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Archives de la catégorie : 'religion'

Etats-Unis, Religion, Société et Politique

materiaux pour l'histoire de notre tempsDans deux semaines sortira un numéro de la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps consacré à un thème d’actualité chronique, religion, société et politique aux Etats-Unis. J’y propose un article sur les accommodations des Eglises aux nouvelles formes de mariage. Les “unions civiles”, une forme de mariage réservé aux couples du même sexe et uniquement en vigueur dans le petit Etat du Vermont, sont célébrée dans environ 15% des cas par un-e pasteur-e, un-e prêtre ou un-e rabbin-e. De l’autre côté des Etats-Unis et de l’autre côté du spectre politique, une nouvelle forme de mariage, les “covenant marriages” ont été créés dans trois Etats du Sud: à plus de 90%, ces mariages — qui restreignent les droits au divorce de ceux qui les choisissent — sont célébrés par des pasteurs d’Eglises conservatrices.
Mais je suis loin d’être le seul à proposer d’intéressantes réflexions :
Nathalie Caron, “La religion dans le cyberespace”
Elsa Bishop, “Constructions imaginaires de l’espace californien au sein du « New Age »”
Françoise Clary, “L’islam afro-américain aux États-Unis : entre universalisme musulman et nationalisme noir”
Fabienne Randaxhe, “Les Amish ou le communautarisme apaisé”
Mokhtar Ben Barka, “La droite chrétienne ou l’itinéraire politique des évangéliques américains”
Bernadette Rigal-Cellard, “L’expansion territoriale des mormons et l’espace sacré de la nouvelle Sion, hier et aujourd’hui”
Prisca Perani “Les chrétiens sionistes aux États-Unis”
Jeanne-Henriette Louis, “Le pacifisme des quakers américains, substrat d’une promesse presque évanouie ?”
Isabelle Richet, “Religion et politique sociale. La providence sans l’État ?”
Celles et ceux qui souhaitent en savoir plus et notamment connaître les manifestations organisées autour de ce numéro, peuvent me contacter.

Religion et politique

A chaque élection présidentielle américaine, les mêmes remarques reviennent, souvent centrées autour du poids électoral et idéologique de la Droite Chrétienne. Certes ces descriptions existent aux Etats-Unis, mais dans la presse française, elles me semblent servir aussi un but “local” : parler des Etats-Unis, c’est parler de la France en creux. Souligner l’influence des chrétiens conservateurs sur le processus politique permet de rappeler qu’en France, ça ne se passerait pas pareil — et non pas à cause de conditions historiques différentes, mais “culturellement”. “Les USA pays religieux” s’oppose à “La France pays laïc/laïque” (et l’on sait combien la laïcité est invoquée en ce moment).
J’ai été contacté récemment par un journaliste (et lecteur occasionnel de ce blog) préparant un documentaire sur les Etats-Unis et souhaitant mes lumières sur la place du religieux dans ces élections. C’est vers Isabelle Richet, l’auteure de La Religion aux Etats-Unis que je l’ai dirigé.
Je me demande comment m’aventurer sérieusement sur un terrain très balisé, par de nombreuses études et enquêtes américaines, que je suis loin de maîtriser, et que je n’ai pas réellement étudié. Mes commentaires, si j’avais à les proposer, tourneraient autour de quelques réflexions:

  • 1- Il me semble qu’une appartenance religieuse fasse partie de la personne politique publique. Il est assez facile de connaître l’affiliation revendiquée des membres du congrès, du sénat ou des gouverneurs (seul Jessie Ventura, ancien catcheur et acteur de série B maintenant chercheur associé à Harvard, refuse apparemment de donner une religion). Les athées publics aiment alors déclarer qu’il est impossible pour eux d’être élus : Ron Reagan, l’un des fils de l’ancien président, et Michael Newdow (PDF), lors de son audition à la Cour Suprême, le répêtent explicitement. (Newdow est cet avocat athée, créateur de la First Amendmist Church of True Science, qui s’oppose à la mention de Dieu dans le serment patriotique que les enfants prononcent tous les matin à l’école publique).
  • 2- Si l”affiliation religieuse est un capital politique, alors il s’entretient, mais peut aussi changer de forme. Le passage d’une forme de christianisme à une autre est possible. Si l’on prend l’exemple de la dynastie Bush. Les ancêtres (Bush 1er et son père le sénateur Prescott Bush) étaient épiscopaliens, la religion classique des banquiers républicains du Nord-Est des Etats-Unis. La génération qui a suivi — et qui a connu une émigration intérieure — n’a pas gardé cette affiliation. George W. Bush, l’actuel président, s’est trouvé une forte affinité avec des groupes de prière méthodistes quand il a du commencer une carrière politique au Texas (sa femme, Laura était déjà méthodiste). Le Méthodisme y est une forme non marquée d’affiliation religieuse, très centriste. Son frère, John Ellis Bush (surnommé “Jeb”), en épousant Columba Garnica Gallo, catholique hispanique, a choisi de devenir catholique romain, ce qui lui ouvrait les portes de réseaux politiques en Floride du Sud. En revanche, il est plus difficile de savoir ce qu’est l’appartenance religieuse des frères et soeur du président (Neil, Marvin et Dorothy). Les Bush ne sont pas les seuls à avoir fait fructifier un capital religieux: Howard Dean, l’ancien gouverneur du Vermont qui fut un moment le candidat virtuel des démocrates, était du même milieu social que les Bush (père banquier épiscopalien), mais, une fois installé dans le Vermont, est devenu congrégationaliste (qui serait la religion des banquiers démocrates, pour dire vite).
    Il existe d’autres manières d’accroître son capital, par exemple par mariage: la religion de Judith Steinberg, la femme d’Howard Dean est pratiquement tout ce qu’on sait d’elle, elle est juive (ainsi que leurs enfants). Les Clinton sont baptiste et méthodiste. Les grands-parents sont parfois invoqués : ceux de John Kerry (du côté de son père) étaient juifs, d’Europe centrale, convertis au catholicisme en arrivant à Boston et en irlandisant leur nom de famille. (Prenons une comparaison : sait-on si Paul Sarközy, le père hongrois de Nicolas Sarkozy, était catholique ou calviniste ?)
    Mais il ne faudrait pas y voir un invariant culturel “américain”: Lyndon B. Johnson ou Richard Nixon ne faisaient pas grand cas de leur affiliation (la famille de Johnson était membre des Christadelphiens et Nixon était officiellement Quaker).
  • 3- Les assemblées locales, les églises (le terme utilisé est souvent congregation) sont aussi des lieux d’engagement politique. Les pasteurs embrassent publiquement des causes (contre la peine de mort ou pour une couverture sociale universelle…) mais ne peuvent soutenir des candidats ou des partis. Les lignes sont ténues, surtout quand certaines causes deviennent identifiées à certains partis. Le risque, pour les pasteurs qui endorseraient un candidat, serait de perdre l’exemption fiscale dont leur église bénéficie. Les Eglises proposent donc des manuels chargés d’aider les pasteurs à faire l’équilibriste : par exemple ce guide, The Real Rules: Congregations and Political Activity proposé par les Unitariens-Universalistes.
  • 4- Je n’ai pas pris l’exemple précédent au hasard. Les pasteur-e-s Unitariens-Universalistes sont considéré-e-s comme une “dynamo libérale” (voir un article fort intéressant : John C. Green, « A liberal dynamo: The political activism of the Unitarian-Universalist clergy », Journal for the Scientific Study of Religion, 42(4), 2003, 577-590). Si l’activisme politique du clergé “de droite” est bien connu (et surtout, relativement efficace), l’activisme de gauche passe beaucoup moins bien la frontière transatlantique. Et les Unitariens sont de toute manière très peu nombreux.

Rien là de bien étonnant ou de bien nouveau, me semble-t-il.

Mise à jour : Une tribune dans le New York Times, A Hidden Swing Vote: Evangelicals, par Andrew Greeley et Michael Hout, est fort intéressante [via: Crooked Timber]

Eruv, eruvim (2)

L’eruv (voir mon blog précédent) apparaît comme un outil très utile pour diminuer certains des coûts associés à une pratique rigoureuse du judaïsme. Divers mouvements associés au judaïsme orthodoxe insistant sur une pratique conforme aux Ecritures, tout en cherchant une accommodation avec des pratiques contemporaines, vont alors s’emparer de l’eruv. L’érouve permet d’utiliser une poussette ou une chaise roulante pour aller à la synagogue, par exemple. Il élargit ainsi la marge de manoeuvre des personnes observant shabbat.
C’est peut-être pour cela qu’il est utilisé par les éclaireurs israélites de France: ce document (pdf) peut être un peu trop folklorique, un exemplaire des “Cahiers de la formation” du mouvement des Eclaireuses et eclaireurs israélites de France présente la meilleure manière, pour des scouts juifs, de construire un eruv. C’est peut-être aussi pour cette même raison que les opposants les plus virulents aux erouvim se trouvent à l’intérieur même des communautés orthodoxes: certains refusent toute relaxation des règles littérales.

Mais l’érouv apparait souvent, quand il est établi en ville autour d’un quartier, comme l’imposition d’une forme de sacré “fondamentaliste”, ne respectant pas la neutralité religieuse de l’espace public, même si, en pratique, un eruv est tout bonnement invisible. C’est de cette manière que les opposants à l’érouv d’Outremont, un quartier de Montreal (voir Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49), se sont opposés, pendant plusieurs années, à l’érection d’une telle bordure sacrée. C’est aussi un peu de cette manière qu’aux Etats-Unis, des actions en justice ont été intentées quand des eruvim utilisaient du matériel urbain (poteaux électriques ou téléphoniques, lampadaires…) comme supports (une action récente, Tenafly Eruv Association v. Borough of Tenafly, 309 F.3d 144 décision du 3e circuit de 2002, analysée avec d’autres par Schlaff, Shira J. “Using an Eruv to Untangle the Boundaries of the Supreme Court’s Religion-Clause Jurisprudence” (PDF),5 U. Pa. J. Const. L. 831 (2002 – 2003)). Ce matériel urbain est, pour ce que j’ai pu constater récemment à New York, souvent utilisé, souvent pour des fils, plus rarement pour des indications.
Eruv New York Boro Park
(Je suis allé sur les lieux où avait été prise la photo que j’ai utilisée dans mon précédent blog sur les eruvim: ce rare panneau aurait pu être un canular bien forgé, il n’en est rien).

Pour le sociologue intéressé par les manifestations spatiales de la religion, l’eruv est pain béni: les cartes dressées par les synagogues ou les associations permettent de repérer — quand elles sont mises en série dans le temps comme le font Vincent et Warf (Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51) pour l’eruv Haredi de Jerusalem entre 1962 et 2001 — l’extension ou le rétrécissement de ce qui est hallachiquement un espace privé.

Eruv, eruvim (1)

Au cours de mes recherches, qui portent en partie sur les manifestations publiques des religions, notamment leurs manifestations spatiales, je suis tombé sur les eruvim, qui transforment l’espace public en espace domestique.
Un eruv (pluriel : eruvim ou eruvin; parfois translittéré erouv ou erouve, voir eiruv ou eiriv, ערוב ? העירוב ?) est une enceinte continue autour d’une ville ou d’un quartier, qui permet le transport d’objets au cours du shabbat (transport interdit aux juifs orthodoxes). Les définitions opératoires proposées par divers universitaires insistent alors sur la conversion de la nature de l’espace réalisé par l’eruv:

a device by which an area that is not a private domaine is halachically converted into one
Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51

ou

Eruvin, meaning literally ‘mixture’ or ‘mingling’, are Talmudic devices designed to convert public (…) space into private ownership. By reclassifying space, restrictions on the ‘carrying’ (in a legalistic sense) of items such as walking sticks, wheelchairs and prams are removed, thus giving a freedom to people who would otherwise be trapped in their homes over the Sabbath.
Oliver Valins, “Institutionalised religion: sacred texts and Jewish spatial practice” Geoforum Volume: 31, Issue: 4 November, 2000 pp. 575-586

Une dernière définition se concentre moins sur la conversion de l’espace que sur la relaxation des restrictions.

(…) an eruv, or a symbolic extension of the walls of a Jewish home into the public domain. According to rabbinical law, an eruv relaxes certain stringent restrictions against carrying and pushing objects outside the home on the Sabbath and other holy days.
Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49

Ces trois définitions ont de plus ceci en commun qu’elles insistent sur le caractère légaliste de l’eruv: ce n’est pas parce que l’eruv est béni, sacré ou autrement “religieux” qu’il possède ses qualités, mais parce qu’il est la conséquence de décisions de droit juif (la halacha, הלכה). Cette nature juridique, et le caractère très controversé de cette création, fait de l’eruv une forme très intéressante à étudier.
Les principales villes occidentales sont dotées d’un eruv voire de plusieurs eruvim : Sydney en Australie, Londres… (google images donne une foule de cartes).
Un eruv est, symboliquement, un seuil. Il s’agit donc, pour former un eruv, de relier entre eux, afin de former une enceinte “close”, des “seuils”. Une vieille muraille peut faire un bon support, mais ce sont surtout des pilônes, des poteaux électriques… qui sont utilisés, et reliés entre eux par des fils. Mais ces fils, afin de constituer un seuil au regard de la halakha, doivent passer par le sommet du poteau, d’où l’invention du “Teichman Adapter” (l’adaptateur Teichman pour pylônes et poteaux). Le Teichman est pratiquement invisible du sol, et le fil qui relie les deux pilônes l’est tout autant.
Les frontières eruviques sont alors vérifiées le plus souvent possible par les rabins “gardiens” de l’eruv attaché à leur synagogue, et l’état de l’eruv est affiché : le site web de l’eruv de Boston propose un numéro de telephone auquel se tenir au courant, le statut de l’eruv de Denver dans le Colorado est rendu public de manière automatique…
Mais comme tout est affaire de frontière, et que l’eruv est quasi-invisible, il arrive que soient précisées les fins d’eruv, comme le montre cette image (prise à shalomnewyork.com):
Eiruv, ShalomNewYork, Boro Park, Brooklyn
(au croisement de l’avenue F et de McDonald’s avenue à Borough Park, Brooklyn)

Mormons

L’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers Jours (les Mormons) a son centre en Utah, où environ 70% de la population peut être considérée mormone. C’est dans les années 1840 qu’un petit groupes de fidèles de Joseph Smith, le fondateur de l’Eglise, est arrivé dans ce territoire. Pour différentes raisons (polygamie originelle, petit groupe, forte fécondité, stabilité de la population, faible taux de non-paternité, fiabilité de l’état civil…), l’Utah est un paradis pour la recherche génétique.
Le départ vers l’Utah avait été incité par l’hostilité des autorités de l’Illinois à l’égard des projets théocratiques de Joseph Smith. Dans la ville de Nauvoo, les Mormons avaient tenté de construire le siège de leur Eglise. Chassés au XIXe siècles, il y reviennent en force, et tentent de restaurer le village.

Centre du Christ Libérateur, mariages, etc…

Le Centre du Christ Libérateur (CCL) est une église protestante fondée par le pasteur Joseph Doucé dans les années 1970. C’est une des seules églises françaises à célébrer le mariage de deux personnes du même sexe (avec probablement l’église MCC de Montpellier).
C’est ainsi que, samedi 24 juillet 2004, les deux hommes unis à Elbeuf (Franck et Thierry) ont aussi été bénis par la pasteure Caroline Blanco du CCL. (Autres articles dans L’Union, un ancien article de l’Express). Sur la pasteure Caroline Blanco il est possible d’écouter une émission de France Culture, Le Club des Religions, 8 février 2004 (format RealMedia). D’un autre côté, le magazine Témoignage Chrétien relate les tentatives de mouvement des églises protestantes françaises sur les questions homosexuelles (bénédictions d’union, ordination de pasteurs gays) : en Janvier 2004 et en février 2004.

Et pendant ce temps là, le mariage célébré à Bègles donne lieu à des actions juridiques : le tribunal de grande instance de Bordeaux devrait se prononcer mardi 27 juillet

Jeanne Favret-Saada

Jeanne Favret-Saada, ethnologue, directrice d’études à l’EPHE, était l’auteure de Les Mots, la mort, les sorts, une anthropologie de la sorcellerie dans le bocage.
Elle a publié (avec Josée Contreras), Le Christianisme et ses juifs, une étude formidable, bien écrite, complexe, sur les antisémitismes catholiques. A partir d’un fil directeur, un spectacle de la Passion en Bavière, elle déroule une pelote bien plus importante. A signaler une interview de Jeanne Favret-Saada sur France Culture (émission Le Club des Religions du 4 juillet 2004)

Tony Anatrella

Vers la fin du mois de juin est paru un texte de Tony Anatrella — prêtre catholique romain et psychanalyste — dans un bulletin publié par le Secrétariat général de la Conférence des Evêques de France, “Documents Episcopat” (2004, n°9). Ce texte d’une bonne quinzaine de pages, intitulé Homosexualité et mariage, s’élève contre les tentatives d’ouvrir le mariage aux couples du même sexe.
Tony Anatrella s’était déjà illustré à la fin des années 1990 en s’opposant au Pacte civil de solidarité selon des arguments tour à tour psychanalysants ou d’inspiration catholique. Jouant sur les deux tableaux sans jamais définir précisément une base théorique à ses réflexions, il produit depuis plus de quinze ans des ouvrages tels que “l’amour et le préservatif” ou “non à la société dépressive“.

Anatrella constate bien que le PaCS n’a pas ammené la fin de la civilisation, mais — il n’en démord pas — le mariage des couples du même sexe le pourrait bien. Dans le texte de Documents Episcopat, Anatrella revient sur des arguments déjà avancés à la fin des années 1990, avec de nouveaux ennemis, notamment une nébuleuse “théorie du gender” qui serait soutenue par la “Commission population de l’ONU” et “le Parlement européen de Strasbourg”.
Les arguments du prêtre romain tout comme celui du psychanalyste sont cependant intrinsèquement faussés. Pour étayer son argumentation psychologisante (les homosexuels sont souffrants et retournent leur souffrance contre l’autre en demandant des lois contre l’homophobie, p.9), Anatrella s’appuie sur une partie des écrits de Charles Socarides (un ouvrage traduit en 1970). Or Charles Socarides a été à plusieurs reprises publiquement désavoué par l’Association des Psychologues Américains (voir par exemple ici) pour avoir manqué à l’éthique professionnelle. Socarides est en effet membre d’une association cherchant à “réparer” les homosexuels en les transformant en hétérosexuels.
Pour étayer une réflexion religieuse, dans le même texte, le père Anatrella fait comme si les décisions du Vatican valaient pour toute la chrétienté. Le mauvais théologien écrit “chrétien” quand il veut dire “catholique romain”, oubliant que nombre d’Eglises chrétiennes reconnaissent les unions du même sexe, apportent leur aide à des luttes contre les discriminations ou ordonnent des pasteur-e-s gais ou lesbiennes.

La faiblesse des arguments de Tony Anatrella est facilement explicable. Lui même, au détour d’une phrase, comprend que le combat est perdu. Il écrit:

A présent, il faut non seulement expliquer, mais aussi justifier une réalité aussi simple qui a contribué, depuis le début de l’humanité, à civiliser les relations entre les deux sexes.

Il voit bien que ce qu’il pense être une sorte d’invariant universel est, en quelques années, passée de l’évidence à la question, mais il refuse de voir que la réalité n’est pas en accord avec son idéal.

L’hétérosexisme a été défini, entre autre, comme la croyance dans un fondement hétérosexuel de la civilisation (ou la société, ou le Tout…). Anatrella fournit, sans détour, un exemple parfait d’une telle croyance, où des enfants ne peuvent être élevés sans risque dans un contexte non couple-hétérosexuel-marié. Les enfants adoptés, les “enfants du divorce” (sic) sont déjà à plaindre. Les enfants qui seraient élevés “dans un tel système quasi-délirant” seraient “inscrit(s…) dans l’incohérence” (p.13 et 14). (Il prédit même un risque d’ “enfants psychotiques“)
Cet hétérosexisme se repère de manière troublante un peu partout dans son texte, où l’on peut constater qu’Anatrella (on ne sait si c’est le prêtre ou le psy qui parle) pense qu’il existe une sorte de hiérarchie des sexualités entre adultes consentants. Les actes hétérosexuels au sein du mariage lui paraissent situés plus haut que les actes hétérosexuels hors mariage, les actes homosexuels étant tout en bas (ils sont qualifiés, p.8, de “conduites primaires et superficielles”).
Sans jamais apporter la moindre preuve factuelle, empirique, vérifiable… à ses dires, Tony Anatrella s’enferme dans la répétition continuelle de “vérités humaines universelles” (p.10) qui postulent, sans démonstration, que “ce qui a toujours été tenu à distance par la société” (il veut parler de l’homosexualité) doit continuer à l’être.

Ailleurs : un mariage à Bobigny en septembre prochain (mais l’acte sera sans implication juridique.

Homosexualité et religion

Pour la prochaine conférence de la Société internationale de sociologie des religions, qui aura lieu à Zagreb en juillet 2005, j’organise avec Andrew Yip de Nottingham Trent University, une session intitulée “Homosexualités et religions, des frontières vers le centre?”. Les propositions de communication sont à m’envoyer, ou à envoyer à Andrew Yip, avant le 31 octobre 2004.

Homosexualités et religions : des frontières vers le centre ?

Baptiste Coulmont, Université Paris 8
Et
Andrew Yip
Division of Politics and Sociology, Nottingham Trent University

Les communications de cette session chercheront à saisir l’importance que peut revêtir l’homosexualité, et les débats qu’elle déclenche, dans les espaces religieux. Les condamnations repoussant l’homosexualité au delà des frontières du religieux sont bien connues, mais l’intégration des gays, des lesbiennes et de leurs familles – par l’ordination ou le mariage notamment – au centre de la vie religieuse l’est moins.

Liturgie pour une “union civile”

Le diocèse épiscopalien du Vermont va publier une liturgie officielle pour célébrer des unions civiles (une union civile est un changement d’état civil réservé aux couples du même sexe, qui leur donnent les droits que le mariage donne aux couples de sexes discordants).
Depuis juillet 2000 en effet, les prêtres épiscopaliens du Vermont célèbrent, quietly, des unions du même sexe, utilisant des liturgies ad hoc, ce qui ne satisfait pas cette église fortement ritualiste. [Sur le Vermont, vous pouvez lire mon article sur la géographie des unions civiles]
Le Diocese du Vermont n’a pas encore d’informations précises (ni Integrity, l’association gay et lesbienne épiscopalienne), mais cela ne devrait pas tarder.
Mise à jour:
Le Seattle Post a des précisions (sources, AP), le Washington Post, aussi. A noter, un reportage audio sur NPR.