir)... Bref, TOUT indiquait un crime. Pour la police, cela était la preuve d'un suicide MAQUILLÉ en crime, en meurtre, en assassinat.
MacAbiaut n'avait jamais eu de bonnes relations avec le commissariat du cinquième arrondissement. Le commissaire le soupçonnait d'inventer des crimes, de fabuler, de vivre dans un monde d'intellectuel...
L'incompréhension avait tendance à être statistiquement importante.

Mac allait devoir faire appel à toute son intelligence.

*
* *

Anne était dans sa chambre lorsque Mac vint la déranger. Il avait besoin de faire le point et savait qu'Anne avait le don de remettre ses pensées en place, souvent avec deux coups de pieds aux fesses, histoire de le pousser un peu à réfléchir par lui même. Anne, aidée de Julien, l'année dernière, avait sensiblement aidé notre détective à trouver la solution de plusieurs affaires apparemment insolubles6. Mac comparait en effet le travail du détective avec celui de l'ethnologue, et ce pour plusieurs raisons : l'" informateur ", cette personne intermédiaire entre les mondes étudiés et l'ethnologue, est souvent l'adjuvant essentiel d'une enquête, le catalyseur, " l'âme ", avait-il tendance à me dire au cours de longues conversations un peu chiantes sur l'art et la manière d'enquêter ; et en second lieu, le détective, comme l'ethnologue, modifie le milieu dans lequel il travaille, du seul fait de sa présence, troublante. Mac pensait que seule cette modification pouvait l'aider à trouver le (ou les) coupable(s).
Cette année, seule Anne pourrait faire office d'informateur : Julien, aux Etats-Unis, étudiait Faulkner.

" T'as pensé à interroger Baudelot, lui demanda Anne.
- Ben... non. Qu'est-ce qu'il a à voir ?
- Le labo de sciences sociales est en face du bureau du COF, non ? Tu devrais le savoir, la criminologie, c'est bien une science sociale ?
- D'abord, je fais pas de la criminologie, mais de la science détectivale - et je suis au département d'Histoire. Ensuite, j'y cours, de ce pas leste et vigoureux. "

Christian Baudelot, directeur du département de sciences sociales, comptait parmi les êtres qui pouvaient souffrir la comparaison avec l'ours des Pyrénées, le bouc chypriote et le Yéti chinois. Les mauvaises langues racontaient, à l'époque, que, pour entretenir une barbe telle que la sienne, il y avait un secret que nul n'avait réussi à percer. Bourru, grommelant, la tête penchée vers la droite ou la gauche, selon le vent politique - je cite toujours les mauvaises langues -, le jean délavé, et près d'un mètre quatre-vingt dix, une cinquantaine d'années, auteur, grisonnant, de L'Ecole capitaliste en France (Editions sociales, 1971). Il travaillait dans ce que l'Ecole appelait le " labo de sciences sociales ", cinq pièces un peu à l'écart (deux salles de cours, deux bureaux, une salle commune). Ca n'avait pas grand chose d'un labo, mais tout de la science sociale.
" Mais oui, j'ferme ma gueule, Roger. T'inquiète... Non, plus tard... Vers décembre. Ouais, j'compte sur toi pour ce cours... Appareil idéologique... Mouais. Allez, salut... A bientôt, Roger... Salut... Au revoir. Bye.
- Bonjour monsieur Baudelot. Je suis Christophe McAbiaut. J'enquête sur la mort de Byzance Duvoltaire. Vous étiez ici, ce soir là ?
- Salut Christophe. Non, malheureusement, je peux pas t'aider. J'étais pas là. Et... de toute façon, c'était un suicide7 ? Non ? C'est pas ce que la police a conclu ?
- Et... qu'est-ce qu'il ne fallait pas répéter, là, à l'instant, au téléphone. Excusez-moi de poser les questions aussi directement, mais l'affaire est grave.
- Oh ! C'était Roger... Tu sais Le niveau monte... Allez les filles !... La glorieuse époque ! Roger Establet... On est sur un coup éditorial, pour le livre de Stéphane... Il est fort, Stéphane... Mais j'm'égare... Rien à voir avec ce crime. Ca serait donc pas un suicide ?
- Il y avait quelqu'un, dans le labo, ce soir là ? demanda Mac, qui savait fort bien éluder les questions directes.
- Hmmm... Peut-être Frédérique... FREDERIQUE !
- QUOI ?
- T'étais ici le soir ou l'élève est morte, en face, dans le bureau des élèves ?
- J'étais... Non, j'étais avec Dominique, à Science Po, dit Frédérique Matonti, qui arrivait de la pièce jouxtant le bureau de Baudelot. Mais, toi, t'étais pas là ? J'croy...
- Non ! J'étais avec Roger... Pour Vive la République ! Roger et Pierre. "
La discussion s'engagea. Cela n'intéressait plus Christophe, qui, de toute façon, en savait, ou croyait en savoir assez. Baudelot était à l'Ecole au moment du crime. Mac en était sûr. Trop d'hésitations dans la voix du barbon révélaient un lourd secret... Mais ce n'était pas le moment de tenter de percer sa carapace.

" Alors, c'est bon, comme théorie ? " demandait Christophe à Anne. Baudelot et Roger Establet coupables, il ne restait plus qu'à trouver le mobile et élucider quelques points obscurs.
" Non, pas vraiment, répondit Anne. On voit mal Baudelot tirer à bout portant sur Byzance, juste pour le fun.
- Mais je suis sûr qu'il était dans le labo de socio, le soir des faits.
- D'accord, mais c'était peut-être pour travailler... Sait-on ? "
Mhhh, toutes ces suppositions n'avançaient pas notre détective, qui trouvait cette affaire vraiment compliquée.

*
* *

Le lendemain matin, un nouvel indice parvint à la connaissance de Christophe MacAbiaut. Mlle Charlotte F., qui désire conserver l'anonymat, baguenaudait en charmante compagnie dans les sous-sols de l'Ecole, vers trois heures du matin, lorsqu'elle avait entendu un coup de feu. Elle était remontée des profondeurs de la Montagne Sainte Geneviève sans pouvoir constater autre chose que la fuite d'une ombre, dans la cour aux Ernests.
Le mystère s'épaississait. Charlotte, petite brunette souriante, pouvait-elle mentir ? Mac se posait souvent ce genre de question, l'expérience qu'il avait des petites brunes le laissant dans l'expectative. Le travail de détective l'obligeait à couper et recouper les témoignages, à extraire la vérité du flux des événements. Rien de bien facile dans tout cela.
" Méfie-toi, Mac, lui disait Anne. Méfie-toi. "
Ca ne l'avançait pas.

Il devait continuer ses investigations.


Chapitre trois : Bruits de couloirs et bruit dans les couloirs...


" I'm not that chained up little person
Still in love with you... "

I will survive, Gloria Gaynor

Mlle Charlotte F. n'était pas n'importe qui : c'était une conscrite. Elle venait de rentrer à l'Ecole. Or c'est précisément le jour de la rentrée que Byzance avait été assassinée. Nombre de parents abusifs et désemparés avaient, l'information du meurtre ayant circulé, pris peur pour leurs enfants qui, l'’me normalienne étant curieuse, avaient commencé, de leur côté, à enquêter.
Et l'on pouvait entendre, au Pot, les conversations tourner autour de tel mégot, de cette empreinte douteuse, en salle S, de la déchirure que représente, pour certains anciens élèves, devenus archicubes, le départ de l'Ecole, ce qui pouvait, peut-être, motiver un crime...
Et l'on pouvait surtout entendre les conscrits, qui, découvrant petit à petit l'Ecole et ses crimes, mélangeaient la fausse exécution de Guyard, le directeur, et la véritable éviscération de Lapage, l'année dernière. Il étaient toutefois les plus imaginatifs. Au fur et à mesure qu'ils prenaient connaissance des caÔmans et des directeurs de départements, le soupçon se faisait lourd et vindicatif.
" Béatrice Didier ! Béatrice Didier ! Excusez-moi, cher ami, hurlait presque, outragé, Hervé-Hubert III de Salvit de Cripancourt-Saint-Chalvons, prince des Liacques et chevalier de Mestres, qui portait son cacicat et sa noblesse en haute estime, excusez-moi, mais je ne vois pas du tout Béatrice pointer un machine-gun en direction de feu Byzance - avec qui j'étais très lié, soit dit entre nous - et appuyer sur la détente... Non... Tout simplement non !
- Elle est pas claire, lui répondait Destroy-Max, alias Maxime Désse-Troie, Y'a anguille sous roche. Moi, j'étais dans les couloirs, vers le moment du meurtre - on montait une soirée, avec Gear et Teplan - et elle trainait dans les couloirs... Et le Bal, finalement, il est annulé ou non ? demanda Destroy-Max à Salvit, qui s'en occupait en partie. "
Plus loin, c'était deux jeunes caÔmans, Stéphane " (((((((( " IsraÎl et JoÎl " Jésus " Merker qui discutaient.
" Ca ferait un super Thriller théologique, cette affaire, hein, Stéphane ?
- Te fous pas de ma gueule, on sait tous qui a fait le coup.
- Empoisonnement à l'aide de vieux manuscrits de la mer morte ?
- Opus dei... chuchota-t-il tout bas, jetant un coup d'oeil de chaque côté, pour éviter que d'oreilles indiscrètes n'entendent ce souffle, ce pneuma.
- Hein ? chuinta inélégamment Merker.
- Ben oui, elle s'appelait Duvoltaire, Du VOLTAIRE... C'est un acte anti-voltairien....
- Mazette... ! Que lui serait-il arrivé si, je sais pas moi... si elle s'était appelée DesROUSSEAUX...8 "
Mac tendait l'oreille un peu partout, mais aucune hypothèse ne lui convenait. Béatrice Didier, admiratrice de George Sand et de Sade, chef à l'apparence chétive - mais au combien puissante - du département si joliment nommé LiLa, Littérature et Langage... " Béa " n'aurait jamais pu tuer Byzance...
Qui, alors ?

Seul, à la recherche d'un crime que la police ne reconnaissait pas, Mac était en bien mauvaise posture.
" Non, Christophe, je ne peux pas t'aider, j'ai une maîtrise à faire, moi, cette année, lui disait Anne. C'est fini les petites enquêtes... Débrouille-toi tout seul !
- Mais... Anne... Pense à nos filatures, nos aventures. Souviens-toi, quand, avec l'aide de Julien, tu m'aidais à trouver la solution d'affaires terribles aux ramifications mafieuses... Anne...
- C'est fini, ce temps-là, Christophe, c'est fini... Tout est fini entre n... J'aspire à une vie plus tranquille, Christophe. Il ne faut plus rien me demander.
- Une vie plus tranquille ? Anne, tu t'occupes du Bal de l'Ecole, tu es DG, tu ne peux donc plus m'aim... m'aider... Anne... Anne... ?
- Restons-en là, Christophe, je t'en prie... "
Il descendit alors envoyer un imail à Julien, qui pourrait peut-être la faire changer d'avis. Il était désemparé. Klara, qui avait hérité de ses ancêtres Allemands toute la panoplie de la Walkyrie, et qui aimait violemment Julien, actualisant en cela l'habitus9 féminin d'Outre Rhin, écrivait aussi un mail, sur l'ordinateur qui jouxtait celui de Mac.
" T'as pas l'air en forme ?
- Oh... Si... Tout va bien... Tu m'connais, j'les fais toutes craquer... Et j'les f'rai craquer au Bal. Et toi ?
- Non, j'insiste, Christophe, t'as pas l'air dans ton assiette, insista Klara.
- Y'a des jours comme ça... Parlons plutôt de Julien. T'as des nouvelles récentes ?
- Oui, le pauvre. Après son agression, il est obligé de porter un gilet pare-balles. Mais ça tu savais, dit-elle, puis, en souriant : Ah, ça tu sais pas : il s'est électrocuté, aujourd'hui, en voulant brancher son ordinateur. Pas grave comme électrochoc, mais sa main gauche est enflée. "
Il y avait pire, comme situation, pensait Mac, soulagé, sans comprendre pourquoi il se soulageait des malheurs de Julien.

Le lendemain, Guyard convoqua Mac dans son Bureau.
" Monsieur MacAbiaut... Depuis votre arrivée dans cette Ecole, l'année dernière, il y a eu un meurtre, un enlèvement, et un deuxième meurtre, cette semaine. Je n'avais jamais connu ça depuis ma nomination comme directeur.
- Il y avait des suicides10, avant...
- C'était la faute à Lattemanne, il faisait peur aux jeunes filles11. Trèves de plaisanteries, Monsieur MacAbiaut. Je souhaite que tout cela cesse. Nous savons tous les deux que Byzance ne s'est pas donné la mort. Elle a été tuée et je veux savoir quel est le salaud qui a fait ça12...
- Hmmm, je fais tout mon possible... bafouilla Mac.
- Je veux plus ! Je veux le maximum ! répondit vivement Guyard. Quant à moi, je vais essayer de remonter le prestige de notre auguste Ecole en faisant visiter nos fiers b’timents à des journalistes de Paris-Match. Faites vite, sentença Guyard, qui, peu à peu, depuis l'éviction de Lattemanne, se lattemannisait. "

En attendant de nouvelles élections au COF, et parce que la vice-présidente, Hélène S. était encore en vacances - en Inde -, je dus assurer les affaires courantes, et il y avait des choses à faire, avec ce Bal, qui approchait. Les demandes de petits-cours avaient chuté de façon très importante, les mères de familles ne souhaitant plus dévoyer leurs chérubins au contact de normaliens roulant dans la fange, le stupre et le crime... Je passais donc plusieurs heures par jour à nettoyer, à l'éponge et à l'eau de Javel, les traces de cervelle, seul souvenir que nous laissait Byzance, mais souvenir qu'elle avait laissé un peu partout dans le bureau...
J'avais aussi essayé de classer les documents en cours, mais il n'y avait presque rien à faire : l'ancienne présidente faisait trop confiance à sa mémoire, et n'écrivait presque rien. Où en étaient les comptes, qui faisait quoi... Impossible à savoir. Sa mort n'avait rien arrangé au bordel qui régnait dans le bureau. Et ni la trésorière ni le secrétaire-adjoint ne pouvaient m'aider.
Par conséquent, Christophe devrait se débrouiller tout seul. Je lui faisais moyennement confiance. Trop émotif, le Détective. Mais je ne pouvais guère lui être utile. Sauf à appuyer la thèse du meurtre face aux insinuations policières.

*
* *

Rien ne bougea avant la parution du nouveau Paris-Match, qui, sans compter l'article enragé précédemment cité, contenait un edito cosigné par Mazarine Mitterrand et Ophélie Winter, " regrettant qu'une Ecole d'élite tombe si bas... "13, Mazarine célébrant l'ascétisme jésuitique (sic) de l'ENS de Fontenay, et Ophélie l'Ecole de la vie (re-sic). Cela avait du faire des ravages.
Heureusement, du côté de la défense, un " mot du directeur " célébrait la vigueur, la jeunesse, l'histoire et l'avenir radieux de l'Ecole. Heureusement (re-re-sic).

Ce numéro fit du bruit dans les couloirs.


Chapitre quatre : Souvenirs, souvenirs...


" Nous sommes en 1788 ! "

Discours, 1967, Pierre Mendès-France

Mac ne cessait de se poser des questions, et de rechercher, dans les archives de la police nationale, un cas similaire. Oh ! je vous entends venir : Un cas similaire... Mais il y en a des tonnes, de cas similaires et comme celui-ci, tous pareils, idems et ibidems. Que nenni, de cet item, pas d'idem, ni d'ibidem, vous répondrai-je...
En effet, en récapitulant, Mac se rendait compte de l'absence d'éléments, d'un vide dont il ne pouvait faire l'éloge, d'une certaine fadeur verlainienne inhérente à cette enquête. Il b’tissait des hypothèses sur du rien. Or tout le monde, et Mac le premier, savait bien que le rien, c'est pas solide.

Et le seul cas ressemblant s'était déroulé, en 1848, à l'ENS. Le roi des élèves, comme il était appelé à l'époque, avait été assassiné, d'un coup de pistolet, repeignant de sa cervelle gris-rose les locaux tous neufs...
Le mystère s'épaississait.

Compte-rendu du préfet De Mazelle, 24 janvier 1848
" Le soleil n'est plus, aujourd'hui, que le reflet p’le d'un soulèvement annoncé. " Cette phrase, M. De Cézies n'a de cesse de la répéter, à qui veut l'entendre. Et il semble que l'oracle renaît.
La mort de M. Fillibon, " roi des élèves " de l'Ecole normale, et auteur de cet oracle, m'a touché profondément, plus profondément que je ne le laisse paraître. Monsieur De MacAbiault14, qui est officiellement chargé de cette enquête, n'y voit goutte. Il lui semble que rien ne puisse le mettre sur la voie d'un coupable. Certes, et il me l'assure, les fréquentations sournoises de Fillibon, d'honteux républicains, apportent de nombreux enseignements, mais aucun " indice ", pour reprendre les termes obscurs du langage de notre meilleur détective, ne l'éclaire réellement. Par indice, il entend, pour le peu que je comprenne, un ensemble de petites choses, fibres de tabac, traces de pas, témoignages, constructions de l'esprit... qui " forment système ". Former système ! que devient l'usage de notre belle grammaire française !
S'il fallait résumer les circonstances de la mort de Fillibon, il suffirait d'énumérer quelques éléments : il a été retrouvé mort, le matin du 2 janvier 1848, par un de ses camarades, M. Evariste Galois, républicain extrémiste qui ne doit sa liberté qu'à son jeune ’ge. De MacAbiault l'a mis hors de cause, après vérification de son alibi, encore un de ses termes abscons, emploi du temps serait bienvenu. Il me faudra penser à lui en parler sérieusement. L'arme du crime est, selon toute vraisemblance, un pistolet de la Fabrique Royale, du modèle le plus courant. Il n'a pas été retrouvé. Alors que 45 guinnées anglaises se trouvaient dans la pièce fatale, elles n'ont pas été dérobée. MacAbiault y lit un indice, mais je parie, humblement, pour l'imbécillité de l'assassin.
Les professeurs et les maîtres d'internat ont été interrogés par notre détective, qui laisse poindre un soupçon de doute envers M. Auguste Comte, dont les théories positivistes, quel mot affreux, et un emploi du temps peu clair laissent accroire des moeurs légères. Madame Béatrice Didier, en revanche, bien que présente aux alentours des lieux du crime au moment où celui-ci fut forfait, a été mise hors de cause. J'attire ici l'attention sur l'affront fait à la morale royale : une femme, entourée de jeunes radicals, je me permets d'user ici d'un terme anglais pour traduire l'intraduisible, tels Monsieur Flaubert... n'a pas sa place dans un cloître masculin !

Il était inutile que Mac lise plus avant le rapport du préfet De Mazelle. S'il avait été étonné de l'implication de son ancêtre Sigismond de MacAbiault dans une affaire étrangement similaire à la sienne, il commençait à comprendre l'influence que Béatrice Didier avait dans le monde universitaire et éditorial. Elle était, semble-t-il, plus vieille qu'elle ne le paraissait. Il devait l'interroger.

" Monsieur MacAbiaut, entrez !, dit Béatrice Didier, assise dans son bureau, au centre de la " Chapelle ", nom usuel du Département LiLa. Cela avait été une chapelle, autrefois, sous le Second Empire. Béatrice Didier, d'aspect quelque peu chétif, que la blondeur de ses cheveux accentuait, ainsi que la légère lenteur avec laquelle elle parlait, trônait dans un fauteuil trois fois trop grand pour elle, et disparaissait derrière un bureau encombré de feuilles, de livres, de téléphones et d'ordinateurs (elle en avait trois, et parmi eux, toujours un en panne).
- Bonjour Madame Didier. J'ai quelques questions à vous poser... au sujet de la mort de Mlle Duvoltaire... et aussi celle de Fillibon.
- Quoi... comment ? bégaya-t-elle, visiblement troublée.
Je ne vois pas
De qui vous voulez parler... !
Fillibon... mais je ne connais
Personne du nom de Fillibon.
- Quand êtes-vous entrée à l'Ecole, madame Didier ?
- Mais...
En 1993, comme directrice du département
LiLa... !
- Que faisiez vous dans la nuit du 1er au 2 janvier 1848, madame Didier ?
- Ca n'est pas drôle,
Vraiment pas drôle, monsieur MacAbiaut ! Je n'étais pas
Née, en 1848 !
- Ben voyons ! Cessez de jouer à la plus maligne, Madame Didier. J'ai ici un rapport de police qui certifie que vous étiez sur les lieux du crime dans la nuit du 1 au 2 janvier 1848. Alors, que dites vous de cela ?
- Ah,
Mais c'est étrange... reconnut-elle en lisant le rapport du préfet De Mazelle. Oui, soupira-t-elle, ça me revient, maintenant... Pauvre
Fillibon. Oh, comme cela remonte !
J'étais jeune,
Jeune agrégée à l'époque... La vie était plus facile, Monsieur MacAbiaut, vous savez...
Vous pouvez pas vous
Imaginer... une édition originale de Balzac, c'était rien, 50 sous, pas plus !
Et Sade... Ah ! ça circulait sous le manteau, mais c'était si rafraîchissant !
Il faut vous remettre dans le contexte de l'époque... Et Alexis... quel orateur ! En janvier 48, il prédisait la Révolution de Février !
- Alexis ?
- Tocqueville !
Déjà malade, mais encore charmeur...
Un peu comme Chirac, maintenant...
- Je suis désolé de vous arracher à de si charmants souvenirs, mais il faut que je comprenne, madame Didier. Savez-vous qui a tué Fillibon et Duvoltaire ?
- La même
Personne, ça m'étonnerait.
Il n'y a pas vraiment de points communs...
Ah !
Mais alors, Sigismond de MacAbiault - elle prononçait " t'Ziguissmonnde di Ma'h Abiaulltt ", à l'écossaise -, c'était votre grand-père !
- Non, pas vraiment. Mon grand-père est né en 1913, pas en 1815. C'est un aÔeul, tout au plus, un arrière-arrière-grand-oncle...
- Comme tout s'accélère.
Bel homme, qu'il
Štait, Sigismond. Mais tous ces souvenirs ne doivent guère
Vous intéresser, et je ne me souviens pas de grand chose, et je ne peux pas vraiment vous aider...
C'est si
Loin, maintenant... "
Christophe laissa Béatrice à ses souvenirs. S'il n'avait toujours pas de piste, il y voyait néanmoins plus clair. Il trouvait cela essentiel et je n'étais pas loin de penser comme lui (de trouve ça essentiel, pas d'y voir plus clair, car je n'y comprenais plus rien).


Chapitre cinq : Esprit... et tue, là !


" So now you're back
From outer space... "

I will survive, Gloria Gaynor

" Idiot, complètement idiot, pensait, rageuse, Anne. " Christophe lui avait raconté une histoire abracadabrante, Béatrice Didier, c'est un fantôme, sinon un être à la longévité étonnante, et une sorte de cercle spatio-temporel le fait marcher, lui Mac, dans les traces d'un de ses ancêtres... Quel con !
Elle venait de faire un tauke15 avec Julien, et - à cause du décalage horaire et parce qu'elle avait croisé Olive Glace, qui, en tant que précédente présidente du COF, était statutairement chargée d'organiser le Bal - il était plus d'une heure du matin quand elle remontait dans sa chambre. Il faisait noir, plus noir que d'habitude, car une série d'incidents électriques (grèves, surtensions, vétusté du matériel, essais électriques en prévision du Bal...) s'étaient conjugués pour faire éclater une bonne partie des ampoules de l'Ecole. Les élèves n'étaient plus que des ombres. Et dimanche venait de naître. Pour le premier week-end depuis la rentrée, de nombreux normaliens étaient rentrés chez papamaman, par peur du meurtre, mais aussi pour raconter les merveilles normaliennes de vive voix. Si Anne était resté, c'était à cause de sa putain de maîtrise. Elle devait s'obliger à travailler, mais elle avait la tête ailleurs... Elle se souvenait des longues soirées de filatures, les courses échevelées à la recherche des voleurs, des étripeurs, des commissaires félons... " Nous avons voyagé... " Mais il fallait qu'elle l'oublie.
Tiens, le bureau du COF est éclairé, pensa Anne, étonnée. Encore Hal qui nettoie la cervelle ? Mais, quand elle s'en approcha, la lumière s'éteignit.
" Oh, Hal ! c'est toi ? frappa-t-elle à la porte. "
Pas de réponse. Pas un bruit. Ou, plutôt... Un grincement, faible, suivi par une sorte de bruit de succion. Puis, silence de l'hermétique. Début de l'herméneutique.
Certaine que la manifestation d'un sens pouvait être associée à ces bruits, Anne ouvrit la porte du bureau gr’ce à sa clé de DG16. Personne. Dans le bureau, personne. Elle regarda bien dans tous les coins17. Il fallait se rendre à l'évidence - au sens fort des termes - : il y avait anguille(s) sous roche. La fenêtre était fermée de l'intérieur. La porte était close. Et pourtant, quelqu'un ou quelque chose était sorti du bureau. Passage secret ? Ou fantôme de Béatrice Didier-Passe-Muraille ?

Je dormais tranquillement dans ma mezzanine du Vert18 quand Anne vint me réveiller.
" Hal ! Y'a des trucs louches dans le bureau du COF ! Toc toc toc !
- Quooo.... Quoi... J'venais d'm'endormir, dis-je à Anne, les yeux bouffis et la langue p’teuse, en lui ouvrant la porte... Les mystères, c'est Mac qui s'en charge...
- On est en froid.
- 'tain... souris-je. On va aller voir. "
Elle m'expliqua les raisons du " froid " puis l'origine de mon réveil : une disparition au bureau du COF. Ca semblait assez étrange19. Ma semaine de rangement ne m'avait pas fait découvrir de passage secret, et j'étais, pour tout vous dire, assez sceptique. Mais Anne voulait absolument vérifier le coffre du bureau, croyant sincèrement qu'il pouvait être habité par quelques démons, material-spirits, ou poltergeister...
Anne avait bloqué la porte du coffre avec une table. L'esprit frappeur n'avait pas pu en sortir pendant son absence.
Il n'y avait bien sûr rien dans le coffre. Bien sûr, plus rien du tout. Nada. Et pourtant, il y a quelques heures, il y avait du fric, des documents... Il avait été vidé.

Le mystère s'épaississait.

Christophe MacAbiaut, détective, n'était pas en train de dormir, et nous ne pûmes le prévenir des événements étranges que le lendemain matin, au petit-pot. Quelque part dans l'Ecole, il espionnait l'étrange réunion qu'avaient fomentée trois universitaires...
" Ca te plaît pas, Vive la République !... avec un point d'exclamation ?
- Ben... Christian, si tu avais un autre titre...
- J... J'ai pensé à A mort les richards ! ou à Les friqués à la lanterne ! à chaque fois avec des points d'exclamation... Qu'est'c't'en penses, Pierre ?
- Bof... répondit Pierre Bourdieu, sociologue charismatique aux yeux gris clairs, doté d'une voix de stentor, d'un habitus de béarnais, d'une intelligence hors du commun, de la promotion 1951.
- Moi, j'ai pensé à L'Ecole capitaliste en France, proposa Roger Establet, compagnon de toujours de Baudelot.
- Déjà fait !
- Déjà fait, répéta-t-il, visiblement outragé ! Qui ?
- Hé bé, nous, en 1971, tu te souviens pas... Les Editions sociales, les manifs, la gauche... On était jeunes...
- On pourrait le reprendre... J'suis sûr, personne s'en souvient...
- Structure et genèse du champ capitaliste, proposa Pierre-Le-Grand.
- Ah ! tu te recycles, Pierre.
- Comment, je me recycle !
- Ben... oui, Genèse et structure du champ religieux, 1971, aussi, dans la Revue Française de Sociologie...
- J'me disais bien, ça me disait quelque chose... Bon, on choisira plus tard, de toute façon, on se revoit demain soir... Au fait, t'es sûr que personne n'est au courant, Christian ! T'as su te taire ?
- Ben, c'est à dire... que... Frédérique et Stéphane... ma femme, MacAbiaut, Nicole... comptait Baudelot, qui commençait à comprendre qu'il avait trop parlé.
- Frédérique... ? Matonti !?
- Euh... oui.
- Merde, Christian ! Elle est encore plus bavarde que toi ! Comment tu veux travailler dans le secret, après ça ! Et c'est qui, Mak...
- MacAbiaut, c'est un détective... M'enfin... c'est un élève de l'Ecole, et il est aussi détective... Un concours créé par Guyard... Il enquête sur la mort de l'aut'soir.
- Et qu'est'ce tu lui as dit ?
- Ben... rien, qu'est'ce tu voulais que j'dise. On a vu un fantôme avec un 22 long rifle ! Pierre ! J'suis sûr qu'il me soupçonne, en plus.
- C'était peut-être pas un fantôme, hasarda Establet.
- Ca y ressemblait, en tout cas ! s'exclamèrent Pierre et Christian. Grand, avec un drap blanc, flottant, et hop disparu ! "

Voilà donc ce qu'avaient vu Pierre, Christian et Roger ce soir là. Et voilà pourquoi Christian Baudelot avait paru si hésitant lorsque je l'avais interrogé, pensait Christophe.

*
* *

Le lendemain matin, Anne, Christophe et moi en vînmes rapidement à évoquer, devant café, baguette sèche et confiture solide, les mystérieux événements de la nuit.
" Un grincement suivi d'un bruit de succion, tu dis ? C'est assurément l'oeuvre d'un ectoplasme.
- Te fous pas de ma gueule, Christophe.
- Mais je me fous pas de ta gueule, je te jure.
- C'est ça, c'est ça.
- C'était qu'une passade, Anne. Rien à voir avec...
- Ta gueule, Christophe... Ta gueule... Je préfère ne rien savoir. C'est ta vie... J'ai ma vie, tu as ta vie. Et c'est bien comme ça. OK ?
- OK.
- Bon, maintenant, on a des fantômes à chasser. "
Bien que parlant à mi-voix, nous nous faisions remarquer, et les regards commençaient à se tourner ouvertement vers nous, qui se cachaient encore auparavant. Nous préfér’mes écourter le petit-déjeuner pour partir à la chasse aux fantômes et aux billets volés par ces derniers. Mais comme je n'avais pas envie de tomber nez à nez avec un esprit revenu hanter le bureau du COF, je laissai nos deux héros se chamailler et je remontais lire dans ma turne, tout en souriant à l'idée d'un Bourdieu aussi cachottier.


Chapitre six : La tournée des (po)potes...


" Le Grand Bousier est Grand
Et Dubreuil est son prophète !
Nam vivit ! "

Les Très Saintes Ecritures

Il n'y avait pas de trace d'ectoplasme dans le bureau du COF. On aurait pu s'y attendre. De toute façon, ni Anne ni Mac ne savaient à quoi ressemblaient une trace d'ectoplasme, ni même un ectoplasme tout court.
" Tu y crois, toi, aux fantômes ?
- Pas vraiment, mais après l'affaire Didier et après avoir vu la peur qui se lisait dans les yeux de Baudelot et Bourdieu, je me pose des questions.
- Qu'est-ce que ça ferait de tous les documents du coffre, un fantôme ?
- Bonne question, Anne... C'est peut-être une sorte d'historien, un fantôme... Ca se nourrit d'archives, ça mange de la poussière, ça bouffe du vieux. Y'a des chances pour que.
- T'en as interrogé, des historiens ? Ils doivent être pas mal au courant de ce qui se passait ici il y a 150 ans. P'têt'q'ça pourrait t'aider...
- On y va ?
- Allez ! On y va. "

*
* *
" Monsieur Pécout ? demandèrent ensemble Anne et Christophe, après avoir frappé, humblement, à la porte du bureau de Monsieur Pécout. Monsieur Pécout ? Vous êtes là ?
- Quoi ! Entrez !
- Voilà, on vient vous voir pour...
- Vous êtes MacAbiaut ! Et vous.
- Moi, c'est Anne !
- Anne, tout court ?
- Anne, tout court !20
- Ah, c'est étrange.
- Il y a plus étrange, Monsieur Pécout ! reprit vivement au vol Mac, content de cet enchaînement. Il y a beaucoup plus étrange ! Nous parlons d'un meurtre. Que savez-vous.
- Vous brusquez toujours les gens comme ça, Monsieur MacAbiaut ?
- Toujours en service !
- Eh bien... Je ne sais pas grand chose, de ce tragique événement. Sinon qu'il ressemble assez sensiblement à un autre meurtre - nous sommes d'accord, il ne s'agit pas d'un suicide21 - commis en 1898...
- 1848 !
- 1898 !!!
- !
- 1898, disai-je, et qui eut aussi lieu dans le bureau du COF, que les normaliens, à l'époque, appelaient la PRF, la Petite République des Fêtes... Ils l'écrivaient Péhêreffe, si vous voulez tout savoir. Et, pour la petite histoire22, c'est de là que vient le nom de Peyrefitte, à l'origine, c'était Péhêreffite, l'habitant de la PRF, selon l'argot normalien de l'époque... Mais revenons plutôt au meurtre, disait Monsieur Pécout en cherchant dans ses papiers... Tenez, j'ai une photocopie du rapport de police. J'suis tombé d'ssus par hasard, quand je bossais sur la fin du XIXe siècle à Paris. Et.... "
Monsieur Pécout s'emballait, ce petit brun d'environ trente-cinq ans, aux cheveux frisés et au sourire carnassier, vif et cassant, historien encyclopédique et érudit, commençait à raconter ses nuits de recherche, ses excavations archivistiques, ses patients déchiffrages... Mais Mac et Anne ne l'écoutaient plus, ils lisaient, étonnés, le rapport du préfet Alfred Martel :
Rapport du préfet Alfred Martel, 15 octobre 1898
Ramassis de dreyfusards. Cette Ecole n'est qu'un ramassis de dreyfusards. Le juif Herr, bibliothécaire, incite toute une jeunesse à se vautrer dans le socialisme et la défense de Dreyfus.
Alors qu'on ne vienne pas s'étonner qu'un ou deux périsse sous les feux patriotes. C'est ce qui est arrivé il y a cinq jours, en plein centre de l'Ecole. Arsène Baudroyes est mort, d'une balle dans le front. Dreyfusard et socialiste, il avait du froisser l'honneur d'un de ses camarades (un polytechnicien a été arrêté).
Fin du rapport.
Nota bene : Il n'y avait pas eu de vol, pas d'indices. Donc, pas d'enquêteur. Le polytechnicien, bon français, a été rel’ché. Non coupable, ai-je jugé.

" ... et alors, j'y ai dit, au directeur de l'IHVP, l'Institut de l'Histoire des Villes du Présent, " Non non non ! je ne serais pas complice d'une manipulation. J'ai mon honneur, moi, monsieur." Alors là, v'z'auriez du voir sa tête... Et, les conséquences s'enchaînant l'une l'autre,... c'est comme ça que j'ai été nommé ici.
- Ah ! acquiescèrent poliment Anne et Christophe.
- Eh oui, alors depuis, j'...
- Merci, Monsieur Pécout. Merci beaucoup. "

C'est vraiment étrange, pensaient Christophe et Anne. 1848, 1898, et maintenant... Il y avait un point commun, c'est sûr. Et si on allait interroger Dominique Lestel, le jeune psycho-bio-cognistico-scientifique, pensèrent au même moment nos deux héros.
Le bureau de Lestel, un peu en retrait du couloir qui menait à la " Chapelle ", où Béatrice Didier avait son sarcophage, était indiqué par la photo d'un singe, qui regardait d'un oeil appétissant un cailloux, ou un cafard pourri, on ne distinguait pas très bien. Ca symbolisait les sciences de la cognition.
Lestel parlait avec un garçon aux cheveux jaunes et verts, aux yeux bleux-gris, à la chemise rouge-mauve et au pantalon beige et jaune, souriant... Sûrement un philosophe, pensait Christophe, avant de reconnaître Bonhomme, qui, il est vrai, portait une tignasse rouge la dernière fois qu'il l'avait vu. Ils parlaient de sciences cognitives, bien sûr. Il se trouvait que cette réunion était un séminaire23.
Christophe espérait que, si esprits frappeurs il y avait, Lestel pourrait l'aider à communiquer avec eux. N'était-ce pas l'objet des sciences cognitives ?
" Vous venez à mon séminaire ?
- Non, malheureusement, répondit Anne. Nous sommes ici en service commandé.
- Ah ?
- Vous devez être au courant, une élève a été assassinée...
- Et vous êtes chargés de l'enquête ?
- Oui. Et nous aimerions trouver l'assassin, d'autant plus que d'étranges événements se produisent, se sont produits et se produiront sûrement si nous n'intervenons pas, reprit Mac. "
Il raconta l'ensemble de l'histoire, telle qu'il la connaissait : meurtre sans indice, meurtres remontant à 1848 et 1898, Béatrice Didier, fantômes bourdivins... Lestel était toute ouÔe.
" Et vous pensez qu'on pourrait communiquer avec les esprits ? s'étonna Lestel.
- Ben... c'est pas pour ça qu'on vous paye ?
- Non ! sourit Lestel. Je fais des sciences de la coguenission !
- La différence ?
- Je suis pas médium ! Les sciences de la koknicion, c'est un mélange de psy- (chologie, chiatrie, chanalyse) et de (bio-, socio-, anthropo-...) logie.
- Et que savez vous sûr les fantômes ?
- Bonne question. Ce sont, généralement, des flux ectoplasmiques, en substances molles. Il faut reprendre à Spinoza (il prononçait à l'italienne, Spinozza) : vous connaissez un peu la doctrine du conatus, cette force qui maintient l'être dans l'être, pour parler schématiquement.
- Un peu...
- Et bien, c'est ça un fantôme, un conatus.
- Mais alors, ça existe ? s'étonnèrent Anne et Christophe.
- Bien sûr, ça ek-siste ! Au moment de la mort, le flux criphaldien émet des ondes ((, qui se matérialisent sous la forme, modifiée, de protoplasmes. C'est seulement après les transitions ozoniennes... en résumé... que le protoplasme prend sa tendance à se pré-sumer. Je ne voudrais pas entrer dans les détails de la théorie de la pré-sumation et dans ses développements quelques peu fastidieux... Mais nous pourrons en reparler au cours de mon séminaire.
- Et on peut communiquer avec les fantômes ?
- Bé... Oui ! Ce sont des structures communicationnelles24 comme les bonobos, ou les potirons. Kif-kif.
- Excusez mon impertinence, monsieur Lestel, mais il y a cinq minutes, vous nous disiez ne pas savoir communiquer avec les fantômes.
- Avec les esprits. C'est COMPLETÈMENT différent, Mlle Anne ! Les esprits, et je vais devoir finalement vous exposer une partie de mes travaux, sont ... pour rester dans les lignes générales... un électro-flux qui entretient un rapport systémique avec les ectoplasmes. C'est un peu comme si vous vouliez parler avec un aimant. Avec l'aimantation, oui, on peut parler. Et c'est assez drôle.. Mais avec les aimants, enfin... Vous avez déjà parlé avec un aimant ? J'ai réussi, une fois, mais ... Ca ne rentre pas dans les sciences de la c¯ÒiÉion (il avait décidément une drôle de manière de prononcer les mots, pensait Christophe... c'est moins un accent italien qu'un accent suédo-ibérique... Oui, suédo-ibérique... L‰ä­ÿðL, c'est sûrement comme cela qu'il devait prononcer son nom, avec un léger chuintement sur le 's' mouillé... souriait intérieurement Christophe). "
Ils convinrent de faire une séance de spiritisme le soir même, dans le bureau du COF. Tous, ils espéraient que la solution au problème de la mort de Byzance Duvoltaire serait enth¸llt et que cette enquête prendrait fin avant l'ouverture du Bal.
Mais cela serait-il possible ? Il y avait tant de mystère dans cette affaire que Mac se demandait si il en verrait jamais la fin. Meurtres, fantômes, disparitions mystérieuses de documents dans un coffre pourtant fermé à clé...


Chapitre sept : Lestel au pays des merveilles...


" I should have change that stupid lock
I should have made you leave your key... "

I will survive, Gloria Gaynor

Je m'étais longuement demandé qui avait bien pu ouvrir le coffre, puisque j'étais actuellement le seul à en détenir la clé, puisque la vice présidente, Hélène S., était encore en Inde, profitant de vacances à rallonge...
" I should have change that stupid lock, pensai-je, comme Gloria Gaynor dans la chanson. Bah ! Mac trouvera bien une solution. " Je me demandais dans quel état d'avancement pouvaient en être ses investigations. Fantôme ou pas fantôme ? Personnellement, je m'en foutais pas mal. Tout ce que j'espérais, c'était, pour le cas où l'existence des fantômes fût avérée, ne pas habiter la turne d'un(e) suicidé(e), qui reviendrait me hanter la nuit, et qui m'empêcherait de travailler.
Mac vint me rassurer.
" Les fantômes seraient des flux électroniquelque-choses... Lestel nous l'a assuré. Apparemment, ça peut pas faire de mal, c'est spinozien.
- Ah bon ! Et avec Anne, comment ça va ?
- Chacun a sa vie, mais on a fait un petit bout d'enquête ensemble. On a une séance de spiritisme, ce soir, avec Lestel, pour essayer de faire parler les fantômes du bureau du COF.
- Et tu crois que ça va marcher ?
- Il est fort, Lestel. On va faire ça dans le noir, avec juste une petite bougie, et il y aura aussi Bonhomme. Il paraît qu'il est plasmo-réceptif. Lestel a un verre médiumnique, et c'est à travers le verre que les fantômes vont pouvoir entrer en communication avec nous. Vers minuit, ce soir.
- Et ça te fais pas peur ? C'est peut-être un fantôme qui a tué Byzance !
- On n'en sait rien, pour l'instant... Et... Elle l'avait peut-être irrité, le fantôme. Je sais pas, il faut voir.
- Et en ce qui concerne le meurtre de 1848 ?
- On en a un autre, en 1898. Kif-kif pareil. C'est Pécout qui nous l'a dit ce matin.
- Tiens ! Comment t'as eu l'idée d'aller voir Pécout ?
- Une association d'idée... "
Mac nuança ensuite ses propos. La nuit serait décisive, et j'aurai, me dit-il, un rôle à jouer...

*
* *
La nuit se faisait, noire, depuis plusieurs longues heures, quand nous nous retrouv’mes, vers 11h, devant le bureau du COF. Anne, Mac, Lestel, Bonhomme et moi. Mais, moi, j'étais bien caché, et personne, à part Mac, ne savait exactement où j'étais...
Ils entrèrent et commencèrent à faire tourner les chaises, les verres et à entrer en transe. Pour ce faire, leur dit Lestel :
" Il faut être très concentré. Nos conati vont entrer en conflit, et il faut respirer longtemps pour se calmer. Ca s'appelle, en sciences de la coq-mission, rencontrer l'écologie de l'esprit25 et il importe de contrôler vos structures psychiques. Aukê !
- Aukê, sourit Bonhomme.
- OK, dirent nos deux héros.
- Maintenant, le temps est venu de s'asseoir, par ordre cogni-alphabétique... "
Christophe était maintenant persuadé d'êtra passé de l'autre côté du miroir, à force d'entendre Lestel. Qui, si on réfléchissait bien, avait quelque chose du Lièvre pressé et de Humpty-Dumpty. Oui... c'était moins un accent suédo-ibérique qu'un léger zozottement, accentué par un cheveu sur la langue.
Tous s'assirent par ordre cogni-alphabétique et attendirent. Au bout d'un moment, Lestel leur dit de se tenir par la main, et de toucher le verre posé, renversé, au centre de la table. Minuit sonnait, à l'horloge d'une église proche. Il entonna alors une complainte magique...
" Nusrat... Fateh... Ali... Khan... Woh hata rahe hain pardah yeh jo halka saroor hae biba sada dil moor yaadan vichhre sajan dian aiyan... "
Et ils sentirent le verre bouger ! Toute la table bougea, et une main froide toucha le pied de Mac, qui hurla :
" AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! A ! "
Tous sursautèrent, Lestel se cogna (se cognitiona ai-je envie d'écrire) aux étagères, qui se renversèrent. Anne était montée sur la table. Bonhomme était dans les choux. Quand la lumière revint, ils découvrirent que le fantôme avait fait un trou sous la table, dans le sol. Un trou qui menait dans les profondeurs de la Montagne Sainte Geneviève...
" Ca doit être le fantôme de Sainte Geneviève, proposa Lestel. Vous avez senti son mysto-cérifide ? Hein ! Ah ! Vous êtes psychiquement réceptifs, congratula Lestel. " Mais personne n'avait envie de recommencer pareille expérience. Tous se tenaient devant le trou, et le regardaient, comme hypnotisés... Lestel ressemblait encore plus au Lièvre de Mars, et une de ses pattes s'agitait légèrement, comme s'il voulait creuser et agrandir ce trou. Finalement, il n'y tint plus, et proposa aux participants de descendre, après s'être penché et avoir plongé la tête dans le trou, sondant sa profondeur. Il était profond.
Lestel pensait que ce conduit était en relation directe avec la tombe de Sainte Geneviève. Et, pour vérifier, il fallait y aller.
Bonhomme commença par descendre, et il nous dit, une fois arrivé en bas, que nous pouvions tous descendre.
" C'est OK.
- Il fait vraiment noir, là dedans, dit Anne, qui faisait fonctionner son sens de l'à-propos avec fougue et à-propos.
- C'est parce que les spiritoÔdes qui ont accompagné Sainte Geneviève au cours de sa remontée ont, en quelque sorte, bouffé la lumière. Vous remarquez aussi qu'il fait plus frais dans ce souterrain qu'au dessus.
- Oui, dirent-ils tous, l'air inquiet, manifestant leur désir d'en savoir plus.
- Et bien, même chose, précisa Lestel. Les photons de lumière ont été mangés par les spiritoÔdes, alors que des calorifons, ces mystérieuses particules (en gros, ce sont des quarks) ont été expulsés. Et plus nous allons avancer dans le souterrain, plus il fera frais. Ceci est la conséquence directe de cela.
- En effet, dit Mac, qui s'était avancé. On sent un petit courant d'air frais.
- C'est un flux de calorifons, s'écria Lestel !!!! Faites attention, éloignez vous !
- Oups ! prononça Mac, au moment de sauter sur le côté pour échapper au flux de calorifons. C'est dangereux pourquoi ? demanda notre héros détective.
- Les rhumes, répondit Lestel. Les calorifons se blotissent dans votre appendice nasal et forment des ectoplasmes. C'est terrible. "
Ils arrivèrent enfin à l'extrémité du souterrain, en ayant évité avec gr’ce les caloriflux et tous les dangers inhérents aux ballades dans des souterrains que Lestel, dans sa grande science, leur avait indiqué : le crocodilum, qui est une étincelle psychique très méchante, le cogni-dévorateur, une forme de scindeur mental...
Au bout de ce souterrain, une grande salle, mal éclairée, sentant la peinture, encombrée par quelques vieilles malles éventrées et des décors en construction.
" C'est son sanctuaire, s'écria Lestel, à la fois Tweedledee et Tweedledum. Regardez bien, on peut constater qu'un culte à Sainte Geneviève est encore en vigueur aujourd'hui. On lui apporte des vieilles malles, des grandes b’ches colorées... en offrande. C'est une découverte fon-da-men-tale. Regardez tout ce matériel électrique : lampes, amplis, lasers, boules-miroir, apareils à faire de la fumée... Ils font des raves pour célébrer Sainte Geneviève. Oh ! Quel culte moderne !
- Mais non, c'est la salle des malles, dit Anne en haussant les épaules. C'est là qu'on prépare les décors pour le Bal. "
*
* *

Plus loin, mais plus près de l'endroit où je m'étais caché, Baudelot, Establet et Bourdieu chassaient aussi les esprits frappeurs, couchés à plat-ventre, à même le sol, cachés derrière un banc.
" Et ça marche comment, ça, Pierre ?
- C'est un truc de ma grand-mère, dit-il, retrouvant là une pointe d'accent béarnais. Des queues de rats trempées dans de la purée de fourmis. Ca attire le mauvais oeil et ca paralyse les esprits.
- Mais t'y crois, à ça ?
- Le processus de croyance, qui n'est statistiquement que croyance en la croyance d'un charisme effectif - aux deux sens, voisins mais distincts, de effectué et en acte - définit une structure, qui est aussi un espace différentiel de positions, espace génétiquement commun aux deux pôles, wébériens et marxiens...26
- Nan, Pierre, en clair, t'y crois.
- En clair, j'sais pas. Et toi, Christian.
- Oh ! moi, j'me prononce pas... Mais si t'y crois, j'y crois.
- Moi pareil, acquiesça Roger Establet.
- Bon, alors, on attends. Si y'a un fantôme, mes queues de rat vont l'attirer...
- Ca m'rappelle le canular qu'on avait fait à Foucault... Tu t'souviens, Christian, commençait à rire Establet.
- Non... C'était quoi ?
- Ben, tu t'souviens, le coup du coussin péteur, avec l'élastique. Alors il avait voulu se lever, et il s'était ramassé... Ah ! Tu te souviens vraiment pas ! Christian, t'as vraiment pas de mémoire.
- Oh, les jeunes, c'est à moi que vous avez fait le coup, s'écria Bourdieu. Oh putain les couillons ! C'était donc vous.
- X'cuse nous, reprirent Christian et Roger, penauds.
- Silence, n'en v'là un. "
Et en effet, une forme étrange, qui avait apparemment tout du protoplasme, mais il n'était pas évident de se prononcer d'emblée, étant donnée la pénombre, se mouvait en leur direction. Bourdieu prononça alors quelques mots magiques en béarnais (" Lou ratou i' lou ectoplasmou, lou habitous i' lou espaçou structuralou ") et tendit les queues de rat vers le protoplasme dont les quatre yeux brillaient dans la nuit...
Le protoplasme s'avançait lentement, vers nos trois amis, qui, par cette nuit sans lune, ne pouvaient distinguer précisément la forme réelle du fantoooôoome. Le protoplasme s'assit sur le banc et sembla se scinder en deux avant de reprendre sa forme initiale et ne plus bouger. Silence.
" A trois, on y va, souffla Bourdieu. Il est immobilisé, c'est le moment. Un... Deux... Trois ! "
Faisant jouer leurs muscles universitaires, les trois normaliens prometteurs des promos 1951, 1959 et 1960 sautèrent sur le protoplasme. Qui se re-scinda en deux. Bourdieu se chargea de la plus petite forme et lui asséna un direct du droit. Baudelot et Establet de l'autre protoplasme.
" Pan !
- Schlack !
- Boum !
- Au secours, A l'aide ! cria le petit protoplasme, d'une voix féminine.
- Prends ça, connard ! assura d'une voix virile le grand protoplasme. "
Mais nos trois amis eurent vite fait de réduire au silence ces esprits frappeurs. Establet sortit une lampe-torche et il éclaira les faces protoplasmiques...


Chapitre huit : Aide ! Mémoire...


" I just walk in
To find you here
With that sad look upon your face... "

I will survive, Gloria Gaynor

" Le champ structural et structurel (les choses) définit un point de vue (sont) qui est aussi une position, au sens de place et de système de relations (compliquées)... "
(Vive le) Champ capitaliste et (la) génétique (des richards) structurale (!), Pierre Bourdieu (avec l'aide de Christian Baudelot et Roger Establet)

" Charlotte ! Tu es une protoplasme ?
- Monsieur Baudelot ! Mais vous êtes devenu fou ! s'écria Charlotte F. lorsqu'elle reconnut ses agresseurs.
- Putain, enlevez les menottes, criait Destroy-Max, en colère.
- Vous n'êtes donc pas des protoplasmes ?, leur demanda Bourdieu, qui se remettait difficilement de l'effort physique qu'il avait eut à fournir. Ah, je ne suis plus tout jeune, pensait-il, un peu de sport, ça me ferait pas de mal.
- Est-ce qu'on a une gueule de protoplasme, bordel ?
- Re-Lire le Capital ! proposa Roger Establet.
- Avec un point d'interrogation, demanda Baudelot.
- Ouais ! et en gros titres ! Avec des grosses lettres rouges.
- C'est cool ! Qu'est-ce t'en penses, Pierre ?
- Bof, il faudrait réfléchir à tête reposée. Tu crois qu'il est encore ouvert, le petit bar, là où on allait draguer, en 1962... ?
- Non, il est fermé depuis 71, mais on a trouvé mieux, pas vrai Roger ? dit Baudelot, clignant de l'oeil et accompagnant vers la Rue d'Ulm et la sortie de l'Ecole Roger et Pierre. "

*
* *

" Comment ça, la salle des malles ! C'est le tombeau catafaltique de Sainte Geneviève, vous dis-je !
- Oh ! j'le sais mieux que vous, j'ai peint une partie des décors, avec Olive Glace et Charlotte Michelet, s'énerva Anne. Alors vos trucs à la con, c'est du pipo !
- ... dit Lestel.
- Je pense que la piste s'avère un peu courte, proposa Mac, désireux de nuancer les positions. et qu'une bonne nuit de sommeil accorderait à chacun la fraîcheur d'esprit nécessaire à...
- C'est groove, ça ? sourit Bonhomme, parfaite incarnation du Chat du Sheshyre.
- J'sais pas, c'est une b’che, un décor pour le Bal. "

Quelques minutes plus tard, je retrouvais Mac et lui racontait la partie du spectacle à laquelle j'avais assisté.
" Charlotte F. et Destroy-Max ?
- Ouais, apparemment, ils sortent ensemble, mais aujourd'hui, ils n'étaient pas dans les souterrains.
- Et ils avaient l'air de protoplasmes ?
- Non, mais les vieux fatiguent, semble-t-il. On devrait présenter Bourdieu à Lestel : le sociologue se sert de queues de rats fermentées dans de la purée de fourmis pour attraper les fantômes. Mais ça a pas l'air de marcher...
- Rien n'a marché. Il faut reprendre l'enquête à zéro, m'annonça Mac. Mais maintenant, j'ai une piste. "

Le lendemain matin, au petit déjeuner, Charlotte F. portait de lourdes lunettes de soleil, qui, cependant, laissaient deviner un mauvais coup sur l'oeil.
" Qu'est ce qui s'est passé, demandai-je, tout sucre.
- Tu me croirais pas...
- Raconte toujours.
- J'ai été agressée par Bourdieu, Baudelot et Establet, dans la cour aux Ernests, hier soir.
- J'te crois pas ! dis-je en souriant.
- Mais si, et ils nous ont pris pour des ectoplasmes ! Et puis ils sont partis, en parlant de capital et de bouquin... Sans nous détacher.
- Et comment t'as fait.
- C'est Olive Glace qui passait, elle a une sorte de passe-partout et elle nous a enlevé les menottes. Dis, tu crois pas que Baudelot, il se fait un peu vieux pour diriger un département. Ca a l'air de lui peser sur le système. J'veux bien qu'il se défoule, mais pas sur moi !
- Oh, tu sais, Béatrice Didier, elle est quasi-bicentenaire.
- J'te crois pas !
- Ben pourtant ! Si tu savais... dis-je en buvant mon chocolat au lait. "

Christophe MacAbiaut savait qu'il allait devoir jouer serré. Très serré. L'assassin de Byzance semblait désireux d'effacer ses traces. Il devait rester des documents compromettants au bureau. Il fallait les examiner. De là viendrait la solution définitive. Mac en était persuadé.
La salle des malles, pour commencer, offrait un terrain de chasse principal. Mac supposait que c'était par là que la personne qui avait tenté de s'introduire dans le bureau du COF, hier soir, s'était échappée.
Dans cette salle, au premier sous-sol de l'Ecole, rien n'avait bougé depuis que Lestel, Anne, Bonhomme et Mac y avaient débouché. Des b’ches, des lampes, des amplis, des kilomètres de cables, des kilos de baffles, et de la poussière, ce qui pouvait à la fois cacher et révéler de précieux indices. Notre détective sortit sa loupe et commença à examiner, précieusement, les traces de pas dans la poussière, et à relever les empreintes digitales. Le tunnel qui menait au bureau du COF était, Mac s'en souvenait maintenant, sur les vieux plans de l'Ecole27, sur les premiers plans, pour être précis. Pas sur les plans définitifs, c'est pourquoi Mac pensait que ce tunnel n'avait jamais été construit. A l'origine, il devait servir de soutènement à la façade Ouest de l'Ecole, avant que l'on n'édifie des arc-boutants, au troisième sous-sol, là où, maintenant, l'accès direct aux catacombes était possible, depuis les effondrements successifs à l'écroulement d'une partie des souterrains de la Montagne Sainte Geneviève.
Et Mac se demanda si, en 1848 et 1898, les meurtriers n'avaient pas fui par ce souterrain.

" Madame Didier, je vais vous demander un effort de mémoire. Il va falloir que vous me racontiez ce qui s'est passé aux alentours de la mort de Fillibon. Parlez le plus simplement possible.
- Voyons, Monsieur Mac
Abiaut, Ai-je l'habitude
De ne pas
Parler de manière à être comprise ?
- Vous avez un drôle d'accent. Vous mélopez, madame Didier, si vous me permettez cette expression.
- Je mélope... C'est joli. Eh bien, en 1848, je mélopais déjà. Vous savez, j'étais là au moment de l'inauguration des b’timents dans lesquels nous nous trouvons. Regardez, là, c'est moi, devant la facade. C'est Nicéphore qui avait pris la photo. A l'époque, la pose était de plus d'une heure. Les ombres floues, c'est les gens qui passaient. Vous voyez, rien n'a changé. J'ai tout revu, l'humble tonnelle de vigne folle
Avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin...
Et le vieux tremble, sa plainte sempiternelle...
- Vous recommencez à méloper Madame Didier, et puis, le jet d'eau du bassin aux Ernests, il est plutôt rachitique.
- En fait, Fillibon est mort deux semaines avant les prémices de la Révolution... Et ceux du Bal. Vous saviez que le Roi était au Bal de l'Ecole au moment où il a appris qu'il y avait une Révolution ?
- Vous devez mélanger un peu les dates, non ?
- Qu'est ce que c'est, deux semaines, sur deux cents ans. Bon, bref, il y avait un bal, et ce fut grandiose.
- Ce n'est pas le Bal qui m'intéresse, Madame Didier, mais bien plutôt les circonstances de la mort de Fillibon. Saviez-vous, en 1848, qu'il y avait un souterrain reliant le lieu du meurtre à la salle des malles... quelque soit le nom qu'elle portait à l'époque.
- Rassurez-vous, elle s'appelait déjà la salle des malles... Mais... je pensais que ce souterrain n'avait finalement pas été construit, à cause des arcs-boutants du troisième sous-sol.
- La mémoire vous revient !
- Elle ne m'a jamais quitté, monsieur MacAbiaut. Si j'oublie, c'est pour pouvoir, après deux cents ans, toujours vivre dans le présent...
- Il y a eu un meurtre, similaire, en 1898, le 10 octobre...
- Je n'étais plus là, en 1898, Monsieur MacAbiaut. Pour tout vous dire, je suis morte une première fois en 1870, au moment de la guerre. En 1898, j'étais gouvernante des enfants du directeur du bagne, à l'Ile du Diable.
- Oh !
- Mes seuls liens avec l'Ecole, c'était...
- Lucien Herr !
- Eh oui ! Lucien Herr.
- Et justement, celui qui a été assassiné était considéré par la police comme un proche de Lucien Herr.
- Tous les normaliens, à l'époque, passaient pour des proches du Bibliothécaire. D'ailleurs, le Bal a été interdit par la préfecture, cette année là. Pourtant, tout était prêt. Je dois avoir les lettres de Lucien quelque part... Ah ! Là !
Lettre de Lucien Herr à Béatrice Didier, 22 octobre 1898
Chère Béa.

Le Bal n'aura pas lieu cette année. J'avais prévu d'aider notre cause en y montrant l'honneur et la justice, mais la préfecture l'a supprimé. Nous sommes tous tristes, ici, nous tenions à faire de cet événement le symbole de la vérité. Monsieur Zola nous avait fait l'honneur d'accepter notre invitation, alors qu'il n'a jamais porté l'Ecole dans son coeur.
Le préfet en a voulu autrement, prétextant du climat violent qui règne dans l'Ecole, depuis quelques temps, et particulièrement depuis la mort du Président des Elèves, dont les autorités me tiennent pour responsable.
Comment va Monsieur Dreyfus ? Si tu le croises, assure lui de notre soutien.

Lucien Herr.

- Il parle un peu de la mort de Baudroyes, mais cela ne me renseigne pas vraiment.
- Il n'y a rien de plus dans les autres lettres, je ne crois pas. Je vais les relire, et si je trouve quelque chose, je vous envoie un mail, dit Béatrice Didier, souriant à l'idée d'utiliser la technologie moderne. "


Chapitre neuf : Macabres annonces...


" Go on now, go
Walk out the door
Just turn around now
Kz' You're now welcome anymore... "

I will survive, Gloria Gaynor

" C'est à peu près à ce moment là que je m'aperçus que mes personnages étaient tous plus ou moins maladivement attirés par les souterrains sombres et grouillants. Je commençais alors deux psychanalyses simultanées. "
Comment je suis devenu Prix Nobel, Coulmont

Christophe, sans savoir consciemment pourquoi, avait maintenant l'intime conviction que les assassins respectifs de Fillibon, Baudroyes et Duvoltaire avaient fui par le souterrain caché, ce qui explique l'absence d'indice. Cependant, il s'expliquait mal l'incompétence de la police. Aucun rapport ne parlait de ce souterrain. N'y avait-il pas eu d'enquête ? Quel était le rôle de son ancêtre, Sigismond de MacAbiault, qui passait à l'époque pour l'un des plus grands détectives ?28
Notre Détective n'avait pas de réponse à ces questions, qui ne le taraudaient pas tellement. Il n'avait jamais vraiment fait confiance à des capacités de raisonnement qu'il savait limitées, même si elle n'étaient pas ridicules.
Il avait toujours préféré les coups d'éclat, les surprises, les formules à l'emporte-pièce, parce qu'elle étaient plus percutantes. Mais ici, c'est de vérité qu'il devait se préoccuper. De vérité. Et la vérité est souvent beaucoup plus terre à terre. La vérité est ailleurs.
Ailleurs, et non pas dans le souterrain. En dehors du souterrain. Dans le bureau du COF, puisque le " fantôme " avait eu, avant que Lestel et Cie ne se mettent à crier, l'intention de pénêtrer dans le bureau.

Mais le bureau ne contenait plus rien. Les archives, Mac les avaient déjà fouillées, et de toute façon, elle ne remontaient pas à bien longtemps, 1972, parce qu'en 71, des gauchistes étaient venu les brûler, de rage de n'avoir pas réussi à brûler la Bibliothèque et Monsieur Granbuffd–, qui, à l'époque déjà, était bibliothécaire29. Et le coffre avait été vidé. Se pouvait-il que le " fantôme " ait désiré remettre à leur place les papiers qu'il avait emprunté ? Après tout, cela n'était pas impossible, puisqu'il désirait, tout le montrait, ne pas laisser de traces.
Dans ces conditions, Mac ne voyait pas comment résoudre cette affaire.

Le Bal avait lieu le lendemain soir.

Dernière chance : ce soir.

Il fallait en effet qu'il trouve avant le Bal. C'était le terme qu'il s'était fixé, et jamais il n'avait repoussé les limites temporelles qu'il se donnait, dans ses moments de tension et d'énervement qui faisaient suite à l'espoir de la première piste.
" Salut Christophe, t'as pas vu Hal... ou Anne ?
- Non, désolé. Si je les vois, j'leur dis quoi ? demanda Christophe à Olive Glace.
- J'ai besoin d'aide, on monte les décors et il manque une b’che, tendance loozy-groove. Il faudrait la refaire, d'urgence. Demain on a Chirac, et il veut danser du loozy-groove, c'est ce que nous ont dit ses conseillers en communication. On aura TF1 aussi...
- T'inquiètes pas, je crois savoir où elle est, cette b’che. C'est Bonhomme qui la trouvait géniale.
- Elle est géniale ! Le loozy-groove, c'est la musique de l'an 2000 !
- Tu dois pouvoir trouver Bonhomme dans le bureau de Lestel, ils doivent être en séminaire.
- Son bureau, c'est à côté de la chapelle, c'est ça ?
- Exact. "
Merde, Chirac ! pensa Christophe une fois Olive partie. Chirac et on aura un " fantôme " assassin en liberté. Elle a l'air d'y tenir, pourtant, à son Bal. De toute façon, plus possible de supprimer. Christophe t’ta son flanc gauche, et il se surprit à commencer à faire confiance à son P .38, ce qui ne lui était jamais arrivé. Sûrement les cours de tirs du magistère de Sciences détectivale de Paris VII, qui commençaient à porter leurs fruits.

La journée se passa sans autre événement digne d'être mis par écrit.
La nuit aussi... ou presque.

C'est à peu de choses près à partir d'ici que les événements se bousculent ; et je suis dans l'obligation de présenter des points de vue qui ne sont plus seulement les miens ni ceux de MacAbiaut, qui n'eut pas le temps de me dicter un compte-rendu digne de ce nom.
Ce que Anne me dit alors :
Christophe vint me voir dans la soirée... La veille du Bal, je veux dire. Et il... euh... il semblait bouleversé. Tu te souviens comment il faisait tourner ses yeux quand il parlait de science détectivale... Il faisait pareil. Il me dit quelque chose du genre : " Anne, j'ai besoin de toi comme jamais je n'ai eu besoin de quelqu'un. Je connais le nom du meurtrier. Je ne peux pas te le dire maintenant. D'abord tu ne me croirais pas, et puis, cela pourrais te mettre en danger. Il faudra que tu fasses une chose. Tu devras rétablir le courant au moment où il sautera, avec cette télécommande. Tu auras juste à appuyer dessus, et quelques secondes plus tard, la lumière reviendra... "
Est-ce que tu peux préciser, Anne ?
Oui, en fait... Il m'a dit que le meurtrier ferait une fausse manoeuvre au moment du Bal, et que là, il faudrait le stopper dans les plus brefs délais. Il y avait Chirac, tu te souviens. En bref, il voulait que j'installe une déviation, un double système de prises... pour toutes les machines. Comme excuse, il me dit de travailler avec Jo, de lui dire que c'était un problème de sécurité voulu par l'Elysée. Et là, il a sorti des kilos et des kilos de cables, et de multiprises. Un sac à dos plein. Je t'ai dit qu'il était venu me voir avec un sac à dos ? De toute façon, c'est pas ça le plus important. Il fallait que je le dise à personne d'autre que Jo. Lui-même, je crois, il était pas vraiment au courant. Alors, j'ai fais comme il avait dit. Je pouvais pas refuser. Il était comme un fou. Il parlait très vite et il transpirait. Et puis il est parti.
Tu sais ce qu'il allait faire ?
Il ne me l'avait pas dit franchement. Mais j'ai deviné. Il allait faire la tournée des aides possibles, les aides les plus sûres. Il a du contacter des personnes qu'on ne connait même pas. Il a du aller voir Charlotte F. ... Elle aussi a disparu... en même temps que Mac...
Et tu sais d'où il venait ?
Non, il me l'a pas dit. Tu te souviens comment il gardait les secrets. En n'en parlant à personne !

Ce que m'a dit Dominique Lestel :
Christophe MacAbiaut est venu me voir en début de soirée, la veille du Bal. Il pensait que je pouvais l'aider. Je ne pense pas qu'un fantôme soit à l'origine des meurtres, me dit-il, et, disant cela, je pense savoir pourquoi il souriait. Il savait que c'était bien en quelque sorte un fantôme le meurtrier. Mais pas au sens où je les entendais. Il m'a dit ensuite qu'il fallait que j'entre en communication avec l'esprit de Fillibon, voire de Baudroyes. Il pensait que, parce que ces gens étaient morts dans l'Ecole, ça serait plus facile, qu'ils étaient disponibles à parler. Je lui ai répondu que c'était trop dangereux, que Fillibon était mort depuis cent cinquante ans, et que rappeler les morts, c'est mourir un peu. Il m'a dit que je mélopais et que j'étais obligé de l'aider. Je l'ai prévenu des risques qu'il courait à appeler ainsi les morts, et que, si je consentais à les appeler, je ne serais qu'une psycho-interface et que je lui laissais la responsabilité de son appel. Il a accepté, mais je ne me doutais pas que la réaction serait si importante. Je ne savais pas qu'il disparaîtrait ainsi... J'avais de l'estime pour lui.
Vous n'avez pas tenté de prévenir Anne, ou moi ? Vous saviez, pourtant, pour Anne et lui ?
Il ne voulais pas, et de toute façon, le risque de mort était peu dangereux... 'fin... c'était ce que je croyais. Il allait la voir juste après. Il m'a dit qu'il avait beaucoup de gens à voir avant de revenir... Oui, j'y viens. Il est revenu à minuit, et nous avons appelé Fillibon, ensemble. Honnêtement, il ne s'est rien passé, si vous vous attendez à quelque chose de spectaculaire, vous serez toujours déçu avec les esprits. En fait, il semble que c'est à ce moment là que la boucle temporelle à commencé à se refermer et qu'il s'est retrouvé enfermé dedans. Cette boucle qui s'est... vous savez, comme les noeuds coulants, quand vous tirez sur la ficelle, ils disparaissent. C'est ce qui a du se passer.
Sincèrement, Monsieur Lestel, vous y croyez à cette explication ?
Que faire d'autre ? Il est mort ! Il a disparu, devant nos yeux, ainsi que cette jolie brune, comment déjà ?... Oui, c'est ça, Charlotte F. A quoi donc voulez vous que je croie ? Vous avez aussi bien vu que moi. D'ailleurs, votre scepticisme, c'est ça qui l'a empêché de venir vous consulter. Il savait que jamais vous ne le suivriez dans ce qu'il allait accomplir. Il était courageux, lui, et il ne se cachait pas, comme vous, derrière la phrase facile. Il était écoeuré par la façon dont vous retranscriviez ses enquêtes, par la manière dont vous faisiez de lui un fantoche. Il voulait exister, Bon Dieu !
Vous n'avez pas à vous sentir responsable de sa mort, Monsieur Lestel. Tout n'est pas fini.
Mais vous n'êtes qu'un petit con ! Tout ce qui vous intéresse, c'est pouvoir finir votre petit rapport. Fichez le camp !

Ce que m'a dit Béatrice Didier :
Je ne peux rien vous dire encore, Monsieur Halenson.
Viendra un moment où.
Le Silence achèvera le silence.
D'ici là
Attendons.

Une chose : Le temps est proche, celui de notre rencontre, lui ai-je dit.

Vous en saurez plus, bientôt.
D'ici là, écrivez.
Vous avez du talent. Du talent, pour faire revivre les morts, et j'ai beaucoup ri. J'ai h’te de me lire sous votre plume.
Ecrivez.
Ce qui était écrit dans le journal intime de Charlotte F. :
Le détective est passé me parler, ce soir. Christophe McAbiaut, un peu voûté, paraît-il, mais je n'ai vu que ses yeux bruns, tristes. Il m'a révélé le nom du meurtrier, mais m'a dit de ne le révéler à personne, de ne même pas l'écrire, le chuchoter. Y penser le moins possible. Le meurtrier est dangereux, fourbe, puissant.
Mais j'ai du mal à y croire, à sa version des faits. Il m'a demandé de lui raconter, encore une fois, ce que j'avais vu le soir du meurtre, ce que j'avais entendu. Est-ce que le bruit des pas de l'ombre que j'ai entr-aperçue faisait cratch cratch plutôt que pom pom. Est ce que l'ombre était grande.
Petit à petit, je me suis souvenue, j'ai revécu la soirée macabre, comme si je revivai ces quelques heures, à la même vitesse, comme si je n'étais plus là mais là bas.
Je crois que j'ai réussi à m'hypnotiser. Encore en ce moment, je revois ce qui s'est passé, je me vois dormir, et je ne dois mon assurance d'être ici et maintenant qu'aux lettres que trace ma main sur ce cahier.

Ces témoignages n'ont pour but que de vous présenter le contexte dans lequel le Bal eut finalement lieu. Je n'avais pas vu Mac ce soir là parce que, Secrétaire du COF, j'étais aux premières loges de la préparation du Bal, et que le retour de la Vice-Présidente Hélène S. m'obligea à la mettre au courant des derniers préparatifs. Elle était nommée, en attendant les élections, Présidente du COF, ce que les statuts prévoyaient expresséments (III, 12) et devrait serrer la main de Chirac. Un maître du protocole élyséen était présent. Pendant qu'Hélène apprenait la révérence et le serrage de patoune présidentielle, je lui disais :
" Olive est la grande chef, mais elle est en permanence au téléphone, car les problèmes s'accumulent. Je fais le dérivateur, et elle m'envoie les problèmes administratifs. Tout ce qui est gros thon, genre Chirac - le maître du protocole tiqua légèrement -, Juppé, Fabius, d'Ormesson et autres archicubes célèbres, c'est toi qui t'en occupe. Alors, t'oublie pas, sourire conscrit30, à chaque gros thon. Anne s'occupe des décors et de l'électricité, Jo de l'électricité et de la sono. Salvit - tu le connais pas, un conscrit aristo un peu con - des trucs à faire en urgence, genre chercher dans le Wouzwouh les formules en usage. Après on a quelques croulants qui ont tenu à nous aider. Oh, j'oubliais. Tu te tapes aussi le doyen. Il est entré en 1907, et il a cent un an. Il marche encore, mais il est un peu sourd. Si problème, tu m'appelles sur le portable du bureau, numéro confidentiel, à ne pas diffuser, surtout pas à un officiel, tiens. "

Le lendemain matin, le petit-déjeuner et les occupations universitaires furent rapidement expédiées. Le service de sécurité présidentiel vint contrôler les aménagements prévus, et des tireurs d'élite s'installèrent sur les toits de l'Ecole, d'autres dans des souterrains qu'ils espéraient pouvoir contrôler. Les décors n'étaient pas encore tous montés et je pouvais voir Anne fureter et dédoubler le système électrique. Olive parlementait avec quelques vieux. Jo et Salvit s'engueulaient, et c'est Jo qui avait le dessus. Nous eûmes soudain de l'aide, beaucoup d'aide. A vrai écrire, cela avait commencé il y a trois jours, quand les normaliens, race placide et monotone, avaient compris que le Bal se ferait, finalement. Les décors furent montés rapidement, et des gens comme Léonard Darlan ou Bastien Millherr mirent la main à la p’te. La sono fonctionnait. Les traiteurs arrivaient.
Le Bal pouvait commencer.
L'Ecole fut, conformément aux instructions des vigiles, évacuée. Certains caÔmans, qui n'étaient jamais vraiment sortis depuis leur intégration, des hommes en voie d'althussérisation, durent quitter les bureaux qui leur servaient de campement et de lieu de recherche. Il virent le soleil et payèrent leur entrée pour pouvoir re-rentrer et aller chercher un costume. Ca n'arrivait pas si souvent.
Le Bal pouvait commencer. Février en Octobre, tel était son titre, aux interprétations multiples. Certains y voyant les doubles Révolutions enchâssées, 1848 et 1917, d'autres une ode aux saisons mornes, l'hiver finissant d'écouler ses jours gris et l'automne sanglant et nacré par les arbres en pleurs. D'autres, encore, une invite à passer, directement, par dessus novembre, décembre et janvier. D'autres, enfin, un simple ordre poétique, et avaient mis Mardi avec Mercredi.
MacAbiaut, lui, avait choisi l'interprétation révolutionnaire, et ornait d'un oeillet un costume élégant, rappelant étrangement les heures lumineuses de Février alors même qu'il était on ne peut plus contemporain, comme s'il était ombré d'une aura passée. A ses bras, une ravissante Charlotte F., très " 1848 " aussi. Fouillés à l'entrée par les vigiles et le service de sécurité présidentiel, Mac et Charlotte s'en tirèrent différemment. Mac, en connaisseur, eu droit à un examen précis et détaillé. Pas d'armes. Un sourire de Charlotte désarma ses opposants, qui la laissèrent entrer, souriant à leur tour.
Une fois entrée, Charlotte rendit à Mac son P.38.
Oui, là, le Bal pouvait commencer.

A l'intérieur étaient restés Anne et les organisateurs principaux du Bal. Olive faisait de la tachycardie, Anne lui disait de respirer et lui donnait à boire. Jo s'était pris un court-jus et emmerdait silencieusement l'Elysée qui lui imposait cette connerie de dédoublement du système électrique.
Le Bal avait commencé.

C'est peu après 11 heures qu'arrivèrent, ensemble, Jacques et Bernadette Chirac, suivis d'Alain et Isabelle Juppé, alors pourtant que la rumeur d'une démission avancée du premier ministre et archicube était arrivée jusqu'à mes oreilles aujourd'hui. Hélène S. fut prise d'une soudaine frayeur. Comment, déjà, fallait-il qu'elle accueille Bernadette ? Isabelle Juppé, elle s'en souvenait : juste Bonjour et un serrage de main, normale, mais Bernadette ?
Jacques Chirac ne pouvait rester longtemps, juste une demi-heure de tranquillité à faire quelques valses au milieu des jeunes, puis TF1 et le loozy-groove. Il était content. Cela faisait deux semaines qu'il apprenait, chaque jour, le loozy-groove, et il commençait à sentir son corps se délier, après cette danse avec Bernadette. S'il se souvenait bien de ce que lui avait dit son chef du protocole, la salle loozy-groove était au premier étage. Bien, pensait-il. Il s'y rendit, accompagné par Hélène S., charmante blonde, au sourire un peu crispé, et Olive Glace. L'ancienne présidente, pensait Chirac, c'est toujours triste d'être ancien président. Elle a l'air vraiment crispée. C'est l'organisatrice. Il faut que je lui dise un mot gentil.
" Mademoiselle Glace, votre Bal est une vraie réussite. Cette idée d'associer la tradition et la modernité (c'est comme cela que le président avait lu Février en Octobre, la tradition c'est l'automne, qui lui rappelait les étés indiens de sa jeunesse, et février, dans sa froidure, c'est la modernité, c'est le loozy-groove, cette danse rythmée et énivrante). Vraiment, je m'amuse.
- Merci, Monsieur le Président. Ce fut une organisation très difficile. Nerveusement.
- Vous avez fait du bon travail. "
Hélène S. regardait intensément le Président. Il pense vraiment ce qu'il dit, pensait-elle. Ses yeux brillent, il est content.
TF1 filmait l'arrivée du Président dans la salle loozy-groove. Pas de journalistes, juste une caméra, c'étaient les voeux de l'Elysée, et TF1 suivait toujours les voeux de l'Elysée.
Chirac dansait en rythme, et son triky-tour, le pas le plus difficile de la loozy-groove, ce pas qui avait fait de cette musique et cette danse le symbole d'une nouvelle jeunesse, au corps svelte et souple, ce pas fut totalement réussi par le président de la République, filmé par TF1. C'est au moment où il redescendait sur terre qu'il aperçut l'ectoplasme. Et qu'il se rendit compte que la musique s'était arrêtée, et qu'il faisait noir. Pas grave, y'a un truc, c'est le canular traditionnel. Ses conseillers lui avaient bien dit qu'il y aurait un canular. En 1965, ils avaient refusé de serrer la main à de Gaulle... Ici, ils me l'ont bien serrée, bien franchement, pensait-il. Il souriait, TF1 filmait. Il fit un pas vers le fantôme et lui tendit la main. Le fantôme sortit de sous son suaire un fusil. Il le pointa vers Chirac.
La lumière se fit. Pas de fantôme : Olive Glace.
" C'est fini, Olive, c'est fini, dit Mac. "
Elle se tourna vers Mac et pointa le fusil en sa direction. Il tira le premier. Mais le doigt d'Olive se figea sur la détente du fusil et un coup partit. Anne fut touchée. TF1 avait tout filmé. Les gardes du corps du président arrivèrent. Ils l'avaient laissé, sur sa demande, danser le loozy seul, pour la télé. Ils avaient confiance en eux, il ne pourrait rien se passer.
Le son des ambulances se faisait déjà entendre.
Anne était à terre. Le Bal était terminé.
" Anne, Anne, ne part pas, lui disait Christophe. Ne part pas, c'est ma faute. Je suis con.
- Ne mourez pas, mademoiselle, ne mourez pas, lui disait Chirac, qui se sentait légèrement responsable et soutenait la tête de la blessée avec l'aide de Christophe. C'est moi qu'on voulait tuer, pensait-il tout haut.
- I will survive... Hey hey... dit Anne avec humour, avant de sombrer dans l'inconscience. "
C'est à ce moment précis que Christophe MacAbiaut se dématérialisa. Ainsi que Charlotte. Ils disparurent. Chirac ne compris pas. Il avait juste cligné de l'oeil parce qu'il sentait quelque chose le gêner, à l'oeil gauche, et il sentit Anne s'affaisser. Le détective n'était plus là. Et tout le monde regardait l'endroit où il était un instant avant.
Mac était mort.

Mort ? Peut-être pas tant que cela.
Lisez :
" Février "
La prochaine aventure de Christophe MacAbiaut, Charlotte Farcey et Béatrice Didier.

ANNEXES : Témoins et Chansons...


Ce que Bonhomme m'a dit :

J'avais été séduit par les couleurs de la bâche loozy-groove et je voulais m'en faire un sari. C'est pour cela que je l'ai prise. Mais ça ne marchait pas, je ne pouvais pas découper. C'était pas vraiment du tissu. c'était plein de circuits imprimés et de fils électriques. En fait, ça pouvait projeter des hologrammes.
Je l'ai dit à Mac. Il n'avait pas l'air de vraiment croire à ça. Mais il m'a dit de n'en parler qu'une fois l'affaire éclaircie. Plus tard, dans la journée, je vois débarquer, en plein séminaire, Olive Glace, qui m'insulte et me demande de lui rendre sa bâche. Tiens, la v'là, elle est moche, ta bâche. Sale décor, putain de Bal.
En fait, c'était elle le fantôme. J'avais qu'une envie, c'était de le dire à Lestel, mais j'avais promis. Tout de suite après, j'ai téléphoné à Mac. " Je sais. J'ai compris. Elle a le passe-partout du COF, je sais pas comment elle l'a eu, parce qu'il en a qu'un seul et c'est Hal qui l'a pour le moment. C'est elle qui a dérobé les papiers. Elle a tué. Attention... Mais ne t'inquiètes pas, je m'occupe de tout. "
Je lui ai dit que je m'inquiétais pas, que je lui faisais confiance. Que, même, j'allais aller au Bal, ça pouvait être marrant.

Ce que le commissaire Lamouque m'a dit :
On n'avait jamais abandonné l'enquête, on l'avait mise en veilleuse (il voulait dire, en veille). Simon Glace, son père était député de la Guadeloupe, et il a été assassiné en 1980, par des hommes du milieu guadeloupéen. Pour leur défense, ils ont accusé le chef du RPR local d'avoir commandité l'assassinat. Chirac a soutenu le mec... Enfin, pour être précis, il a rien dit publiquement, mais il a envoyé son avocat. Les truants ont été jugé pour homocide volontaire, et le politicien, il est resté libre, en fait, on croit qu'il avait rien à voir. Glace était un homme riche, et les truants ont sans doute voulu le faire chanter.
De là date une haine, qui n'a cessé de se développer chez Mlle Glace, disent les psychiatres. Vous savez, ils ont trouvé ça à partir de son journal. Elle avait tout prévu dans les moindres détails. Vous savez, en laissant bien en évidence son montage électrique, parce que, selon elle, la meilleur cachette, c'est en pleine lumière... Tout des trucs comme ça.
On pense que Duvoltaire avait du se rendre compte de quelque chose de louche. Dessus, il n'y a rien dans le journal de Glace. Il n'y a rien dans le journal de glace, répétait Lamouque, qui devait trouver cette phrase poétique.

Ce que, bien plus tard, Béatrice Didier m'a dit :
Ma jeunesse est auprès de Sigismond... Christophe, si vous préférez.

Mais ça, c'est une autre histoire.

Une aventure, ça finit toujours par une chanson :

I will survive (Gloria Gaynor)
Je-qui-est-moi vais survivre (traduit de l'Héguélien par Jean-Pierre Lefebvre et revu par Catherine Colliot-Thélène)

At first I was afraid
I was petrified
Kept thinking I could never live
Without you by my side
But then I spent so many nights
Thinkin' how you get me wrong
And I grew strong
And I learn how you get along

So now you're back
From outer space
I just walk in to find you here
With that sad look upon your face
I should have change that stupid lock
I should have made you leave your key
If I'd've known
For just one second
You'd be back to bother me

Go on now, go
Walk out the door
Just turn around now
Cz' you're not welcome anymore
Weren't you the one
Who tried to hurt me with goodbye
Did you think I'd crumble
Did you think I'd lay down and die
Oh no, not I
I will survive

And as long as I know how to love
I know I'll stay alive;
I've got all my life to live
And I've got all my love to give
And I'll survive
I will survive
Hey hey

It took all the strength
I had to fall apart
So I try hard
To mend the pieces of my broken heart
And I spent oh so many nights
Just feeling sorry for myself
I used to cry
But now I hold my head up high
And you see me
Somebody new
I'm not that chained up little person
Still in love with you
And so you feel
Like droppin' in
And just expect me to be free
Now I'm saving
All my lovin'
For someone who's lovin' me


TRADUCTION FRANCAISE

Au premier je fus effrayé(e)
Je-qui-est-moi fus pétrifié(e)
En pensant (que) je ne pourrais jamais vivre
Sans ton-moi à mes côtes
Mais alors, j'ai dépensé si beaucoup de nuits
Pensan' comment tu me à moi donnais faux
Et je croîs fort
Et j'apprends comment tu es en vrai

Alors maintenant tu es de retour
D'outre espace
Je marche juste dedans pour te trouver ici
Avec ce regard sadique sur ta face de rat
J'aurai du changer ce verrou stupide
J'aurai du faire que ton-toi quitte ta clé
Si j'aurai su
Pour une seconde juste
Q'Tu serais de retour pour me faire chier

Vas t'en maintenant, vas
Marche à travers la porte
Juste tourne autour maintenant
Car tu n'es plus le bien-venu jamais plus
N'étais-tu-toi pas le un
Qui essaya de me heurter avec adieu
Tu pensais que je ferai un crumble
Tu pensais que je coucherai et mourir
Oh non, non-moi
Je-dans-l'être vais survivre

Et aussi longtemps que je sais comment aimer
Je sais je-moi resterai en vie
J'ai toute ma vie pour vivre
J'ai tout m'amour à donner
Et je-moi vais survivre
Je-mon-être vais survivre
Ha ha

(cela dépasse mes capacités de traducteur)
J'avais à tomber à part
Ainsi j'essaye fort
De rabobicher les pièces de mon cassé coeur
Et je dépense oh tant beaucoup de nuits
Juste sentant désolé(e) pour mon self
J'usais de cris
Mais maintenant je tiens ma tête debout-haut
Et tu me vois
Quelqu'un nouveau
Je ne suis pas cette petite personne enchaînée debout
Toujours en amour avec toi
Et ainsi tu te sens
Comme dans un Dunloppillo'
Et juste dans l'expectative, moi être libre
Maintenant je m'sauve
Tout mon amour
Pour quelqu'un qui m'aim' moi


NOTES :
1 Stéphane Guyard, Ma Vie, Mon Ecole, souvenirs d'un ancien directeur de l'Ecole normale supérieure, Paris, Alcan, 2005, p. 24.
2 Op.Cit. p. 24.
3 Rapport K-961024, commissariat du cinquième Arrondissement.
4 Coulmont, Les Aventures de Christophe MacAbiaut, Bibliothèque de l'ENS 5 " L'être est, le non-être n'est pas. " Héraclite.
6 Cf. Un meurtre anormal, L'Affaire Lapage ou Au Silence d'une après-midi d'été.
7 Cf. Baudelot et Establet, Durkheim et le suicide, PUF-Philosophies, plus précisément pp. 23-24.
8 AH AH AH (note de l'auteur soulignant un gag).
9 Cf. Le Sens pratique, La Distinction, La Noblesse d'Etat, Algérie 60, Un Art moyen, Ce que parler veut dire, et Les Héritiers, p. 24 à chaque fois, sauf La Noblesse d'Etat, p. 25 aussi.
10 Le Suicide, Šmile Durkheim, Paris, Alcan, 1897, p. 24.
11 Voir les précédentes Aventures de MacAbiaut.
12 Cette dernière phrase sera reprise telle quelle dans ses mémoires (Op. Cit. p. 24)
13 Paris-Match, nƒ2434, p. 24.
14 La famille MacAbiaut est, depuis longtemps, une famille de détectives. La meilleure introduction à l'histoire dynastique des MacAbiaut est La Sainte Hystoire, ou récits familiaux des MacAbiaut, s.d. Il est aussi possible de consulter Die Politische Ontologie Christophe MacAbiauts, de Peter Gottesst–pfer, p. 24 en cours de traduction au Seuil, par Mme Catherine Colliot-Thélène.
15 Un tauke, c'est un peu comme envoyer un imail, mais la conversation se fait en temps réel et tout ce qu'on tape au clavier s'affiche immédiatement sur l'ordinateur du destinataire, qui peut répondre tout aussi rapidement.
16 Les lecteurs attentifs remarqueront les progrés réalisés quant à l'ouverture des portes par Anne (comparer avec Au Silence d'une après midi d'été). Note : les dégés ont une clé du bureau du COF.
17 " J'ai bien regardé dans tous les coins " m'assura Anne.
18 J'avais eu un bon rang lors du turnage, et mes deux jokers avaient été suffisants.
19 C'est une de mes remarques préférées, avec " Le mystère s'épaississait. ", comme si l'étrangeté et l'épaissitude se conjuguaient pour se définir l'un l'autre. (note du narrateur).
20 En effet, Anne n'avait pas de nom de famille. C'était Anne. Comme Julien, c'est Julien.
21 Les causes du suicide, Maurice Halbwachs, Paris, PUF, 1930, p. 24.
22 Les historiens aiment " la petite histoire ", preuve de leur érudition. Cf. Comment on écrit l'histoire, de Vernant, Parialcanmilluicendouz, p. 24.
23 Il ne m'appartient pas ici de décrire l'institution séminariale de l'ENS, mais j'y reviendrai (Note de Mac).
24 Cf. L'Agir communicationnel, Habermas, p. 24.
25 Cf. Vers une Ecologie de l'Esprit, Bateson, p. 24.
26 Pour un exposé complet, voir Bourdieu, Genèse et structure du champ religieux, RFS, 1971.
27 Cf. L'Affaire Lapage ou Nighmare on Ulm Street, une aventure précédente du détective, dans laquelle il est amené à consulter les anciens plans de l'ENS (le bâtiment principal date de 1847).
28 Ce détail sera éclairci au cours du compte-rendu d'une prochaine aventure de MacAbiaut. Sans dévoiler des détails encore sous le secret d'Etat, il est, dès à présent, possible de dévoiler quelques pans encore méconnus de la Révolution de 1848. Il apparaît désormais prouvé (voir, à ce sujet, la thèse de doctorat d'Etat de Charlotte Farcey De MacAbiault ou l'histoire inachevable) que Sigismond de MacAbiault, sans doute le personnage le plus méconnu de la dynastie MacAbienne, a joué un rôle primordial, aux côtés de Béatrice Didier, dans le déclenchement et l'accélération du processus qui a conduit à la Révolution de Février. Mais vous comprendrez aisément que je ne pouvais dévoyer l'intrigue principale de cette aventure sans m'accabler les foudres de la critique littéraire. Je vous renvoie donc à mes prochains écrits.
29 Malgré les libertés que je prends parfois avec la geste historique dans ce qu'elle a de purement discursif, je désire souligner ici que l'événement relaté est réellement arrivé, et je sors de la fiction pour féliciter Monsieur Petitmengin, alors jeune Bibliothécaire, de s'être opposé, à coup de barre de fer, aux gauchistes venus fêter la Commune de Paris.
30 On appelle sourire conscrit les sourires charmeurs que le Bureau fait aux conscrits à la rentrée pour obtenir leur inscription.
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