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La cause des femmes

L’enquête POF 2024-2025, qui portait sur l’usage des réseaux sociaux, a interrogé un peu plus de 13000 étudiants et étudiantes. Parmi eux, 245 normalien·ne·s. Une question portait sur le soutien à la cause des femmes. Plus précisément on a demandé : « Parmi ces causes, lesquelles vous tiennent le plus à cœur ? (maximum 3 réponses) ». Et l’une des causes était « ☐ Droits des femmes ».

Dans le document qui suit, je compare les réponses des normalien·ne·s de Saclay et celles des étudiant·e·s des universités. Comme le cursus à l’ENS commence en L3, je ne garde que les quelques 6000 étudiants de niveau d’étude L3 et supérieur, afin de comparer deux populations de même âge académique.

[Fréquence du soutien à la cause des femmes]

Dans leur ensemble, les étudiant·e·s des universités déclarent plus souvent (9 point de pourcentage en plus) soutenir les droits des femmes : 43% des normaliens et normaliennes déclarent soutenir la cause des femmes, et 52% des étudiant·e·s des universités font de même.

Mais si on regarde ce que les *hommes* et les *femmes* (et j’ai placé les non-binaires et autres déclarations avec les femmes) déclarent, que voit-on ? Que les normaliens déclarent plus souvent que les universitaires hommes les droits des femmes comme une cause qui leur tient à cœur. Même chose pour les femmes.

Ainsi 71% des normaliennes et 66% des universitaires femmes — une différence de 5 points — ont placé les droits des femmes dans les causes soutenues. 29% des normaliens contre 23% des universitaires — une différence de 6 points — ont fait de même.

[Fréquence du soutien à la cause des femmes, en fonction du genre]

Si *et les hommes et les femmes* soutiennent, à l’ENS, plus souvent cette cause que les étudiant·e·s des universités, comment se fait-il que, toutes et tous ensemble, la relation soit inversée ? La réponse est dans la composition genrée des institutions : 66% des normalien·ne·s sont des hommes, alors que 66% des étudiant·e·s des universités du collectif POF sont des femmes. Donc si la proportion d’universitaires déclarant soutenir la cause des femmes est plus élevée que celle des normaliens, c’est parce qu’il y a plus de femmes parmi les universitaires, alors même que les hommes normaliens déclarent plus souvent soutenir cette cause que les étudiants, et que les normaliennes elles aussi déclarent plus souvent soutenir cette cause que les étudiantes. En moyenne, les normalien·ne·s ont des réponses d’hommes et les étudiant·e·s des réponses de femmes.

Les universités enquêtées et l’ENS ont d’autres différences : les universités ont une proportion moindre d’étudiants en « Sciences Technologies Santé (STS) », elles comptent moins d’étudiants de classes supérieures… Que serait la fréquence du soutien à la cause des femmes *si les universitaires avaient les mêmes caractéristiques que les normaliens et normaliennes*, la même composition sexuée, disciplinaire et de classe ?

Il y a 245 normaliens dans la base, et 5800 étudiant·e·s des universités. Je sélectionne un sous-échantillon de 245 étudiant·e·s qui a la même distribution par sexe/discipline/niveau d’étude et origine sociale. Par exemple j’ai un certain nombre de normaliens, disons 5, qui sont
`Un homme ; Sciences Humaines et Sociales (SHS) ; L3 ; Ménages à dominante cadre`… et je peux en sélectionner aussi 5, aléatoirement, parmi les étudiants des universités de l’enquête. Une fois le sous-échantillon de 245 étudiant·e·s constitué, je calcule la fréquence du soutien à la cause des femmes. Et je fais cela 1000 fois. À chaque fois, puisque les individus sont sélectionnés au hasard, la fréquence varie un peu.

Si les universités étudiées avaient la même composition que l’ENS, environ 36,5% des étudiant·e·s soutiendraient la cause des femmes, soit un peu moins que la fréquence parmi les normalien·ne·s (43%). Dans le graphique suivant, l’histogramme situé sur la ligne “Universités” représente la distribution des fréquences « contrefactuelles » mesurées.

[Fréquence du soutien à la cause des femmes, après appariement entre étudiant·e·s des universités et normalien·ne·s]

Ainsi « toutes choses égales par ailleurs », les normaliens et normaliennes soutiennent plus fréquemment la cause des femmes que les universitaires.

D’autres techniques que celle que je viens d’utiliser donnent des résultats proches. Une technique très proche, l’*optimal matching* (avec le package `MatchIt` dans R) ou d’autres modalités de *matching* conduisent aux mêmes conclusions.

Autre technique : une régression logistique permettra d’estimer que, toutes choses égales par ailleurs, la fréquence du soutien déclaré à la cause des femmes est 7 points plus élevée à l’ENS Paris-Saclay que dans les universités enquêtées par le collectif POF.

Variables

Average Marginal Effects

95% CI

p-value

Différence : Université – ENS

Université – ENS Paris-Saclay

-7,3 p.p.

-13,4 p.p., -1,3 p.p.

0.018

Genre : différence Femme – Homme

Une femme (ou non binaire, autre) – Un homme

+42,5 p.p.

+39,8 p.p., +45,3 p.p.

<0.001

Abbreviations: CI = Confidence Interval, NA

Autres variables du modèle : niveau d’études, PCS ménage, domaine disciplinaire d’étude –– p.p. : points de pourcentage

Genre des un·e·s, genre des autres

Les directeurs et directrices de thèses ont-ils ont-elles les mêmes doctorant·e·s&nbsp? À partir du fichier des thèses soutenues, il semble bien que non. Par exemple, les directrices ont plus souvent des doctorantes que les directeurs. En sociologie, pour les thèses soutenues après 2010 : 49 des doctorant·e·s des directeurs (hommes) sont des doctorantes… mais 60% des doctorant·e·s des directrices (femmes) sont des doctorantes.
Et cette différence se retrouve discipline après discipline : les directrices ont toujours plus de doctorantes que les directeurs.

… sauf en “microbiologie” et en “automatique”.

Celles et ceux qui ont déjà étudié les données de theses.fr savent que la variable « disciplines » pourrait être améliorée.

On pourrait se demander pourquoi les doctorantes semblent éviter les directeurs. Ou pourquoi les directeurs semblent préférer les doctorants. Se demander si c’est un effet de structure (des directeurs en moyenne plus anciens dans la carrière que les directrices).

Professions et couples de même sexe

Depuis que le Recensement ne recode plus le sexe du conjoint (ou de la conjointe) quand le couple est de même sexe, il est possible d’étudier ces couples de même sexe. Du moins une partie de ces couples. Dans le graphique suivant, on trouvera les professions où la proportion de couples de même sexe est élevée. Je différencie les professions par sexe, et ainsi les « Stewards » sont les hommes de la profession « 546d » (Hôtesses de l’air et stewards). Les « Ambulancières salariées » sont les femmes de la profession « 526e : Ambulanciers salariés ». Et attention, je ne calcule ces proportions que sur les personnes en couple (il n’y a pas 9% d’ambulancières en couple avec une personne de même sexe, il y a 9% des ambulancières-en-couple qui sont en couple avec une personne de même sexe).

Ce graphique a été créé à partir des données du « Recensement 2021, fichier détail, individus localisés à la région » de l’Insee.

Mec de droite

L’European social survey, dans sa 11e édition, a demandé aux personnes interrogées de se placer sur une échelle Gauche-Droite, et aussi sur une échelle de masculinité et une échelle de féminité…

Il semble qu’à droite le respect des normes de genre soit plus affirmé qu’à gauche.

Un prénom pour la vie (et aussi pour la mort)

Le Fichier des prénoms donne le nombre annuel de bébés ayant reçu tel ou tel prénom. Le Fichier des personnes décédées donne le nom, le prénom, la date de naissance et la date de décès des personnes décédées. Mettons-les en relation et regardons si tout le monde meurt au même rythme.

Mais le Fichier des personnes décédées ne nous donne pas les décès avant 1970. Examinons-donc la génération 1970. Je prends les 14 prénoms masculins et les 14 prénoms féminins les plus donnés cette année-là et, année après année, je compte les morts. Fin 2024, plus de 9% des Franck de 1970 sont déjà décédés. À comparer avec 3,8% des Florence. Les Florence (de 1970) décèdent moins vite : peut-être parce qu’elles sont à la fois femmes et plus souvent d’une origine sociale élevée. Les Franck de 1970, eux, meurent peut-être comme des hommes de classes populaires, plus vite que tout le monde.

Le graphique précédent a été composé en rapprochant deux bases qui, si elles sont toutes deux produites par l’Insee, n’ont pas la même origine. Le Fichier des personnes décédées n’est peut-être pas entièrement exhaustif pour le début des années 1970… Ne tenez donc pas compte de micro-différences, qui sont peut-être le produit d’erreurs.

Le code R ayant servi à produire le graphique est disponible sur github (en version brouillon, à vous de l’adapter).

L’ordinaire

Je suis très heureux de pouvoir annoncer la publication de L’Ordinaire de la sexualité, que j’ai coordonné avec Marion Maudet.
Cet ouvrage de la collection « La Vie des Idées » aux Presses universitaires de France, est composé de cinq chapitres rédigés par Yaëlle Amsellem-Mainguy, Arthur Vuattoux, Céline Béraud, Delphine Chedaleux, Cécile Thomé, Catherine Cavalin, Jaércio da Silva, Pauline Delage et d’un entretien avec Isabelle Clair.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire un extrait de l’introduction sur le site de la Vie des Idées.

À rebours d’une sociologie des pratiques sexuelles qui s’est souvent intéressée à la marge ou à ce qui apparaissait comme extraordinaire, le postulat de cet ouvrage est d’étudier les pratiques à l’aune de l’ordinaire sexuel. L’ordinaire, ce qui est « conforme à l’ordre », « ce qui n’a aucun caractère spécial », en matière de sexualité, ce sont des désirs, des apprentissages, mais aussi des violences, des productions culturelles et médiatiques, des injonctions normatives produites par des institutions.
Car les pratiques sexuelles sont, toujours, sociales.

É. Dubreuil

Élisa Dubreuil est née en janvier 1874 à Iffendic, en Ille et Vilaine. Son père est laboureur. En 1901, la jeune femme aux yeux gris est domestique, et elle épouse François Delalande, né en 1872, cultivateur, 1m61, cheveux bruns et menton ovale. Ils vont habiter à Monterfil, et on les retrouve dans le recensement de 1901 (un petit ménage de deux personnes). En 1906 il accueillent un “enfant assisté”, Georges Roussard né en 1902. En 1911, le recensement indique qu’ils ont deux domestiques, Georges Roussard né en 1902 (l’enfant assisté est devenu domestique, à 9 ans), et Mathilde Orain, née en 1894 à Rennes.

François Delalande, que ses contemporaines jugent idiot, faible d’esprit ou avec « la tête un peu drôle », avait quand même été jugé « propre au service » militaire en 1893. En 1896 il reçoit un certificat de bonne conduite et passe dans l’armée de réserve, puis dans l’armée territoriale. Il est rappelé sous les drapeaux en août 1914, à quarante-deux ans. Il sert jusqu’à octobre 1915, mais dès mars 1915, il est évacué pour « débilité mentale », hospitalisé au Val de Grâce, puis dans divers hôpitaux, pour enfin être réformé en octobre 1915.

Il rentre alors dans son foyer, où, pendant plusieurs mois, Élisa Dubreuil, femme Delalande, a vécu sans lui.

En 1917, Élisa quitte le domicile conjugal en laissant un mot sur la table. Elle avait demandé, depuis un certain temps, à pouvoir porter « le costume masculin ». Les témoignages de l’époque la décrivent comme « grande, solidement bâtie » (elle fait d’ailleurs 1m66, elle est plus grande que son époux), dure à la tâche, contribuant fortement à la prospérité de la ferme. Les voisins disent aussi qu’elle a alors « la figure d’un homme, les bras et la force d’un homme. Entre nous, on en parlait. Mais, puisqu’ils s’entendaient bien tous les deux, François et elle, puisqu’ils vivaient tranquilles et heureux, pourquoi aurions-nous dit quelque chose. C’est leur affaire, à eux tout seuls, pas vrai. »

Au maire du village, pour justifier le droit de porter blouse et paletot, elle avait indiqué être un homme. Face à son refus, il [je vais genrer Élisa au masculin maintenant] avait demandé au docteur de Caze, médecin à Plélan, un examen. De Caze a beau indiquer qu’É. Dubreuil présente « tous les caractères du sexe masculin », le maire refuse : seuls les hommes ont le droit de porter blouse et paletot, et pour devenir homme, il faut un jugement du tribunal civil. Dubreuil demande donc au tribunal civil de Montfort une rectification de son état civil et un changement de prénom : Élie en lieu et place d’Élisa. L’audience a lieu le 20 juillet 1917, au cours de laquelle l’examen médical du docteur de Caze fait preuve : « ses organes sexuels, bien que peu développés, sont cependant complets ». Le 23, É. Dubreuil devient officiellement homme, sans obtenir toutefois le changement de son prénom.

Le mariage est ensuite annulé, sur demande de François Delalande, en raison de ce changement de sexe, par un autre jugement [texte complet du jugement ici].

Mais, devenu homme (et homme célibataire) en pleine guerre, É. Dubreuil est incorporé, dès août 1917, au 41e régiment d’infanterie, sous le prénom d’Élie. Il n’y reste pas longtemps : il est réformé dès le 30 août pour « atrophie testiculaire très prononcée avec ectopie à droite hypospadias avec pénis rudimentaire ».

François Delalande, devenu lui aussi célibataire, se remarie en avril 1918 avec la fille de la voisine, Célestine Salmon : elle a 27 ans, il en a 45, et leur union donne un fils, né dix mois plus tard, en janvier 1919. Il décèdera malheureusement l’année suivante. En 1921, François et Célestine ont un domestique. En 1936, le couple réside seul.

É. Dubreuil lui aussi se remarie, et ce mariage a même lieu deux semaines avant celui de son ex-époux. En avril 1918, il épouse, à Rennes, Adèle Orain, née en 1894 à Rennes. L’acte de mariage, c’est une particularité, souligne le prénom Élisa. Signe, sans doute, du refus de la mairie d’utiliser le prénom Élie sous lequel É. Dubreuil voulait être connu. Mais qui est Adèle, épouse Dubreuil ? Il est très probable que ce soit « Mathilde » Orain, l’ancienne domestique du couple Delalande-Dubreuil : seule une « Orain » naît à Rennes en 1894.

Quelques articles de journaux (ceux qui ont pour origine une dépèche de l’Agence radio), en 1917, invitent à conjoindre Mathilde et Adèle. « Leur bonne a mis au monde un enfant de père inconnu » (vers 1916, il aurait été conçu lors de l’absence de François Delalande) et certains journalistes écrivent qu’É. Dubreuil affirme être le père et vouloir l’annulation de son mariage pour « convoler avec sa bonne, qu’elle avait séduite alors qu’elle était sa patronne ». Ces articles datent de juin ou juillet 1917, avant même le jugement et le remariage. Mais je n’ai pas trouvé trace d’un enfant né, entre 1914 et 1917, de père inconnu et d’une mère nommé Adèle ou Mathilde Orain, dans les villages situés à proximité de Monterfil (ni à Rennes)… cet enfant existe-t-il vraiment ?
[Adèle Orain, née au 56 rue Saint Hélier en 1894 semble être prénommée Marie lors du recensement de 1896]

Je perds ensuite la trace du couple Dubreuil-Orain. Je ne les ai pas retrouvé dans le recensement de 1921. Le registre matricule d’Élie Dubreuil indique, si je lis bien, qu’il est « [.ill.] domestique chez Evain, cultivateur à Breteil », mais si j’ai retrouvé Evain dans les recensements, je n’ai pas trouvé Dubreuil.

Documents :

Presse :

Juin :

Juillet

Août :

Septembre :

Deux articles : féminisme, immigration

Je signale rapidement deux articles publiés récemment :

  1. «Faire référence. L’économie de la citation dans dix revues féministes» est un chapitre, écrit avec Isabelle Clair et Elsa Dorlin, dans leur ouvrage Photo de famille. Penser des vies intellectuelles d’un point de vue féministe. Dans ce travail, nous avons compté les citations faisant référence à 31 autrices et auteurs, dans 2981 articles dans dix revues féministes, principalement françaises (Travail, genre et société, les Cahiers du genre, Clio, etc…). Nous avons suivi les références faites à 26 femmes (avant 2016) et 5 hommes. Notre corpus compte 2705 auteurs et autrices citant (ou pas) les 31 auteurs et autrices suivies. Une chose m’a frappé : les hommes (a priori féministes) écrivant dans des revues explicitement féministes citent plus souvent des auteurs hommes (et donc moins souvent les autrices) que les femmes…
  2. La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations (dans Insee première, n°1910), écrit avec Jérôme Lê et Patrick Simon, s’intéresse à la proportion d’immigrés, de descendants d’immigrés de 2e génération, et de descendants d’immigrés de troisième génération. On suit donc l’immigration sur trois générations. Et on met en évidence les conséquences de la mixité des unions sur plusieurs générations : Parmi les descendants de 3e génération, neuf sur dix n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés, 92% ont au moins un grand-parent né français en France.

Les prénoms des élus

Il y a, en 2022, environ 502 000 élus dans les différents conseils municipaux en France. Le répertoire national des élus est téléchargeable sur data.gouv.fr. Les prénoms les plus fréquents sont Jean, Marie, Philippe, Michel…
Mais ces prénoms sont aussi fréquents dans la population française non élue. Quels sont donc les prénoms qui sont sur-représentés chez les élus ?

Voici le raisonnement que j’ai suivi : j’ai comparé les prénoms des élus avec les prénoms des personnes nées en France, à partir du Fichier des prénoms, de l’Insee. Je vais présenter les résultats sous la forme d’un graphique qui compare la distribution des prénoms dans le Répertoire national des élus avec la distribution du Fichier des prénoms. Voici un graphique explicatif :
 

Vous remarquerez que les échelles sont logarithmiques.

Première comparaison

Je commence par comparer la population des élus et élues avec la population née en France depuis 1900 à partir du Fichier des prénoms. S’il y a 1,2% des naissances qui sont des naissances de bébés prénommés Zygloub et qu’il y a 2,4% de Zygloub parmi les élus, alors Zygloub est 2 fois plus présent chez les élus que ce qui est attendu (2 = 2,4 / 1,2).

Apparemment, il y a “trop” de Didier et de Régis parmi les élus, et “pas assez” de Jeannine, de Mohamed et de Thérèse. Quatre fois moins de Louis qu’attendu, et trois fois plus d’Hervé.
Mais on a tout de suite un problème : la population des élus municipaux compte moins de femmes que la population française, ce qui va se refléter sur la position des prénoms sur ce graphique. Je vais donc faire une deuxième comparaison, en tenant compte de la part des femmes parmi les élu·e·s.

Deuxième comparaison

Cela ne change pas grand chose, mais on voit des prénoms comme Justine ou Marie se rapprocher d’un rapport d’égalité :
 

Et de l’autre côté du graphique, les prénoms masculins sur-représentés apparaissent moins sur-représentés (étant donné que les hommes constituent la majorité des élus).

Troisième comparaison

On peut aller plus loin : les élus municipaux sont principalement des élus de toutes petites communes. Et à Paris, par exemple, il y a peu d’élus municipaux par comparaison avec la population. Quand on compare les prénoms de la population à ceux des élus, on peut le faire sur une base départementale : s’il y a peu de Samira en Corrèze, il y aura sans doute peu d’élues nommées Samira (même si, dans le Nord, il va naitre plus de Samira).

Dans le graphique suivant, je contrôle donc par les naissances départementales :


 
Peu de changements, là aussi. Mais quand même : si les Mohamed étaient quatre fois moins fréquents qu’attendus quand on ne prenait pas en compte les départements, ils ne sont plus que 2,5 fois moins fréquents qu’attendus.

Quatrième comparaison

Il faut donc probablement contrôler par le sexe et le département, comme je le propose ci-dessous :


 
Bof, non ? Ça ne conduit pas à une modification radicale des sur- et sous-représentations. C’est probablement parce que j’ai oublié que les élus n’avaient pas 110 ans, et qu’ils n’avaient pas 10 ans non plus.

Cinquième comparaison

Il faut donc, bien entendu, contrôler par l’année de naissance. Et cela d’autant plus que les prénoms connaissent souvent une période – plutôt courte – pendant laquelle ils sont beaucoup donnés. Si les Jeannine sont peu présentes parmi les élus, c’est parce qu’elles sont en grande partie déjà décédées.

Dans le graphique suivant, je prend donc en compte la distribution par âge de la population des élus.


 
Ah, là il y a du changement. Une bonne partie des prénoms se retrouvent à proximité du rapport d’égalité entre le nombre d’élus et le nombre attendu d’élus. Mais ne peut-on pas aussi prendre en compte le sexe et le département ?

Sixième comparaison

Oh que si : dans le dernier graphique, je montre les résultats d’un calcul prenant en compte l’année de naissance, le sexe et le département d’élection des élu·e·s :

La “boule” centrale s’est encore rétrécie : on prévoie assez bien combien il y a aura de Céline élues si l’on connaît la distribution par âge, sexe et départements de la population des élues. Il reste quelques prénoms que ces variables expliquent mal : Bertrand, Armelle, Bénédicte, Etienne, Benoît, Hugues et Hubert se retrouvent trop souvent parmi les élus. Est-ce un signe que ces prénoms sont attachés à des personnes disposant de ressources sociales plus importantes ? De l’autre côté, on trouve des prénoms symétriques : Tony, Kevin, Sabrina, Nadia, Jonathan, Jessica… que l’on devrait retrouver plus souvent chez les élus.

Et Mohamed et Karim : même en tenant compte de l’âge des élus, de leur département d’élection, de leur sexe… il y a “trop peu” de Mohamed et de Karim parmi les élus municipaux. Pour quelles raisons ? Peut-être l’utilisation d’un autre prénom au quotidien et une candidature sous un autre prénom que le prénom de naissance (comme le firent ou le font Marie-Ségolène “Ségolène” Royal, Marion-Anne “Marine” Le Pen et tant d’autres). Peut-être qu’il faudrait prendre en compte une échelle plus fine que le département ? Ou peut-être qu’on trouverait d’autres raisons si on cherchait un peu.

Notes :

  1. J’ai transformé les prénoms composés : Anne-Marie est Anne, Jean-Philippe est Jean…
  2. J’ai asciifié les prénoms : ils n’ont plus aucun accent ni cédilles
  3. C’est un peu stupide de prendre en compte les naissances départementales pour estimer une proportion attendue, comme si les élus étaient nés là où ils sont élus
  4. Et en plus, avec la fin du département de la Seine en 1968, les codages bizarres de l’Outre-Mer, je ne suis pas certain de ne pas avoir été trop rapide parfois
  5. J’ai sans doute fait des erreurs, mais si vous voulez les corriger, le code est sur github

Le mystère des garçons en avance

L’avance scolaire des garçons m’étonne, depuis quelques temps déjà (voir les épisodes précédents ici ou encore ). J’ai commencé à explorer les données du “Panel 2007” (qui suit des élèves sur plusieurs années), mais ce n’est pas encore assez abouti.
L’avance scolaire des garçons est bizarre car elle n’est pas entièrement liée à leurs performances scolaires : à notes égales, les garçons sautent plus souvent une classe que les filles. Et cela se vérifie quelque soit la série ou filière du bac et quelque soit l’origine sociale des élèves. Cela peut s’illustrer avec les résultats nominatifs au bac, en prenant les prénoms comme des indicateurs (flous) d’origine sociale.
En abscisse : le pourcentage de mention “Très bien”. En ordonnées : le pourcentage d’élèves en avance. Chaque point représente un groupe d’élèves portant un prénom donné plus de 200 fois. La ligne bleue montre la relation (issue d’une régression linéaire) entre la proportion de garçons obtenant la mention Très bien et la proportion de garçons “en avance”. La ligne rouge montre la même chose pour les filles. Quelque soit l’année (non représentée), quelque soit la série, quelque soit l’origine sociale, les garçons, en moyenne, ont plus souvent sauté une classe que les filles qui ont les mêmes performances scolaires.

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Quand on connaît les primes diverses accordées à la précocité, on ne peut s’empêcher de penser que, décidément, les avantages masculins commencent tôt dans la vie.