La Vie des Idées vient de publier un article écrit avec Arthur Charpentier et Joël Gombin, article qui porte sur le vote par procuration en France.
Je poursuis ici l’exploration des données du vote par procuration et Arthur Charpentier fait de même sur son blog.
Tout d’abord un mot sur les données :
Dans l’article, nous nous appuyons sur les données recueillies par l’ANR Cartelec, notamment pour les fonds de carte des bureaux de vote (au format shapefile .shp) et pour les données du recensement à l’échelle de ces bureaux de vote. Ces données sont accessibles sur le site de Cartelec.
Mais Cartelec n’a pas d’informations concernant les procurations. Et il n’est pas simple de trouver le nombre de votes par procuration aux niveaux nationaux, départementaux, communaux ou à l’échelle du bureau de vote. Mon premier réflexe a été de rechercher des données dans les enquêtes “Participation électorale” de l’INSEE (1983-2012)… mais ces enquêtes n’a-ont pas pris en compte les procurations… Ce qui est dommage, car l’on dispose, avec ces enquêtes, de données individuelles.
Il a donc fallu se rabattre sur d’autres sources, partielles et à une échelle agrégée… Nous avons travaillé ici avec des données “écologiques” (et donc avec un risque d’ecological fallacy) À ma connaissance, seules quatre grandes villes donnent accès à des données sur les procurations.
- Montpellier : Résultats des élections (1994-2012), et aussi le shapefile des Bureaux de vote pour les élections de 2012.
- Nantes : résultats des élections (de 2007 à 2012) et shapefile des Bureaux de vote (pour 2012)
- Paris : résultat des élections (2007-2012) Etrangement, la ville de Paris n’a pas mis à disposition des citoyens le shapefile des bureaux de vote
- Lyon : C’est plus compliqué dans le cas de Lyon. On trouve bien le shapefile des bureaux de vote, mais les résultats doivent être moissonés sur le site de la ville de Lyon. Julien Barnier a mis en ligne le code R sur github pour récupérer les données et une analyse ici
J’ai contacté les sites « opendata » de Strasbourg, Marseille, Toulouse et Bordeaux pour essayer d’obtenir des données similaires, mais pour l’instant soit “le logiciel” des services électoraux municipaux ne recueille pas le nombre de votes par procuration (Strasbourg), soit les services des élection diffusent un format inutilisable (Marseille), soit les services des élections, très occupés en ce moment, répondront plus tard à ces demandes.
J’ai aussi contacté (à deux reprises au moins) la préfecture des Hauts de Seine, pour connaître le nombre de votes par procuration à Neuilly et aux alentours, mais sans réponse.
Le bureau des élections du Ministère de l’Intérieur m’a envoyé un fichier excel contenant pour la France entière des données départementales très “trouées” : apparemment, le Ministère ne contrôle pas de très près le nombre de votes par procuration et beaucoup de préfectures n’envoient pas les chiffres. Cela rend très complexe l’évaluation de l’évolution nationale de la fréquence de la procuration.
Mais j’ai réussi à faire cette petite carte nationale (en faisant soit la moyenne des deux tours, quand c’était disponible, soit en ne prenant qu’un seul tour) :
Il semble y avoir un peu plus de procurations dans le Sud de la France en avril-mai 2012… Mais si, lors du premier tours, les trois zones scolaires étaient en vacances, ce n’était pas le cas le 6 mai quand seule la zone B (Lille, Aix…) était en vacances. La région parisienne et la Corse ont un recours plus intense à la procuration.
Une autre carte qui ne se trouve pas dans l’article de la Vie des idées est reproduite ici. Une carte parisienne montrant le rapport entre votes par procurations et votes “blancs ou nuls”, carte intéressante : elle permet de bien distinguer des zones où les votes par procurations ne sont pas beaucoup plus nombreux que les votes nuls et des zones où le vote par procurations est de 6 à 17 fois plus fréquent que le vote nul, c’est à dire des zones où l’offre politique disponible rencontre tellement bien l’assentiment des résidents qu’ils votent même en cas d’empêchement.
Terminons par quelques “copies d’écran” montrant le rôle d’internet dans la procuration.
L’équipe de NKM, candidate à la mairie de Paris, a mis en place une procédure permettant à un sympathisant UMP de trouver quelqu’un pour qui voter (comme l’équipe de Hollande l’avait fait en 2012) :
L’équipe d’Anne Hidalgo fait presque la même chose, mais en permettant aussi à des personnes souhaitant être mandatées de se déclarer, en jouant sur le plaisir du vote : “Vous êtes disponible et impatient-e (…) Votez deux fois !”
Ces deux dispositifs peuvent se comprendre comme des “pièges à sympathisants” : l’UMP locale — et le PS local — connaît sans doute ses militants, mais moins ses sympathisants. Avec ce dispositif, des informations peuvent être recueillies sur des personnes qu’il est possible de mobiliser ensuite.
Et dans le même temps, le gouvernement prépare la dématérialisation de l’établissement du vote par procuration :
Simplifier le vote par procuration vise à rendre plus aisé l’acte de vote. Mais l’on voit — c’est mon hypothèse — que la procuration semble utilisée de manière prioritaire par des personnes aisées (diplômées, propriétaires, cadres…) : c’est à mon avis une des modalités du vote des classes dominantes. Il est fort possible que rendre plus aisée la procuration ne bénéficie pas vraiment au gouvernement actuel… mais c’est une autre histoire.