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Archives de la catégorie : 'prénoms'

Après le colloque

Le colloque que je co-organisais avec Virginie Descoutures a eu lieu mercredi dernier. Voici quelques notes…
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Des contributions intéressantes, des discussions animées, une salle remplie… Virginie et moi sommes contents de cette journée. Nous allons maintenant travailler aux suites à donner à ce colloque : actes ? numéro thématique d’une revue ?
Cela prendra du temps, l’édition académique avançant à son rythme propre. Mais si vous souhaitez prendre connaissance de quelques uns des thèmes traités dans les communications, vous pouvez d’ores et déjà lire cet article, paru dans le Libé de ce matin :
liberation-colloque
[article dont l’accès est pour le moment réservé aux abonnés à Libé]
.

Plusieurs journalistes ont été intéressés par le colloque (sans nécessairement y assister, à la différence de M.-J. Gros, de Libération qui avait pris soin de s’inscrire), et notamment par un des fils directeurs, selon lequel la grande liberté de choix dont dispose les parents ne conduit pas à l’anomie.

panorama-colloque2
Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, une caméra est venue un moment filmer la salle. Un petit reportage a été diffusé dans le “12-13” (et dans le “19-20”) de France 3. Ces journalistes avaient été mis sur la piste du colloque par un article d’une page dans Le Parisien le matin-même :
colloque-leparisien
La capacité de ce quotidien à faire l’information est impressionnante : à 10h, l’attachée de presse de la collection “Repères” (que je n’avais pas pensé à avertir du colloque) m’envoie un mail :

Bonjour Baptiste,
Juste ce mot pour savoir s’il y a une actu particulière aujourd’hui ou si vous avez eu écho de la sortie d’un film ou autre en rapport avec les prénoms?
En effet, deux journalistes ce matin m’ont demandé vos coordonnées dont une de France info pour le journal de 12h, intw de 4 minutes…

Il y eu donc des interviews sur France Info (par téléphone), sur France Inter (les journalistes se sont déplacés), sur Sud Radio (le lendemain). Un article dans Ouest-France aussi, le lendemain, dans lequel — et c’est ironique — mon prénom change :
ouestfrance-colloque

Vrai ou faux ?

Exercice journalistique (interview sur M6)

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Colloque “Noms et prénoms”

nomsprenoms-colloqueJe co-organise avec Virginie Descoutures un colloque à l’INED : “Noms & prénoms : établir l’identité dans l’empire du choix”.
Vous pouvez téléchargez le programme du colloque [PDF]
ou consulter la page dédiée au colloque.
Note : l’accès à ce colloque est libre, mais il faut prévenir l’INED à l’avance (comme indiqué sur le programme)
La loi du 8 janvier 1993 révise l’état civil et la filiation en libéralisant le choix du prénom et en facilitant les changements de prénom. Plus récemment, c’est la transmission du patronyme (devenu nom de famille) qui s’est vue réformée par la loi du 4 mars 2002, permettant aux parents de choisir de transmettre à leurs enfants soit le nom du père, soit celui de la mère, soit encore un « double nom ». Ces réformes françaises s’inscrivent dans un mouvement plus large (européen notamment) qui apparaît à première vue comme un nouvel « empire du choix ». Au-delà de cette façade libérale, portée aussi par le principe d’égalité, qu’en est-il ? Le prénom et le nom restent sous l’emprise de l’État national et de la domination masculine. Il s’agit alors, dans ce colloque, de rendre compte de la manière dont noms et prénoms servent à matérialiser divers aspects de l’identité sociale, et d’étudier des situations empiriques mouvantes, changeantes, quand le choix offert peut servir de révélateur des contraintes symboliques.

Ségolène, Marine et les autres…

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le prénom — en tant que terme d’adresse et terme de référence — s’est diffusé largement. Mais on n’appelle pas tout le monde par son prénom. Il faut un minimum d’intimité (ne serait-ce qu’une simple intimité professionnelle) que module la considération que requièrent les hiérarchies sociales.

Cela rend d’autant plus intéressant le recours, très fréquent, au prénom pour faire référence aux femmes politiques. Ségolène, Marine, Najat… Frédérique Matonti le remarque dans une interview :

Martine Aubry et Ségolène Royal aussi ont été caricaturées, du temps où elles s’affrontaient. On les appelait par leur prénom, ce qui n’arrive jamais à un homme, «Martine» était «la méchante autoritaire», la Thatcher du Parti socialiste. Tandis que «Ségolène» était campée en Madone ou en Marianne.

À ce constat, certains diraient : “ce n’est pas vrai, l’on mentionnait aussi l’ancien président sous son prénom, Nicolas”. Et d’autres ajouteraient : “Elles ont construit leur image sur leur prénom, et ne récoltent que ce qu’elles ont semé”. Ils pointeraient vers le compte twitter de N. Vallaud-Belkacem @najatvb, ou vers le compte “officiel” de la campagne d’A. Hidalgo, «Avec Anne »:
avecanne

On dispose, pour les États-Unis, de deux travaux qui ont étudié l’usage des prénoms dans les campagnes politiques, et plus précisément lors de la campagne présidentielle de 2008, qui opposa, pendant les primaires, une femme blanche, Hillary Rodham Clinton, et un homme noir Barack Hussein Obama.

Le premier article [Zurbriggen & Sherman] porte sur les “cartoons”, ces dessins de presse humoristique. On y voit que, dans un tiers des cartoons, Clinton est indiquée par son prénom ou ses initiales, et que cela ne concerne que 5% des cartoons représentant Obama, et 17% des cartoons représentant le sénateur John Sidney McCain III.

cartoons-clinton

Mais, me direz-vous, ces cartoons sont des prises de parole très spécifiques.
Le deuxième article [Goren & Uscinski] s’intéresse aux prises de parole dans les émissions télévisées politiques et les émissions de talk-show d’information. Les auteurs se sont restreints à la première référence à la personne [pas à toutes les références au cours des émissions, uniquement à la première]. Le plus souvent, nom et prénom sont utilisés, mais le prénom est utilisé quatre fois plus fréquemment pour indiquer Clinton que pour indiquer Obama.

uscinski-goren-1

Et d’où provient cette différence ? Le deuxième tableau montre qu’elle vient presque entièrement des journalistes hommes. Les journalistes femmes n’utilisent presque jamais le prénom pour faire référence à Clinton.

uscinski-goren-2

Hillary2008Mais, me direz-vous, l’on “sait bien” qu’Hillary Clinton a fait campagne sur son prénom. La chose amusante, que montrent bien Uscinski et Goren dans leur article, c’est que d’autres candidats aussi ont utilisé leur prénom : Rudy Giuliani par exemple, sans que ces prénoms ne soient utilisés par les journalistes.

De tels travaux quantitatifs indiquent bien une différence de traitement entre candidats et candidates. Ils devraient pouvoir être reproduits assez facilement en France, si j’en crois et ce que j’entends, et ce que je peux lire :
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Bibliographie

Zurbriggen E.L. & Sherman A.M. (2010), « Race and Gender in the 2008 U.S. Presidential Election: A Content Analysis of Editorial Cartoons: Race and Gender in 2008 Election ». Analyses of Social Issues and Public Policy, 10[1], p.223–247.

Uscinski J.E. & Goren L.J. (2011), « What’s in a Name? Coverage of Senator Hillary Clinton during the 2008 Democratic Primary ». Political Research Quarterly, 64[4], p.884–896.

De quels prénoms le vôtre est proche ?

Le mini-site coulmont.com/bac/ a été mis à jour, avec les données de 2012 et de 2013. Il comporte deux parties pour l’instant distinctes :

  1. un formulaire qui permet de dresser la liste des prénoms qui ont le même profil de résultats au bac : la base comporte 1186 prénoms différents
  2. un “nuage des prénoms” construit avec la proportion de mentions “très bien” en abscisses, les effectifs en ordonnées. Il est possible de sélectionner le nuage correspondant au bac 2013 ou le nuage correspondant au bac 2012

Les deux parties permettent de repérer des proximités entre prénoms, soit par un parcours dans le nuage, soit au moyen d’un formulaire… Allez vérifier sur coulmont.com/bac/.

Ce “mini site” est une “soupe” de techniques différentes : du simple css+html (Bootstrap), du php, du javascript (d3.js et “google charts”). J’ai l’impression que cela peut exploser à n’importe quel moment… et j’ai atteint ici mes limites de programmeur.

Retour sur une expérience renouvelée

L’année dernière, en 2012, mon billet sur les mentions au bac avait été largement relayé. J’avais ensuite tenté de réfléchir un peu à cette réception. Cette année, au début du mois d’avril 2013, suite à un billet sur les prénoms sur-représentés par série du bac, une chose similaire s’était produite. Et j’y avais réfléchi, encore.
Il y a une semaine, j’ai rapidement analysé les résultats au bac 2013 qui venaient d’être publiés… et mon billet a rapidement été relayé. Alors, forcément, il y a un truc. Soit je dispose d’attachées de presse très compétentes, soit il y a un truc.
Il y a un truc [même si les attachées de presse de La Découverte sont très compétentes.]

Qu’ai-je fait ? Après avoir récupéré les données, je mets en ligne un billet dimanche en fin d’après-midi. Dans l’idéal, je l’aurais mis en ligne samedi en fin d’après-midi, mais je n’ai pas réussi à tout récupérer à temps. Pourquoi le samedi ? Je me dis que si le billet est repris sur “twitter” au cours du week-end, des journalistes l’auront vu et pourraient en parler le lundi. J’avais fait cela le 30 mars pour le billet sur les séries du bac. J’avais en effet toutes les chances de penser que ce qui était arrivé en juillet 2012 pouvait se reproduire — peut-être à une plus petite échelle — en juillet 2013, et autant prendre les devants en permettant une meilleure réception. Eviter l’idée selon laquelle le prénom “détermine” quoi que ce soit m’était chère.
Mais ce n’est visiblement pas la peine : le billet est mis en ligne dimanche, et les journalistes ont commencé à m’appeler lundi matin.

Immédiatement après avoir mis en ligne le billet, je twitte ceci :
pas-de-surprise
Je ne twitte pas “grande découverte”, mais “pas de surprise”.
Et ce fut ma seule contribution à la diffusion.

Poursuivons par une petite objectivation : le volume des visites sur le site coulmont.com
Le volume annuel tout d’abord :
bw-coulmont-year-201307
Cela indique assez bien le caractère exceptionnel, mais renouvelé, de l’intérêt porté aux billets sur les prénoms et le bac.

Le volume journalier ensuite :
bw-coulmont-7days-201307
A la différence de juillet dernier, le traffic a surtout été concentré sur le lundi. Une analyse plus détaillée montrerait que c’est moins le billet en lui-même que le document PDF qui a été visité. Cela se perçoit un peu sur le tableau des “pages vues” et des “hits” que je reproduit ci-dessous :

visites-bac2013-coulmont
Sur ce tableau, l’on estime mal le poids de “twitter”, car ce site multiplie les URL différentes en t.co. Europe1 semble en faire de même, avec 4 URL différentes.

Je n’ai pas pu récupérer, comme je l’avais fait l’année dernière, les discussions sur “twitter”, même si j’ai essayé de les suivre. Mon sentiment est que, initialement, les “twittos” utilisent l’URL du billet ou du PDF, mais que rapidement, cette URL se perd dans l’ensemble des URL dérivées (presse en ligne).

  1. Slate : Bac 2013 et prénoms: 20% des Adèle et des Diane ont eu une mention très bien, contre 2,5% des Sabrina [deux journalistes me contactent quelques minutes après que Slate ait mis en ligne l’article, en citant explicitement Slate comme étant à l’origine de leur appel]
  2. Le Monde, blog “big browser” : PALME D’OR – Pour une mention « très bien » au bac, mieux vaut s’appeler Adèle
  3. Rue89 : Baccalauréat : mieux vaut s’appeler Ulysse qu’Enzo
  4. aufeminin.com : Baccalauréat 2013 : Quel prénom pour quelle mention ?
  5. Elle.fr Les Diane et Adèle font mieux que les Sabrina au bac 2013
  6. 20minutes : Bac 2013: 20% des Adèle et Diane ont eu une mention «très bien», contre 2,5% des Sabrina
  7. LCI.fr Bac 2013 : quand le prénom est déterminant pour la mention
  8. Direct Matin : Mention au bac. Mieux vaut mieux s’appeler Diane ou Adèle
  9. L’Express.fr Pour avoir la mention “très bien” au bac, mieux vaut s’appeler Diane que Sabrina
  10. Sud Ouest : Bac : 17% des Juliette et 2,5% des Sabrina ont obtenu une mention “très bien”
  11. Europe1 : Bac 2013 : Diane, un prénom à mention
  12. RTL : Bac : dis moi ton prénom, je te dirai ta mention
  13. La Nouvelle République : “Insolite” Bac 2013 : les prénoms qui donnent des mentions
  14. lefigaro.fr Bac 2013 : dis moi ton prénom je te dirai ta mention
  15. plurielles.fr Diane, Adèle, Quitterie : ces prénoms qui récoltent des mentions “Très Bien”
  16. youmag.com Mieux vaut s’appeler Adèle que Rudy pour avoir son bac avec mention très bien [j’aime bien ceci « Des résultats qui vont sans aucun doute relancer la polémique lancée lors de la précédente divulgation de cette étude en avril 2013 où beaucoup, comme Magic Maman s’insurgeait [sic] contre ce type d’étude qui véhicule “une fois de trop la théorie du déterminisme social” »]
  17. blog-examen : Bac 2013 : la mention dépend-elle du prénom ?
  18. psycho-enfants.fr : Bac 2013 : certains prénoms « réussissent » mieux que d’autres
  19. LaLibre.be [Belgique] : Pour réussir ses études, mieux vaut s’appeler Diane ou Adèle [On apprécie le «En France, c’est devenu un classique après chaque annonce des résultats du bac. Le sociologue Baptiste Coulmont…»]

Quelques indices signalent l’intérêt des lecteurs (comme ce “palmarès” des articles les plus partagés de lemonde.fr) :
lemonde-bac2013

Le 9 juillet (mardi), les réactions continuent.
D’abord, les journaux gratuits “20 minutes”, “Direct matin”, “Metro”… publient des petits articles sur les prénoms et le bac. Mais, et c’est intéressant, une Sabrina et un Kévin sont conviés par les blogs du Nouvel Obs pour exposer leur point de vue

  1. Le Nouvel Obs : Bac 2013 : dis-moi comment tu t’appelles, je te donnerai ta mention
  2. Je m’appelle Sabrina et mon prénom n’a rien à voir avec ma mention “Assez bien”
  3. Bac 2013 et prénoms : je m’appelle Kevin, on me prend pour un crétin mais…
  4. Et un jeune collègue, N. Docao [oui, j’ai atteint l’âge où je peux parler de “jeunes collègues”] décrypte Bac 2013 et étude sur les prénoms : les médias s’emballent, Kevin et Sabrina trinquent

Ce que dit Nicolas Docao m’intéresse : l’attention (passagère) accordée à mes travaux est liée à ceci : “s’il est un bien symbolique dont l’individu est affublé en dehors de toute procédure de choix, il s’agit bien de son prénom. (…) Qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, le prénom dépasse tout choix individuel” Et relier ce non-choix à un statut acquis (la réussite au bac) pose problème, cela d’autant plus que le prénom est vécu comme un résumé du soi.
Je relève aussi quelques articles publiés le 9 juillet :

  1. BFMTV Bac 2013: quel prénom a obtenu le plus de mentions Très bien?
  2. 7sur7.be [site belge] Les prénoms qui prédisposent à réussir le bac
  3. ParoleDeMamans.com [sic] Les prénoms pour réussir le bac !
  4. grazia : Faut-il s’appeler Diane ou Adèle pour avoir une mention au bac ?
  5. La Côte (Suisse) : Tu veux avoir la mention au bac? Appelle-toi Juliette ou Grégoire mais pas Brian! [avec un rappel de la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu]
  6. zurbains : Bac 2013 : à chaque prénom sa mention ! [mention “passable” à ceci : «Au-delà des chiffres, vous aurez compris qu’une interprétation de ces résultats n’a que peu de sens.»]

Une chose m’a surpris dans ces articles, l’idée selon laquelle “comme chaque année, le sociologue Baptiste Coulmont publie son étude sur les prénoms…”, idée qui n’apparaît pas seulement dans les articles, mais aussi sur twitter :
tous-les-ans-twitter
Dans le monde contemporain, les “traditions” s’implantent finalement très rapidement, dès la deuxième année.

La discussion s’est poursuivie aux États-Unis, certes de manière un peu moins médiatique :

  1. Le blog themonkeycage.org, tenu par un groupe éminent de politistes étasuniens, relaie mon travail, sous la plume d’Erik Voeten : Kevin Rarely Gets “Très Bien”
  2. et ce billet est à son tour repris par Kevin Drum sur le site du mensuel Mother Jones It’s Not Just Kevin Who Rarely Gets “Très Bien” : il n’y a pas que Kevin qui ait du mal à obtenir la mention “Très bien”, écrit …Kevin… Drum [Drum est un commentateur politique qui apprécie les statistiques. A-t-on cela en France ?]
  3. et, de manière indirecte sur un des blogs du Washington Post, Wonkblog [wonk est un mot qui désigne l’expert public un peu “nerd“]

Pendant ce temps, en France, quelques quotidiens publient [en version “papier”] des articles reprenant les conclusions du graphique (Le Progrès, L’Est républicain). Ces articles sont mentionnés dans le cadre de la Revue de presse du matin sur LCP. Et Ségolène Royal a du répondre à une question dessus (c’est vers la fin de la vidéo) :

Des journalistes du “20h” de France 2 ont fait un reportage (j’y suis interviewé). Le reportage a été diffusé le 11 juillet.

Ce reportage suscita plusieurs commentaires indignés sur “twitter” :
twitter-fr2-comm
Et enfin, le 12 juillet (vendredi), mon travail est rapidement abordé dans une chronique de l’émission Télématin :

Que retenir de tout ça ?

Je ne dirai presque rien ici des erreurs de lecture, je renvoie au billet de Nicolas Docao. Ces erreurs de lectures (“le prénom détermine…”) sont en lien avec ma démarche : les prénoms personnalisent, individualisent presque, une cérémonie nationale collective, la publication des résultats du bac. Camille a réussi… une Camille a réussi… les Camille ont réussi… 11% des Camille ont réussi… Le langage opère des raccourcis entre catégories (hétérogènes) et individus… et l’on a parfois affaire à de quasi-antonomases (les noms propres, ici certains prénoms, ne sont pas tout à fait utilisés comme noms communs, mais on n’en est pas très loin). Un jeu intéressant (pour mes travaux) se déploie entre fonction identificatrice du prénom (son rattachement à une personne précise, dans un contexte donné) et sa fonction connotatrice (puisque des qualités collectives, ici la réussite mesurée par le taux de mention, sont attachées aux prénoms, si bien que les porteurs du prénom, sans porter individuellement ces qualités, peuvent y être associés).
Je retiendrai ici surtout, d’abord, qu’il est possible de renouveler ce qui apparaissait comme une expérience particulière, un enchaînement d’articles et de reportages sur une réflexion sociologique autour des ressorts la réussite scolaire. Mais que ce renouvellement ne se fait pas à l’identique. L’année dernière, deux relais avaient été cruciaux : une dépêche AFP et un article en deuxième page du Monde. Cette année ce fut plus diffus et moins légitime. L’enchainement fut celui-ci :
(1)twitter–>(2)”pure players” [i.e. presse uniquement en ligne]–>(3)quotidiens gratuits–>(4)presse régionale–>(5)télévision
Pas à l’identique pour une autre raison : certaines personnes ont ressenti de la lassitude face à ce qu’ils avaient déjà lu ou entendu l’année précédente. Il n’est donc pas certain que ce travail sera autant relayé, si l’année prochaine je réitère l’analyse des résultats nominatifs au bac. De mon côté, l’infrastructure est déjà en place, automatisée, depuis le code R pour scrapper les résultats jusqu’à la production de deux “mini-sites”, celui qui indique les prénoms ayant le même profil et celui qui présente, de manière lisible, le “nuage des prénoms“… Il ne reste plus qu’à organiser une conférence de presse alors ?

Prénoms et mentions au bac, édition 2013

Mise à jour :

  1. Le mini-site https://coulmont.com/bac/ permet d’accéder à des résultats plus précis (distribution des mentions et liste des prénoms ayant le même “profil”).
  2. Une visualisation dynamique du graphique est maintenant en ligne ici
    bac-mention-2013

Cette année encore, la proportion de mentions “Très bien” que reçoivent les porteurs de certains prénoms permet de dessiner un espace social qui, immédiatement, fait sens. Prénoms choisis par des parents des classes intellectuelles, de la bourgeoisie ou du salariat d’encadrement d’un côté, prénoms choisis par des parents des classes populaires de l’autre.
Le graphique ci-dessous place les prénoms suivant :
– en abscisses la proportion de mention “très bien” associée au groupe des porteurs du prénom
– en ordonnées le nombre de candidats au bac, en 2013.

bac-2013
Lien vers le graphique au format PDF

En 2013, 20% des Diane et des Adèle ont obtenu une mention “TB”. Ce n’est le cas que de 4% des Enzo et des Anissa. 16% des Clara, 4,5% des Jeremy. Ces différences entre prénoms ne sont pas dues aux prénoms : les copies sont corrigées anonymement, et le prénom n’a rien de magique. Le prénom indique — de manière imparfaite et floue — l’origine sociale de celles et ceux qui le portent, et la réussite scolaire est, en partie, liée à cette origine sociale : “Parmi les élèves entrés en sixième en 1995, 71,7% des enfants d’enseignants ont finalement décroché en 2010 un bac général, 68,2% des enfants de cadres supérieurs, 20,1% des enfants d’ouvriers qualifiés, 13% des enfants d’ouvriers non qualifiés, et 9,2% des enfants d’inactifs”.
Pour revenir aux prénoms, si l’on ne garde que les prénoms qui apparaissent plus de 30 fois dans la base, ceux qui sont associés à un taux énorme de mention TB sont : Ulysse, Guillemette, Quitterie, Madeleine, Anne-Claire, Ella, Sibylle, Marguerite, Hannah, Irene, Octave, Domitille (qui sont entre un quart et un tiers à obtenir une mention). À l’opposé moins de 2% des Asma, Sephora, Hakim, Kimberley, Assia, Cynthia, Brenda, Christian, Bilal, Brian, Melvin, Johann, Eddy, et Rudy ont obtenu mention TB.

Les données portent sur plus de 338000 candidats au bac général ou technologique en 2013, qui ont obtenu une moyenne supérieure à 8/20 et qui ont accepté la diffusion de leurs résultats. 8,6% de cette population a obtenu une mention TB. L’aide d’Etienne O. fut précieuse !

Pour en savoir plus sur l’aspect sociologique des prénoms : Sociologie des prénoms, [sur amazon, dans une librairie indépendante]
Les années précédentes : 2012 [précisions] et 2011

Mise à jour : Les observateurs minutieux repèrent que l’on trouve surtout des prénoms de fille à droite. L’explication de départ est que les filles réussissant mieux que les garçons à l’école, elles reçoivent aussi, plus souvent que les garçons, des mentions TB. Une autre explication s’intéresse aux prénoms eux-mêmes : les prénoms des garçons choisis par les parents de “classes supérieures” sont peut-être moins socialement clivants que les prénoms de filles.

Inès et Arthur

Chaque année, le Figaro fait le comptage des prénoms les plus fréquents dans son Carnet, et publie ce palmarès dans un “guide des prénoms”.
Le but ? réduire l’anxiété de la bonne bourgeoisie en présentant “comment choisir” :
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[Extrait du “Guide des prénoms”]
Voici le palmarès des prénoms de 2012. “Pia” m’a un moment surpris, avant de penser que cela pouvait être une variante féminisée de Pie.

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Ce palmarès a un intérêt : fournir, à un instant donné, et chaque année, une photographie des goûts bourgeois en matière de prénoms. La longue liste des prénoms présents mais peu répandus dans le Carnet, publiée aussi chaque année, pourrait aussi servir d’indicateur.

On se souvient que, l’année dernière, Joséphine était en première position, et l’année d’avant Louise (déjà présente en 2008).

Téléchargez le Guide des prénoms du Figaro (édition 2013).

L’accès sécurisé aux données

Jusque dans les années 1960-1970, l’accès aux données administratives était relativement facile aux sociologues. Depuis le développement des législations protégeant la vie privée des acteurs sociaux, c’est plus compliqué. Heureusement, la plupart du temps, la sociologue n’a pas besoin d’informations comme le revenu déclaré par les individus et les ménages habitant telle adresse. Mais parfois, si.
Dans ce cadre a été créé le CASD, “Centre d’accès sécurisé aux données”.

C’était l’introduction.

Depuis quelques années, je travaille à comprendre les usages sociaux du prénom. Le “Fichier des prénoms” de l’INSEE, ou de vieilles “Enquêtes Emploi” non anonymisées permettent de répliquer des résultats connus depuis les travaux de Besnard et Desplanques. Mais on en fait le tour. Ma recherche sur les changements de prénoms et la lecture de travaux sur les prénoms donnés par les migrants à leurs enfants m’a incité à diriger mes recherches vers ce thème: quels prénoms sont donnés par les migrants et leurs descendants ?
L’enquête TeO, Trajectoires et Origines, est une enquête récente. Y ont été interrogées 11 000 personnes nées en France métropolitaine et 11 000 hors de France métropolitaine. Comme il est de coutume dans les enquêtes de l’INED et de l’INSEE, les prénoms sont recueillis au départ du questionnaire, afin que les questions posées soient “Depuis combien de temps Robert est-il…” et non pas “Depuis combien de temps Individu7 est-il…”
TeO-prenoms
[extrait du questionnaire de l’enquête TeO]
Puis les prénoms sont séparés de la base de données : les chercheurs n’y ont pas accès, ils n’ont accès qu’à des identifiants numériques. Et Robert n’y pourra rien : il n’est maintenant qu’un numéro.

J’ai donc demandé, après plusieurs contacts auprès de l’INSEE et de l’INED, au Comité du Secret Statistique l’autorisation d’avoir accès aux prénoms de TeO. En décembre 2012, j’ai été auditionné par le Comité (l’audition fut très courte, le dossier avait été instruit et ne soulevait pas de problèmes particuliers). Les données seront accessibles par l’intermédiaire du “CASD”, le Centre d’accès sécurisé aux données.

Le CASD fournit un terminal (gros comme une demi-freebox) qui permet de faire des traitements statistiques sur les données, mais ne permet ni copie d’écran ni téléchargement des données : les données restent sur un serveur localisé — peut-être — dans les sous-sols de Malakoff. Le terminal ne fonctionne qu’à travers une double identification individuelle : par carte à puce et empreintes digitales. Un VPN permet d’accéder au serveur. Si le terminal, qui est dans un placard fermé dans un bureau fermé dans un lieu surveillé, est volé, le voleur ne pourra rien faire. Il lui faudrait ma carte à puce (conservée ailleurs) et mes doigts (toujours sur moi).
sdbox
Une fois les traitements statistiques effectués, les tableaux ou graphiques seront évalués par un agent du CASD, afin de vérifier qu’ils ne contiennent pas de données permettant d’identifier un individu précis.

Ce système, un peu complexe, me semble pour l’instant parfait [même si, pour des raisons liées à la configuration du réseau dans les locaux où je travaille, le VPN n’a pas encore pu être mis en place] : la nécessaire protection de la vie privée s’accompagne de la possibilité de travailler sur des données individuelles.

Appel à communication : Noms et prénoms

Virginie Descoutures et moi-même organisons, le 11 décembre à l’INED, un colloque d’une journée, autour des contraintes que l’on se donne en matière de nom et de prénom, maintenant que la loi permet presque tout… Voilà qui est résumé très très rapidement : l’appel à communication est ici, et n’hésitez pas à le diffuser largement.