Dans Le Figaro, du 22 juin 2006, p.5, on peut lire une toute petite interview de Marie Darrieussecq sur ses lectures d’enfant : « Fantômette était un caractère féminin positif, active, mystérieuse, érotique… Oui-Oui, au potentiel érotique moindre, avait un côté “doudou” rassurant. »
Fantômette était donc dotée d’un potentiel érotique. Il fallait poursuivre l’enquête (commencée ici), surtout que la Bibliothèque rose tend à minimiser ce potentiel. Dans le communiqué de presse visant à ouvrir les festivités du cinquantième anniversaire de Fantômette, Darrieussecq, interviewée ne parle plus d’érotisme, mais de féminisme : « “Fantômette” était une héroïne extraordinaire pour la petite fille que j’étais, une féministe avant l’heure, et qui me faisait rêver. » [source].
Dans un esprit proche, les fans adultes de Fantômette considèrent que toute lecture sexualisante des romans de Georges Chaulet est perverse.
L’enquête se poursuivra donc chez d’autres romancières :
Dans Sous réserve de Hélène Frappat (Allia, 2004), Fantômette apparaît comme une tueuse, « dans un roman où la justicière égorge un journaliste dont elle désapprouve les avances ». Ce roman « s’appelait Loi Blanche car son héroïne, Fantômette, avait la passion des couteaux. » Une tueuse donc, mais pas vraiment érotique.
Dans le roman Premier rôle, d’Alice Massat (Denoël, 2008), le potentiel érotique de Fantômette est liée à son loup. Ce roman se conclut par une soirée dans laquelle participants et participantes doivent porter le masque de Fantômette, devenue l’héroïne d’un film : « À l’origine, c’est vrai, c’était pour les enfants, mais ils en ont fait un film policier, avec une héroïne aux pouvoirs spéciaux. Mais sans vous raconter toute l’histoire, on comprend au fur et à mesure qu’elle est carrément branque, victime de troubles de l’identité. »
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Mon hypothèse
Je ferai l’hypothèse que, dans les romans de Georges Chaulet, le “potentiel érotique” de Fantômette est en partie lié aux situations d’entrave, qui reviennent suffisamment souvent pour former un motif narratif. Ces situations d’entrave, nous allons le voir, sont souvent réalisées dans des sous-sols (cuves, caves, grottes, cryptes, cales de bâteau…) ou autour d’armatures plus ou moins métalliques (cages, grilles, chaises…). Les costumes jouent un rôle (celui de Fantômette, mais aussi diverses sortes de combinaisons).
Quelques preuves de ligotage récurrent
En 1961, dans les premières aventures, Les exploits de Fantômette, le ligotage est évoqué rapidement, sur un bateau en train de couler :
[Le colonel] se baissa, empoigna un cordage et ligota Fantômette, toujours évanouie, après lui avoir retiré son poignard qu’il planta sur le pont. Puis il la prit sous son bras, entra dans la cabine et descendit au fond de la cale par un court escalier.
source : Les exploits de Fantômette, 1961, p.158
Deux ans plus tard, dans Fantômette au carnaval, l’auteur multiplie les ligotages. Page 125 « Ce fut soudain, inattendu. Un voile noir lui tomba sur le visage tandis qu’elle se sentait soulevée de terre, puis maintenue solidement. Elle sentit qu’on lui immobilisait bras et jambes pour les attacher. » Fantômette se retrouve « ficelée comme une andouille de Vire » (p.127). Mais aussi p. 150, où Fantômette est de nouveau ligotée, et où elle déclare, étrangement, « Je veux bien qu’on m’attache », tout en évoquant diverses formes de « supplices chinois ». Idem (double ligotage) dans Fantômette contre la Main Jaune (1971), où le personnage évoque encore explicitement un supplice. Attachée à un gouvernail, elle déclare : « Tiens! C’est donc ça qu’on appelle le supplice de la roue ? » (p.69). Ré-attachée une centaine de pages plus loin, elle proteste « Encore ! C’est une manie que vous avez, de ficeler les gens ? » (p.174).
Dans Fantômette et la télévision (1966), Fantômette « était allongée par terre, sur le dos. La corde qui lui immobilisait bras et jambes était passée, par surcroît de précaution, dans un anneau de fer scellé au mur. » (p.138)
Entre 1968 et 1975, les scènes de ligotage font partie des scènes attendues. Dans Fantômette dans le piège (1972) elle est aveuglée par une sorte de sac, ligotée et enserrée dans un pneu (la scène formera la couverture et sera illustrée).
un voile noir s’abat sur ses yeux, en même temps qu’une sorte de cercle tombant du ciel, lui enserre les bras en les immobilisant. Elle tente de ses débattre, mais sent qu’on lui attache les jambes avec une corde.
La panoplie parfaite du petit sadomasochiste
Dans Fantômette contre le Hibou, les méchants portent des costumes à mi-chemin entre ceux du Ku-Klux-Klan, ceux des Grands Inquisiteurs et des bourreaux. Dans Fantômette chez les Corsaires (1973), c’est toute la panoplie du sadomasochiste qui est conviée. Menottes, entraves, caves, cages et fouets… sont combinés à une situation où les personnages féminins capturées par des sortes de pirates sont réduites en esclavage :
« Si vous m’obéissez au doigt et à l’oeil, ça ira. Si vous faites les fortes têtes, il y aura cet accessoire pour vous calmer… »
Du pouce, il désigne le fouet accroché au mur.
(…)
Dominguez décroche une chaîne reliée à deux anneaux. L’ensemble ressemble assez à des menottes. Il se baisse, ouvre les anneaux qui sont en deux parties, les referme sur les chevilles de la grande Ficelle. Puis il sort une clé de sa poche et verrouille les anneaux. Ficelle pousse un cri :
« Mais qu’est-ce qui vous prend ? Vous me mettez des chaînes aux pieds, comme aux esclaves, dans l’ancien temps ? »
Dominguez se met à rire.
« Et que crois-tu donc que tu es ? Une esclave, ma petite, tout bonnement ! »
source : Fantômette chez les Corsaires (1973), pages 80-82
Le thème du cachot revient en force dans Fantômette et le Masque d’Argent (1973), où deux hommes l’entraînent sous terre :
Fantômette ne peut rien voir, mais elle se rend compte que des poignes solides la soulèvent, l’entraînent au long des couloirs du sous-sol. Elle se débat, essaie de se libérer, donne des coups de pied, mais sans résultat. Ses adversaires sont au nombre de deux, lui semble-t-il. Le premier lui a rabattu sa cape sur sa tête, le second lui maintient les jambes. Elle sent qu’on la soulève, qu’on la porte et qu’on la dépose (p.137) sur le sol. Elle entend le claquement de la porte, suivi d’un glissement de verrous. Elle dégage aussitôt sa tête de la cape, regarde autour d’elle. La pièce est une sorte de cachot
source : Fantômette et le Masque d’Argent (1973) p.136
Esclavage, cachot… y aurait-il d’autres réminiscences d’incarcération féminine ? On trouve une aventure intéressante dans Fantômette et le secret du désert (1973), livre dans lequel non seulement Fantômette est attachée en plein désert, sur un roc, “les bras en croix”, par des “liens de cuir” par un chef de tribu arabe, mais aussi enfermée, un moment dans le harem (du même chef ou d’un autre). Dans le harem, elle est rhabillée entièrement, à la mode locale. La scène de ligotage présente une caractéristique intéressante. Fantômette y est une participante volontaire :
« Si tu refuses ce que je t’offre, je te fais attacher à ce pic et je t’abandonne là jusqu’à ce que tes os blanchissent au soleil. »
Fantômette médite un moment en sifflotant entre ses dents, puis elle se lève, sort du gourbi et va tranquillement s’adosser à l’aiguille de pierre.
p.71-72
Ligotage et jeux d’eau
Dans Fantômette et le palais sous la mer (1974), le thème du ligotage est encore associé à celui de la mer. Les trois héroïnes (en combinaison moulante de plongée) sont ligotées… par ceux-là même qui avaient déjà ligotées les mêmes personnages, dans le premier épisode de la série (1961). L’auteur, on le voit, a de la suite dans les idées.
Dans Pas de vacances pour Fantômette (1984), elle est enfermée dans une machine à laver industrielle (une sorte de cage en métal, mais vouée à être mise à l’eau) :
oui je viens d’imaginer un moyen simple et efficace. Nous allons la fourrer dans une des machines à laver et ouvrir le robinet d’eau. Quand la machine sera remplie, notre amie se noiera gentiment…
Pas de vacances pour Fantômette (1984)p.12
Dans Fantômette en plein mystère l’héroïne est non seulement ligotée, mais aussi jetée dans l’eau (et sauvée in extremis par Œil de Lynx).
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Ligotage et humiliation
Que se passe-t-il une fois Fantômette ligotée ? Le plus souvent, les ligoteurs s’en vont. Mais, assez fréquemment quand même, ils cherchent à humilier Fantômette. En lui soufflant de la fumée de cigare sur le visage (Fantômette contre Charlemagne, 1974, p.102), car, dans les années 60 et 70, les méchants fûment pas mal, et même les gentils (la pipe, pour Œil de Lynx le journaliste).
Dans Fantômette contre Charlemagne (1974), une double scène de ligotage (un ligotage simple suivi d’un double ligotage sur une grille en fer) :
La jeune justicière est entraînée jusqu’au premier étage du cinéma, puis soigneusement ficelée à une chaise. Le Furet allume alors un cigare, souffle la fumée au nez de sa prisonnière et fait un petit discours. (…)
source : Fantômette contre Charlemagne (1974), p.102
On peut aussi humilier Fantômette en mangeant ou en dînant face à elle (un thème fréquent). En la menaçant enfin de supplices encore plus vicieux :
« Ah! Tu ne veux pas parler ? Parfait! on va te délier la langue. Ah! on veut jouer au plus fin avec moi… Eh bien, nous allons voir qui aura le dernier mot. Je vais un peu te chatouiller la plante des pieds avec la flamme de cette bougie, et il faudra bien que tu parles! »
source : Fantômette et la télévision (1966), p.159.
Dans Fantômette en danger (1983), le ligotage est associé au monde médical. Fantômette est attachée par des entraves en métal sur une table d’opération et trois médecins la menacent.
Et soudain elle sent ses bras s’immobiliser. On la soulève d’un coup, on la porte sur le fauteuil d’opérations. Des cercles de métal se referment sur ses poignets et sur ses chevilles. La capture n’a pas duré cinq secondes, preuve que les infirmiers ont l’habitude de ce genre de chose.
Est-ce dans les cordes de Fantômette ?
Fantômette ligotée, OK. Fantômette ligoteuse ? Oui, parfois. C’est avant tout quelqu’un qui apprécie un bon ligotage. Fantômette brise la glace (1976) s’ouvre par une scène dans laquelle Fantômette regarde une jeune fille se faire ligoter.
A la lecture, Fantômette ligote peu. Je ne retiendrai ici qu’un seul ligotage, parce qu’il est parfait. C’est le ligotage d’une femme (+1), dans une sorte de cage en métal (un avion, +1), en costume (+1). Il ne manque que le sous-sol…
Conclusions
Dans une interview donnée à Hervé Guibert dans L’Autre journal en 1986, Georges Chaulet déclarait que “dans la Bibliothèque rose on ne peut se permettre ni épouvante, ni sexualité, ni argot. C’est une convention tacite qu’on suit une fois pour toute”. Mais comme on le voit, la sexualité affleure, jamais explicite, dès lors qu’elle est évacuée.
Références
Ont été consultés les Fantômettes suivants
Les exploits de Fantomette, 1961
Fantômette contre le Hibou, 1962
Fantômette au carnaval, 1963
Fantômette contre Fantômette, 1964
Fantômette et l’île de la sorcière, 1964, 1984
Pas de vacances pour Fantômette, 1965, 1984
Fantômette et la télévision, 1966
Fantômette et le brigand, 1968 et 1974
Fantômette et son prince, 1968
Fantômette et la lampe merveilleuse, 1969
Fantômette et le trésor du Pharaon, 1970
Fantômette chez le roi, 1970, 1974
Fantômette à la mer de sable, 1971
Fantômette contre la Main Jaune, 1971
Fantômette et la maison hantée, 1971, 1983
Fantômette dans le piège, 1972
Fantômette viendra ce soir, 1972
Fantômette chez les corsaires, 1973
Fantômette et le secret du désert, 1973
Fantômette et le Masque d’Argent, 1973
Fantômette et la Dent du Diable, 1973
Fantômette contre Charlemagne, 1974
Fantômette et la grosse bête, 1974
Fantômette et le palais sous la mer, 1974
Olé Fantômette, 1975
Fantômette contre Diabola, 1975
Fantômette viendra ce soir
Fantômette brise la glace, 1976
Fantastique Fantômette, 1980
Fantômette en danger, 1983
Fantômette en plein mystère, 1984
Fantômette contre le géant, 1984