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Archives de la catégorie : 'religion'

Religions et candidats

La campagne électorale américaine commence à prendre de l’ampleur, et les candidats républicains mettent en avant — qu’ils le souhaitent ou non — des questions religieuses.
Prenez Mitt Romney (né Willard Mitt Romney) : républicain plutôt centriste, il a été gouverneur du Massachusetts, il a une tête d’acteur, une voix posée, un accent parfait… Mais il est Mormon : son Eglise est née aux Etats-Unis au XIXe siècle, suite aux révélations reçues par Joseph Smith, qui a commencé sa vie comme charlatan et l’a terminée comme prophète. Situées sur les marges extérieures du christianisme (adieu Nicée…) le mormonisme n’est pas perçu par les protestants évangéliques, comme une vraie religion. Pourtant, Bob Jones III, personnage sinon important du moins non négligeable dans le fondamentalisme américain ne serait-ce que parce qu’il s’inscrit dans une lignée familiale, soutient Mitt Romney… tout en précisant qu’il considère le mormonisme comme un “cult“, une secte.
Soutien étrange, donc. Mais cela n’a pas l’air de gêner trop Romney, qui, invité dans l’émission Meet the Press, répond que : “aux Etats-Unis, les religions sont dans un état de compétition permanente (are in a competitive battle), elles sont en compétition pour les âmes et les fidèles”… Bob Jones le soutient donc en tant qu'”homme de foi”, antiavortement, en faveur du “traditional marriage” : We have very common ground conclut Romney. Le journaliste le relance, et Romney continue : il y a des “fois en compétition dans ce pays” mais “nos valeurs sont les mêmes”… et “ce sont ces valeurs, qui permettent de sélectionner des personnes, indépendamment de leur foi, pour des postes de direction séculières” (je paraphrase Romney, en souhaitant insister, quand même, sur le point suivant : indépendamment de leur foi signifie quand même que la foi reste cruciale pour la sélection).

Un autre candidat, lui aussi ancien gouverneur (de l’Arkansas comme William J. Clinton) du nom de Mike Huckabee (né Michael Dale Huckabee) est aussi dans la course. C’est un ancien pasteur baptiste, très conservateur, connu pour son combat contre l’obésité. Un évangélique du sud, pur sucre, mais qui a migré de la carrière religieuse (pasteur) vers une carrière politique.
Ses publicités le font sentir :
Christian Leader
“Christian Leader” : leader chrétien… proclame cette publicité (l’une des seules que Huckabee a pu se payer pour l’instant), qui commence par les mots “Faith doesn’t just influence me, it really defines me.”
Tant et si bien que divers commentateurs remarquent les signaux chrétiens visuels renforçant le message parlé. Dans la publicité suivante, au moment où Huckabee déclare que ce qui importe, à Noël, c’est le rappel de la naissance de Christ, une croix semble apparaître au fond…
The Cross Regardez la publicité pour vous convaincre.
On pourrait supposer qu’avec de tels appels du pied, les principaux leaders évangéliques américains embrasseraient la candidature de Huckabee… Il n’en est rien : Bob Jones III soutient Romney, Pat Robertson soutient Giuliani, le président de la commission pour l’éthique et la liberté religieuse de la Convention baptiste du Sud (Richard Land) soutient un autre candidat (Fred Thompson)… et la liste continue (lire cet article du New York Times).
Comment comprendre cela ? C’est que Huckabee n’a aucune chance d’être élu président, pour l’instant, ni même d’obtenir l’investiture républicaine, et nombreux sont ses collègues pasteurs qui voient d’un mauvais oeil l’émergence d’une nouvelle personnalité politique et religieuse nationale. Huckabee, à leurs yeux, risque de les éclipser.

Les références religieuses, j’espère avoir pu au moins l’esquisser, jouent donc un rôle interne au champ religieux concurrentiel au moins autant qu’elles empiètent sur un espace public, politique et séculier perçu à travers les lunettes de la foi.

Incartades sexuelles

Comment réagir lorsqu’un homme politique conservateur américain (ou un pasteur évangélique) est arrêté pour avoir proposé à un policier en civil quelques dollars en échange d’une fellation ?
Les exemples, mettant plus ou moins en jeu des pratiques homosexuelles d’hommes politiques républicains, sont nombreux ces dernières années :
– l’ancien gouverneur du New Jersey était marié et démocrate, relativement progressiste, mais son affaire extraconjugale avec un jeune israélien (embauché comme expert en lutte antiterroriste) s’est mal terminée…
– l’ancien maire de Spokane dans l’Oregon, Républicain férocement conservateur, menait une double vie sur internet et appréciait les contacts électroniques avec des adolescents, tout en respectant la frontière légale des 18 ans… Dénoncé par un quotidien local, qui avait piégé le maire pendant plusieurs semaines en embauchant une personne se faisant passer pour un jeune de 18 ans… il est décédé quelques mois plus tard… Un épisode de Frontline : a hidden life, lui a été consacré (disponible en ligne gratuitement)
– un ancien député fédéral, républicain lui aussi, a été exposé publiquement quelques semaines avant les dernières élections. Il envoyait des mails à double entendre à d’anciens stagiaires. Vanity Fair a retracé son histoire.
– l’ancien président de la National Evangelical Association avait été dénoncé par un prostitué avec lequel il entretenait une relation (payante) depuis plusieurs mois — et auprès duquel il s’approvisionnait en meth. Sébastien Fath avait analysé ce scandale.
– un député du parlement de Floride, conservateur bon teint, président de diverses commissions parlementaires visant à a défense de l’ordre, des enfants ou autres… Républicain, anti-gay… est arrêté dans les toilettes publiques d’un parc : il avait proposé à un policier en civil 20 dollars pour le sucer.
– un sénateur fédéral de l’Idaho, homme politique de stature nationale depuis plus d’une dizaine d’année, vient de plaider coupable dans une affaire de sollicitations sexuelles dans les toilettes publiques d’un aéroport. Foncièrement anti-gay, défenseur de la prière à l’école, des armes à feu (il est membre important de la NRA, le lobby associé…)… mais entouré, depuis 1982, de rumeurs quant à sa sexualité.

La première réaction est souvent du type schadenfreude : le malheur qui frappe ces hommes — leurs vies sont détruites — révèle aussi l’hypocrisie du conservatisme moral. Ces leaders politiques ou religieux drappés dans leur “cuirasse de vertu” (shield of righteousness écrit Humphreys dans son Commerce des pissotières récemment traduit) essayaient d’imposer aux autres l’inverse de ce qu’ils pratiquaient pendant leur temps libre (ou leurs heures de travail, parfois). Et l’on s’amuserait beaucoup de découvrir ici en France chez certains Vicomtes antiturcs, ou chez certains députés tourquennois antigays, certaines inclinations aux plaisirs variés de la chair.
Mais d’autres réactions sont immédiatement plus complexes : ces affaires signalent l’inégalité de traitement de l’homosexualité, toujours utilisée dans un contexte de dénonciation. Participer à la dénonciation — même sous le haut patronage du commentaire “sociologique” — ne revient-il pas à consommer du temps qui pourrait être utilisé à lutter contre l’homophobie ? Je n’ai pas, en tête, de dénonciation inverse de l’hétérosexualité d’un homme politique publiquement gay… mais j’ai en tête les incartades hétérosexuelles de sénateurs américains, non sanctionnées.
Et, plus largement, sont absentes les interrogations sur le rôle des policiers dans une partie de ces histoires, policiers volontaires pour piéger des hommes dans des toilettes publiques. Des commentateurs, aux Etats-Unis, dénoncent facilement une mauvaise sexualité (anonyme, dans des lieux publics…) et en glorifient une autre (dans le cadre du mariage, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel). Que penser, pourtant, de ces “entrapments“, qui s’arrêtent avant tout acte sexuel, et qui reviennent à rendre passibles de poursuites des claquettes et des gestes à double sens. La drague serait permise ailleurs, mais pas dans des toilettes. Les policiers de Minneapolis, qui ont arrêté le sénateur de l’Idaho, ont arrêté plus de 40 personnes en quelques mois. Ils allaient même jusqu’à répondre à des annonces, sur internet, d’hommes cherchant des coups rapides à l’aéroport.

Les réactions du sénateur de l’Idaho et du député local floridien sont inverses. Le républicain de Floride n’a pas plaidé coupable, bien au contraire : il se défend bec et ongle, publiquement, devant les caméras. S’il a proposé 20 dollars au policier ce n’était pas pour une fellation, mais pour “ne pas devenir une statistique”… dans sa défense tordue, le député raconte qu’il avait peur des grands Noirs qui trainaient dans le parc et qu’il souhaitait se faire raccompagner par le policier jusqu’à sa voiture. Est-il utile de préciser que ce discours n’a pas été apprécié par les associations antiracistes américaines. Mais le caractère mineur du personnage (un député local) a confiné le scandale à la Floride. Le sénateur, lui, a plaidé coupable, mais il déclare maintenant qu’il n’avait pas vraiment compris l’enjeu (même s’il participe, depuis les années soixante-dix, à l’élaboration des lois en tant que député de l’Idaho, puis député fédéral et sénateur…) : “je ne suis pas gay et je n’ai jamais été gay” a-t-il déclaré publiquement, hier, sa femme à ses côtés (les commentateurs soulignent qu’elle portait des lunettes noires et avait l’air “malade”). Il est à croire que, dans les deux cas, leur position sera rapidement intenable.

Charisme de fonction

Le magazine d’informations sensationnelles, Reportages, sur TF1, est en partie en ligne. Il y a quelques semaines, l’émission portait sur les exorcistes chrétiens, et suivait les oeuvres de trois personnages. Une émission disponible ici. Un évêque “vieux catholique” in full regalia parlant latin et javanais… un prêtre catholique, exorciste diocésain, et un pasteur baptiste. Trois styles différents.

exorciste evangelique
Un extrait, avec trois exorcismes, au format Quicktime

Le “vieux catholique” mélange l’apparence séculière d’un VRP (petite malette, voiture, dynamisme) et l’apparence cléricale d’un évêque de fantaisie (chasuble dorée, latin forcené, bagouze en or qui brille…). Ses exorcismes sont audibles et visibles egzorssizoume ine dominé patrrrisse: il se dépense à la tâche.
Le pasteur baptiste est dans un style différent : pas de déguisement costume, même pas le soutien d’un bâtiment néo-gothique, ni même celui d’une langue magique. Sa force tient dans le froncement des sourcils, la puissance de sa voix (Satan semble un peu dur de la feuille), et l’imposition des mains.
Le prêtre catholique, de son côté, manifeste une nonchalance professionnelle face à tout cela. Dans une scène mémorable, il bénit un pavillon à l’eau bénite… et il en reste “vous pouvez la garder, dans une petite bouteille”. Satan ne lui pose pas de véritable problème. Il manifeste ce que Max Weber, notre maître à tous, appelait le “charisme de fonction”, l’idée selon laquelle des qualités extraordinaires étaient prêtées à un individu de par sa fonction institutionnelle : le charisme est ici “une qualité transmissible par des moyens rituels d’un porteur à d’autres” “La croyance en la légitimité ne concerne plus la personne mais les qualités acquises et la vertu de l’acte rituel”. Un prêtre catholique n’a pas à être personnellement extraordinaire, n’a pas à détenir les fruits d’une expérience… pour agir efficacement. Son ordination lui confère tout pouvoir.
À rebours, le pasteur baptiste semble détenir un charisme personnel, pas nécessairement plus instable.
L’évêque “vieux catholique” est le plus intéressant. Cette église “vieille catholique” fait partie des franges extérieures du catholicisme romain, issue de multiples scissions et recompositions. Les divers sites internet de l’évêque insistent sur la légalité canonique de son ordination… mais on sent l’institution faible, très faible, et la base de son charisme repose finalement sur une tradition : latin, vestements, vieux grimoires. Nam vivit !
Cette importance romaine du charisme de fonction n’a rien de bien neuf : Max Weber devait d’ailleurs avoir en tête l’Eglise de son temps en forgeant le concept. Et il semble bien que diverses évolutions récentes dans le catholicisme français viennent remettre en cause, en partie du moins, la centralité du charisme de fonction. Comme le souligne Céline Béraud, dans un article sur les diacres, Les diacres permanents, entre l’autel et le monde: Une légitimité et une activité aux frontières. Ces derniers, ordonnés mais souvent mariés et salariés, insistent sur une

légitimité expérientielle (…) assurant à son détenteur une autorité qui ‘‘ne repose pas prioritairement sur sa position statutaire, mais s’enracine précisément dans une expérience personnelle, un engagement, un vécu’’ . C’est une légitimité qui vient d’‘‘en bas’’, c’est-à-dire d’une inscription dans des communautés locales et des réseaux interpersonnels dont les premiers pour le diacre sont son foyer et son lieu de travail. Elle rend possible des processus d’identification. Dans le discours des diacres, on peut noter une insistance forte sur la plus grande accessibilité et la meilleure proximité qui est la leur par rapport aux personnes qui s’adressent à l’église et notamment à celles qui en sont le plus éloignées. De fait, ils se présentent volontiers comme des médiateurs privilégiés entre l’institution ecclésiale et le monde.

Not a joke : an Eruv on the Kilimanjaro

Imagine three American Orthodox Jews climbing Mount Kilimanjaro (no… this is not the beginning of a joke).

Shabbat presented our greatest halachic challenges. Firstly, we needed to build an eruv so that we would be able to carry in the small area around our tents. At first glance, our campsite appeared to be surrounded by a natural eruv –a combination of natural wall formations, embankments and Mawenzi Peak. However, we could not be certain that all these borders qualified as a halachic partition. Instead, we positioned our three tents to form a semi-circle and set up a tzurat hapesach, or doorframe, using a fishing line and poles. Thus, we created a small, enclosed “courtyard,” enabling us to carry between the tents and to daven, eat and learn outside. We tied clothing onto the fishing line so it would be visible at night to the porters and made sure that it didn’t sag more than three tefachim, which would disqualify it as an eruv.
source

What’s an eruv ? An eruv is a “mechanism that transforms an enclosed shared living area (e.g. a courtyard) into a common one”, and within this new common area, one can be an observant Jew and carry small objects during shabbat.
Halachic mountaineering ? It combines two very different aspects of contemporary life. On the one hand, mountaineering can be considered a way toward “self-accomplishment”. The ideal mountaineer has to go beyond herself (beyond her own strength, her own will, etc.) to reach the summit… Reaching the highest point is not a goal in itself : its purpose is to reveal the mountaineer’s real self.
On the other hand, the contemporary observance of Halacha is an identity support. The Jewish law is used consciously and reflexively to permanently sustain a religious personal identity in everyday life. The Eruv is then paramount : it materializes a symbolic space where one can be jewish and enjoy the practicalities of modern life. [For other eruvim implementation, see here, or there…]
Note : This short and unfinished note on the combination of individual self accomplishment and social identity management was inspired by Wayne H. Brekhus’ study of gay suburbanites, Peacocks, Chamelons, Centaurs (U. of Chicago Press, 2003).

Mariage halal

Il y a deux semaines, j’avais réagi à quelques éléments d’un papier du Monde sur les musulmans qui refusent le mariage civil. L’article 433-21 du Code pénal interdit en effet toute célébration d’un mariage religieux s’il n’y a pas eu, auparavant, célébration d’un mariage civil. Cet article a une longue histoire (que j’avais rappelée ici) et a survécu à la loi de Séparation en 1905 et à la réforme du Code pénal au début des années 1990 (ainsi qu’à une proposition de loi d’Alain Madelin en 1981). En droit donc, en France, les seuls couples encore obligés de se marier civilement sont les couples qui cherchent à se marier religieusement (un certificat de pacs ne suffit pas).
Je me suis depuis plongé dans les résistances catholiques au mariage civil (qui permettent de remarquer que la laïcisation du mariage n’a pas été un processus rapide et sans contestations).
Mais j’ai aussi découvert (avec l’aide de Sébastien Fath) cet article du Courrier de l’Atlas, Mariage “halal” : mariage hors la loi (sauf celle de Dieu) :

Danger : Certains jeunes couples musulmans estiment pouvoir se contenter du mariage religieux. Ils boudent ou reportent indéfiniment l’union civile. Une situation inquiétante car “l’épouse” peut être répudiée du jour au lendemain, sans que ses droits soient reconnus. Dans certains cas, c’est aussi une forme de rejet de tout système civil et organisation sociale laïque, voire des lois… Dans d’autres cas, il s’agit tout simplement d’une astuce pour vivre en concubinage.

Les journalistes ont interrogé un imam qui « a d’ailleurs décidé de ne plus célébrer d’union religieuse sans avoir vérifié au préalable l’acte de mariage établi civilement par la mairie. » Bon exemple de respect des lois, mais comment le comprendre ? On découvre assez vite un autre son de cloche si l’on se promène un peu sur internet.
Sur un forum consacré à l’islam, à la question Où peut on faire le mariage Halal sans le civil ? SVP, une personne répond :

Fo sadressé à une petite moské, car lé grande moské refuse de fair le halal avant le mariage civil. Sinon on peu demmandé à une association islamik.
traduction : Il faut s’adresser à une petite mosquée, car les grandes mosquées refusent la célébration des mariages halal avant le mariage civil. Sinon, on peut demander à une association islamique.

Pourquoi donc une “petite moské” serait-elle plus encline à célébrer des mariages halal ? Un texte de Solenne Jouanneau, «L’imam et les jeunes mariés», issu de sa thèse — en cours de finalisation — va nous aider à comprendre. En réalité, c’était déjà ce texte qui m’avait servi dans le billet précédent sur islam français et mariage civil, mais je l’avais en parti oublié, rendant à [Jocelyne] Césari ce qui était en fait à Jouanneau. Elle écrit qu’on peut voir “progressivement apparaître, chez un nombre croissant de musulmans, non pas un refus de principe concernant le mariage en mairie, mais le besoin d’un rituel autour du mariage qui puisse être vécu comme spécifiquement islamique.” Besoin qui s’est “concrétisé dans le souhait que se soit un imam, si possible dans une mosquée, qui récite devant les jeunes époux la fatiha ce qui (…) n’avait aucunement cours dans les pays d’origine. Les imams (…) acceptent de se plier à la demande des fidèles et ce sans s’inquiéter du caractère novateur de ce cérémoniel.” Les jeunes musulmans demandent à l’imam ce que de jeunes catholiques demandent aux prêtres. [A noter que l’on remarque la même chose aux Etats-Unis, d’après K.I Leonard citant E. Shakir : «American mosques inevitably borrowed heavily from American churches, using them as models (…) Soon the mosque became the scene of weddings and funerals, of cake sales and dinners»]
Elle poursuit ainsi : “par la volonté des musulmans pratiquants de maintenir une spécificité islamique à leurs unions matrimoniales, les imams ont progressivement été amenés à jouer un rôle central dans la réinvention de pratiques religieuses autour du mariage.” En conclusion : “ces imams répondent aussi à une demande des fidèles consistant à recréer un espace de pratiques qui puisse être perçu comme spécifiquement « musulman », d’où la création d’un mariage religieux islamique qui n’a de sens qu’en opposition au mariage civil et dans le cadre d’un processus d’adaptation à un pays laïc où l’islam se trouve en situation minoritaire.”
Ceci une fois dit, S. Jouanneau va s’intéresser aux situations concrètes d’acceptation ou de refus de ces célébrations extrajuridiques. Elle écrit que “les imams officiant dans les mosquées engagées dans un processus de reconnaissance institutionnelle” refusent, alors que les imams qui “officient généralement dans des lieux de culte qui ne sont pas inscrits dans un processus de reconnaissance par les pouvoirs publics (et qui) ne sont généralement affiliés à aucune fédération d’ampleur nationale” vont plus facilement accepter. C’est que les premiers sont plus détaché des demandes des fidèles : ils peuvent être soutenus par le bureau de l’association gérant la mosquée, mais aussi tenir compte des retombées qu’offre une proximité avec les pouvoirs publics. Les seconds, au contraire, ne dépendent que des fidèles : ils sont “directement dépendants de l’opinion de leurs fidèles qui restent leur principale source de légitimité.”
C’est ainsi que l’on comprend le conseil, donné plus haut, de recourir à une petite moské : passer devant Monsieur l’imam correspond à l’idéal du mariage musulman contemporain en France, mais il faut choisir un imam dépendant des fidèles pour avoir accès au mariage religieux sans mariage civil. Ce que ne précise pas la personne proposant le recours à la petite moské, c’est qu’il y a peu de chance pour qu’un membre extérieur à l’assemblée des fidèles puisse avoir recours aux services extra-juridiques de l’imam.
Il serait, pour poursuivre dans cette direction, possible de s’intéresser aussi au volume de capitaux — culturel et religieux — détenus par les candidats au mariage. Mon hypothèse est que l’acceptation sera d’autant plus forte que les capitaux des candidats seront plus importants, indépendamment de la situation concrète de l’imam.
Mais revenons à l’article du Courrier de l’Atlas consacré au ‘mariage halal’. Les journalistes décrivent trois situations de mariage halal en se concentrant sur les jeunes femmes. « La femme est souvent la première victime de ce type d’union » nous précise-t-on. Ces femmes apparaissent comme des êtres vulnérables : Fouzia, 30 ans, a été “abandonnée avec son enfant par Samir”, Séphora a été “mariée avec Marouane puis séparée”. Le mariage halal n’étant — du point de vue de l’Etat — qu’un simple concubinage, et le ‘divorce halal’ étant très simple à réaliser, les séparations sont plus douloureuses pour les femmes. Le mariage halal est décrit comme une forme de tromperie sur la marchandise, un engagement creux. Dans les années cinquante — de manière ultra marginale — et soixante, l’union libre (la “cohabitation juvénile”) devait aussi être décrite comme mettant en jeu l’honneur, la réputation et l’avenir des jeunes femmes… je ne sais pas trop quand ce type de description a disparu pour la population générale et apparu pour décrire les jeunes musulmans…
D’autres usages du mariage halal, manière de rendre possible la cohabitation, semblent possibles, et les jeunes femmes peuvent être les promoteures de ce qui est parfois décrit comme des “fiançailles”. Sur un forum, encore :

je suis marocain et je suis venu faire mes etudes en france, j’ai rencontré une cousine a moi qui est né ici on est sorti ensemble et elle m’as demandé en mariage (oui rien n’etonne aujourdhui) j’ai accepté mais le probleme c’est q’elle veut juste un mariage avec un fqih et pas de mairie pour l’instant (et je sais pourquoi : elle craint que je la quitte si je fais mes papiers). mais moi je m’en fous des papiers.
source

Pour finir, ce clip — hilarant de machisme blessé — une chanson de l’Algerino qui raconte l’histoire d’une Fleur fanée (comprendre une femme multipartenaire), et dont les paroles contiennent les vers suivants :

J’ai pardonné ; tout le monde fait des erreurs, j’en ai fait
J’l’ai prise comme elle était ; j’lui ai rendu sa dignité
Elle m’a présentée à sa mère et j’la présente à la mienne
La mienne me suggère directement de faire un mariage halal
J’avais 21 ans pas un rond, pas de situation

Unions civiles : le New Hampshire

L’Etat du New Hampshire va autoriser, à partir de janvier 2008, les unions civiles, qui donnent aux couples du même sexe les droits (étatiques) que le mariage donne aux couples de sexes discordants. Il rejoint ainsi le Vermont, le Connecticut, et le New Jersey. Seul le Massachussetts autorise deux hommes à se marier (ou deux femmes, ou une femme et un homme).
Et, comme dans les trois États précédents, le New Hampshire va donner aux prêtres, rabbins, pasteures, rabinnes, prétresses… le droit de civil-unioner les couples du même sexe, en tant qu’agent of the state :
Les Revised Statutes Annotated du New Hampshire précisent :

457:31 Who May Solemnize. – Marriage may be solemnized by a justice of the peace as commissioned in the state; by any minister of the gospel in the state who has been ordained according to the usage of his or her denomination, resides in the state, and is in regular standing with the denomination; by any clergy who is not ordained but is engaged in the service of the religious body to which he or she belongs, resides in the state, after being licensed therefor by the secretary of state; within his or her parish, by any minister residing out of the state, but having a pastoral charge wholly or partly in this state; by judges of the United States appointed pursuant to Article III of the United States Constitution, by bankruptcy judges appointed pursuant to Article I of the United States Constitution, or by United States magistrate judges appointed pursuant to federal law.
source

Concrètement, il faut être un “ministre de l’Evangile (résidant) dans l’Etat, qui a été ordonné selon les usages en vigueur dans son Eglise et qui est en règle avec son Eglise” ou alors être un ou une “membre du clergé qui n’est pas ordonné mais qui est engagé au service du corps religieux auquel il ou elle appartient, et résidant dans l’Etat apr!s avoir reçu une licence du Secrétaire d’Etat”, ou encore un “ministre qui réside hors de l’Etat mais qui a des charges pastorales — totales ou partielles — dans l’Etat du New Hampshire” (il ou elle peut alors solenniser l’union civile ou le mariage dans sa paroisse).
Assez chrétien, cet ensemble : surtout l’expression “minister of the gospel”… On est loin de la liste proposée par le Vermont, qui, malgré ses 600 000 habitants, avait prévu le cas des Baha’i, comme mentionné sur ce même blog il y a quelques temps.
Est-ce à dire que, du point de vue de l’Etat, il n’y a aucun problème en vue à autoriser des ministres du culte à célébrer des unions civiles ? Pas vraiment, et on le voit dans une proposition de loi votée la semaine dernière par les députés californiens. L’Assembly Bill 43 précise en effet qu’il deviendra impossible de forcer un prêtre (ou rabbin, pasteur…) à célébrer un mariage (ce qui me semblait déjà être le cas)…

No priest, minister, or rabbi of any religious denomination, and no official of any nonprofit religious institution authorized to solemnize marriages, shall be required to solemnize any marriage in violation of his or her right to free exercise of religion guaranteed by the First Amendment to the United States Constitution or by Section 4 of Article I of the California Constitution.

Légende urbaine — façon XIXe siècle

Certaines fausses informations circulent, de mail en pages web, de liste d’information en tchate. Elle aurait déposé une main-courante contre luiIl était ivre-mort lors du G8… Mandy a besoin d’une greffe de moelle osseuse de type AB… wbgh.exe est un virus très dangereux…
Au dix-neuvième siècle, il se passait un peu la même chose, mais plus lentement, au rythme, hebdomadaire, des journaux de l’époque. Voici les plates excuses, donc, des éditeurs de L’ami de la Religion et du Roy, en 1827 (tome 52, p.320) qui se sont fait prendre par un miracle.
Ami de la religion, 1827
«Le ridicule auroit dû nous frapper…»
[source : Gallica et GoogleBooks – le canular est ici]

Islam français et mariage civil

Il y a quelques semaines, j’avais essayé de décrypter les propos de Catherine Labrusse-Riou parlant dans Le Monde des rapports entre mariage civil et mariage religieux. Elle mobilisait ces deux choses pour dénier aux couples du même sexe le droit au mariage, avec un argument étrange : «Si le mariage homosexuel était consacré par la loi, les grandes religions dotées d’un droit de la famille – catholique, juive, musulmane – pourraient demander que le mariage civil ne soit plus un préalable nécessaire à la célébration religieuse.»
Hier vendredi (dans le numéro daté de ce jour), Le Monde publiait un nouvel article sur les questions de mariages civils et religieux : Des jeunes musulmans veulent s’affranchir du mariage civil.

de jeunes musulmans souhaitent se marier religieusement, sans passer au préalable par un mariage civil. Une démarche illégale selon le code pénal, qui punit de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende “tout ministre du culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil“.

Précisons. On voit mal dans quelle mesure cette démarche de candidats au mariage religieux serait illégale. Seuls les célébrants sont visés par la loi.
La journaliste du Monde Stéphanie Le Bars, remarque ensuite la mobilisation naissante de parlementaires autour de ce non-respect du Code pénal. Dans une question écrite récente, un député UMP s’étonnait ainsi :

Il paraîtrait que dans la plupart des communes, les services de l’État civil qui fournissent des certificats d’union civile à la demande des mariés souhaitant procéder ultérieurement à un mariage religieux ne sont quasiment jamais sollicités par les mariés de religion musulmane. En conséquence, soit il n’y a jamais de mariage religieux dans ladite religion, soit le mariage religieux a été célébré antérieurement au mariage civil ou bien le sera ultérieurement, mais sans qu’aucun certificat n’ait été produit devant le ministre du culte.
Source : Question écrite n° 118221, par Etienne Mourrut, (Question publiée au JO le : 13/02/2007 page : 1485)

Le député Mourrut ne cite malheureusement pas les sources de son affirmation sur ce qui se passerait dans «la plupart des communes»… A-t-il fait faire une enquête par ses services ? L’a-t-il fait lui-même ? Comment repère-t-il les “mariés de religion musulmane” ? (a-t-il posé la question — ce serait étonnant de séparer ainsi les différents fidèles ? pense-t-il que tous Mohammed et Samira sont nécessairement musulmans ?) Bref : le sociologue que je suis aimerait beaucoup accéder à la base de donnée “Mourrut-Islam”.
Le Monde ne publie pas la réponse du ministre de l’intérieur (période Baroin)… Je vais rectifier l’omission :

il convient de préciser qu’en islam le mariage ne constitue pas un « sacrement » comparable à celui d’autres religions et ne donne pas lieu à célébration religieuse. Il s’agit d’un contrat civil, faisant l’objet d’une cérémonie privée, au cours de laquelle intervient parfois un imam de façon incidente, pour une courte prière.

Oups…, Mourrut est ici rappelé à l’ordre : il y aurait des différences entre Islam et Catholicisme… On aurait même une religion considérant un acte (religieux pour les catholiques) comme relevant du domaine du “contrat civil”. Au passage, soulignons l’ironie de la situation : pour Mourrut, un mariage musulman est nécessairement “religieux”, pour le Ministre de l’Intérieur (du moins pour le chef du Bureau des Cultes), le mariage musulman est — du point de vue de l’Islam — un contrat civil.
La fin de la réponse est aussi à citer :

En France, il arrive que certaines mosquées soient sollicitées pour « enregistrer » de telles unions. Si la mosquée de Paris et les mosquées principales exigent à cette occasion la production d’un acte d’état civil préalable, d’autres s’en abstiennent, contrevenant ainsi aux dispositions rappelées ci-dessus.
source : Réponse à la Q.E. 118221, (Réponse publiée au JO le : 08/05/2007 page : 4319)
texte de la question et de la réponse sur droitdesreligions.net

C’est qu’en France, l’Islam se “paroissialise”, que l’imam se prêtrifie : il arrive que des candidats au mariage musulman demandent une cérémonie religieuse, dirigée par un prêtre imam, parfois même célébrée dans l’enceinte d’une mosquée. [Sur les changements de rôle de l’imam, voir le livre de Jocelyne Cesari, L’Islam à l’épreuve de l’Occident. L’on pourrait presque voir dans des demandes de mariage religieux entièrement séparées des demandes de mariage civil l’expression d’une revendication laïque : il faut être un fin connaisseur de la séparation à la française pour savoir que le mariage religieux y échappe et n’est possible qu’à la condition préalable d’un mariage civil.
Stéphanie Le Bars continue :

Il se trouve donc toujours des religieux musulmans pour célébrer, dans l’illégalité, de tels mariages (aucun cas n’est connu dans les autres confessions).

J’ai sursauté… Les contestations catholiques sont connues [par exemple : LEGRAIN, Michel. 2000. « Mariage civil et mariage religieux, se marier à l’église sans passer par la mairie » Revue de droit canonique, 50(1):163-169], et il aurait été possible de poser quelques questions à des spécialistes d’autres confessions que l’Islam pour repérer d’autres pratiques d’évitement des mariages civils. On m’avait ainsi raconté des mariages célébrés dans les îles anglo-normandes.
Il semble cependant évident que les contestations sont plus visibles “en islam” : Samir Amghar, interrogé par Le Monde explicite ainsi les stratégies salafistes.
Cet article, la question du député Mourrut, les réactions — sur le moment étrange — de Labrusse Riou à une question sur le mariage gay… me font penser à une nouvelle actualité de la question du mariage (religieux et civil).
Ailleurs : des réactions sur un forum consacré à l’islam, un blog laïciste, un blog de droite dure, une comparaison avec la situation dans l’île de La Réunion, une mise en perspective sur le Blog du Curé, un commentaire sur islamie.com

Exit, voice, loyalty

Dans Vers une Église sans prêtres l’historienne Martine Sevegrand retrace la crise du clergé séculier : ses prémices dans les années 1950 et son accélération dans les années 1970. La seconde partie du livre est consacrée au diocèse de Dijon, “un diocèse sinistré”, ayant connu, entre 1945 et 1978, 202 ordination et 43 départs de prêtres (dont 9 en 1973).
Les raisons des départs sont en partie liées au célibat des prêtres et à sa remise en cause par des clercs choisissant de se marier : dans les années 1970, explique Martine Sevegrand « le mariage ne représente pas seulement la transgression d’un interdit sur la sexualité [des prêtres], c’est aussi et peut-être surtout une rebellion publique contre l’autorité de l’Eglise et ses lois. Il est vrai que [si] pour l’Église catholique, une faute en matière sexuelle est toujours grave, la hiérarchie est finalement bien plus indulgente avec un prêtre vivant en concubinage ou un pédophile qu’avec un prêtre qui se marie. » (p.242).
Au cours des années 1970, bon nombre de prêtres catholiques choisissent la stratégie de la sortie (“Exit“, écrit Hirschmann), poussés en cela par la hiérarchie de certains diocèses, qui tentent une reprise en main de leur clergé, après les “prises de parole” internes (“Voice“) des années soixante et de l’après Vatican-II. Si la question du célibat joue un rôle important, des travaux sur le protestantisme (je pense ici aux travaux de Jean-Paul Willaime) montrent que, même dans le cas d’un clergé marié, les sorties furent importantes au cours de ces mêmes années. Ces sorties sont donc probablement à comprendre comme les symptômes d’une remise en cause de la place des clercs dans la société, le célibat prenant sans doute, au sein de l’Eglise catholique romaine, une place centrale.
Cette introduction pour mettre en contexte, bien sûr, une affaire de prêtre-en-couple rendue publique il y a quelques semaines par l’organisation à laquelle il appartient :

Le P. Léon Laclau, religieux de notre Congrégation, curé de paroisse à Asson (Pyrénées-Atlantiques), partage sa vie et son presbytère avec Mme Marga L. Prenant acte de cette situation, ses supérieurs hiérarchiques ont publié le 24 avril le communiqué suivant :
L’évêque de Bayonne et le supérieur provincial de Bétharram ont pris les décisions qui s’imposaient au sujet d’un religieux prêtre dont le comportement public et affirmé ne coïncidait pas avec ses propres engagements.
Ces responsables, après avoir plusieurs fois averti l’intéressé par oral et par écrit, l’ont déchargé de ses fonctions sur le diocèse de Bayonne.
Quant à ses supérieurs religieux, ils viennent de lui donner une autre affectation.
Tout autre commentaire serait abusif.
Pierre MOLÈRES, évêque       Beñat OYHÉNART, s.c.j., Provincial

Toute la famille de Bétharram s’unit, dans la souffrance et la prière, pour ceux qui ont pris cette mesure difficile mais cohérente, et pour ceux qu’elle concerne.
source

Rendu publique par l’Evêque et le supérieur de la congrégation à laquelle appartient le prêtre, l’affaire s’est rapidement propagée dans la presse locale, sur France3-local, et au JT de France2. Je suis loin, fort loin, de connaître les tenants et les aboutissants : la place de la compagne du prêtre au sein des courants catholiques (et des groupes de femmes de prêtres), les options théologiques du prêtre, ses contacts dans la presse… me sont inconnus.
De même suis-je assez imperméable à une lecture politique de l’affaire (du type de celle que l’on peut lire ici.
Ce qui m’a, au contraire, intéressé, se situe ailleurs. L’Eglise a tout d’abord, ici, à gérer un prêtre non marié, probablement proche en cela des couples qui se forment aujourd’hui (la vie commune, sans mariage, ne constitue plus scandale… même pour un prêtre ?). Cela oblige probablement l’Eglise à quelques modifications disciplinaires : sanctionner dès la vie commune ?
Les quelques reportages laissent percer une vision contemporaine du travail et de l’épanouissement personnel : “c’est un travail” dit sa femme, et s’il est bon dans son travail, pourquoi le sanctionner ? Il faut ici comprendre, comme le fait Céline Béraud dans son Métier de prêtre (éditions de l’Atelier, 2006, mentionné il y a quelques mois), l’usage de travail — implicitement opposé à vocation — comme soutenant toute une vision du monde.
Pere Leon
Quelques reportages télévisuels sur l’affaire du Père Léon

Note : Si j’ai abordé l’exit et la voice, j’ai laissé la loyalty de côté pour l’instant.

Mariage gay et mariage religieux

Dans un numéro récent du Monde, à la question “Faut-il ouvrir le mariage aux couples de même sexe ?”, Catherine Labrusse-Riou, professeure de droit à l’université Paris-I, répond :

J’y suis opposée, comme juriste et comme citoyenne. Les tribunaux appelés à statuer sur le mariage homosexuel de Bègles l’ont annulé sur le fondement du code civil et de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans toutes les sociétés, depuis des millénaires, le mariage est un contrat destiné à sceller l’alliance de l’homme et de la femme. De plus, il n’y a pas d’injustice à exclure les homosexuels du mariage parce qu’ils sont libres de vivre en communauté de vie organisée. L’indifférenciation des sexes dans le mariage repose sur une conception abstraite de l’égalité qui ne vaut pas pour le mariage : l’égalité des époux a été acquise à partir des années 1960 mais cette révolution silencieuse suppose justement la différence des sexes. Je crois que la consécration du mariage homosexuel serait de nature, à terme, à remettre en cause la structure même du droit de la famille basée sur la différence généalogique des lignes paternelle et maternelle. La déstructuration des institutions civiles de la famille me paraît dangereuse.
En tant que citoyenne, je me demande si le mariage homosexuel est exempt de risques politiques et sociaux affectant la conception de la République. En 1792, le mariage civil a réalisé l’unité des Français malgré leurs différences religieuses : ce fut un facteur de paix sociale. Si le mariage homosexuel était consacré par la loi, les grandes religions dotées d’un droit de la famille – catholique, juive, musulmane – pourraient demander que le mariage civil ne soit plus un préalable nécessaire à la célébration religieuse. Il y a là un risque de retour de l’autorité des droits religieux et de repli communautariste.
source : LE MONDE, édition du 11.04.07

Je passerai sur le “dans toutes les sociétés, depuis des millénaires…”
M’intéresse particulièrement le passage que j’ai souligné, parce qu’il relie plusieurs thèmes qui me sont chers : des questions de droit, de religion, d’homosexualité et de mariage. La professeure Labrusse-Riou commence par lier, assez étrangement, République et mariage civil. La Constitution de 1791, qui instaure une monarchie constitutionnelle, déclare (titre 2, article 7) que “La loi ne considère le mariage que comme contrat civil.” Mais plus concrètement, la loi du 20 septembre 1792 “qui détermine le mode de constater l’état civil des citoyens” va préciser qui marie (et qui épouse qui : l’âge minimal, pour les filles, est treize ans…). [La République est proclamée le 23 septembre]
Dire que “ce fut un facteur de paix sociale” est un peu anachronique : le début des années 1790 est aussi une période de fracture de l’Eglise catholique, sommée d’accepter la “constitution civile du clergé”… Les “mariages sans Dieu” ne furent pas facilement acceptés.
L’inscription de longue durée du mariage civil n’est cependant pas un acte républicain, sauf à faire du Premier Consul l’incarnation de la République… Le caractère civil du mariage est imposé à l’Eglise catholique romaine dans un des “articles organiques” [i.e. “qui organisent”] du Concordat. L’article 54 précise que les curés “ne donneront la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil”. Autant le Concordat a été négocié avec le pape de l’époque (Pie VII), autant les articles organiques ne le furent. Dans le cadre des “cultes reconnus”, un régime qui court de 1802 à 1905, le mariage civil est donc nécessaire avant que des semi-fonctionnaires (le clergé catholique, protestant puis juif) puissent célébrer le mariage religieux. Ce régime a tenu indépendemment du régime politique — Consulat, Empires, Monarchies, République… — et il serait anachronique donc de considérer simplement le mariage civil comme lié à la “laïcité” (même s’il laïcise incontestablement) ou à la République.
Le Code civil de 1804 précise aussi les conditions pratiques du mariage. Le code pénal de 1810 prévoit même des peines pour le clergé qui célèbrerait des mariages religieux sans avoir vérifié l’état matrimonial des époux :

ARTICLE 199.
Tout ministre d’un culte qui procédera aux cérémonies religieuses d’un mariage, sans qu’il lui ait été justifié d’un acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil, sera, pour la première fois, puni d’une amende de seize francs à cent francs.
ARTICLE 200.
En cas de nouvelles contraventions de l’espèce exprimée en l’article précédent, le ministre du culte qui les aura commises, sera puni, savoir,
Pour la première récidive, d’un emprisonnement de deux à cinq ans ;
Et pour la seconde, de la déportation.
source : Code pénal de 1810, Livre 3, Titre premier, chapitre 3, section 3, paragraphe premier

On reconnaîtra ici aisément que la déportation est peut-être une peine un peu forte pour un curé résistant à l’emprise du pouvoir séculier sur des prérogatives religieuses… Mais il faut prendre cela comme un signe que l’instauration du mariage civil, loin d’avoir miraculeusement assuré la “paix sociale”, avait besoin des forces de polices pour s’incarner concrètement dans les comportements des Français.

Ce qui semblait « logique » dans le contexte où les ministres du culte étaient des quasi-fonctionnaires est interrogé au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905. Mais les articles 199 et 200 restent en vigueur. En 1945, l’amende est actualisée (Ordonnance du général De Gaulle du 4 Octobre 1945) et perdure jusqu’en 1994, au moment où la peine est adoucie : l’emprisonnement maximum est réduit à six mois. Aujourd’hui le texte est rédigé ainsi :

Code Pénal, Article 433-21
(Ordonnance nº 2000-916 du 19 septembre 2000 art. 3 Journal Officiel du 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002)
Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Ces possibilités de condamnation n’ont pas été souvent contestées. Au cours du XXe siècle, quelques prêtres et au moins un évêque ont été jugés pour y avoir contrevenu (en 1906, 1923 et 1976). Mais cela ne signifie pas qu’elles n’aient jamais été contestées, au contraire. Pour reprendre l’expression de Labrusse-Riou, “les grandes religions dotées d’un droit de la famille” n’ont pas toujours accepté l’état du droit séculier de la famille : demandez-donc au Pape si le mariage est un contrat civil. Le divorce — établi en France, de manière définitive jusqu’à présent, par la République, en 1884 — est par tout autant fortement critiqué par l’Eglise romaine.
L’idée que les revendications d’égalité devant le droit séculier devraient être ignorées sous prétexte que des religions — aussi “grandes” soient-elles — auraient elles-aussi des revendications est ridicule (et pourrait apparaître comme la reconnaissance institutionnelles de “communautés” dans la “République”). Surtout quand le point en discussion est “demander que le mariage civil ne soit plus un préalable nécessaire à la célébration religieuse”… Dans un régime de séparation, l’on pourrait s’attendre à ce que les actes religieux n’aient aucune valeur pour l’Etat… et que ce dernier n’impose pas de test au clergé. Le mariage est dans cet exemple un cas particulier : il n’est pas imposé à l’Eglise qui baptise de vérifier que l’enfant a bien été déclaré à l’état civil, ni, lors des obsèques, que la mort a bien été constatée. Le mariage semble être dans une situation particulière, comme point de contact entre sphères séculières et religieuses, mais cette situation n’est pas particulière à la France [une situation inversée existe aux Etats-Unis, par exemple, où la séparation des Eglises et de l’Etat s’accommode de clergé agent of the state quand ils marient].
Catherine Labrusse-Riou, en mobilisant sur le champ des débats politiques “République”, menace de “repli communautariste”, “paix sociale”… déploie de merveilleux épouvantails, qui ne résistent pas aux moineaux de la contextualisation.