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Guides, communauté, propreté

Le Guide Musardine du Paris Sexy, j’ai eu l’occasion d’en parler (ici par exemple) propose depuis quelques années une sélection d’officines faisant commerce, à un degré ou à un autre, du sexe. Il a peu de concurrents, sinon le Guide du Kokin (sic), qui en est à sa deuxième édition, et France Coquine, édité par Le Petit Futé depuis 1998, et qui s’intéressent à la France entière (et aussi à la Belgique).
La longévité du guide France Coquine et la stabilité de ses rédacteurs en fait une source d’information intéressante. Les adresses recueillies sont intéressantes ; mais le projet est probablement d’une plus grande ampleur.
Dans les années 1950-1960, les premiers guides touristiques à destination spécifique d’un lectorat homosexuel proposent une mise en liste et une mise en carte des bars et autres lieux de sociabilité. Martin Meeker, dans Contacts Desired, a étudié en ce sens une série de guides gays américains : “Not until the early 1960s with the publication of the guidebooks could a national sexual geography be known with any specificity — and a specificity that could be known on a mass scale.” (Meeker, p.216) Un travail d’objectivation est donc réalisé par des “communautés sexuelles” elles-mêmes, et se trouve au cœur de leur entreprise de construction identitaire.
Il me semble que ces guides français du commerce sexuel s’inscrivent dans le même contexte : ils permettent à la fois une entrée dans un monde peu connu, un parcours possible dans ce monde, et une cristallisation, selon certains principes, des frontières de ce monde. Prenons par exemple l’édition 2005 de France Coquine :

Sensibles aux différents problèmes rencontrés par les professionnels du monde libertin (autorisation d’exister, autorisation d’ouverture tardive, amalgame entre lieux de libertinage et lieux de prostitution, censure de couverture de magazine, etc.) l’idée nous est venue de créer un syndicat afin de fédérer, de professionnaliser et de responsabiliser les dirigeants travaillant dans ce secteur d’activité.
[…] Le but du [Syndicat Interprofessionnel des Exploitants d’Enseignes Libertines] S.I.E.E.L est de fédérer les établissements accueillant le public libertin, les boutiques pour adultes, les médias de la presse de charme et les sites web pour adulte afin de défendre la liberté d’exister, de travailler et de protéger le public libertin. L’adhésion au S.I.E.E.L. ne sera proposée qu’aux établissements ayant un numéro Siret, autrement dit, il ne sera pas ouvert aux associations loi 1901.
Les adhérents du S.I.E.E.L. devront especter un cahier des charges strict comme par exemple, la propreté, la mise à disposition gratuitement des préservatifs, le respect des tarifs affichés, la non vente de prestations corporelles (massages et autres), etc…

Ce guide propose donc bien la délimitation de frontières professionnelles. Il est encore plus explicite quand il décrit l’expérience possible des clients des sex shops et construit à partir de ces expériences un groupe de magasins à ne pas fréquenter. Guide France Coquine Petit Fute

Cette sélection est […] basée sur deux critères qui nous semblent essentiels à savoir, la qualité de l’accueil et surtout l’hygiène car nous avons constaté que certains établissements qui proposent une arrière salle ou un sous-sol pour la projection de cent films et plus en cabines vidéo sont de véritables repères à microbes voire plus. Quant aux odeurs d’urine ou même pire, dans cerains cas, c’est à la limite du « gerbable »… OK, ce sont les clients qui salopent tout, comme nous l’ont affirmé les tenanciers, mais si c’était correctement entretenu dans la journée, ces endroits resteraient fréquentables. D’ailleurs certains arrivent, tant bien que mal, à garder leurs magasins et cabines relativement propres. Il fallait le dire !
source : Guide de la France Coquine, Paris, 1998, p.58

En 2003, la description est un peu plus précise encore :

Nous ne nous attarderons pas non plus sur la propreté surtout dans bon nombre de sex-shops qui proposent la « multi-projection » en mini-salles ou en cabines individuelles qui n’ont d’individuel que le nom car dans la majorité des cas, les portes sont défoncées et les murs troués. Pour égayer le tableau, il faut aussi parler des odeurs nauséabondes (urine, excrément, sperme, etc.). En attendant, il y en a qui aiment puisque ces établissements font du monde et contrairement aux idées reçues nous y avons croisé pas mal de personnes habillées assez « classe » qui ont sans doute un faible pour « l’hyper-glauque »… Bref, les sex-shops parisiens feraient bien de prendre exemple sur leurs confrères de province !
source : France coquine… et Belgique, guide de l’univers libertin 2003-2004, Paris, 2003, p.122

La question de la propreté n’est pas seulement posée par les observateurs ou les rédacteurs de guides. Le maintien de la propreté des magasins est une tâche laissée au bas de l’échelle des sex-shops, c’est un sale boulot. Les vendeurs acceptant d’être interrogé à ce sujet par des étudiants en sociologie sont donc ambivalents dans leur réponse et vont décrire principalement tout un ensemble de techniques d’évitement, qui font sens dans le cadre de leur activité, mais qui conduisent parfois à des résultats… disons, contre-productifs :

Comme j’vous ai dit, nous on suit nos cabine tout au long de la journée. Vous arrivez le matin, la cabine, bon, elle va sentir le propre. Maintenant, c’est sûr, que vous arrivez à dix heurs ou à onze heure du soir, ça va sentir un peu la transpiration, euh, les déjections, donc euh voilà. Mais elles sont propres. C’qui faut savoir, c’est : comme on les fait tout le temps, logiquement, on a toujours des cabines propres, le sceau il est vidé, le papier est fait, le cendrier il est fait. Bon si y’a un truc par terre, c’est pas euh… le mec qui est dans la rue, il va marchre sur un mégot, c’est vrai que bon, là, heu… nan, nan, c’est toujours euh… C’est toujours propre.
source : entretien réalisé par F.L. et L.M.

Un autre vendeur racontera une technique assez intéressante :

A chaque personne, je fais un tour [dans la cabine] pour voir. D’autres n’éjaculent pas forcément, y’a des papiers hygiéniques qui sont là. Quelqu’un qui est bien propre part avec son truc ou part dans les toilettes et puis s’en va. Et quand je vais dans la cabine, il n’y a presque rien. Mais y’a des personnes pour se foutre de celui qui travaille là, ou bien qui n’est pas poli. Il éjacule sur l’écran. Il faut attendre un peu, mettre un peu le chauffage, et laisser sécher.
source : entretien réalisé par N.F. et A.C.

Mettre le chauffage et laisser sécher, transformer l’excrétion en quasi-poussière, c’est mettre la souillure à distance, mais cela risque d’accentuer odeurs et inconfort pendant un moment, et conduire aux scènes décrites par le guide de la France Coquine.