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Archive for 2006

Journalismes, hindouismes

Avant-hier, je reçois ce mail :

Bonjour,
Je suis étudiant au centre de formation des journalistes, à Paris.
Je réalise un reportage sur les habitudes de consommation d’objets érotiques.
Je souhaite savoir si vous seriez disponible pour un entretien filmé avant demain 16h00.
Je serai en tournage ce soir dans une boutique “spécialisée”.
Pouvez-vous me rappeler au 06 ** ** ** ** aussitôt qu’il vous sera possible ?
D’avance, je vous en remercie.

Comme je demande à mes étudiants de réaliser des entretiens (cela fait partie de l’apprentissage du métier de sociologue), je me sens un petit devoir de répondre positivement à cette demande. Et je réponds “dès que possible” au mail (je dois être considéré comme un bon client, c’est le deuxième étudiant en journalisme de la même promotion qui me contacte).
Amma France2 novembre 2006Avant-hier aussi, je reçois ce mail en provenance de France2 (les demandes arrivent toujours par vague) :

Bonjour,
Dans le cadre d’un reportage sur Amma, la femme indienne qui parcourt le monde pour serrer les gens dans ses bras, je cherche un intervenant sur le thème de l’engouement pour ce genre de phénomènes en France. J’ai lu que vous étiez spécialiste des religions, et me suis donc dit que vous pourriez m’aider à replacer les pratiques d’Amma dans un contexte plus large. Le reportage serait diffusé demain mercredi au 13h, merci donc de me contacter dès réception de ce mail si vous êtes intéressé…
A bientôt

Je suis toujours flatté quand des journalistes s’adressent à moi — vanité… — encore plus quand elles ont lu mon blog, et doublement quand ce sont des travaux d’autres personnes qui ont été remarqués. Ici, en l’occurrence, c’était la réflexion de Véronique Altglas sur Amma qui avait été appréciée. Dans ma réponse (immédiate, “dès réception de ce mail“) j’ai donc redirigé France2 vers la Professeure Altglas (en fournissant adresse, téléphones, mails)… qui n’a pas été contactée, semble-t-il. Pourtant Véronique est la spécialiste du néo-hindouisme occidental. Au lieu de cela, dans le reportage, on a droit à une étrange théorie psychiatrique rapprochant l’embrassade de la communion.

Amma en France [format Quicktime], reportage, journal télévisé, 1er novembre 2006

Dans ce reportage, ce que l’on ne trouve pas, c’est une critique d’Amma en tant que gourou, ou même la notion de “secte”. La personne apparaît suffisamment amusante, ou intéressante, exotique, pour que France2 et France3 y consacrent plusieurs reportages. Mais pas assez étrange ou menaçante pour mériter dénonciation.

Signalons, à tout hasard, et sans transition (mais par association), comme l’a mentionné Fabrice Desplan récemment, la mise à disposition des archives vidéo des auditions publiques de la commission d’enquête parlementaire sur les mineurs et les dérives sectaires, sur le site de La Chaîne Parlementaire : Archives vidéo des auditions de la commission d’enquête.
Je recommande l’audition de Nicolas Jaquette, ancien témoin de Jéhovah, qui explique ses capacités d’analyse (réelles) non seulement à partir d’un travail réflexif (la rédaction d’un livre autobiographique), mais parce qu’il a “toujours vécu en double personnalité dans la secte, parce [qu’il est] homosexuel, et que l’homosexualité est réprimée dans la secte…” Il démonte ensuite les multiples jeux avec la doctrine, l’engagement, le surinvestissement… qui devraient en intéresser plus d’uns (je pense à Jean-Marc – Gayanglican ou cossaw.
L’audition de M. Leschi du Bureau central des cultes, est aussi fort intéressante : elle a donné lieu à de vifs échanges et montre combien “l’État” est perclus de tensions et d’oppositions. S’il fallait ne regarder qu’une audition, c’est celle-ci qu’il faut voir.

Opération mains propres

Le New York Times propose aujourd’hui un bel et bref article sur l’usage des lotions antibactériennes par les hommes politiques américains. Nul doute que le même genre d’article se retrouvera, rapidement, dans la presse française. Les campagnes électorales, américaines comme françaises, soumettent en effet les candidats (et les candidates, mais peut être moins) à des séances de serrage de mains. Le documentaire récent sur Jacques Chirac (Phersu l’a remarqué) insistait sur cet aspect inévitable.
De nos jours, il semble que les mains soient (pull)avant tout vues comme des vecteurs microbiens(/pull) : les candidats, après avoir serré des dizaines de pattes, utilisent alors, discrètement, hors du regard de la foule, ces lotions réputées tuer 99,9% (ninety-nine point nine !) des germs.
L’article du NYT — c’est à mon avis son intérêt principal — essaie de trouver l’origine de cette mode. Sans y arriver totalement. Il donne alors l’image rapide d’une politique en réseau, où les idées circulent autant que les bouteilles de lotion :

Mr. Bush raved about hand sanitizer to Senator Barack Obama, Democrat of Illinois, at a White House encounter early last year. […] Mr. Obama has since started carrying Purell in his traveling bag, a spokesman said. […] Al Gore […] turned his running mate, Senator Joseph I. Lieberman, onto sanitizer in 2000, and Mr. Lieberman became an evangelist [sic]. […]

Une étude à la Bearman, “Chains of hand lotion”, serait fort intéressante. [des précisions sur l’étude de Bearman et al en français]
En anglais comme en français, “mettre les mains dans le cambouis”, “avoir les mains propres”, ont plusieurs sens, et le double entendre est permanent. Avec ce paradoxe que pour les hommes politiques (il n’y a pas de femmes dans l’histoire, sauf la femme d’un homme politique) serrer des mains, c’est l’occasion de rappeler qu’ils ont “les mains propres”. Et que s’ils ne peuvent publiquement se laver les mains (même si la monstration de l’hygiène corporelle est une valeur publique partagée par un bon nombre d’Américains), ils semblent adorer révéler qu’ils le font. Même ceux qui n’utilisent pas ces lotions reconnaissent que les foules cultivent “rhinoviruses, adenoviruses and the viruses that cause gastroenteritis“. Le gag récurrent de la série policière Monk (une série fortement sous-estimée en France, où C.S.I. / Les experts est salué par Télérama) est devenu réalité… et quand Monk, le détective panphobique, serrera la main d’un homme politique, les deux se laveront les mains.
Que font les candidats français ? Peut-on repérer une homologie structurale entre opinions politiques et usages de lave-mains divers et variés (bio, anticapitalistes, antimondialisation, national…) ?

Capitalisme, cabines et business plan

Penchons-nous aujourd’hui sur deux aspects de l’industrie du sexe. Tout d’abord sur son aspect “artisanal”, puis sur un aspect “entrepreneurial”.
Vers 1973-1974 apparaissent dans les sex-shops des cabines de projection. Les premières ressemblent surtout à des isoloirs ou des armoires. Les hommes doivent se tenir debout et regarder la réflexion sur un miroir d’un film “super-8”. Des brevets ont sans doute été déposés, mais je n’ai pas réussi à en retrouver. Rapidement, les systèmes se spécialisent et s’améliorent. Le passage à la vidéo, VHS puis DVD, a encore changé les dispositifs. Des installations électroniques gèrent aujourd’hui de manière centralisée certaines cabines.
L’on peut trouver, dans de petits magasins, des installations bricolées. L’on trouve aussi de fort beaux systèmes. R.L. m’apprenait hier qu’une entreprise est même spécialisée dans l’installation de cabines vidéo, BPElectronique de Paris (11e).

BPElectronique systemeEn marge des systèmes de commutation audio / vidéo, nous avons développé des installations complètes de diffusion de films, essentiellement destinés à l’équipement de sex-shops ou d’erotics centers.
La composition de ces installations de vidéo pour sex-shop est la suivante :
un certain nombre de cabines (entre 2 et 24), chaque cabine est équipée d’un boîtier de commande, d’un ensemble de monétique, et d’un moniteur couleur.
Un serveur vidéo (…)
Un PC qui contrôle l’ensemble (…)
Ces ensembles sont réalisés entièrement dans nos ateliers, offrant ainsi une grande souplesse quant aux caractéristiques et originalités de chaque installation.
source : BPElectronique

Les installateurs ont prévu la nécessité du nettoyage de ces cabines destinées au visionnage de vidéos pornographiques et à la masturbation :

BPelectronique amenagement cabinesLes cabines de projection étant accessibles à un public pas toujours soigneux, les claviers mécaniques ont fait place à des touches sensitives, les habituelles sérigraphies, à des technologies utilisant des résines photo-imageables, bien plus résistantes.
source : BPElectronique

Cette facilité de nettoyage est réaffirmée sur une autre page, présentant le boîtier de commande :

Le boîtier de commande, est réalisé à partir d’une plaque d’altuglas rouge, vert ou bleu, selon la demande. (…)
Les matériaux utilisés pour la fabrication de ce boîtier permettent un entretien facile. Un coup de chiffon avec un produit à nettoyer les vitres suffit.
source : http://bpcv.club.fr/boitier.html

Ce nettoyage faisant partie du sale boulot, notamment parce qu’il met en contact les vendeurs-nettoyeurs avec certaines substances corporelles, le simplifier facilite son acceptation.
L’industrie du sexe, cette formule souvent utilisée pour dénoncer un monstre (issu de l’accouplement contre nature du sexe — intime… — et du commerce — aliénant), se décline donc ici d’une manière technique et artisanale. Les demandes spécifiques des sex-shops (la gestion aisée d’un nombre de cabines plus ou moins important) trouve une solution informatisée, confiant au vendeur (situé à la caisse) le contrôle des cabines.

Mais l’industrie du sexe — gardons cette expression — a besoin d’entrepreneurs, de personnes souhaitant monter leur petite — ou grande — entreprise. Se créent ainsi, ces derniers mois, un certain nombre d’entreprises de vente, par correspondance ou non, de godemichés et de vibromasseurs (et autres produits). J’ai reçu plusieurs demandes de renseignements sur ce marché du sex-shop et ai essayé de conseiller — avec mes maigres connaissances juridico-sociologiques — certaines personnes. J’en ai contacté d’autres. M’intéresse énormément, dans ces histoires, les origines sociales, le niveau d’instruction, la carrière, de ces capitalistes : par leurs origines sociales et leur capital scolaire, elles et ils contribuent à légitimer ce marché ; leurs carrières précédentes ont pu leur apprendre techniques de vente, notions juridiques ou comptables, négociations commerciales.
De la même manière que la sexualité est investie de la capacité à dire la vérité des sujets, à révéler le plus intime et le plus vrai d’une personne, de la même manière, il me semble, l’activité commerciale est investie du pouvoir d’exprimer le sujet. L’on va ainsi parler de “création” d’entreprise. L’idée centrale (le business plan) est présentée comme l’inspiration : elle hante, part, revient, se stabilise un moment dans un projet. Le statut d’entrepreneur lui-même — qui nécessite de couper les liens avec la sécurité d’un travail salarié — peut se vivre sur un mode artiste (mais l’on aurait un artiste rationnel et ascétique).
Dans cette recherche de la vérité du moi, de l’expression d’un savoir sur soi, le blog de créateur d’entreprise du sexe semble réunir en un même lieu confession et profession :
Agnès G. a créé “Secrets d’Amour” et tient un blog relatant la mise en place de son entreprise :

Secrets d’amour a pour ambition de vous apporter, via ses produits, un moment de bonheur à deux… La société a donc imaginé des cadeaux d’un nouveau genre, uniquement dédiés à votre vie amoureuse…
Le concept unique (et déposé) allie originalité et “sensorialité”… (source)

J’ai créé ma boîte (point com) raconte presque au jour le jour, une création :

L’idée m’est venue mais je ne saurais dire comment. J’ai surtout eu une démarche d’entrepreneur en me demandant quels secteurs étaient porteurs. L’érotisme. Certes mais qu’en faire ? La vente par correspondance de produits sexy ! L’idée était là. Je la passais à travers ma moulinette financière. Une fois. Puis une deuxième fois.

AnneLolotte :

Me voici aujourd’hui, lancée dans l’aventure SOFT (le nom de ma marque), dont le but est de commercialiser une gamme de produits érotiques pour les femmes. Tout un programme…
« Pourquoi ? », me demande-t-on souvent. Parce que la France est encore TRES en retard dans ce domaine, comparativement à ses voisins.

[Consulter aussi Nathalie / Pimentrose]
Mais trêve de boltansko-foucaldisme (i.e. du mélange incontrôlé de De la justification et de La Volonté de savoir)… je pense en avoir un peu trop fait ici. Si ce blog me permet de tester les premières versions de certaines hypothèses, il ne faudrait pas non plus exagérer… Ces lignes voulaient considérer certains aspects des commerces sexuels (la “culture matérielle” et une toute petite explosion discursive).

La commission d’enquête sur les sectes…

J’essaie de suivre d’assez près la Commission d’enquête parlementaire sur l’influence des mouvements sectaires sur les mineurs. La qualité des interventions est inégale. Il s’agit pourtant d’auditions à l’Assemblée nationale, devant nos représentants élus. Cette commission a des buts normatifs : réformer ou proposer de nouvelles lois. Elles occupent le temps — et longtemps — de ces élus. L’on pourrait s’attendre à des échanges d’une qualité minimale (dans le raisonnement, les faits rapportés, les réflexions, les définitions). Un chercheur comme Sébastien Fath aurait pu être invité à y participer [en fait, ce ne sont pas des invitations, mais des réquisitions : l’on ne peut refuser de participer, une fois convoqué]. Des membres de mouvements visés par les parlementaires auraient pu être conviés.
Au contraire, on a le droit d’entendre un député (Jacques Myard) parler de “malversations sexuelles” (sic ??) et de pressions américaines (l’anti-américanisme de certain-e-s élu-e-s est important, et c’est un anti-américanisme fondé sur ce qu’ils conçoivent être des ingérences dans l’espace public national). Il a face à lui la présidente d’une association internationale, “Innocence en danger”, dont le discours, vous allez pouvoir le vérifier, est fondé sur des bases inégalement assurées :

Retenons une citation :

Bon, Tom Cruise, c’est la Scientologie, mais il y a une autre secte qui est extrêmement puissante aux Etats-Unis, c’est les évangélistes

Cette phrase devrait faire sursauter Sébastien Fath, à plusieurs niveaux : un petit sursaut (une question de termes : Homayra Sellier veut sans doute parler d’Evangéliques), un sursaut plus important (l’on parle ici en fait d’un mouvement religieux peu coordonné, certes en tension relative avec le monde contemporain, mais largement inscrit dans la modernité, ne prônant ni exclusivisme religieux absolu, ni socialisation séparée…), et enfin un sursaut jusqu’au troisième étage du “site Pouchet” (comparer les quelques milliers de scientologues et les dizaines de millions d’évangéliques en une seule petite phrase… c’est manquer de la plus élémentaire notion d’échelle).
Je ne suis pas tendre avec Mme Sellier. C’est avant tout parce que j’estime — me voilà fort normatif — qu’une audition, lors d’une commission d’enquête, ne doit pas s’appuyer sur des on-dits, des “j’ai vu un reportage à Envoyé Spécial”…

J’ai pas été témoin direct (…) Ce que je sais sur le mouvement des raéliens, c’est ce que j’ai lu. C’est un document extraordinaire qui a été tourné par une journaliste française…

Toutes les auditions ne sont pas aussi dénuées de fondement. Il y a eu “pire” (l’audition de l’AFSI). Il y a eu bien mieux : L’audition la mieux construite, j’en parlerai prochainement, provenait d’un ancien Témoin de Jéhovah qui avait une maîtrise étonnante du discours en public, une force de conviction et un raisonnement mesuré mais aussi très réflexif (peut-être dû en partie à une socialisation chez les TJ : lecture biblique, confessions publiques, evangélisation de trottoir, porte-à-porte aident à apprendre à parler en public).
Mais là, il faut laisser encore une fois la parole à Mme Sellier. Je n’ai pas essayé de sélectionner les passages les plus amusants :

L’on a ici non seulement une absence de compréhension des mécanismes d’adhésion et de croyance (les Raéliens ont des doctrines trop drôles pour être vraiment dangereux… Par comparaison qu’une vierge elle-même conçue “sans péché” puisse accoucher d’un sauveur miraculeux annoncé par une étoile… fait tout à fait sens, n’est-ce pas ?), mais la volonté de limiter fortement la liberté d’expression, au nom, bien sûr, des “enfants”.
L’on a donc, in fine, une sélection rigide d’intervenants (en provenance il est vrai de nombreux secteurs de l’Etat — juges, policiers… — du para-étatiques — associations reconnues d’utilité publiques et financées par subventions — et du secteur associatif). Mais une partie des intervenants semble avoir été sélectionnée par effet de réseau ou proximité personnelle plus que pour la qualité de ses recherches ou de ses analyses.
Je me demande bien ce que l’on pourra lire dans le rapport qui sera construit à partir de ces auditions…

Les noces de Cana

D’après Jean 2:1-11 :

« Le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit « Ils n’ont pas de vin ».


Rowan Atkinson sur YouTube.

Égouts : la merde n’est pas une marchandise comme les autres

Dans la belle librairie Le Genre urbain j’ai découvert, il y a quelques jours, Basses Œuvres d’Agnès Jeanjean, sous-titré “Une ethnologie du travail dans les égouts”. Je l’ai acheté de suite (et pas seulement parce que, le 1er octobre, les égoutiers commençaient à demander leurs étrennes). D’un côté, l’objet m’apparaissait bien “petit”, ig-noble, dégoûtant et sale (le type même d’objet de recherche qui s’attache à la réputation du chercheur) et donc intéressant. D’un autre côté, entre les égoutiers, de par leur fonction obligés d’entrer en contact avec les excréments et autres déchets humains, et les vendeurs de sex-shops, parfois contraints de nettoyer les cabines de projection vidéo, il me semblait pouvoir y avoir quelques points de comparaisons intéressants.
Il y en a, mais l’ouvrage d’Agnès Jeanjean a plus. L’ambition “anthropologique” (au sens de recherche d’invariants culturels universels) se manifeste par l’appel à certains auteurs, et au recours à de gros concepts (souillure, sacré, secret…). Mais elle me semble moins aboutie que le travail plus proprement sociologique (ici compris comme une attention constante portée aux traductions pratiques et théoriques des positions différentielles dans une structure sociale). En surface, A. Jeanjean décrit la variété des statuts (employés municipaux, ouvriers d’entreprises privées, des stations d’épuration, cadres et managers…), dont la hiérarchie a quelque chose à voir avec le degré d’éloignement (symbolique ou physique) avec les eaux usées. Mais la lecture laisse surtout l’image amusante — et inquiétante — de la néolibéralisation de la merde, car « (pull)les égouts, c’est rentable(/pull) » soulignent certains enquêtés. Facturation du travail en équivalent heure-camion, cadres pris dans “logiques du projet” et “logique de réseaux” (analysées finement à travers les légions de dîners de travail, de déjeuners de fin de travaux…), dé-municipalisation des basses œuvres (plus ou moins privatisées et confiées aux antennes locales de multinationales).
Il ne manque à cela qu’un groupe altermondialiste s’opposant à ce que la merde soit considérée comme une marchandise comme les autres (semblent-ils préférer, comme la plupart des sociologues, des objets plus nobles ?).

Pour aller plus loin

Géographie des sex-shops toulousains (1970-1976)

Dans un mémoire de master de géographie, Marc Skerrett propose une histoire de l’implantation des sex-shops à Toulouse (et plus largement dans le midi), entre la fin des années 1960 et la deuxième moitié des années 1970. Les travaux portant sur ce type de magasins sont bien trop rares, et le travail de Skerrett est fort éclairant.
Son propos est centré sur la constitution d’un espace marchand, et il tient, tout au long de son travail, les deux dimensions d’une géographie sociale du commerce sexuel.
Il souligne un mouvement que je n’avais pas saisi aussi profondément dans mes recherches, le passage d’un premier moment, autour du début des années 1970, où les sex-shops s’appuient sur un discours sexologique généraliste popularisé autour des années 1968, sur la norme de “l’orgasme idéal” (mise en lumière par Pollak et Béjin) : finalement sur un “devoir de plaisir” qui s’adresse à toute la population. Il s’appuie pour affirmer cela sur un faisceau de sources (entretiens biographiques avec un des pionniers, analyse des publicités dans la Dépêche du Midi, interprétation de la localisation des premiers magasins). Pour attirer un large public et valider leur “prétention à un large degré de généralité”, les premiers sex-shops s’installent dans des rues passantes, au centre de la ville — centre de la cité, le personnel commercial est plutôt féminin, et les références les plus légitimes. Le “pionnier” s’explique ainsi :

« Moi, j’ai réfléchi avec d’autres personnes à Toulouse, on en avait parlé, on m’a dit, mais les sex-shops, ça a un grand avenir parce que l’idée des gens de 68, c’était de faire évoluer l’humain, apprendre aux gens à faire l’amour de façon à ce qu’ils soient plus heureux (…). Et alors, il y a un type ici que je connaissais bien, il m’a dit, il va falloir acheter des boutiques très grandes, (en) plein centre-ville et tu auras des vendeurs ou des vendeuses en blouse comme dans une pharmacie et on vendra des produits comme ça… »
source : Marc Skerrett, La genèse territoriale d’une «industrie du sexe» : le cas des sex-shops à Toulouse, mémoire de master 2 de géographie, Université Toulouse II Le Mirail (Institut de géographie D. Faucher), octobre 2006

Skerrett analyse alors la concentration progressive autour des quartiers chauds comme un abandon de cette volonté de généralité : c’est “l’effritement du rayonnement global au profit d’une inscription locale”. Le discours sexologique est tourné en ridicule, la spécialisation se fait par préférence sexuelles, la clientèle ciblée est dorénavant masculine. “Les sex-shops n’appartiennent plus formellement — dès le milieu des années 1970 — au parcours initiatique du couple mais se présentent comme une chasse gardée masculine. (…) Au lieu d’attirer “la” clientèle au chant des sirènes de la libération sexuelle, le sex-shop a ciblé “une” clientèle plus spécifique…” (source : Skerrett).
Mais plus qu’un “repère conventionnel des quartiers chauds”, les sex-shops contribuent à la constitution de ces quartiers, autour de lieux de prostitution, de bars ouverts tards, de cinémas pornographiques — à la durée de vie courte –, de gares routières ou ferrovières… La tendance existe de considérer ces “quartiers chauds” comme intemporels. Il me semblent que leur constitution est en permanence renouvellée, qu’ils ne sont jamais assurés de rester chauds bien longtemps.

[Note : Tout comme, l’année dernière Irene Roca avait eu vent de mes travaux grâce à Monsieur Google, Marc Skerrett est tombé sur un stade initial de mes recherches avec l’aide du moteur de recherche susmentionné. Deux exemples, s’il en fallait encore, de l’intérêt des “prépublications” sur internet, et des blogs, pour la recherche en sciences sociale…]
[Mise à jour : le billet a été remarqué par rezo.net. Les visiteurs voudront peut être lire les souvenirs d’une vendeuse de sex-shops (vers 1972) ou se renseigner sur l’image des sex-shops dans les dessins de presse de 1971 (ou en 1970, ou encore lire la première préhistoire des sex-shops…]

Facs dégradées

Le journal Le Parisien propose aujourd’hui un article sur l’état de dégradation physique des universités françaises. Le Journal télévisé de France 2 suivait par un reportage rapide, qui, malheureusement, fait la propagande de l’UNI (le syndicat étudiant pas très clair). Le président de Paris III Censier (Monsieur Bosredon), invité en direct, avalait plus de mots qu’il n’en prononçait, ce qui rendait difficile la compréhension de ses revendications… [Un entraînement aurait été souhaitable… et je parle en connaissance de cause, après avoir mangé de nombreux mots chez FranceCulture.]

Et, pour les amateurs de moisissures, de faux-plafonds qui tombent, de graffitis dégoûtants, voici une photo de l’université Paris 8 :
Université Paris 8
D’autres photos de Paris VIII, où le sol lui-même tombe en miettes…

mise à jour : plus de réflexion chez Manuel Canevet, de l’université de Nantes.

Le métier de prêtre

Céline Béraud a publié il y a quelques semaine un livre fort intéressant, Le Métier de prêtre (éditions de l’Atelier). Cet ouvrage propose un croisement fructueux entre sociologie du travail et sociologie des religions, ou plutôt, propose de prendre un des objets centraux de la sociologie des religions (le prêtre) pour l’analyser au travers des problématiques issues de la sociologie du travail (qui s’intéresse surtout aux professions laïques). L’entreprise sera sans doute jugée iconoclaste ou hérétique. A coup sûr par certains prêtres refusant de concevoir leur occupation comme un métier, mais comme une vocation irréductible à toute approche profane. Il ne faudrait pas qu’elle échappe aux sociologues du travail (elle ne le sera sans doute pas totalement, Céline Béraud ayant publié un article, Les « intermittents » de l’Église. Modalités d’emploi des personnels laïcs dans le catholicisme français dans la revue Sociologie du travail.
Métier de prêtre Celine BeraudJ’ai dans ce livre un chapitre préféré, le chapitre 2, intitulé “Le statut administratif du prêtre”. Dans ces pages, Céline Béraud prend au sérieux le travail d’objectivation réalisé par l’Etat et ses satellites. Le “prêtre” est ici envisagé en tant que catégorie socio-professionnelle, dans ses relations avec la Sécurité sociale, et enfin à partir du « cas limite » du prêtre au chômage. A travers le “regard” bureaucratique, le prêtre catholique prend forme administrative. Et c’est là un point d’importance. Les catégories construites par le monde séculier ne sont pas sans effet sur le métier de prêtre. On décèle, dans ce chapitre, combien les catégories d’Etat finissent par décrire assez bien ce qu’est un prêtre. C’est à la fois le signe d’un rapprochement de l’Eglise et du monde séculier (un rapprochement fait de compromis avec la Sécu et la possibilité de quitter la prêtrise, et, donc, de se retrouver au chômage). Mais c’est aussi le signe d’une “sécularisation interne” de l’Eglise : quand une grille de lecture séculière finit par s’appliquer — sans trop déformer — à l’Eglise, c’est le signe que, même intérieurement, elle s’est transformée.
L’usage sociologie possible des “formes instituées” (instituées à l’extérieur de la sociologie) est un de mes dadas, et le livre de Céline Béraud ne se réduit pas au statut administratif du prêtre : l’auteure explore aussi (et surtout) la professionnalisation du prêtre (de l’homme orchestre au chef d’orchestre) et le “nouvel idéal vocationnel”, qui s’avère être fortement compatible avec l’idéal de l’accomplissement personnel qui sous-tend d’autres professions.

Full disclosure : je suis cité dans les remerciements (vous savez, le paragraphe que l’on cherche en premier à l’ouverture d’un livre…)

Campagne pour la présidence

A Paris 8, nous n’avons pas encore de Ségolène, ni vraiment de Nicolas. Le nombre de vieux Mao, et de Lev Davidovich est quelque peu surestimé. Les Иосиф Виссарионович se cachent.
Mais l’ancien président, Pierre Lunel (le biographe du mercenaire Bob Denard et auteur de livres d’entretiens avec Soeur Emmanuelle et l’Abbé Pierre) s’en est allé. Et les “Conseils centraux” doivent en élire un nouveau. L’un des candidats, Gérard Mairet (sciences politiques) a un Blog… Avec photos et professions de foi, et possibilité de commenter. Les autres candidats, pour l’instant, je ne sais pas s’ils ont des blogs.
Extrait :

La prochaine présidence aura pour tâche de réussir un exercice difficile : tout en poursuivant la modernisation de notre université, il s’agira d’exercer un droit d’inventaire, notamment sur la question cruciale de la direction démocratique de l’Université Paris 8, et d’opérer le tournant nécessaire du renouveau.
source : Gérard Mairet

Il pourrait mettre en ligne d’autres photos de l’université, qui soulignent l’état de délabrement physique des bâtiments (toilettes qui fuient, faux-plafonds qui tombent sur les étudiants, graffitis jamais nettoyés…)