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Archives de la catégorie : 'religion'

Rompre des fiançailles ?

Mes articles sur les fiançailles [voir un rite mou ?, un rite en construction ? ou une entreprise de morale ?] et un conseil de Martine Segalen ont amené une journaliste du magazine Elle a me poser quelques questions. J’espère ne pas avoir dit trop de bêtises… je suis en général surpris par les citations choisies pour illustrer mes propos, on verra bien ce que ça donne.
Une question qui n’a pas été abordée est celle des inquiétudes des juristes, après la Première Guerre mondiale, au sujet de la rupture des fiançailles — mais pourquoi donc ces débats n’intéressent pas Elle ?. Un article souvent cité, “Le Problème juridique de la rupture des fiançailles” (de Louis Josserand, dans le Recueil Hebdomadaire de Jurisprudence Dalloz, 1927(10), Chronique, pp.21-24) en fait une “manière de divorce par anticipation”.

[A]lors qu’autrefois on se mariait sur place, dans son milieu et dans son monde, depuis quelques années les unions se sont multipliées entre gens appartenant à des classes, à des groupes sociaux, à des pays différents. Les projets éclos soudainement, dans de semblables conditions, ne résistent par toujours à un examen plus sévère […]

D’où, selon lui, la mode des ruptures.
Un autre juriste (Jean Lefebvre, voir références en bas) présentait plus en détail le contexte d’un renouveau des promesses de mariage :

Pendant longtemps, nos parent n’auraient pas toléré ce que l’on appelle aujourd’hui l’émancipation de la jeune fille. Celle-ci à la fin du siècle dernier [i.e. le XIXe siècle] était encore élevée au couvent et les « entrevues » avec les candidats au mariage, lorsqu’elles se produisaient, se déroulaient selon des rites immuables de convenances mondaines, précédées d’enquêtes méticuleuses et de pourparler entre les familles.
Il s’en suivait que les promesses de mariage étaient certainement plus rares qu’aujourd’hui. Une jeune fille qui eût été l’objet d’une proposition directe eut renvoyé l’imprudent au verdict de ses parents. Ces promesses n’avaient pas non plus la même importance que de nos jours.
[…]
Par ailleurs les moeurs du temps permettent aux jeunes gens, aux jeunes filles des rencontres fréquentes, faciles, libres ; sur le « court » de tennis ou à la plage, au bureau ou à l’atelier, à l’université et déjà au Lycée, dans les oeuvres sociales, les contacts directs se multiplient, bousculant l’antique étiquette, voire la « vieille galanterie française » pour y substituer un esprit de camaraderie et de libre examen de problèmes que jadis la jeune fille n’avait même pas le droit d’aborder.

Donc : des promesses plus nombreuses, faites par les futurs mariés eux-mêmes et surtout, directement par la fiancée…
Tout cela pose un gros problème au juriste consciencieux. Car Josserand remarque — tout comme ses confrères — que si les promesses de mariages sont “nulles et non avenues” (depuis 1838 et un arrêt de la cour de cassation), les dommages versés en cas de rupture sont de plus en plus fréquents (en 1927, toujours) :

Ainsi, d’une part, la Cour de cassation proclame la nullité absolue, la complète inefficacité de la promesse de mariage, et d’autre part, elle subordonne l’allocation de commages-intérêts au profit de la victime à la preuve péremptoire de la réalité de ladite promesse : il nous paraît difficile d’accumuler en quelques idées plus de contradictions.

Soucieux d’unité logique, Josserand en vient à proposer une nouvelle vision des fiançailles :

[L]a promesse de mariage n’est pas une opération qui doive être considérée isolément et qui se suffise à elle-même ; elle n’est pas un but, mais un moyen, un avant-contrat ; son rôle est d’ouvrir une période d’épreuve au cours de laquelle rien de définitif, rien de juridiquement irréparable ne saurait être accompli […]
Ainsi compris, les promesses de mariage affectent un type juridique analogue à celui du contrat de louage de services à durée indéterminée, tel qu’il est fixé dans le code civil dans l’art. 1780 modifié par la loi du 27 décembre 1890 […]
[E]n consolidant, en consacrant juridiquement le situation antérieure au mariage, c’est le mariage lui-même qu’elles [les fiançailles] viennent consolider, et par le jeu des principes généraux du droit ; sans prêter au reproche d’incohérence et de contradiction.

(Celles et ceux qui veulent aller plus loin
– et s’offrir une discussion juridique bien datée sur les méfaits de l’émancipation féminine consulteront :LEFEBVRE, Jean, Le Problème de la Rupture des fiançailles ou promesses de mariage en jurisprudence, étude de droit comparé Thèse pour le doctorat, Université de Dijon, faculté de droit, Paris : Jouve et Cie, 1935, 240p.
– et s’offrir un article du Yale Law Journal sur les Rules of engagement (le titre est un jeu de mot sur les fiançailles et les conditions de possibilité d’une attaque militaire) liront avec grand intérêt l’article de Rebecca Tushnet Rules of Engagements)
).

PS : 1 -la lecture d’une série de thèses de droit sur les fiançailles et leur rupture m’a fait prendre conscience de l’ampleur du plagiat parmi les juristes, au moins entre 1850 et 1935 : on trouve des dizaines de pages copiées, sans indication de leur provenance… Il devient alors beaucoup plus facile de produire une thèse rapidement.
2- Il va peut-être falloir revoir les catégories que j’utilise… J’ai placé ce billet dans la rubrique “sexualité” parce que je n’ai pas de rubrique “droit”…
3- J’ai écrit plusieurs articles sur les fiançailles

Encore un procès ecclésiastique

Le révérend Norm Kansfield vient d’être jugé par un tribunal ecclésiastique composé de délégués de son Église, la Reformed Church of America. Il avait célébré le mariage de sa fille… avec une autre femme. Les amis de Norm Kansfield proposent une sélection d’articles de presse sur son procès. Une petite vidéo : The Church Trial of Norm Kansfield en provenance d’une chaîne locale (de Schenectady, NY) est disponible.
C’était le premier procès religieux (connu) dans la R.C.A. depuis près de 50 ans, mais il s’inscrit dans une série de procès d’église autour des questions homosexuelles :
– orientation sexuelle des pasteurs, comme dans le cas de la Rev. Stroud dont j’avais un peu parlé en décembre dernier (et qui a été re-froquée récemment) ;
– célébration de mariages “gays”, comme dans le cas des revs. Creech, Dell et dans diverses affaires presbytériennes… J’en ai récemment tiré un article, “Entre droit, norme et politique, un procès ecclésiastique contemporain” dans Droit et société.

Act up à la cathédrale

Act Up à l’église, c’est tout un tableau… Ils (et elles) ont fêté hier l’anniversaire du premier mariage entre deux personnes du même sexe (vidéo au format QuickTime).
Jean-Marc de GayAnglican a suivi l’affaire. Act Up a un communiqué de presse et un reportage audio, Cartier Libre (France Inter, 6 juin 2005).

L’institutrice change de sexe (2)

“Peu banale”, “faut-il en parler”, “la difficile question…”, “l’appeler Monsieur”, “les enfants”, “pédopsychiatres”… voilà comment les reportages télévisés présentent une question de droit du travail. Ci-dessous, :
– le reportage de France 3 Basse Normandie,
– le reportage de France 2.
mise à jour un reportage de RTL, montrant combien, selon certaines personnes, la “vie de famille équilibrée” s’oppose au “n’importe quoi, être un martien un jour”…
re-mise à jour (merci Nicolas), un reportage de Europe1 alarmiste, s’interrogeant sur “les conséquence de tout cela sur les enfants” et décrit le courrier anonyme de “communiqué de parents”.
mise à jour : Remarquez l’usage de l’anonymat dans cette dépêche :

Société – L’institutrice change de sexe
AP | 12.04.05 | 14:28
CAEN (AP) — Une institutrice d’une quarantaine d’années de l’école catholique Saint-Paul de Caen (Calvados) doit être opérée dans les prochains jours pour changer de sexe, a-t-on appris auprès de la direction de l’école.
«Elle nous avait prévenue depuis plusieurs mois et avait pris toutes les dispositions auprès des ministères de la Justice et de l’Intérieur pour cette opération», explique Patrick Dziura, directeur de cet établissement d’enseignement catholique.
Christine M., âgée d’une quarantaine d’années, est enseignante depuis plus de vingt ans dans cet établissement et serait sous traitement hormonal depuis février dernier afin de préparer son opération.
C’est un e-mail anonyme adressé à la redaction du quotidien «Ouest France» qui a révélé samedi dernier cette affaire et déclenché la colère de certains parents d’élèves qui, mardi midi devant les portes de l’école, étaient encore surpris.
«C’est une bonne institutrice; maintenant je ne vois pas comment dire à mon fils que la semaine prochaine il faudra qu’il l’appelle monsieur», explique cette mère de famille sous couvert de l’anonymat, alors qu’à ses côtés une autre affirme: «si elle reste dans cette école, je mettrai ma fille ailleurs».
Avant son départ en congé médical, l’institutrice avait décidé de réunir les parents d’élèves pour les informer. «Chacun fait ce qu’il veut dans sa vie, mais là il s’agit de préparer les enfants à ce changement qu’il ne comprendront pas tous», explique Lionel Vincent, le représentant des parents d’élèves, qui observe que «c’est une très bonne institutrice aimée des enfants».
«L’enseignement catholique va prendre contact avec des personnes spécialisées, des pédopsychiatres pour savoir comment en parler aux enfants», ajoute Patrick Dziura.
L’institutrice qui restera en congé maladie après son opération ne devrait pas reprendre son activité avant la prochaine rentrée de septembre «et pourrait même prendre un congé supplémentaire d’une année», souligne Serge Launay, directeur diocésain de l’enseignement catholique dans le Calvados. Pour lui, «il serait souhaitable qu’elle change d’établissement». AP
source : Nouvel Observateur on line

Agir en justice

En ce moment, la firme “Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson LLP“, énorme cabinet d’avocat new yorkais (plus de 500 avocats y travaillent), recherche des pasteur-e-s, des rabbin-e-s… plus largement des membres du clergé, qui seraient intéressés à signer un mémorandum judiciaire qui sera déposé à la cour suprême de l’Etat de New York afin de soutenir les demandes d’ouverture du mariage (civil) aux couples du même sexe.
L’un des avocats écrit :

We write to ask you and other people of faith to support equal marriage rights for gay and lesbian citizens of New York.  Your voice can be heard by signing a legal brief to be filed in New York state courts on behalf of a diverse array of individual clergy, religious leaders, congregations and religious organizations that support civil marriage between same-sex couples.  Specifically, we are gathering the names of clergy, congregations and representatives of religious organizations who are interested in lending their support in this important civil rights struggle.

Il y a en ce moment trois actions en cours, dans trois cours différentes de l’Etat de New York, et il est probable qu’au moins une de ces actions en justice, voire une “consolidation” des trois actions en une seule, parvienne au plus haut niveau judiciaire. La voix de ministres du culte progressistes est donc vivement recherchée, surtout face à la mobilisation d’Eglises (comme l’Eglise romaine) vivement mobilisées dans le camp judiciairement opposé.
Ces mémorandums (qu’ils soient progressistes ou conservateurs) sont très intéressants : ils proposent une sorte de théologie politique, une manière d’articuler une/des théologies(s) dans le monde sécularisé des cours de justice. Il faut en effet que les arguments théologiques aient une once (au moins) de sens juridique pour qu’ils puissent figurer dans des mémorandums rédigés par des professionnels de l’action en justice.
Assez souvent les arguments pro et contre finissent par être soutenus par des groupes hétéroclites de protestants libéraux, de rabbins et de sociétés d’éthique d’un côté, et un rassemblement étrange de catholiques, de mormons et d’églises fondamentalistes de l’autre.

Protestantisme conservateur

La revue Critique internationale vient de mettre en ligne son numéro 22, dont le thème principal portait sur l’expansion du protestantisme conservateur. Quatre articles sont proposés (en version PDF), sur le Guatemala (Jesus Garcia-Ruiz), l’Afrique de l’Ouest (Cédric Mayrargue), la Corée (Nathalie Luca) et la Russie (Kathy Rousselet). Pour une fois que la focale n’est pas sur les Etats-Unis…

Homer Simpson en pasteur

Dans l’épisode des Simpsons diffusé hier soir aux Etats-Unis, le maire de Sprindfield décide de légaliser le mariage des couples du mêm sexe pour développer le tourisme dans sa bonne ville (voir springfieldisforgayloversofmarriage.com). Le révérend Lovejoy, un pasteur évangélique, refuse de célébrer l’union des couples qui viennent à Springfield, et Homer se fait donc ordonner sur internet (grâce à la e-Piscopal Church online) de manière à pouvoir célébrer, au nom du pouvoir civil, des mariages.

Le New York Times y consacre un article.
Cet épisode des Simpsons me rappelle l’un des entretiens les plus amusants que j’ai réalisés au cours de ma thèse et dont voici un extrait, fort long, mais qui n’a pas d’intérêt s’il est coupé.

In 1991, I was approached by a friend, a woman, who wanted to marry a man, who was a secular person, and she wanted me to perform the ceremony for her.
In the U.S., you have the choice between a judge, a justice of the peace or a minister of a church. She is not religious, she didn’t know any justice of the peace, and she didn’t know any judges. And in her mind, she knew me, she loved me and we were very close, and she wanted someone she was close to, to perform the ceremony. So we started to research how would we make that happen. In some states, it’s very easy to become a justice of the peace, and in Vermont, it’s an elected office. You need to be nominated by a party, you have to affiliate yourself with a party, you need to get on the ballot, and then you need to get elected.
So that was to out of bound, too long. So we researched other avenues and what we found is that Vermont is one of the many states in the U.S. that don’t clearly define what a minister is, in their state statutes. Through word of mouth we learned that someone we both knew has been asked to do the same for his own brother. He had found an ad in the back of a magazine, I think it was Rolling Stone magazine, and you know, for five dollars, you get a certificate that says you were ordained.
From that we did some asking around. I think we made one call to the State’s Attorney General, just to inquire : « Is this true ? » « Yes, it’s valid. » So I sent them my five dollars and was ordained. My ordination was only good for a short time. You had to make an « offering » to the church to get re-ordained. But my intention was entirely to do it only for this one person.
In talking about it as we were planning it, other people heard that I was doing this… I don’t know why people choose me ! Maybe they think I’m particularly spiritual. They still want something… always, secular people, they still seem to crave something.
So I was asked by another couple… before I could even perform the one I was trying to perform.
In that first year, I performed two [marriages].
At that point, I started to get a reputation as someone who could stand up in front of a crowd and make people feel comfortable, put people at ease, you know. At that point, my reputation started to grow.
After the first two, a gay couple that are friend of mine – I’m gay – decided they were gonna have a commitment ceremony. There were no legal recognition at that time, it was in 1994, I think. They say : « Would you be that person for us, would you represent… even if we know it’s not legally binding… » And I said : « Sure ».
So, after that one, I think, over the years, there would have been six other opposite sex unions and… in december of 2000, the couple that I’ve married… performed a ceremony for them in 1994, still friends of mine, came to my home one day and said « We want to have a civil union ».
We were six of us, sitting around the table. I signed their certificate, we drank champagne, and that’s how you found me, I mean, that’s the only civil union that I’ve done.
I’ve also done one baptism… (laugh) but it doesn’t mean anything either. But it shows you how, I think, the way the other ones came to me… I try to make it always for personal friends of mine but even that one I did for someone I didn’t know that well because they had been at one of the weddings that I performed, and so they just came to me. And, again, these were all secular people for whom affiliation with a religious entity was not important, and for whom… they didn’t have any relationship with any of the state people… so they had relationship with me or they liked what they saw and so they chose me.
The first church, when my « ordination » lapsed… in quotes, my « ordination »… I couldn’t find them again… I had only the address and they were gone… I made the joke that perhaps they had been arrested… I didn’t know, you know. They disappeared, I couldn’t find them again. [But] because people were asking me, I had to get ordained again, and I did find another one, again in Rolling Stone, a different church, that’s called « The American Christian Fellowship Church » and that one was, for a small donation… offering… [whatever] the word they use, a lifetime [ordination], and that is the certificate that I have.
I guess I’m a lifetime ordained minister, or reverend. […]
I have a book with everything that I have read at different ceremonies. [I keep a book, because] it means something to me that I married people. What does it mean? Hard to say! I like that people I know, and some of whom I love… that I’m important enough to them they chose me to play this ceremony. And I like that two people, whatever their partnership is, care enough about each other to get together. That’s one of the reasons actually why I don’t like to perform this for people I don’t know, because I like to know that the couple is serious, you know, and sincere, and committed, and understand what they’re going into. I need to have some kind of relationship with the people, on a friendly level.
That couple, a secular couple, that asked me to… I call it a baptism, but, of course, it’s not, it was a “naming ceremony”. They wanted to name their infant and they had been to three of the weddings. It’s a small circle of friends. And they said “We’re not going to baptize our infant in a church, we’re just gonna have our family together, and we would love if you just come and…”
Actually, they asked me to create their ceremony! Which I did. It was really pagan, actually. It involved the four points of the compass, and hearth, water, wind and fire, all the four elements. If anything it was fairly celtic, or… old pagan religion.

(source : Entretien avec “David Higgins” réalisé dans le Vermont en mai 2002, retranscrit dans ma thèse, “Que Dieu vous bénisse!” Le mariage religieux des couples du même sexe aux Etats-Unis, EHESS, 2003, pp.319-322.)

Mappemonde, en ligne

En octobre 2003 j’ai publié dans la revue Mappemonde (n°71, 2003) un petit article de géographie sociale sur les “unions civiles”, cette forme de “PaCS” créé dans le Vermont. Cet article, pour la rédaction duquel Romain Garcier m’avait beaucoup aidé, est maintenant en ligne, Géographie de l’union civile, au format PDF (et il est disponible aussi sur le site de Mappemonde). On en rappelera le résumé :

Le Vermont, État rural du Nord des États-Unis, a créé en 2000 les «unions civiles», réservées aux couples du même sexe. Cette forme de mariage s’est appuyée sur une communauté gay et lesbienne locale, tout en contribuant à développer un «tourisme homosexuel» et à pousser certaines églises à revoir leur traitement des couples homosexuels: homosexualité et ruralité ne sont pas nécessairement opposées.

Signalons dans le même temps que tous les numéros de Mappemonde entre 1994 et 2003 sont intégralement en ligne (pdf). Comme l’accès aux sommaires-résumés de Mappemonde est compliqué, je l’ai mis en ligne dans une version complète, (1994-2003).
Ceux qui trouveront que les données de cet article commencent à dater un peu pourront consulter ce graphique représentant l’évolution des unions civiles sur les 4,5 dernières années.

L’éponge gaie et l’érable lesbienne

Une chose amusante vue de France est l’obsession de certains commentateurs religieux américains envers les programmes pour enfants. On se souvient peut-être que Tinky-Winky avait été accusé par l’un d’entre eux d’être gay. Bill Schorr, 26 Jan. 2005, Quick, Tell President Bush we've got a real crisisPlus récemment encore, c’est Sponge Bob, “Bob l’éponge”, qui est soupçonné (par James Dobson) d’oeuvrer en faveur de la libération gaie. Le cartoonist Bill Schorr en a fait un joli petit dessin.

La peur de Dobson peut se comprendre : une partie de ses revenus proviennent de vidéos “éducatives” visant à transformer les garçons (boys) en hommes (man). Je tire cette extrait de publicité d’un magazine évangélique, Christianity Today, où Dobson propose à la vente une série de vidéos. Au coeur de la série (vendue en pack pour 187 dollars), l’on trouve une vidéo consacrée explicitement à la prévention de l’homosexualité. C’est que, pour la droite religieuse, l’homosexualité s’apprend: l’orientation sexuelle n’est pas un donné, fixe, immuable, mais est quelque chose de fluide, de mouvant, une “préférence”, une inclination. Quelque chose qu’il est possible de changer. Quelque chose de proche et de menaçant.
Mais la surveillance des programmes pour enfants ne s’arrête pas là. La ministre de l’Education s’est opposée à la diffusion d’un dessin-animé éducatif montrant l’existence, dans le Vermont, de familles gaies. Le problème, c’est que le petit lapin Buster visite deux lesbiennes alors qu’il ne devrait voir que du sirop d’érable. (mise à jour : lien vers le blog de Buster, qui avait été supprimé par PBS)

We traveled to Vermont in the spring. They call it “mud season” because all the melting snow makes lots of mud. It’s like the whole state is a mud puddle! While there, we visited Emma, David, and James, who live with their two moms, Karen and Gillian. Karen and my mom used to work at the same newspaper together.

mise à jour : Le Brattleboro Reformer de Brattleboro dans le Vermont a un article sur l’affaire Buster, ainsi que le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, qui interviewe les deux moms.

Turbulences

Relevé ce matin dans la presse US :
Le maire millionnaire de San Francisco Gavin Newsom et sa femme ancienne modèle pour lingerie et commentatrice télé Kimberly Guillfoyle Newsom… divorcent après trois ans de mariage (source : Mercury News, ou un article plus long dans le San Francisco Chronicle). Kimberly avait, peu après leur mariage, déménagé à New York… un peu comme dans le dernier volume des Tales of the City de Armistead Maupin.

La législature du Vermont est redevenue très fortement une législature démocrate. Quatre ans après avoir perdu une partie de leur pouvoir après la création des unions civiles, les démocrates du Vermont contrôle le Congrès local et le Sénat.

“As far as I could tell, civil unions was not an issue in Vermont in 2004, pro or con,” said the Rev. Craig Bensen, who was an active opponent of civil unions in 2000 and unsuccessfully ran for the Senate as a Republican this time.
The Democrats now hope to tackle health care, energy and rural economic development. Some advocates would like to see Vermont go further and adopt gay marriage, as neighboring Massachusetts has done.
But most lawmakers say they are unwilling to take on such a divisive issue again.
source : Ross Sneyd, AP

Le Rev. Bensen est une personne fort intéressante dont on peut donner rapidement un petit compte-rendu des positions sur l’homosexualité.
Le Révérend Bensen (biographie officielle) est un pasteur de la United Church of Christ, qui est globalement une église chrétienne “libérale”, progressiste en matière de moeurs et de politiques sociales. Mais Bensen appartient à la droite évangélique de cette Eglise, dont il se séparera après 2000. Dès 1992 puis en 1994, il écrit dans le Burlington Free Press, en faveur de la « nuclear family » et contre l’homosexualité. En 1992, dans un article intitulé « For love of God and country »(1), il écrit : « As a card-carrying Evangelical, I sympathize with the thought that the state has a vital interest in protecting the institution of the traditional nuclear family. […] I hold that homosexual behavior is a form of sexual expression condemned by God in the Bible. […] If seeking to impose a sacred value in a secular arena is wrong, then Martin Luther King was “un-American.” »
En 1994, dans un article ayant pour titre « Violence is a sin, but so is homosexuality »(2), il réagit à l’incendie du bureau local d’une agence de lutte contre le SIDA, bureau qui se trouvait dans les locaux de l’église unitarian-universalist de Burlington. Plus particulièrement, il réagit à une déclaration d’un pasteur local, qui avait déclaré que les églises ne devraient pas définir publiquement certains comportement comme des « péchés ». Selon Bensen : « Where would the civil rights movement of the 1960s have ended up, if the “sin” of racism had not been publicly named and confronted ? »
Enfin, quelques mois plus tard, Bensen présente les « ministères ex-gay », des groupes para-ecclésiaux chargés de transformer les homosexuels en hétérosexuels, groupes fondés d’après le pasteur evangelical sur « a position often summarized as “hate the sin, love the sinner.” This is seen as the essential New Testament position on any sin. »(3)
En 1994, ne craignant pas d’exagérer, le pasteur écrit que « [w]ithin Chittenden County the mainline pastors are 90 percent pro-gay and several congregations boast of their pro-gayness »4.
La position du rev. Bensen semble donc être cohérente et solide dès le début des années 1990 : il faut s’opposer à l’homosexualité comme le mouvement pour les civil rights s’est opposé au racisme, et cette action d’opposition peut se faire en faisant pression sur la sphère civile, étatique, séculière, et en permettant aux homosexuels, en tant qu’individus, de changer d’orientation sexuelle. Il réinvestira tout cela dans le débat politique qui naît à la suite de la décision de la Cour Suprême.
Lors de son intervention face au comité judiciaire (judiciary committee) de la Chambre des Représentants du Vermont, il propose aux homosexuels, comme alternative au mariage, un programme de « cure », « akin to those used in treating alcoholism »(5).
En 2004, il est candidat républicain (malheureux) au Sénat du Vermont, mais son programme ne mentionne pas l’abolition des unions civiles…
mise à jour : Dans un autre article de Ross Sneyd du 8 janvier 2005, le Rev. Bensen est même plus explicite:

[C]ivil union has become the new status quo.
“I anticipate that if there were an attempt to do Massachusetts-style marriage that the public would be heavily favored to maintain the status quo,” said the Rev. Craig Bensen, who helped to lead one of the groups that sought to block legalization of civil unions.
This fall, Bensen ran unsuccessfully for the state Senate as a Republican. When he knocked on doors and visited community events during his campaign, he heard about a lot of issues, but not necessarily the civil unions law itself.
“I did hear a lot that we’re glad that the controversy is over,” Bensen said.

notes:
1 BFP (Burlington Free Press), 7/11/92, 4D, article du rev. Craig Bensen. « En tant qu’évangélique encarté, je sympathise avec l’idée que l’État a un intérêt vital à protéger l’institution de la famille nucléaire traditionnelle. […] Je soutiens que le comportement homosexuel est une forme d’expression condamnée par Dieu dans la Bible. […] Si chercher à imposer une valeur sacrée dans une arène séculière est mal, alors Martin Luther King n’était pas Américain. »
2 BFP, 2/7/94, 8D, article du rev. Craig Bensen.
3 BFP, 3/9/94, 15A, article du rev. Craig Bensen, « Ex-gay ministries : Hope, compassion »
4 BFP, 3/9/94, 15A. Le Comté de Chittenden est la région où se trouve Burlington. « Dans le comté de Chittenden, les pasteurs mainline sont à 90% pro-gay et plusieurs congrégations se vante de leur pro-gaité »
5 Brattleboro Reformer, 3/2/00, 1, article de Ross Sneyd.