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Dis-moi, combien de prénoms as-tu ?

L’on sait peu de choses sur les seconds, troisièmes… et parfois quatrièmes, cinquièmes et sixièmes prénoms. Ce sont des prénoms invisibles dans la vie quotidienne. « Bonjour, je m’appelle Marie, Adélaïde, Charlotte, Garance, Domitille, Sixtine d’Aniel de la Rochefoucault… »
Et dans la plupart des cas, les données statistiques disponibles ne recueillent pas ces prénoms fantômes. Il en va différemment sur les listes électorales, où noms et prénoms permettent l’indexation d’une personne à une carte d’identité. Il est ainsi possible de repérer l’évolution, dans le temps, du nombre moyen de prénoms des personnes inscrites sur les listes électorales.
Sur le graphique suivant, j’ai distingué trois groupes principaux (et distingué, dans ces groupes, les hommes des femmes). Premier groupe, les électeurs nés à l’étranger. Le groupe du milieu, l’ensemble des inscrits. Le groupe du haut les électeurs ayant un nom de famille à particule [la particule semble être un indicateur intéressant].
prenoms-inscrits
Les deux groupes “électeurs nés à l’étranger” et “électeurs à particule” se distinguent fortement : les électeurs nés à l’étranger ont en moyenne moins de deux prénoms. Les électeurs à particule en moyenne plus de deux prénoms, voire trois pour les plus jeunes. Alors qu’une particule rallonge déjà le nom de famille moyen, les parents à particule choisissent des formules prénominales plus longues [ce qui complexifie le théorème de Bérurier mentionné par Marie-Anne Paveau]. Manière d’égaliser les deux côtés de la balance onomastique?

Si hommes et femmes né°e°s à l’étranger se ressemblent sous le rapport du nombre de prénom, il n’en va pas de même pour les électeurs à particule, ni, dans une moindre mesure, pour l’ensemble des inscrits : les femmes ont en moyenne moins de prénoms que les hommes. Elles sont peut-être privées d’un capital onomastique (les prénoms des ancêtres, transmis aux hommes de préférence ?)…

Une première lecture de ce graphique insisterait ensuite sur l’augmentation régulière du nombre moyen de prénoms des électeurs.

Mais attention :

  1. il est probable, très probable, que les jeunes inscrits n’ont pas les mêmes caractéristiques sociales que les inscrits plus âgés (la mal-inscription touchant tendanciellement certaines personnes plutôt que d’autres), et si le nombre de prénom varie en tendance avec l’origine sociale, alors on repère ici les conséquences graphiques d’un effet de sélection
  2. l’augmentation du nombre de prénoms est peut-être due à des changements administratifs-informatiques dans l’enregistrement des personnes qui se sont inscrites récemment : ceux qui se sont inscrits dans les années 1990 ne pouvaient, peut-être, qu’inscrire deux ou trois prénoms, alors que ceux qui se sont inscrits dans les années 1990-2000 ont eu la possibilité d’inscrire tous leurs prénoms… Cela pourrait expliquer en partie le “saut” visible pour les électeurs nés vers 1980.

Le prénom à l’échelle “micro”

Certains naissent avec un seul prénom, d’autres avec une demi-douzaine. Les listes électorales indiquent, pour chaque électeur, le nombre de prénoms.
A Paris en 2014, 5 électeurs inscrits ont 8 prénoms. L’un d’entre eux (les prénoms ont été modifié) est “Philippe-René Louis André Pierre Arthur Clément Jac Léon” une autre est “Annieke Bénédicte Lia Huguette Carline Sophie Aurélie Marie”… et peut-être que la liste continue, mais que les prénoms, faute de place informatique, n’apparaissent pas. Et 59 personnes ont sept prénoms ou plus.

À l’échelle du bureau de vote, le nombre moyen de prénoms diffère. Dans les bureaux de vote des 5e, 6e, 7e, 8e et 17e (sud), les électeurs ont plus de 2,2 prénoms. Dans les bureaux de votes du 19e et du 18e (est), ils en ont moins de 1,8.

nbprenoms-bv

Mais le nombre moyen est peut-être un indicateur imparfait. Voici donc la carte montrant la proportion d’électeurs ayant 3 prénoms ou plus. C’est presque la même chose, mais les écarts sont magnifiés (certains bureaux de votes ont moins de 15% d’électeurs du type “Marie Clothilde Elizabeth Gentiane”).

prenoms3-bv

La carte reproduit bien la division entre un paris plutôt populaire, à l’Est, et un Paris plusbourgeois, à l’Ouest. L’habitude de donner plusieurs prénoms à la naissance est répandue en France, mais est peu fréquente dans de nombreux pays, et la proportion d’électeurs nés à l’étranger influe.
Mais on repère aussi probablement des pratiques administratives distinctes : il me semble probable que, dans le 9e arrondissement, tous les prénoms ne soient pas notés (ce qui expliquerait la coloration bleu-clair de cet arrondissement).

Où sont les femmes ?

Les listes électorales contiennent des informations intéressantes, à l’échelle du bureau de vote. On peut mettre en carte la proportion d’inscrits dont le nom de famille comporte une particule. On peut aussi cartographier d’autres caractéristiques, plus classiques.

Si l’on sait qu’il nait chaque année environ 105 hommes pour 100 femmes, l’on voit que cette proportion est inégalement répartie sur le territoire parisien. Au centre-nord de Paris, les inscrits sont plus souvent des hommes que des femmes. Ces dernières sont plus “rive-gauche” finalement.
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D’autres informations montrent la diversité de l’espace parisien. Ainsi l’âge. L’âge de l’inscrit médian est d’environ 50 ans dans le XVIe… et d’environ 40 ans dans le XVIIIe.

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Mais la dispersion est aussi intéressante : le “centre-nord” de Paris a des inscrits moins dispersée en âge, alors que les XVIe, VIIe, XVe arrondissement ont une population d’inscrits plus diverses (sous le rapport de l’âge).

dispersionage

Et si l’on s’intéresse au lieu de naissance des électeurs ? On peut voir que les électeurs nés à l’étranger se trouvent surtout à proximité des périphériques. Le XVIe a plus d’étrangers que ce que j’aurai pensé a priori, mais ce ne sont probablement pas les mêmes étrangers que dans le XVIIIe arrondissement. Et Montmartre serait le dernier village gaulois.
paris-etranger

Vote à distance, distance au vote ?

Dans un article sur Metropolitiques, Lucie Bargel analyse le vote des “originaires”, celles et ceux qui sont vues comme étant “d’ici”, mais qui vivent “là bas”. Elle pointe l’existence de villages dans lesquels il y a plus d’inscrits (sur les listes électorales) que de résidents (au sens du recensement). Cet “effet Bargel”, est-il fréquent ?

La carte suivante laisse penser que oui.
france-inscrits-residents
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Sur cette carte, les zones en rouge sont celles où les inscrits sur les listes électorales de la commune sont plus nombreux que les résidents de la commune. Certes il existe un lien entre la résidence et l’inscription sur les listes électorales. Mais une résidence “secondaire” dans une commune peut suffire à être inscrit sur la liste de cette commune. Et il y a aussi tous ces “jeunes” (et moins jeunes), qui, ayant quitté leurs parents, continuent, par attachement peut-être, à voter là où ils résidaient. Traditionnellement, ces personnes ont été qualifiées de “faux inscrits” [Sineau. “L’abstentionnisme parisien…” RFSP 28(1), 1978, 55-72] (on trouve aussi l’expression chez Gaxie dans Explication du vote: Un bilan des études électorales en France) en suivant l’idée que ces personnes ne devraient pas être inscrites.

Creusons un peu cette carte. Si l’on se restreint aux résidents majeurs (en enlevant les enfants, qui ne votent pas et qui donc n’ont rien à faire dans l’histoire), que remarque-t-on ?

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On voit donc apparaître une France de l’attachement, en rouge. Une “France du vide” (démographique) mais une France qui n’a pas été entièrement quittée par celles et ceux qui n’y habitent plus vraiment. La France des montagnes : Morvan, Alpes, Pyrénées. La France des plâteaux : le Perche, les Ardennes sont visibles sur cette carte. Et, aussi, une France de la Côte (regardez bien, à l’Ouest normand ou breton, où presque tous les villages du littoral immédiat sont roses ou rouges) pleine de résidences secondaires. Au total, plus de 17 000 communes ont plus d’inscrits sur les listes électorales que de résidents majeurs. Cela peut sans doute contribuer aux difficultés rencontrées par de nombreux villages dans la constitution de listes de candidats complètes pour les municipales.

Une représentation graphique montre une relation entre l’altitude d’une commune et le rapport entre nombre d’inscrits et nombre de résidents… là se niche peut-être le cœur de “l’effet Bargel”.
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Mais une altitude (1000 mètres) ne signifie pas la même chose partout en France. Il y a des “1000 mètres” très difficiles à atteindre et des “1000 mètres” bien plus aisés à atteindre. Je propose deux régressions (linéaires et locales), sans pondération (ce qui donne à chaque village ou ville un poids égal) ou avec une pondération par le nombre d’inscrits. Dans les quatre cas, la relation est positive.

L’étude de la relation entre la variation de la population et la “surinscription” est moins univoque. Le graphique suivant met en abscisse la variation relative de la population (entre 1999 et 2011) et le ratio “inscrits sur résidents majeurs” en 2008/2009.
La régression linéaire sur les communes a un coefficient négatif : avoir perdu des habitants est corrélé à “avoir plus d’inscrits que de résidents majeurs”. Mais si on prend en compte la taille des communes (leur population en 2011), alors le coefficient est très proche de zéro : la surinscription n’est pas liée à la variation relative du nombre d’habitants.

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L’inscription sur les listes électorales étant liée, quand même, à une forme de résidence (ancienne, partielle, secondaire…) il est possible que les villes et villages comptant une grande proportion de résidences secondaires soient aussi des endroits avec une surinscription plus forte. C’est, globalement, le cas :
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Plus il y a de résidences secondaires (en proportion) plus il y a d’inscrits “en trop” (par rapport aux résidents majeurs).

On peut aussi regarder s’il existe une relation entre la proportion d’actifs résidents dont le travail se trouve à l’extérieur de la commune et la surinscription. J’utilise là une variable non pas pour elle-même, mais comme indicateur de la situation communale : une zone de résidence plus que de travail. Une partie des surinscrits sont peut-être des personnes qui travaillent et vivent en dehors de la commune où ils sont inscrits.

Le graphique suivant résume les corrélations entre variables (prises deux à deux) :
corrplot

Mais alors, ce rôle de l’altitude c’est peut-être juste la combinaison du déclin de la population et d’un nombre important de résidences secondaires combiné à une situation d’emploi particulière ? Une régression linéaire multiple, sur ces quatre variables, laisse penser que non : une altitude plus élevée reste associée à une surinscription plus forte (en contrôlant les autres variables). L’effet Bargel résiste bien à la régression !

Cette surinscription a-t-elle des conséquences électorales ? Après tout, ces non-résidents ne votent peut-être pas, s’il faut, pour voter, se déplacer. Ces villages où se trouvent plus d’inscrits que de résidents, doivent connaître un taux d’abstention plus élevé que la moyenne, n’est-ce-pas ? Pas vraiment : participation et surinscription semblent corrélées.
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Peut-être que les “surinscriptions” ont lieu dans des zones électoralistes… et que ceux qui résident ailleurs mais y sont inscrits continuent, même à distance, à participer intensément. Il est probable (à vérifier…) que si ces résidents temporaires font l’effort de s’inscrire (ou ne font pas l’effort de s’inscrire ailleurs), alors ils font aussi, peut-être, l’effort de voter (ou d’établir une procuration). Distance au vote ou vote à distance ? ce “ou” n’est pas exclusif. Il est certainement possible d’analyser cette “surinscription” comme la surmobilisation de groupes ou de personnes, qui arrivent à voter, à élire, sans avoir à résider.

Maintenant, vous pouvez retourner lire l’article de Lucie Bargel.

Notes : Les cartes ont été réalisées avec R, package maptools, à partir d’un shapefile des communes (GeoFla) et de données de l’INSEE (pour le recensement) et du ministère de l’intérieur (pour le nombre d’inscrits sur les listes électorales). J’ai bien conscience que ces sources n’ont pas la même origine, qu’une “résidente” et qu’une “inscrite” sont les résultats de définitions différentes… mais qui ne sont pas sans lien entre elles. L’appariement des données s’est fait très rapidement mais un peu “à la louche” quand même.

Explorer la procuration

La Vie des Idées vient de publier un article écrit avec Arthur Charpentier et Joël Gombin, article qui porte sur le vote par procuration en France.
Je poursuis ici l’exploration des données du vote par procuration et Arthur Charpentier fait de même sur son blog.

Tout d’abord un mot sur les données :
Dans l’article, nous nous appuyons sur les données recueillies par l’ANR Cartelec, notamment pour les fonds de carte des bureaux de vote (au format shapefile .shp) et pour les données du recensement à l’échelle de ces bureaux de vote. Ces données sont accessibles sur le site de Cartelec.
Mais Cartelec n’a pas d’informations concernant les procurations. Et il n’est pas simple de trouver le nombre de votes par procuration aux niveaux nationaux, départementaux, communaux ou à l’échelle du bureau de vote. Mon premier réflexe a été de rechercher des données dans les enquêtes “Participation électorale” de l’INSEE (1983-2012)… mais ces enquêtes n’a-ont pas pris en compte les procurations… Ce qui est dommage, car l’on dispose, avec ces enquêtes, de données individuelles.
Il a donc fallu se rabattre sur d’autres sources, partielles et à une échelle agrégée… Nous avons travaillé ici avec des données “écologiques” (et donc avec un risque d’ecological fallacy) À ma connaissance, seules quatre grandes villes donnent accès à des données sur les procurations.

  1. Montpellier : Résultats des élections (1994-2012), et aussi le shapefile des Bureaux de vote pour les élections de 2012.
  2. Nantes : résultats des élections (de 2007 à 2012) et shapefile des Bureaux de vote (pour 2012)
  3. Paris : résultat des élections (2007-2012) Etrangement, la ville de Paris n’a pas mis à disposition des citoyens le shapefile des bureaux de vote
  4. Lyon : C’est plus compliqué dans le cas de Lyon. On trouve bien le shapefile des bureaux de vote, mais les résultats doivent être moissonés sur le site de la ville de Lyon. Julien Barnier a mis en ligne le code R sur github pour récupérer les données et une analyse ici

J’ai contacté les sites « opendata » de Strasbourg, Marseille, Toulouse et Bordeaux pour essayer d’obtenir des données similaires, mais pour l’instant soit “le logiciel” des services électoraux municipaux ne recueille pas le nombre de votes par procuration (Strasbourg), soit les services des élection diffusent un format inutilisable (Marseille), soit les services des élections, très occupés en ce moment, répondront plus tard à ces demandes.
J’ai aussi contacté (à deux reprises au moins) la préfecture des Hauts de Seine, pour connaître le nombre de votes par procuration à Neuilly et aux alentours, mais sans réponse.
Le bureau des élections du Ministère de l’Intérieur m’a envoyé un fichier excel contenant pour la France entière des données départementales très “trouées” : apparemment, le Ministère ne contrôle pas de très près le nombre de votes par procuration et beaucoup de préfectures n’envoient pas les chiffres. Cela rend très complexe l’évaluation de l’évolution nationale de la fréquence de la procuration.
Mais j’ai réussi à faire cette petite carte nationale (en faisant soit la moyenne des deux tours, quand c’était disponible, soit en ne prenant qu’un seul tour) :
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Il semble y avoir un peu plus de procurations dans le Sud de la France en avril-mai 2012… Mais si, lors du premier tours, les trois zones scolaires étaient en vacances, ce n’était pas le cas le 6 mai quand seule la zone B (Lille, Aix…) était en vacances. La région parisienne et la Corse ont un recours plus intense à la procuration.

Une autre carte qui ne se trouve pas dans l’article de la Vie des idées est reproduite ici. Une carte parisienne montrant le rapport entre votes par procurations et votes “blancs ou nuls”, carte intéressante : elle permet de bien distinguer des zones où les votes par procurations ne sont pas beaucoup plus nombreux que les votes nuls et des zones où le vote par procurations est de 6 à 17 fois plus fréquent que le vote nul, c’est à dire des zones où l’offre politique disponible rencontre tellement bien l’assentiment des résidents qu’ils votent même en cas d’empêchement.

proc-nuls

Terminons par quelques “copies d’écran” montrant le rôle d’internet dans la procuration.

L’équipe de NKM, candidate à la mairie de Paris, a mis en place une procédure permettant à un sympathisant UMP de trouver quelqu’un pour qui voter (comme l’équipe de Hollande l’avait fait en 2012) :

procurations-nkm-janvier2014

L’équipe d’Anne Hidalgo fait presque la même chose, mais en permettant aussi à des personnes souhaitant être mandatées de se déclarer, en jouant sur le plaisir du vote : “Vous êtes disponible et impatient-e (…) Votez deux fois !”
procuration-hidalgo2014

Ces deux dispositifs peuvent se comprendre comme des “pièges à sympathisants” : l’UMP locale — et le PS local — connaît sans doute ses militants, mais moins ses sympathisants. Avec ce dispositif, des informations peuvent être recueillies sur des personnes qu’il est possible de mobiliser ensuite.

Et dans le même temps, le gouvernement prépare la dématérialisation de l’établissement du vote par procuration :
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Simplifier le vote par procuration vise à rendre plus aisé l’acte de vote. Mais l’on voit — c’est mon hypothèse — que la procuration semble utilisée de manière prioritaire par des personnes aisées (diplômées, propriétaires, cadres…) : c’est à mon avis une des modalités du vote des classes dominantes. Il est fort possible que rendre plus aisée la procuration ne bénéficie pas vraiment au gouvernement actuel… mais c’est une autre histoire.

Ségolène, Marine et les autres…

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le prénom — en tant que terme d’adresse et terme de référence — s’est diffusé largement. Mais on n’appelle pas tout le monde par son prénom. Il faut un minimum d’intimité (ne serait-ce qu’une simple intimité professionnelle) que module la considération que requièrent les hiérarchies sociales.

Cela rend d’autant plus intéressant le recours, très fréquent, au prénom pour faire référence aux femmes politiques. Ségolène, Marine, Najat… Frédérique Matonti le remarque dans une interview :

Martine Aubry et Ségolène Royal aussi ont été caricaturées, du temps où elles s’affrontaient. On les appelait par leur prénom, ce qui n’arrive jamais à un homme, «Martine» était «la méchante autoritaire», la Thatcher du Parti socialiste. Tandis que «Ségolène» était campée en Madone ou en Marianne.

À ce constat, certains diraient : “ce n’est pas vrai, l’on mentionnait aussi l’ancien président sous son prénom, Nicolas”. Et d’autres ajouteraient : “Elles ont construit leur image sur leur prénom, et ne récoltent que ce qu’elles ont semé”. Ils pointeraient vers le compte twitter de N. Vallaud-Belkacem @najatvb, ou vers le compte “officiel” de la campagne d’A. Hidalgo, «Avec Anne »:
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On dispose, pour les États-Unis, de deux travaux qui ont étudié l’usage des prénoms dans les campagnes politiques, et plus précisément lors de la campagne présidentielle de 2008, qui opposa, pendant les primaires, une femme blanche, Hillary Rodham Clinton, et un homme noir Barack Hussein Obama.

Le premier article [Zurbriggen & Sherman] porte sur les “cartoons”, ces dessins de presse humoristique. On y voit que, dans un tiers des cartoons, Clinton est indiquée par son prénom ou ses initiales, et que cela ne concerne que 5% des cartoons représentant Obama, et 17% des cartoons représentant le sénateur John Sidney McCain III.

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Mais, me direz-vous, ces cartoons sont des prises de parole très spécifiques.
Le deuxième article [Goren & Uscinski] s’intéresse aux prises de parole dans les émissions télévisées politiques et les émissions de talk-show d’information. Les auteurs se sont restreints à la première référence à la personne [pas à toutes les références au cours des émissions, uniquement à la première]. Le plus souvent, nom et prénom sont utilisés, mais le prénom est utilisé quatre fois plus fréquemment pour indiquer Clinton que pour indiquer Obama.

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Et d’où provient cette différence ? Le deuxième tableau montre qu’elle vient presque entièrement des journalistes hommes. Les journalistes femmes n’utilisent presque jamais le prénom pour faire référence à Clinton.

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Hillary2008Mais, me direz-vous, l’on “sait bien” qu’Hillary Clinton a fait campagne sur son prénom. La chose amusante, que montrent bien Uscinski et Goren dans leur article, c’est que d’autres candidats aussi ont utilisé leur prénom : Rudy Giuliani par exemple, sans que ces prénoms ne soient utilisés par les journalistes.

De tels travaux quantitatifs indiquent bien une différence de traitement entre candidats et candidates. Ils devraient pouvoir être reproduits assez facilement en France, si j’en crois et ce que j’entends, et ce que je peux lire :
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Bibliographie

Zurbriggen E.L. & Sherman A.M. (2010), « Race and Gender in the 2008 U.S. Presidential Election: A Content Analysis of Editorial Cartoons: Race and Gender in 2008 Election ». Analyses of Social Issues and Public Policy, 10[1], p.223–247.

Uscinski J.E. & Goren L.J. (2011), « What’s in a Name? Coverage of Senator Hillary Clinton during the 2008 Democratic Primary ». Political Research Quarterly, 64[4], p.884–896.

Où sont les nobles ?

nobles-deputes-2012Dans “L’interdiction” de Balzac (une des nouvelles de la Comédie humaine), le narrateur se demande si, “pour commander”, il faudrait “ne point avoir connu d’égaux”. Et le narrateur de regretter l’évolution récente des lois et des mœurs, qui modifient les vocations naturelles des nobles.

Ne faut-il pas enfin que l’éducation inculque les idées que la nature inspire aux grands hommes à qui elle a mis une couronne au front avant que leur mère n’y puisse mettre un baiser ?
Ces idées et cette éducation ne sont plus possibles en France, où depuis quarante ans le hasard s’est arrogé le droit de faire des nobles en les trempant dans le sang des batailles, en les dorant de gloire, en les couronnant de l’auréole du génie ; où l’abolition des substitutions et des majorats, en émiettant les héritages, force le noble à s’occuper de ses affaires au lieu de s’occuper des affaires de l’État, et où la grandeur personnelle ne peut plus être qu’une grandeur acquise après de longs et patients travaux : ère toute nouvelle.

Cette retraite vers “les affaires personnelles”, près de deux cents ans après l’écriture de ces lignes, semble réalisée. Mais les Révolutionnaires auraient, s’ils vivaient encore, “des rires pleins de larmes”… Les Pinçon-Pinçon-Charlot ont bien montré que cette retraite n’est pas totale.
Aujourd’hui, pour “s’occuper des affaires de l’État”, il faut passer, le plus souvent, par l’élection (d’autres voies sont possibles, certes, mais elles sont moins centrales, et consistent plutôt à être “au service” de l’État). Et entre l’élection de droit naturel, dont souffrent les nobles, et l’élection au suffrage universel, une différence existe, cruciale : le succès électoral n’est qu’un “plaisir provisoire”. Les travaux des historiens ont montré, cependant, la rapide adaptation des nobles (d’Empire ou d’Ancien régime), au système parlementaire. René Rémond a même fait d’une homologie (ou isomorphisme?) entre prétentions nobles et partis de droite la base d’un ouvrage célèbre. L’on aurait, à droite, en France, une faction “légitimiste” (i.e. nostalgique de l’Ancien régime), une faction “orléaniste” (i.e. acceptant certains acquis révolutionnaires) et une faction “bonapartiste”.

Mais concrètement, y a-t-il encore, aujourd’hui, une attirance spécifique des “nobles” pour certains partis politiques ?

Je me suis amusé avec la liste nominative des quelques 6600 candidats à la députation [que j’avais déjà utilisée ici]. J’ai imaginé que les porteurs d’un nom en “de Quelque Chose” (de Rohan…) étaient nobles (tout en relevant que les “de Oliveira” et les “de Souza” ne le sont probablement pas). Où sont-ils ? Quels partis hantent-ils ? Le Noble est-il, “avec ses gestes plein de chaaâarme”, le véritable candidat de la diversité ?
La liste suivante donne, pour chaque “nuance politique”, le nombre de candidats manants et le nombre de candidats nobles, la proportion de nobles parmi les candidats, et enfin une classification “Droite/Gauche” de la “Nuance”.

Nuance manant noble Prop Droite ou Gauche ?
   PRV    193     5 2.52 "Valoisiens"
   DVD   1535    39 2.47 droite
   NCE    211     5 2.31 droite
    FN   1117    25 2.18 droite
  ALLI     98     2 2.00 droite
   EXD    148     2 1.33 droite
   UMP    991    13 1.29 droite
   CEN    683     7 1.01 centre
   AUT   1004    10 0.98 autres
   VEC    918     6 0.64 ecolo
   ECO   1234     8 0.64 ecolo
   DVG    493     3 0.60 gauche
    FG   1109     5 0.45 gauche
   EXG   2111     5 0.23 gauche
   SOC    943     1 0.10 gauche
   RDG    144     0 0.00 gauche
   REG    154     0 0.00 "régionalistes"

Comme on le voit, les nobles n’ont pas “perdu leur flamme / Flamme, flamme, flamme, flamme”, mais ils sont loin d’être majoritaires. Ce sont surtout les “DVD” (divers-droite ← attention, ce lien contient un point Godwin) qui portent des noms à particule (une quarantaine sur 1500 candidats et suppléants). Les candidats du FN ne sont pas loin (2% portent des noms à particule). Ils “préfèrent les motos aux oiseaux”: on en trouve peu chez les écolos. Ils sont très peu nombreux à l’extrême gauche ou au parti socialiste. Et on retrouve, étrangement (ou pas), une division droite/gauche assez nette, les nobles évitant autant que faire se peut la mésalliance démocratique. « Dis-moi si tes candidats sont nobles, je te dirai si ton parti est à gauche. » L’ironie de l’étude est, bien évidemment, que le Parti radical valoisien attire plus que sa part de nobles, alors qu’il ne défend pas — ouvertement — la prise de pouvoir par un des descendants des Valois.

Note méthodologique :

  1. Peut-on vraiment imputer noblesse aux porteurs d’une particule ? Transformer ainsi un nom en indicateur, c’est une manière de faire qui a “Quelque chose d’un robot / Qui étonne même les miroirs”. Le repérage onomastique des “Juifs”, par l’extrême droite, fonctionnait ainsi, par le soupçon sur l’identité. Et les de Rohan nous diraient qu’il se porte fausse noblesse comme fausse fourrure; que la particule est un bien faible indicateur; que de fameuses familles, dont la noblesse remonte à Saint Louis ou Guillaume le Conquérant, portent nom de terre sans particule; que, comme minorité opprimée dans une république génocidaire, certains cachent leur particule… Il n’en resterait pas moins qu’entre partis de droite et partis de gauche, la mise en avant de la particule diffère.
  2. Il faudrait voir si la monstration particulaire est corrélée à plus de votes à droite, moins de votes à gauche…
  3. Dans le même ordre d’idée — et c’est ce que je défends ici — le “nom”, dans l’espace public, n’est pas cette chose fixe, inchangeable, permanente, c’est une ressource stratégique, malléable. Que l’on pense à Laurent Wauquiez, qui commence sa vie publique sous le nom de Wauquiez-Motte (les Motte, du nom de sa femme, étant une “Grande famille” du Nord, il pouvait être intéressant de s’y rattacher). Mais la modernité du nom composé cède vite la place au nom tout court et on l’imagine sans mal revendiquer, après “l’héritage chrétien”, la particule. Pensons aussi à (Marie-)Ségolène, à Marion-Anne “Marine”, à de Nagy-Bocsa, à Harlem, Chaban, Dassault… L’image publique se construit sur la manipulation du nom.
  4. La référence détournée à la chanson de Jouvet est à comprendre comme un rappel implicite des critiques “patriotes” ou républicaines de la période révolutionnaire, qui, pour délégitimer la domination aristocrate, décrivaient les nobles comme efféminés, poudrés, porteurs de talons hauts : le genre est bien une catégorie utile pour l’Histoire… Mais elle est surtout à comprendre comme variation autour de la grande question des usages de la parité aux Législatives.

Voter aux Etats-Unis

En France, la procédure de vote a été nationalisée. On vote de la même manière à Strasbourg et à Orléans, à Rennes ou à Ajaccio. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis (voir un billet de 2004 sur le même sujet). L’organisation matérielle du vote n’est même pas confiée aux Etats fédérés, elle est laissée en grande partie aux responsables des “Counties”, les Comtés.
Ainsi dans l’Ohio, le Sécrétaire d’Etat indique sur une page spécifique quel Comté dispose de quelles machines :

A chaque couleur correspond une machine particulière (ou une combinaison de machines).
J’ai retrouvé une carte de 2008 indiquant, au niveau de chaque comté, quel type de vote était en place :

On constatera la grande variété des modes du votes.
Et ces procédures ne sont pas fixes, loin de là : depuis une bonne dizaine d’années, elles sont à la fois “modernisées” (avec le passage à différentes formes électroniques) et “politisées” (notamment autour de la fiabilité des différentes formes de vote). Cela conduit à de nombreux changements d’une année sur l’autre :

La carte précédente indique quels sont les comtés qui, entre 2000 et 2008, ont changé leur équipement de vote : cela se fait rarement pour un Etat tout entier, souvent comté par comté (même si l’on distingue bien des mouvements qui semblent se réaliser au niveau des comtés d’un même Etat).

Pourquoi est-ce si compliqué ? Un élément à garder en tête est le recours important à l’élection directe. Ainsi, si vous êtes à Manhattan, vous aurez, mardi, à voter pour neuf élections différentes, voire plus… et parfois, des partis différents (le parti démocrate et le Independance Party) vont soutenir le même candidat. Vous aurez donc la posibilité de voter pour Gillibrand en tant que soutenue par le Parti Démocrate OU Gillibrand en tant que soutenue par le Independance Party :

cliquez pour voir le bulletin de vote en entier

Dans un tel système, le recours au bulletin simple, comme en France, s’avère compliqué : les opération de comptage seraient longues. D’où, probablement, le recours aux machines, très variées (comme la Shoup Lever Voting Machine, utilisée dans la ville de New York… mais pas dans le reste de l’Etat de NY… sauf à Albany, la capitale).

Réseau de travail chez les députés (suite)

Il y a quelques mois, j’avais exploré le réseau de relations de travail objectivées par les propositions de loi faites par les députés. Mais leur travail ne consiste pas qu’à proposer des lois. Les députés amendent aussi, et souvent, très souvent : il y a eu quelques dizaines de milliers d’amendements déposés entre 2007 et 2009 (presque 50 000).
Rédiger et signer des amendements est donc beaucoup plus fréquent que rédiger ou signer des propositions de loi.
Les amendements tissent un réseau différent de celui des propositions de loi. Dans le graphe suivant, les UMP sont en bleu, les socialistes en rose, les “GDR” en rouge (c’étaient les Verts et les communistes), les “nouveaux-centre” en orange, les non-inscrits en noir.

On distingue bien, à gauche les socialistes, à droite l’UMP. Mais aussi, au centre, un groupe de députés cosignant de nombreux amendements. Au “Centre-Sud”, un rassemblement (comportant des rouges, des roses et des bleus) réunit celles et ceux qui sont les champions des amendements, qui en ont signé ou rédigé un nombre gigantesque.
Mais cette représentation est trompeuse. Pour la produire, j’ai considéré comme étant d’un poids égal toutes les signatures d’amendement. Or il existe de nombreux amendements “de groupe”, signés par plus de 100 ou 200 députés. Le graphe suivant (réalisé avec le même algorithme que le précédent) prend en compte le poids des liens : j’affecte un poids de 1/n à une signature quand l’amendement est signé par n personnes.

Et là, on retrouve, semble-t-il, la structure observée quand on s’intéressait uniquement aux propositions de loi.

Pour réaliser cette étude, je me suis appuyé sur les données diffusées par nosdeputes.fr. Mais au lieu d’établir des statistiques individuelles comme celles qu’utilise Mme Hoffman-Rispal (usage repéré par Sylvain Parasie), j’essaie de repérer des relations entre députés. J’imagine que “Nosdeputes.fr” le fera prochainement : repérer la députée la plus connectée.

Qui se ressemble

Les informations disponibles sur les quelques 6600 candidats aux législatives sont intéressantes à analyser. Jean Véronis a publié sur son blog le palmarès des prénoms et la carte de la parité.
Voici ici une représentation des relations entre âges :

Sur les 6611 candidates et candidats et 6611 suppléants et suppléantes, sur 6611 couples, donc, 2000 ont moins de 5 ans d’écart, et 2000 ont plus de 16 ans d’écart. Pas tout à fait un mariage, donc.
Les plus jeunes candidats ont des suppléants plus âgés qu’eux en moyenne. Mais passé 50 ans, ils se retrouvent avec des suppléants plus jeunes :

L’écart d’âge entre “couples” composé d’un/e candidat/e et de son suppléant varie ainsi :

FF 14.0
FM 13.4
MF 12.7
MM 12.8

Les paires FF (candidate et suppléante) sont un peu plus éloignées en âge que les couples MM (candidat et suppléant). Mais la relation entre l’âge du candidat et l’âge du suppléant ne change pas en fonction du type de paire :

Les différences entre paires sont plus variées en fonction de la “nuance” politique des candidatures. A l’extrême droite (FN et autres), l’écart d’âge moyen entre composante des paires est de plus de 15 ans. A l’UMP il est de 13,1 ans, chez les socialistes de 12,9. Au Front de Gauche de 12,1 ans… et chez les candidats classés “Autres” par le ministère de l’intérieur, de 10,6 ans. Et alors ? et bien je ne sais pas quoi faire de ces différences.