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Le petit remplacement : note sur la fécondité des nobles (d’apparence)

À la fin du XIXe siècle, les bébés à particule ne représentaient que 0,4% des naissances. À la fin du XXe siècle, 100 ans après, ils représentent 0,9% des naissances. Comment expliquer cela ? Une hypothèse, c’est de dire que les “de Souza” ont remplacé les “de Rochechouart”, et qu’on n’est même plus chez nous en France, hein !
Mais il semble que d’autres hypothèses moins farfelues soient envisageables, ma bonne dame, si seulement vous étiez moins xénophobe.
Je commence par retenir les noms de famille n’apparaissant qu’une seule fois dans les naissances de la fin du XIXe siècle : entre 1890 et 1914, ces familles n’ont produit qu’un seul bébé. J’examine ensuite combien de bébés sont produits vers 1980, en comparant les noms à particule et les autres noms. La méthode est grossière, mais elle permet probablement de comparer la fécondité des descendants de noms très rares, présents en France à la fin du XIXe siècle, à celle des personnes portant un tel nom rare à la fin du XIXe siècle.

Pour être plus précis : Prenons les familles qui n’ont qu’un seul enfant à la fin du XIXe siècle, qui ont moins de 5 enfants 25 ans après, moins de 17 50 ans après et moins de 64 75 ans après. C’est une manière de retenir principalement les familles qui n’augmentent pas grâce à l’immigration mais surtout par la fécondité naturelle (en produisant au maximum 4 enfants tous les 25 ans).
7732 familles “nobles” correspondent à ce cas. Lors de la dernière période, elles ont produit 8238 enfants, soit une croissance de 1,06.
Les familles non-nobles sont plus nombreuses. Mais en fin de période, elles n’ont plus que 0,81 enfant pour chaque enfant produit à la fin du XIXe siècle. (Pour repérer cela, et avoir une idée du rapport plus élevé des nobles d’apparence, je prends 3000 échantillons de non-nobles de même taille que la population des familles à particule d’un même niveau de rareté).

rapport-patronymes
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De la même manière, comparons les familles qui, à la fin du XXe siècle, ont 2 enfants (puis moins de 9, moins de 33 et enfin moins de 129). Les “nobles” se retrouvent avec 1,6 enfants pour chaque enfant de la fin du XIXe, les non nobles avec seulement 1,3 enfants.
Un dernier exemple : les familles qui démarrent avec 3 enfants : si elles ont une particule, elles produisent en fin de période 1,9 enfant pour chaque enfant; les familles sans particules n’en produisent que 1,4. Avec 4 enfants : 1,9 pour les nobles, 1,4 pour les manants.

Dans tous les cas, les familles à particule présentes en France à la fin du XIXe siècle et très rares semblent avoir une fécondité plus importante que les familles sans particule. Ou alors elles arrivaient mieux à transmettre leurs noms (mais comment le feraient-elles ?). Est-ce parce qu’elles se trouvent, plus souvent, au sommet de l’échelle sociale et qu’elles disposent d’un patrimoine plus fourni ? Qu’elles sont plus souvent que de coutume catholiques ? Qu’elles connaissent une mortalité infantile moindre ?

Les grandes familles sont des familles nombreuses (du moins un peu plus nombreuses).

Un autre indice des différences de fécondité peut être calculé à partir de la proportion de noms qui disparaissent, qui cessent de produire des bébés.

disparition-patronymes
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80% des noms sans particule très très rares à la fin du XIXe siècle ne produisent aucun bébé à la fin du XXe siècle. Ce n’est le cas que de 75% des noms à particule aussi rares. La différence est faible, mais elle signifie que les noms à particule très rares il y a 100 ans se maintiennent mieux sur la distance : et la comparaison entre nobles d’apparence et manants d’apparence est toujours au profit des gens à particule.

Note finale : n’étant pas démographe, il est fort possible que ma lecture et mon analyse du fichier des patronymes soit une hérésie.

Les vicomtes… et les autres

Lundi, dans quelques jours (le 21 novembre), je présente à l’INED les premiers résultats d’une recherche sur la noblesse d’apparence. Dupont n’est pas du Pont :

En 1816, 100% des ambassadeurs français avaient un nom à particule, ils ne sont plus que 3% aujourd’hui. La présence d’une particule dans le nom de famille n’a jamais impliqué l’appartenance à la noblesse… et pourtant ces noms, au XIXe siècle, étaient surreprésentés au sommet de l’échelle sociale : la noblesse d’apparence avait l’apparence de la noblesse. À partir de l’analyse de listes nominatives variées (concernant le personnel politique, les anciens élèves de grandes écoles, les bacheliers, les électeurs…) cette communication étudie la lente disparition des positions sociales héritées de l’Ancien Régime, mais aussi leur rémanence (résidentielle, culturelle et politique) encore aujourd’hui. Car en 2017, Dupont (prénom Olivier) n’est toujours pas du Pont (prénoms Aymard, Sixte, Marie).

C’est à 11h30, en salle Sauvy, à l’INED.

Habit vert et sang bleu

academie-rechercheSur le site de l’Académie française, vous pouvez faire une “recherche avancée” pour retrouver un “Immortel”. Vous pouvez chercher par “numéro de fauteuil”, par nom ou par lieu de décès… ou par titre de noblesse. Pas par sexe, parce que les Immortels n’ont pas de sexe. Ont-ils une particule ?
J’ai récupéré, et ce ne fut pas sans mal (pour l’Académie des sciences, qui a une liste bizarre et très mal formatée), les membres des cinq Académies de l’Institut de France. Voici le résultat.
Sous l’Ancien Régime, la proportion de noms à particule augmente entre le XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. Plusieurs éléments sont à préciser : d’abord les nobles se mettent à “particuler” leurs noms, à y ajouter des particules, et les manants aussi. Précisons aussi que cet anoblissement des Académies est peut-être un signe de reconversions internes au Second Ordre avant la Révolution.
La Révolution introduit des ruptures de séries, et des difficultés de fonctionnement pour les Académies. Au XIXe siècle, période de fondation de trois des cinq Académies, la tendance globale est à la diminution de la proportion d’Académiciens à particule.
academies
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Mais depuis le début du XXe siècle, et surtout depuis 1950, les différentes Académies ont stabilisé la proportion de membres à particule. Seule l’Académie des sciences voit sa proportion de nobles d’apparence continuer à diminuer (mais cette Académie est beaucoup plus populeuse que les autres). Gardons bien à l’esprit que, étant donné qu’il y a moins de 1% de noms à particule dans la population française, ces noms restent fortement sur-représentés Quai de Conti.
À l’Académie française, il reste tant bien que mal, depuis 1900, environ 6 Académiciens à particule sur les 40 en poste à un moment donné. De manière intéressante, à l’Académie des sciences morales et politiques et à l’Académie des beaux-arts, la proportion de membres à particule augmente depuis une bonne cinquantaine d’années. Les mauvaises langues diraient que, sous la Coupole, les vieilles croûtes et les vieux croûtons apprécient les noms à rallonge.

Le retournement de tendance se perçoit bien si l’on étudie la population totale des Académies (en enlevant l’Académie des sciences, pour laquelle la liste complète et précise des membres est complexe à établir) :

academies-agrege

J’ai utilisé ici une échelle logarithmique, pour mettre en évidence les évolutions « récentes » (c’est à dire depuis 1900).

Depuis une vingtaine d’année, après 50 ans de stabilisation et 150 ans de baisse continue, la proportion de noms à particule augmente. L’échantillon est petit, car les 4 Académies réunies ont 200 membres, mais l’évolution est bien perceptible.

Si vous voulez comprendre pourquoi, vous pouvez assister à l’un des prochains « Lundi de l’INED », où j’espère montrer que «Dupont n’est pas du Pont».

Notes :
(1) Merci à François Briatte pour sa collaboration… même si j’ai fini par faire du copier-coller à la main.
(2) L’Académie des inscriptions et belles-lettres, oui, ça existe vraiment.

Ectoplasme ! Moule à gaufre ! Ambassadeur à particule !

La diplomatie fut longtemps une occupation acceptable pour un aristocrate. Encore aujourd’hui, environ 4% des ambassadeurs français portent une particule (alors que la proportion dans la population française est inférieure à 1%). Une petite base comportant des informations sur 3000 nominations d’ambassadeurs (sur data.gouv.fr) depuis 1944 nous permet de repérer une tendance à la baisse.
ambassadeurs-nobles-1944-2012

[Merci à @Gilda_f pour le titre]

Où sont les nobles ?

nobles-deputes-2012Dans “L’interdiction” de Balzac (une des nouvelles de la Comédie humaine), le narrateur se demande si, “pour commander”, il faudrait “ne point avoir connu d’égaux”. Et le narrateur de regretter l’évolution récente des lois et des mœurs, qui modifient les vocations naturelles des nobles.

Ne faut-il pas enfin que l’éducation inculque les idées que la nature inspire aux grands hommes à qui elle a mis une couronne au front avant que leur mère n’y puisse mettre un baiser ?
Ces idées et cette éducation ne sont plus possibles en France, où depuis quarante ans le hasard s’est arrogé le droit de faire des nobles en les trempant dans le sang des batailles, en les dorant de gloire, en les couronnant de l’auréole du génie ; où l’abolition des substitutions et des majorats, en émiettant les héritages, force le noble à s’occuper de ses affaires au lieu de s’occuper des affaires de l’État, et où la grandeur personnelle ne peut plus être qu’une grandeur acquise après de longs et patients travaux : ère toute nouvelle.

Cette retraite vers “les affaires personnelles”, près de deux cents ans après l’écriture de ces lignes, semble réalisée. Mais les Révolutionnaires auraient, s’ils vivaient encore, “des rires pleins de larmes”… Les Pinçon-Pinçon-Charlot ont bien montré que cette retraite n’est pas totale.
Aujourd’hui, pour “s’occuper des affaires de l’État”, il faut passer, le plus souvent, par l’élection (d’autres voies sont possibles, certes, mais elles sont moins centrales, et consistent plutôt à être “au service” de l’État). Et entre l’élection de droit naturel, dont souffrent les nobles, et l’élection au suffrage universel, une différence existe, cruciale : le succès électoral n’est qu’un “plaisir provisoire”. Les travaux des historiens ont montré, cependant, la rapide adaptation des nobles (d’Empire ou d’Ancien régime), au système parlementaire. René Rémond a même fait d’une homologie (ou isomorphisme?) entre prétentions nobles et partis de droite la base d’un ouvrage célèbre. L’on aurait, à droite, en France, une faction “légitimiste” (i.e. nostalgique de l’Ancien régime), une faction “orléaniste” (i.e. acceptant certains acquis révolutionnaires) et une faction “bonapartiste”.

Mais concrètement, y a-t-il encore, aujourd’hui, une attirance spécifique des “nobles” pour certains partis politiques ?

Je me suis amusé avec la liste nominative des quelques 6600 candidats à la députation [que j’avais déjà utilisée ici]. J’ai imaginé que les porteurs d’un nom en “de Quelque Chose” (de Rohan…) étaient nobles (tout en relevant que les “de Oliveira” et les “de Souza” ne le sont probablement pas). Où sont-ils ? Quels partis hantent-ils ? Le Noble est-il, “avec ses gestes plein de chaaâarme”, le véritable candidat de la diversité ?
La liste suivante donne, pour chaque “nuance politique”, le nombre de candidats manants et le nombre de candidats nobles, la proportion de nobles parmi les candidats, et enfin une classification “Droite/Gauche” de la “Nuance”.

Nuance manant noble Prop Droite ou Gauche ?
   PRV    193     5 2.52 "Valoisiens"
   DVD   1535    39 2.47 droite
   NCE    211     5 2.31 droite
    FN   1117    25 2.18 droite
  ALLI     98     2 2.00 droite
   EXD    148     2 1.33 droite
   UMP    991    13 1.29 droite
   CEN    683     7 1.01 centre
   AUT   1004    10 0.98 autres
   VEC    918     6 0.64 ecolo
   ECO   1234     8 0.64 ecolo
   DVG    493     3 0.60 gauche
    FG   1109     5 0.45 gauche
   EXG   2111     5 0.23 gauche
   SOC    943     1 0.10 gauche
   RDG    144     0 0.00 gauche
   REG    154     0 0.00 "régionalistes"

Comme on le voit, les nobles n’ont pas “perdu leur flamme / Flamme, flamme, flamme, flamme”, mais ils sont loin d’être majoritaires. Ce sont surtout les “DVD” (divers-droite ← attention, ce lien contient un point Godwin) qui portent des noms à particule (une quarantaine sur 1500 candidats et suppléants). Les candidats du FN ne sont pas loin (2% portent des noms à particule). Ils “préfèrent les motos aux oiseaux”: on en trouve peu chez les écolos. Ils sont très peu nombreux à l’extrême gauche ou au parti socialiste. Et on retrouve, étrangement (ou pas), une division droite/gauche assez nette, les nobles évitant autant que faire se peut la mésalliance démocratique. « Dis-moi si tes candidats sont nobles, je te dirai si ton parti est à gauche. » L’ironie de l’étude est, bien évidemment, que le Parti radical valoisien attire plus que sa part de nobles, alors qu’il ne défend pas — ouvertement — la prise de pouvoir par un des descendants des Valois.

Note méthodologique :

  1. Peut-on vraiment imputer noblesse aux porteurs d’une particule ? Transformer ainsi un nom en indicateur, c’est une manière de faire qui a “Quelque chose d’un robot / Qui étonne même les miroirs”. Le repérage onomastique des “Juifs”, par l’extrême droite, fonctionnait ainsi, par le soupçon sur l’identité. Et les de Rohan nous diraient qu’il se porte fausse noblesse comme fausse fourrure; que la particule est un bien faible indicateur; que de fameuses familles, dont la noblesse remonte à Saint Louis ou Guillaume le Conquérant, portent nom de terre sans particule; que, comme minorité opprimée dans une république génocidaire, certains cachent leur particule… Il n’en resterait pas moins qu’entre partis de droite et partis de gauche, la mise en avant de la particule diffère.
  2. Il faudrait voir si la monstration particulaire est corrélée à plus de votes à droite, moins de votes à gauche…
  3. Dans le même ordre d’idée — et c’est ce que je défends ici — le “nom”, dans l’espace public, n’est pas cette chose fixe, inchangeable, permanente, c’est une ressource stratégique, malléable. Que l’on pense à Laurent Wauquiez, qui commence sa vie publique sous le nom de Wauquiez-Motte (les Motte, du nom de sa femme, étant une “Grande famille” du Nord, il pouvait être intéressant de s’y rattacher). Mais la modernité du nom composé cède vite la place au nom tout court et on l’imagine sans mal revendiquer, après “l’héritage chrétien”, la particule. Pensons aussi à (Marie-)Ségolène, à Marion-Anne “Marine”, à de Nagy-Bocsa, à Harlem, Chaban, Dassault… L’image publique se construit sur la manipulation du nom.
  4. La référence détournée à la chanson de Jouvet est à comprendre comme un rappel implicite des critiques “patriotes” ou républicaines de la période révolutionnaire, qui, pour délégitimer la domination aristocrate, décrivaient les nobles comme efféminés, poudrés, porteurs de talons hauts : le genre est bien une catégorie utile pour l’Histoire… Mais elle est surtout à comprendre comme variation autour de la grande question des usages de la parité aux Législatives.