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Des gadgeteries (et des magasins de lingerie) pour des gadgets

Billet publié le 29/03/2007

Les godemichés ont-ils nécessairement besoin de magasins spécialisés ? L’opération symbolique et matérielle visant à ôter à une partie d’entre eux tout caractère licencieux — en changeant la couleur, par exemple — a-t-il rendu contingent leur lien avec les sex-shops. Au cours des dernières années, ce mouvement se percevait à travers l’ouverture de commerces qui refusaient la dénomination de “sex shops” mais axaient leur publicité sur la vente de sex-toys : des magasins ambigus souvent nommés “sex shops pour femmes”. Ces commerces de demi-luxe (ayant pour nom Yoba, Amours délices et orgues, 1969… Lilouplaisir à Montpellier, Olly Boutique à Lyon, Dulce à Bordeaux… Lady Paname à Bruxelles) restaient des endroits sexualisés : un signe le prouve, les petits panneaux interdisant le plus souvent l’entrée des mineurs.
Mais le processus de sortie des sex shops s’est poursuivi. Quelques sex toys, godemichés ou vibromasseurs d’un certain type, sont désormais présents dans les rayons de magasins “classiques”, non interdits aux mineurs, et dont la fréquentation n’entraîne ni perte de réputation, ni tache morale.
Durex Play MonoprixIl me semble, sans en être certain, que les magasins de farces et attrapes ont souvent eu en stock quelques objets en latex à usage orgasmique… mais les jouets pour adultes sortent aussi de ces magasins. L’illustration ci-contre a été prise dans un “Monoprix” parisien, où les voisins des préservatifs (d’ailleurs “texturés” et aromatisés) sont de petits vibromasseurs. Une chronique récente de Beaudonnet sur France Info (mars 2007), portant sur la “guerre du préservatif”, explicitait la stratégie des fabriquants, qui souhaitent faire de leurs produits des jeux “à valeur ajoutée” pour (jeunes) adultes, vendus bien plus chers que les objets simplement prophylactiques.
Les moyennes surfaces ne sont pas les seules à stocker des jouets sexuels. Des marchands de parfum avaient, il y a quelques années, commencé à vendre des canards vibrants. Mais j’ai pu prendre conscience, concrètement, au cours des derniers mois de plusieurs autres types de lieux de vente.
Une correspondante m’écrivait par exemple l’année dernière :

Je suis gérante d’une boutique d’accessoires de mode et de lingerie depuis 18 mois. Au préalable, j’effectuais de la vente à domicile de lingerie fine.
Je constate que les femmes (quelque soit l’âge ou la situation socio-professionnelle) sont des consommatrices laissées pour compte des sextoys. En effet, peu d’entre elles osent franchir la porte d’un sexshop ou lorsqu’elles le font, effectuent très vite un demi-tour. Et peu d’entre elles osent commander ce genre d’articles sur le net (peur d’une erreur d’un facteur, des enfants découvrant avant…).
C’est pourquoi elles me demandent de passer par ma boutique pour commander ces objets. Elles regardent les sites, me notent les références et je commande. La livraison se fait en arrière boutique et juste entre femmes.

Cette correspondante décrit ici un bel exemple de gestion du stigmate — cet attribut potentiellement discréditant. Le magasin de lingerie agit comme interface entre les vendeurs de godemichés et les clientes souhaitant minimiser tout risque pour leur vertu publique. Le patron d’un “sexy shop” destiné principalement à une clientèle féminine, du Sud de la France, m’avait aussi signalé que, en faisant le tour des magasins de son quartier pour annoncer son implantation, la gérante d’un magasin de lingerie lui avait dit avoir un moment stocké, en arrière boutique, quelques jouets pour adultes.
Une autre personne me décrivait, dans un mail, son magasin :

[P]our l’instant c’est encore une boutique de prêt à porter. J’ai mis de-ci de-là des huiles et des kits de séduction. Seule une de mes deux vitrines est travaillée avec des produits sexy… Je ne mets aucun vibro en rayon, ou en vitrine (sauf forme rigolote comme, le canard ou le rouge à lèvre vibrants…). Ils sont présentés sur demande de la cliente.
Pour le moment, et c’est quelque chose que je continuerai dans le temps, je propose des réunions à domicile (plus difficiles à mettre en place, puisque ça demande le concours de la cliente !). Et pour le coup, il s’avère que l’intérêt pour les objets vibrants, et la demande n’est pas du tout la même en boutique ou en réunion. Pour les quelques mois d’activité à mon actif, je reconnais qu’il faut du temps pour bousculer les vieilles habitudes, mais je suis optimiste quant à l’avenir…

Je lui ai demandé une photo, pour mieux comprendre son magasin (situé à Sainte-Maxime, dans le Var) :
Sainte Maxime - boutique Capucine - maximegirl (a) aol.com

Sainte Maxime - boutique  Capucine - maximegirl (a) aol.comma boutique prend forme! Je ne vous cache pas que j’avance un peu à tâton… Ne sachant pas trop comment m’organiser au début… Et ayant peur des réctions de mes clientes ! Mais bon, plus de peur que de mal, elles ont très bien pris les choses !
Il est vrai qu’au démarrage, ma boutique “Capucine”, n’était qu’une boutique de prêt à porter féminin et accessoires. Dans le métier depuis un bon nombre d’années, et avec la conjoncture actuelle, nous (commerçants) ne savons plus bien quoi faire pour séduire de nouveau notre clientèle. Alors pour arrondir tout d’abord les fins de mois, je voulais proposer des réunions genre “Tupperware”. Dans ma région c’est un peu difficile, les gens ne se reçoivent pas chez eux (appartements trop petits!), alors vu que Ste Maxime est un petit village, le bouche à oreille c’est fait vite, et par curiosité les clientes venaient me questioner au magasin.
[…] Les sex-toys quant à eux sont en réserve. Je les sors souvent mais uniquement sur demande… Ainsi pas de soucis pour les enfants ou clientes un peu susceptibles.
Un panneau annonce que je propose toujours les fameuses réunions. Dans peu de temps, je vais mettre un site en place, ainsi je pourrais garder le contact avec des clientes saisonnières (nos estrangers, comme on dit ici) ou peut-être toucher des personnes plus réservées.
Ayant essayé tous mes articles, je peux en parler très librement, et il semblerait que l’ensemble de mes clientes adhèrent… J’ai eu beaucoup de très bons retours. Et c’est très motivant. Je touche du bois, mais mes craintes d’être ennuyée par une population masculine, ou féminine, réticente se sont trouvées infondées !
[…]
PS: le mannequin en vitrine a un serre-tête avec des petites cornes rouges (ce qui explique la queue de diable!!!)

Dans ce magasin aussi, les jouets moins “innocents” que le canard sont hors regard. Un canard dont le camouflage, encore efficace il y a quelques années, semble devenir transparent : il me semble même que ces canards jouent ici le rôle d’annonciateurs. Si ces canards sont là, c’est qu’il doit y avoir plus derrière : moins un camouflage qu’un leurre, si l’on me permet de filer la métaphore cynégétique.
Les magasins de lingerie féminine ne sont pas les seuls à ouvrir leurs rayons aux sex toys. Diverses gadgeteries proposent, parmi la quincaillerie, les parapluies et les verres à cocktail, quelques vibromasseurs. En vitrine, là aussi, les canards. Plus loin dans le magasin, en haut d’étagères, quelques semi-phallii (phalla ?) colorés. Le Diablotin, à Dreux, m’écrit :
Magazin Les Diablotins Dreux

Je reprend contact avec vous pour vous donner des nouvelles de notre activité de sex toys. Nous avons fait rentrer quelques produits de chez fun factory et différents objets de chez Big teaze toys. Depuis l’implatation de sex toys dans le magasin je n’ai eu que deux remarques négatives et dans l’ensemble la clientèle trouve cela plutôt rigolo […]
La première réflexion est venue d’un de mes clients qui a demandé à une vieille dame dans le magasin si elle trouvait ça choquant. Les gens sont plus ouverts que l’on ne pense car elle a répondu d’un air amusé que non. Et la femme de mon client est revenue quelques semaines plus tard avec son bébé en poussette dans le magasin pour prendre des magnets.
La deuxième réflexion est venu d’une dame BCBG qui est entrée alors que je rangeais les sex toys et, surprise par mon activité peu commune, a dit à sa copine “Je crois que nous nous sommes trompé de magasin“. C’est tout, juste une réaction de défense face à une situation angoissante pour elle.

L’offre est grosso-modo la même dans un magasin parisien du Forum des Halles, qui propose un rayon “sexy” :
Objectica Rayon sexyLe magasin n’est en rien interdit aux mineurs (c’est une “gadgeterie”) mais les jouets phalliques sont placés bien en dehors de portée des enfants (voire même des grands enfants), à plus d’un mètre soixante de hauteur — au contraire des incontournables canards, à hauteur de client-e. La zone est rendue visible par un “SEXY” en néon rose (que l’on voit mal sur la photo).

Cette boutique, comme toutes les gadgeteries, propose un choix d’articles autour du thème “sexe”, pas toujours de très bon goût d’ailleurs : pâtes zizi, antistress en forme de seins ou de sexe masculin, etc.
Mais contrairement à la plupart de ces boutiques, l’enseigne (…) propose désormais une sélection de sextoys, principalement des fun factory et des Big tease toys, qui, par leurs couleurs et leurs looks rigolos, ne dénotent presque pas avec les figurines Titi ou Caliméro juste à côté.
source

D’autres gadgèteries proposent les mêmes produits.
Ce sont des gadgets spécifiques qui sont mis en vente dans ces magasins : vibrants mais non phalliques — attachables au pénis comme les anneaux vibrants — ou légèrement phalliques mais vert-fluo ou rose-bonbon. Ils sont nombreux à insérer la sexualité dans les filets de l’électrification.
Répondre brièvement à la question que je posais rhétoriquement en début de billet (des magasins spécialisés sont ils nécessaires ?) est donc possible : plus maintenant. Certains moyens d’accéder à l’orgasme, certains adjuvants des relations sexuelles, semblent trouver un espace commercial public, à l’extérieur de la catégorie juridico-administrative de sex-shop [rejoignant en cela d’autres adjuvants habituels — le lit, les coussins –, d’autres plus récents — le viagra, les contraceptifs]. Mais certaines frontières restent, au niveau micro-social, encore visible : certains jouets restent “en arrière-boutique”, d’autres hors de portée immédiate des clients. Le camouflage [dont j’avais plus longuement parlé ici] — revisité sous la forme ironique du canard annonciateur et non plus de l’appareil de massage facial — est toujours en partie présent.

[yarpp]

8 commentaires

Un commentaire par marcé (30/03/2007 à 19:23)

La pratique de la gérante du magasin de lingerie qui garde des jouets pour adultes dans son arrière-boutique m’évoque celle d’un café-tabac de mon coin qui vend officiellement et expose en vitrine des vidéos grand public, et en sous-main des vidéos X. (et peut-être aussi au black?) . La commerçante ayant un jour confié à une vieille dame qu’elle serait étonnée de voir les personnes qui achètent ce genre de films.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (31/03/2007 à 8:27)

Etonnée, sans doute, par la normalité des acheteurs…

Un commentaire par jackie (28/06/2007 à 23:03)

je pense que pour vendre des sex-toys en même temps que de la lingerie féminine il faut être un temps soit peu lesbienne.

Un commentaire par steph (29/06/2007 à 22:36)

Pas vraiment Jackie… il faut juste dire que dans Ste Maxime c’est un secteur d’activité qui manque, car il y a bel et bien une clientèle… En plus je ne vois pas le rapport entre le fait de vendre de la lingerie et des sex toys et être lesbienne…. et même si cela est le cas en quoi cela est-il dérangeant ?!?
Moi je préfère voir ce type de magasin devant chez moi, que d’avoir un sex shop avec de photo masquant juste les parties intimes dans la vitrine et savoir qu’un jour, mes enfants seront exposés à cette vision !
Jackie… ouverture d’esprit !

Un commentaire par severine (12/11/2007 à 13:23)

je voudrais monter un magazin de sexe toys mais je ne sais comment mi prendre je suis perdus pourriez vous m aider ou si il existe des magazin franchiser
en vous remerciant
severine

Un commentaire par kristina (29/11/2007 à 11:23)

Bonjour,

Je voudrai apporter mon temoignage sur cet article

Nous avons ouverts recemment deux boutiques dans le sud ( Alova Aubagne et Alova La Ciotat)
Au départ, notre projet etait de diffuser des articles de lingerie homme et femme ainsi que du clubwear

Tres rapidement; nos clients nous ont demandé des accessoires et aujourd’hui ceux ci representent 50 % de notre CA
Nous vendons beaucoup d’huiles de massages, cockrings, vibromasseurs et jeux sexy pour couples.

Il y a une reelle demande mais parrallement, pas mal de clients n’osent pas entrer dans le magasin ou font meme des remarques pas tres sympathiques.
Nous avons aussi étés victimes de leger vandalisme pendant les fetes historiques “La ciotat 1720”

Il est donc tres delicat d’integrer les toys dans les boutiques traditionnelles et il faut faire attention à ce que ceux ci ne soient pas trop visibles de l’exterieur. Nous avons recemment occulté notre porte avec des rideaux et placé un panneau “interdit aux mineurs”

De nombreux projets voient le jour en ce moment et nous pensons que le marché aborde son déclin. Il est probable que les grandes chaines et les supermarchés ne vont pas tarder à s’interesser au sexy et proposer des rayons specifiques. C’est pourquoi nous recentrons notre activité sur la vente en gros plutot que notre developpement par l’ouverture de nouveaux points de vente.

Trop de sexy finira par tuer le sexy.

Kristina

Un commentaire par Carole (22/04/2009 à 23:52)

Bonjour
Mon conjoint et moi allons ouvrir une boutique de lingerie dans notre petite ville, à Saint Jean d’Angely en Charente Maritime. mon idée première était de vendre des sex toys et autres gadgets rigolos et funs et le dernière boutique de lingerie ayant fermée pour s’implanter ailleurs nous avons décides de tout reprendre. Mon conjoint n’était pas “chaud” pour vendre aussi des sextoys, il s’inquiète de la réglementation pour en vendre , si réglementation il y a, et de la réputation des gens. Votre article me redonne du courage et un appui pour lui démontrer que c’est possible. Donc c’est un grand merci pour me donner du courage dans cette voie.
J’attends vos prochaines nouvelles avec impatience!!!!
Merci encore
Carole
PS: un mot pour jacky: je vais vendre de la lingerie, et des sex toys et je ne suis pas lesbienne pour autant, j’aime les hommes et le mien plus particulièrement et j’adore faire l’amour avec lui mais je ne suis pas lesbienne…. Regardez autour de vous, je suis sur que certaines de vos amies ont des toys chez elle et pourtant ne sont pas gay!!!!
ouvrez vous au monde et essayez en un, ca fait du bien!!!!

Un commentaire par Le Lapin Magique (07/09/2010 à 0:21)

Bonjour,

Je viens de tomber sur ce billet déjà ancien (3 ans et demi) et je constate que le phénomène de la vente de sex toys dans des magasins parfois un peu “hors contexte” n’a fait qu’augmenter. Si cela détabouïse le sujet, au risque parfois de choquer certaines personnes, je pense que l’étalage à qui mieux-mieux des vibromasseurs ou autre godes va finir par leur retirer la part de fantasme qui les rend si désirables.
Quand l’interdit est sous-jacent cela ne fait qu’aiguiser le désir de transgression de posséder ce genre d’article. Krisitna le dit très bien “de nombreux projets voient le jour en ce moment et nous pensons que le marché aborde son déclin”. D’un point de vue commercial, l’hyper médiatisation est en train également de saturer les esprits, jusqu’au dégoût?

A voir également cet article de Zonezerogene.com pour lequel j’avais été consulté et dont le regard de la journaliste au sujet de l’exposition des sex toys en supermarché est très intéressant…
http://www.zonezerogene.com/blog/2009/10/30/sextoys-en-supermarches-dis-maman-cest-quoi-ce/

Denis