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Quelques idées de cadeaux

En 1896 Charles Delbret, dit Claverie, est entendu par un juge, Monsieur Espinas. Claverie, en effet, ne vendait pas que des Bas élastiques pour varices, mais aussi des Appareils spéciaux pour l’usage intime des deux sexes. Et ça, ça pouvait parfois poser quelques petits problèmes, que la justice était chargée de résoudre.
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Et il éditait un catalogue. L’on y trouve quelques idées de cadeaux (pour elle comme pour lui, car, en 1896 déjà, les cadeaux étaient genrés).
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ou encore
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Je comprends qu’il soit difficile, à quelques jours de Noël, de commander par correspondance de tels jouets. Mais le magasin est ouvert ! (Même les dimanches et fêtes, car en 1896, on était socialiste moderne : pas de vacances, pas de congés payés, pas de sécurité sociale…)
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Et n’ayez pas peur, les “clients répondant à un sentiment fort compréhensible désir[a]nt ne pas être vus en rentrant chez nous” ont la possibilité d’utiliser une “entrée particulière”.
Les vitrines du magasin, en effet, suscitaient parfois l’amusement des passants, comme l’indique ce rapport de surveillance policière : « à différentes reprises on a pu constater que des passants s’arrêtaient devant sa porte et se montraient en riant des articles spéciaux en caoutchouc et en baudruche d’un usage trop intime pour être publiquement exhibés. »
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Des articles spéciaux en caoutchouc ? Comme ceux-ci peut-être : des “excitateurs”…
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Décidément, nos arrières-arrières-grands-parents avaient le choix au moment de Noël.
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S’il est compliqué de se déplacer jusqu’en 1896, il est toujours possible, aujourd’hui, de visiter la Maison Claverie, toujours située au 234 Faubourg Saint Martin.
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Source : Archives de Paris, D2U6 110, Delbret. C’est le travail de Maxence Rodemacq (L’industrie de l’obscénité. Commerce pornographique et culture de masse à Paris (1855 – 1930), Univ. Paris 1, dit. Kalifa) qui m’a dirigé vers ce dossier de procédure.

Porno… graphies

Les rythmes académiques de publication sont plutôt lents. Au temps de la recherche il faut ajouter celui de l’écriture, celui de l’évaluation, de la réécriture, de la mise en page, des corrections, de l’insertion dans un numéro de revue… Le tout est plus ou moins rapide. Parfois, plusieurs textes sont publiés au même moment, et c’est ce qui m’est arrivé ce mois-ci, quand trois textes ont finalement vu le jour :

  1. Deep tags: toward a quantitative analysis of online pornography a été publié dans le premier numéro de Porn Studies. C’est un article auquel j’ai participé, avec Antoine Mazières, Mathieu Trachman, Jean-Philippe Cointet et Christophe Prieur.
  2. La notice “Sex-shops” dans le Dictionnaire des sexualités dirigé par Janine Mossuz-Lavau
  3. Police économique : le petit commerce pornographique sous l’œil de la police, 1965-1971 est un petit article paru dans Regards croisés sur l’économie. [j’ai plusieurs “tirés à part électroniques” pour celles et ceux qui souhaitent lire l’article]
  4. Et j’ai mis en ligne sur hal-shs une version préliminaire de Les économies de l’obscénité qui avait été publié en 2012 dans un ouvrage collectif.

Les auteurs prolifiques (et moins intéressés par l’empirie), eux, ont une autre stratégie éditoriale : toujours alterner la réédition en poche d’un ancien livre avec la sortie d’un nouveau livre, pour se trouver, toujours, sur la table d’une librairie. Je n’y suis pas encore.

From tags to niches : big “data porn”

The first issue of Porn Studies has now been published, and it contains the article written with Mazières, Trachman, Cointet and Prieur, “Deep Tags“. In it, we describe a huge dataset of titles and tags. One interesting part is where we try to define what could be a “niche”, as arising from shared tags rather than from a particular or specific desire.
You can find more information about this article and the dataset on sexualitics.org.
Deep tags: toward a quantitative analysis of online pornography (open access)

Sexualitics : une collaboration

sexualitics-logo-150x150Antoine Mazières a mis en ligne Sexualitics, une collaboration pluridisciplinaire autour de “big data” issues de sites vidéo pornographiques. Les données (concernant 2 millions de clips) sont là http://sexualitics.github.io.
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À partir de ces données, Antoine, avec Christophe Prieur, Mathieu Trachman, Jean-Philippe Cointet et moi-même avons proposé un article à la revue Porn studies, le “working paper” est disponible sur HAL.
Une autre exploration de ces données est proposée sur http://porngram.sexualitics.org où des graphiques représentent la proportion de titres comportant tel ou tel mot. La simplicité apparente de l’outil, et la possibilité de passer plusieurs minutes à tester tel ou tel mot, a intéressé plusieurs journalistes :

  1. wired.co.uk : Porngram: a Google Trends for niche sexual interests powered by ‘sexualitics’
  2. the atlantic : SFW: When Big Data Meets Porn
  3. fastCompany : Porn, Big Data, And What We Search For When No One’s Looking
  4. The Economist : “Worth Reading”
  5. L’Express : Porngram: plongée dans les fantasmes des amateurs de porno
  6. Le Tag Parfait [NSFW] : Porngram : le big data du porn

Sexualitics (et la grande majorité des titres et des tags des vidéos) est en anglais, et cela permet sans doute d’être diffusé, dans d’autres langues, par des anglophones. Ci-dessous, un extrait de reprises sur twitter, en allemand, en turc, néerlandais, japonais, suédois (?), espagnol, russe (ou bulgare ?)…
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Les sex-shops à Paris. Quelques chiffres

Comment les sex-shops, à Paris, ont évolué numériquement depuis une douzaine d’années. Est-il possible d’avoir des chiffres comparables ? Oui, car l’APUR (l’Atelier parisien d’urbanisme) réalise, tous les trois ans environ, une étude très poussée sur les quelques 60 000 commerces parisiens, et que les différentes études sont globalement comparables entre elles. Comme nous allons pouvoir le constater, ces magasins sont actuellement en crise :
 
Entre 2000 et 2005 l’évolution avait été changeante : une petite hausse entre 2000 et 2003, une forte baisse entre 2003 et 2005.


source : Banque de données sur le commerce parisien. Résultats du recensement 2005 et évolutions 2000-2003-2005. (APUR, 2005)

Depuis 2005, la tendance est encore à la baisse : -3 % entre 2005 et 2007, -4% entre 2007 et 2011.


source : L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)

Depuis 2003, la baisse cumulée est d’environ 25% (il y en avait près de 130 en 2003, il y en a un peu moins de 100 aujourd’hui).

De manière intéressante, les autorités municipales semblent ne pas s’inquiéter de la disparition d’un petit commerce de quartier, qui avait pourtant l’intérêt d’être ouvert en soirée et d’avoir une clientèle habitant parfois assez loin. Au contraire, il semble qu’une politique d’urbanisme bien réfléchie vienne contribuer au remplacement des sex-shops par d’autres magasins :


source : extrait de L’évolution des commerces à Paris. Inventaire des commerces 2011 et évolutions 2007-2011 (APUR, 2012)
 

Il faudrait signaler, aussi, les restrictions spatiales mises à l’installation de nouveaux sex-shops depuis 2007 (où un amendement à une loi de 1987 est venu étendre à 200m autour des établissements scolaires la zone d’interdiction des sex-shops). Cela pourrait expliquer pourquoi, si des magasins ferment, d’autres ne se créent pas. Mais pour en être certain, il faudrait pouvoir étudier, outre le stock, les flux (ouvertures et fermetures depuis 2000).

Note : Je disais au début que les vagues d’enquête de l’APUR étaient globalement comparables entre elles. Car dans le détail, certains magasins peuvent apparaître à certains enquêteurs comme des magasins de lingerie (CC108) ou des magasins de vidéo (CF405, SA401) et non pas comme des sex-shops (CF502)… De même les séries d’arrondis sur les pourcentages, et l’incertitude à la marge (est-ce 125 ? est-ce 131 ?) ne doivent pas tromper : la tendance est bien à la baisse.

Faut-il toujours camoufler les sex-toys ? Un procès en 2012

Le jugement mis en délibéré, dans une affaire opposant une association catholique à un magasin vendant des sex-toys, sera rendu le 29 février 2012. Je publie donc ces lignes, écrites rapidement, quelques heures avant de savoir ce que la juge Florence Schmidt-Pariset écrira.

En 1987, une loi est votée qui interdit l’installation des sex-shops à moins de 100 mètres des établissements scolaires. En 2007, cette loi est modifiée : la zone interdite passe à 200 mètres et toute une série d’associations peuvent porter plainte contre des magasins vendant des « objets à caractère pornographique ».
Depuis 2007, donc, j’attendais le test judiciaire de cette loi, votée, promulguée, mais sans conséquences jusqu’à maintenant. Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’un test judiciaire aurait, un jour ou l’autre, lieu, étant donné que la “zone interdite” rend quasiment impossible l’installation de ces magasins en centre ville (comme le signale une carte réalisée en 2007).
Pourtant, depuis 2007, plusieurs magasins s’étaient installés qui vendaient, apparemment avec succès, des vibromasseurs, menottes en fourrure et autres godemichets, masturbateurs et boules de geisha. Comment expliquer l’absence de plaintes ? Il me semble que, assez souvent, diverses pressions suffisent à faire disparaitre les “sex-toys” du stock des magasins, ou alors, les plaintes n’accèdent pas à l’espace public, comme dans ce cas d’une boutique installée dans un centre commercial.
 
Mais…
 
Le 14 février 2011 vers 15h10, Robert O*, huissier de justice, pousse la porte du 69, rue Saint-Martin, à Paris, 3e arrondissement. Cet huissier répond à une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris datée du 11 février 2011, ordonnance qui fait suite à une requête déposée par deux associations catholiques.
L’une de ces associations est familière du recours à la justice civile et à un argumentaire séculier pour faire entendre ses revendications morales et religieuses, ayant tenté de faire interdire aux mineurs un festival de rock, le “Hellfest” (ou fête d’enfer).
La date du 14 février 2011 n’a pas été choisie par hasard : il s’agit de la Saint-Valentin, date investie, depuis quelques années, par les vendeurs de petites culottes, de dîners romantiques et de vibromasseurs. Les deux associations (la confédération des associations familiales catholiques et l’association CLER amour et famille) le savent fort bien : l’huissier pourrait, le 14 février, trouver un magasin spécialement décoré pour la Saint-Valentin (mais pas pour Valentin le Saint) et probablement visité par des personnes en mal de cadeaux romantiques, pour lesquelles la sexualité comporte une part “récréative”.

photo prise par l'huissier Robert O*
[Photocopie scannée d’une photographie prise par l’huissier]

 

L’huissier décrit ainsi sa visite :

Je remarque la présence de :
D’objets phalliques Gode Buster family (pour utilisation anale)
D’un livre intitulé sextoys for ever
D’objets phalliques, vibromasseurs, de couleur rose, « rabbit sexy bunny », en exposition singeant un pénis
Des boîtes incluant des objets phalliques « sweet vibe », avec à l’intérieur un dépliant qui doit être visiblement un mode d’emploi
D’objets phalliques « Diamond Vibe » de couleur et taille différentes
De coffrets « Nooki Toys – Jouets pour garçons » avec l’indication « accessoires de plaisir » incluant des objets coniques creux et objets en forme de grosses bagues
Exposition de phallus divers, singeant un pénis
Sur une autre étagère, je constate la présence d’une affiche sous la dénomination Tenga avec notamment les mentions « le must de la masturbation est là maintenant », parmi des appareils coniques portant la mention New Adults Concepts.
(…)
Sur une autre pancarte je lis l’indication « Flip hole le futur de la masturbation » avec en dessous l’indication Tenga à côté d’un objet à trois orifices.
Présence de lingerie féminine.
Sur un présentoir au milieu du magasin se trouvent divers objets forme phallique certains à double extrémité, plus ou moins incurvés, de différentes couleur et souvent roses.
Je remarque encore des boîtes plastifiées à l’enseigne Fun Factory avec nombreux appareils de forme phallique type vibromasseur légèrement incurvés, à extrémité en forme de gland, avec la marque G2 Vibes, ou encore d’autres boîtes plastifiées avec la mention (…)
(…)
Petites boîtes avec des menottes, avec l’indication « menottes, attache moi »
Sur un autre présentoir, je note la présence de menottes, de phallus divers.
Sur une autre étagère, sur une pancarte à l’effigie de la marque 1969, avec l’indication « Pour la Saint Valentin découvrez les produits Love to Love toys et cosmétiques 1969 » et au droit de laquelle se trouvent divers produits « gel excitant » « crème après fessée »
En partie droite, sur un présentoir en verre, je remarque encore des objets à forme phallique, des anneaux en plastique (…)

Je termine mes constatations vers 16h10 à l’intérieur du local en avisant Mme G* de mon intention de prendre des photos de la vitrine extérieure. En ressortant, je constate que le phallus de couleur rose visible par la vitrine de droite, par le troisième cœur, vu précédemment au début de mes constatations, a disparu »

Source : Robert O*, Procès verbal de constat, 14 février 2011, 6p.

Ce conflit ne devient pas public avant avril 2011, par le biais de divers articles (dont une dépêche AFP).
Fin juin 2011, une première audience fixe la date du procès. C’est la 10e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, et non pas la 17e chambre (qui s’occupe, habituellement, des délits en lien avec la presse), qui se retrouve en charge de cette affaire.

Toute la question, dans cette affaire, est celle de l’extension de la définition de la pornographie. Car le magasin est s’est bien installé, et ce après 2007, à moins de 200 mètres d’une école. Le conflit ne porte pas sur la notion d'”installation” ni sur la manière de mesurer la distance entre le magasin et l’école.

Mais la défense du magasin attaqué va soulever aussi d’autres points dans ses “Conclusions au fond” (le mémoire écrit déposé avant l’audience).

– L’absence de photographie des objets :
Depuis un arrêt de la Cour de cassation en 1970, les condamnations pour outrage aux bonnes mœurs notamment devaient décrire en quoi les images “étaient contraires aux bonnes mœurs”. La photographie des lieux et des objets (on le voit assez bien dans les “dossiers de procédure” conservés aux Archives de Paris) devient alors, dans le travail policier, une obligation.
Or dans le cas présent, l’huissier n’a pas fourni de photographie des objets, il a limité son constat à des descriptions rapides (“phallique”, “conique”…) et à la citation des notices.

En d’autres termes, écrit l’avocat de 1969, il ne pourrait être procédé à une condamnation globale d’objets — dont on ne sait d’ailleurs pas lesquels sont précisément visés par la poursuite — sans que ceux-ci soient précisément individualisés et qu’il soit statué sur chacun, après description de ce qui constituerait leur caractère pornographique.
Source : Richard M*, “Conclusions au fond”, janvier 2012

Suffit-il de décrire comme phallique des objets sachant bien qu’il est possible, depuis Freud, de voir du phallus partout ?

– L’insécurité juridique et la “prévisibilité de la norme”
La loi de 1987, dans sa version de 2007, crée une forme d’insécurité juridique. Insécurité urbanistique tout d’abord, car il est assez complexe de savoir ce qui relève de l’établissement d’enseignement (qui possèdent souvent des annexes sportives, des cantines…) ni à quelle distance précise le magasin se trouve. Dans le doute, abstiens-toi, conseillent certains avocats à ceux qui veulent ouvrir un magasin vendant des sex-toys. Cette insécurité ne peut pas ne pas avoir été recherchée par les députés ayant proposé cet amendement (fruit de plus de vingt ans de réflexions) : il s’agit de rendre compliquée l’ouverture de magasins vus comme nuisibles en centre ville.

Insécurité liée à la définition de la pornographie ensuite, et nous allons nous centrer sur ce point.

Jusqu’en 2007, la chose était plus simple (notamment grâce à deux décisions de justice en 2002). Les magasins visés par l’interdiction d’installation étaient les magasins dont l’activité “principale” était la vente de “publications interdites aux mineurs”. Ces publications, soit se présentent comme “interdites aux mineurs” (par exemple sur la jacquette ou la couverture), soit l’ont été, interdites aux mineurs à la suite du dispositif mis en place après la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (commissions de contrôle…). Il fallait de plus, avant 2007, que l’activité soit “principale” — pour que les vendeurs de journaux échappent à l’interdiction. Les députés avaient d’abord pensé à modifier d’une autre manière la définition : la première version de l’amendement parlait des “objets interdits aux mineurs”, mais les vendeurs d’alcool et de tabac ont vite protesté et ont imposé — en quelques heures — une modification de l’amendement. Leur syndicat professionnel est vif à la détente [l’absence de syndicat dans le cas des magasins de sex-toys n’aide pas…]. La version définitive de l’amendement mentionne donc les “objets à caractère pornographique”, et l’activité n’a plus besoin d’être “principale”.

Mais qu’est-ce que le “caractère pornographique” d’objets ? Si une jurisprudence existe concernant les représentations pornographiques, la justice ne s’est que peu penchée sur les vibromasseurs, les sex-toys, les boules de geisha, les masturbateurs, etc… et ces objets ne se présentent pas comme interdits aux mineurs (rien n’indique, sur un paquet de vibromasseur, qu’il est interdit aux mineurs).
La jurisprudence “godemiché” est très maigre et remonte au début des années 1970. C’est une jurisprudence problématique voire désuète aujourd’hui : le contexte était celui de l’outrage aux bonnes mœurs, notion juridique qui n’existe plus en 2012.
Une affaire semble plus proche que les autres néanmoins. Il s’agit de l’affaire “Top Life”, qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (résumé dans la Gazette du Palais, GP.1974.I.somm.114). Le texte complet de l’arrêt est maintenant disponible aux Archives de Paris.

Le point de départ est une condamnation pour “outrage aux bonnes mœurs” par la 17e chambre. Un groupe de personnes avait été arrêté pour avoir vendu une « bague en caoutchouc rose destinée à enserrer le pénis en état d’érection, (…) bague elle-même surmontée d’une “protubérance” de même matière se présentant sous l’aspect d’une grosse fraise granuleuse destinée à frotter le sexe féminin lors des rapports sexuels ». Etait également vendu une « autre version comprenant un vibrateur électrique incorporé dans la protubérance, relié par un fil à un petit boitier comportant une pile électrique et un rhéostat [permettant] de faire varier l’intensité dela vibration ».

La condamnation, en première instance, est justifiée à la fois en raison de l’usage ou la forme de l’objet, mais aussi sur la base de la notice [bilingue, en anglais et en allemand] qui l’accompagne.

AdP cote 2344W 27 – Tribunal correctionnel 31 janvier 1973 – 17e chambre
Attendu que l’emballage de l’appareil comporte une notice bilingue de mode d’emploi, que l’appareil ‘TOP LIFE’ destiné à accroitre le plaisir durant l’amour pour les deux partenaires est présenté comme excitant pour l’homme durant le rapport, que le coussin en caoutchouc (ou la protubérance) transmet le mouvement de l’homme fidèlement au clitoris et aux zones érogènes aidant la femme à atteindre l’orgasme, que la bague élastique du ‘TOP LIFE’ provoque un effet positif pour l’érection du membre masculin
(…) ces articles par leur forme particulière, par l’usage auquel ils étaient destinés, et qu’explicitait sans fard la notice bilingue d’emploi, sont manifestement destinés à favoriser l’esprit de débauche ou à éveiller dans l’imagination du public des idées malsaines ou dépravées

Pour la 17e chambre du Tribunal, en 1973, ce “Top Life” a une “forme particulière” et un usage explicité par la notice. Ce sont donc des objets outrageant les bonnes mœurs.
Mais la Cour d’Appel en jugera autrement.

AdP cote 2302W 25 – Cour d’appel de Paris, 11e chambre, 13 novembre 1973
Considérant qu’il apparaît dès lors que tout en se situant à la limite de ce que tolère la morale commune contemporaine, les indication (sic) fournies sur la fonction de l’objet incriminé comme le comportement suggéré par son emploi n’excèdent pas cette limite et ne sauraient suffir à constituer une cause de désordre pour la Société ; que cet objet ne présentant enfin dans son apparence aucun caractère outrageant pour les bonnes mœurs, il échet de constater que le délit relevé par la prévention n’est pas légalement établi.

Favoriser l’excitation et l’érection de l’homme ainsi que l’orgasme de la femme (et l’écrire) ne suffit plus à constituer l’outrage. Parce que cet arrêt a été résumé dans la Gazette du Palais, il n’est pas tombé dans l’oubli. Mais il est quasiment le seul dans son genre, et de plus le résumé de la Gazette ne permet pas aux juristes de prendre connaissance de l’entièreté de ce qu’écrivit la Cour d’appel. Et les juges, après 1973, cesseront de se pencher sur la qualification et la caractérisation des divers gadgets que l’on trouve alors dans le catalogue La Redoute, des magasins de farce et attrape, les arrières-boutiques de certains magasins de lingerie ou des sex-shops. Et cet arrêt date maintenant d’une petite quarantaine d’années. Et l’outrage aux bonnes moeurs n’existe plus. Autant d’éléments, donc, qui rendent moins important cet arrêt de 1973.

Mais l’objet qui ne constituait pas un outrage aux bonnes moeurs en 1973 peut-il devenir “pornographique” en 2012 ? Comment les avocats des deux associations catholiques vont-ils développer leur argumentation ?

Un “sex toy” est-il pornographique ?
pour les sénateurs, oui, cela ne semble faire aucun doute : lors de l’examen en commission de l’amendement modifiant la loi de 1987, ils mentionnent explicitement le lien entre “sex-toys” et “objets à caractère pornographique”. Cet élément indique quelle était l’intention de l’amendement : les débats parlementaires et les rapports des commissions du Sénat ou de l’Assemblée sont parfois pris en compte par les juges.

– pour les promoteurs des “love store”, non : tout leur travail a consisté à séparer les sex-toys de la pornographie, en ne proposant aucune représentation pornographique (au sens de représentation interdite aux mineurs)

– pour l’huissier la chose n’est pas très claire. On peut remarquer qu’il semble indécis concernant les objets, qu’il va qualifier de “phallique” ou même de “phallus” sans décrire ce qui le conduit à qualifier telle chose de “phallique”, telle autre de “conique”. Il va surtout s’appuyer sur les textes décrivant les usages possibles.

– pour l’avocat de CLER/CNAFC : la stratégie va consister à insister sur certains objets, décrits par le “gland” ou à partir de leur fonction de masturbation masculine, comme on peut le constater dans cet extrait de leurs “Conclusions au fond”

il apparaît aux parties civiles que, dans le contexte du magasin décrit par Me O*,

  • un objet simulateur de fellation (nommé deep throat c’est à dire gorge profonde) ou masturbateur, dont l’essence même est de se substituer à un partenaire en vue d’une jouissance solitaire…
  • …et dont la description explicite comment “le gland rencontre et repousse une surface en silicone qui vient l’enserrer jusqu’à l’excitation” et “deux moteurs extrêmement puissants vibrent par pulsation sous le gland et l’excitent jusqu’à son apogée”…
  • … “prive les rites de l’amour de leur contexte sentimental” et décrit “des mécanismes physiologiques”.
    Source : Henri de B*, “Conclusions au fond”, 2012

    Le recours à la citation des notices est nécessaire, les appareils masturbateurs pour hommes se présentant sous une forme de bouteille, comme le montre l’illustration ci-dessous :

    Mais avoir recours aux notices a pour effet de souligner, en creux, combien certains de ces objets, sans notice, sont anodins (leur destination n’apparaissant pas clairement). On remarquera enfin que l’accent est mis, en 2012, sur la masturbation masculine comme repoussoir. La description de la masturbation masculine, en des termes explicites, rompt le contrat de camouflage qui règle encore les descriptions de la masturbation féminine, présentée comme une forme de “massage”, et qui était souligné dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de 1973 précité (“les explications qui sont fournies par la notice bilingue sur son mode d’utilisation et sur sa fonction ne contiennent aucune description de l’accouplement pratiqué dans ces conditions ni aucune recommandation (sic) spéciale relative à l’accomplissement de l’acte sexuel lui-même“).

    C’est peut-être bien la rupture du contrat de camouflage qui fait de cette affaire quelque chose qui intéresse le sociologue.

    * * *
    Dans cette affaire, mon rôle n’a pas été simplement celui d’un observateur. Les divers documents rédigés par les avocats (ceux du CLER/CNAFC comme ceux de 1969) citent mes travaux (ce blog, mais aussi mon livre). Je n’ai aucun intérêt, ni dans une cause, ni dans l’autre. Quelle que soit la décision que prendra la juge présidant ce procès, Florence Schmidt-Pariset, mon bonheur sera complet : les sex-toys auront un début de jurisprudence.
    Et puisque j’en suis à parler de moi, je signale la publication prochaine de Les objets ont-ils un genre ? (dir. Anstett-Gessat et Gélard) dans lequel se trouve un chapitre sur les circuits de vente et fabrication du godemiché, dans les années soixante.

    Le Parisien dentelé : un objet obscène vers 1890

    Maxence Rodemacq est l’auteur d’un mémoire de master d’histoire intitulé L’industrie de l’obscénité. Commerce pornographique et culture de masse à Paris (1855 – 1930), réalisé sous la direction de Dominique Kalifa en 2010. Son travail s’inscrit dans une série de travaux récents en histoire de la sexualité. Pour dire bref, il se concentre sur le marché de la pornographie alors que les études un peu plus anciennes, celles d’Alain Corbin ou celle d’Annie Stora-Lamarre s’intéressaient aux formes culturelles ou s’intéressaient à la pornographie « dans le cadre de la censure politique ou encore celui de la “morale anticléricale” ». Mais à la fin du XIXe siècle, la pornographie se détache de tout discours politique pour viser autre chose.
    A partir de sources policières et judiciaires, combinées à des textes publiés (notamment dans la presse de l’époque), Rodemacq donne à voir comment le marché s’organisait avant 1930. Les sources policières posent des problèmes bien analysés : pour les policiers aussi, l’outrage aux bonnes moeurs est un délit commercial, et ils s’intéressent plus aux vendeurs qu’aux clients. Le client intéressant, c’est « l’ “acheteur” qui achète pour revendre ensuite – par exemple le “commis acheteur” ». Les autres n’apportent pas grand chose au dossier policier.
    Mais les sources policières ont de réels intérêts pour la recherche : elles conservent des documents qui ont disparu et qui donnent une idée de l’étendue de ce qui est alors considéré comme “obscène”. Des publicités et des catalogues notamment, qui donnent une idée des prix au détail. Une entreprise de “caoutchouc dilaté”, la Maison A. Claverie, propose ainsi, à la fin du XIXe siècle, divers préservatifs :

    Le “Parisien” peut “servir plusieurs fois” : il “est en caoutchouc dilaté de qualité tout à fait supérieure [et] possède à son extrémité une petite poche ou ampoule qui sert à recevoir la semence de l’homme. Ce qui fait que le visiteur n’est pas gêné dans son fonctionnement au moment psychologique. On s’en sert comem du préservatif ordinaire, en le déroulant sur le visiteur“.
    Le “Parisien dentelé […] a en plus un anneau dentelé soudé au bas de l’ampoule. De sorte qu’en étant très commode pour l’homme, il procure un plus grand plaisir à la femme”.
    Le caoutchouc est devenu la matière centrale de l’obscénité par “objets” : il permet aussi la fabrication de godemichés (il suffit d’un moule, permettant la fabrication en série). Ces derniers deviennent, à un moment précis de l’histoire, des objets nécessaires aux mises en scènes photographiques : aux débuts de la photographie, le temps de pause est trop long pour que les modèles hommes puissent conserver leur érection.

    Le mémoire de Maxence Rodemacq est consultable au Centre d’histoire du XIXe siècle à l’université Paris I.

    La variété des productions culturelles

    Deux fois par semaine, je fais le tour du quartier Château Rouge, juste au Nord de Barbès, pour y recueillir les affiches des églises évangéliques et pentecôtistes “noires” ou “africaines”. L’affichage sauvage est répandu dans quelques rues, autour de la station de métro. Les afficheurs se livrent à une concurrence permanente pour l’espace des murs aveugles et des barrières de chantier (d’autres gestionnaires d’espace s’y opposent). On voit, sur la photo ci-contre, un “Messager de Dieu” dire “Sans toi, je ne suis rien” mais aussi une affiche politique “Kabila dégage”, ainsi qu’une comédie, “Le string qui tue“.
    Mais aujourd’hui, j’ai aussi trouvé l’indice d’une production culturelle moins légitime :
    Il s’agit de publicité pour un film pornographique qui propose des scènes “dans des arbres”, et qui n’a rien à envier aux couvertures de “Hot Vidéo” qui parsèment les vitrines des vendeurs de journaux. Le messager de Dieu aura fort à faire pour lutter contre le messager de la luxure.
    Je ne connais pas de travaux ethnographiques portant sur la pornographie “africaine” (ses marchés, ses modes de diffusion, ses formes de “captation” de ce que les vidéastes pensent être les fantasmes rentables…). Il semble cependant, d’après divers indices, que certaines formes de régulation par les “bonnes moeurs” ne fonctionnent plus très bien. J’avais été en contact avec des personnes cherchant à ouvrir des sex-shops en Afrique. Dans un site consacré au Cameroun, on peut lire qu’après une descente de police, les DVD reviennent à Youndé… Et, récemment, dans les Inrockuptibles un petit article donnaient quelques informations.
    Sur l’affiche de Château-Rouge, aucun lieu de vente précis n’est indiqué. Juste “Château Rouge” : les petits revendeurs à la sauvette, qui proposent, sur des étals en carton, de fausses montres, des légumes exotiques ou des DVD, doivent parfois proposer ce genre de DVD.
     

    Trois choses sans rapport entre elles

    Où l’on parlera de camouflage d’objets porno, de décryptage sociologique et d’ethnographie universitaire.

    • 1- Voici un exemple de camouflage relevé dans Une année d’amour de Louis Doucet (1969, éditions Eric Losfeld). En 1968, un disque de chants guerriers à 45 tours pouvait devenir autre chose à 33 tours :

      langoureux-disque

      Ces disques pornographiques existaient réellement. Dans le très oubliable magazine Couple 2000 (1974, n°11) l’on peut en effet lire :

      Les secrets de votre chambre d’amour
      (p.7) Le dernier élément indispensable de votre chambre d’amour doit être une armoire ou une commode fermant à clé. Vous y rangerez soigneusement, à l’abri de toute curiosité des enfants ou de la femme de ménage, vos gadgets amoureux :
      – un vibromasseur, très utile pour la recherche mutuelle des zones érogènes. (On en trouve en pharmacie)
      – différents anneaux, à pointes caoutchoutées, à cils de vison… que l’on trouve dans les sex-shops (ventes discrètes sur catalogue pour les timides ou les éloignés). (p.8) Ces anneaux se placent autour du pénis et procurent à la femme des sensations nouvelles (au moins à essayer).
      – des parfums aphrodisiaques tels les batonnets d’encens.
      – vaseline et cold-cream indispensables pour la pénétration anale.
      – quelques photos et disques pornographiques qui peuvent aider à renouveler ou varier les plaisirs. (…)

    • 2- Sans transition, via Denis Colombi : Panda Sociologue sur http://52articles.wordpress.com/ se propose de lire, en détail, un article de sociologie par semaine, et d’en expliciter les tenants et les aboutissants.
      L’une des choses que j’ai mis longtemps à comprendre, c’est que les sociologues n’écrivent pas des histoires : leurs textes s’inscrivent dans des débats scientifiques et sont à comprendre comme des arguments dans ces débats. (Pour les sociologues, la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle n’était pas ceci.) L’ennui, c’est que, le plus souvent, ces débats ne sont pas suffisamment explicités. L’allusion l’emporte, et comprendre un article nécessite alors toute une culture sociologique…
      Le Panda Sociologue apporte un décryptage, et plus encore…
      [Par ailleurs : j’en recherche d’autres, des blogs de sociologues…]
    • 3- Eli Thorkelson est un socioanthropologue américain… sur decasia.org il livre ses réflexions sur l’université française. Ici une comparaison entre P4 et P8.
    • 4- En bonus : What is Alsace ? sur Understanding Society.

    Les calendriers érotiques

    En travaillant sur l’histoire des sex-shops, je me suis peu intéressé aux usages quotidiens de la pornographie, et j’ai confiné cette dernière dans un espace spécifique. Les images de femmes nues sont pourtant présentes ailleurs : sur des calendriers exposés au travail notamment.

    Les “pin up” accompagnaient les soldats américains au milieu du XXe siècle. Les cabines des camions étaient parfois ornées de calendriers osés, jusqu’à des changements d’organisation du travail (ref 1).
    Les sociologues du monde du travail ouvrier ont aussi rencontré ces images pornographiques. Anne Monjaret principalement, dont j’explore ici les articles. Beaud et Pialoux aussi, qui mentionnent, en passant, dans Retour sur la condition ouvrière (ref 2) la personnalisation des boîtes à outils [ils citent un ouvrage de Durand, Grains de sable…]

    …on la personnalise, on la décore, on la transforme (…) Pas assez de place pour coller une femme entière. Bouts de seins et gras de fesses se juxtaposent habilement.

    De manière anecdotique, j’avais trouvé dans des archives judiciaire la trace d’un ouvrier de Renault Billancourt qui faisait un petit traffic d’images pornos. Et Robert Linhart, dans L’Etabli signale un traffic similaire : des camionneurs qui apportent à Citroën des pièces de machines font aussi entrer dans l’usine d’autres objets (dont une revue qui propose une fellation en couverture) (ref 3). Une fois dans l’usine, ces photos et ces images continuent à circuler.

    En cherchant bien, l’on trouve enfin sur internet des photos d’ateliers, dans lesquels les pots de peinture disputent l’espace aux calendriers pornos :

    Ludo-ludovic sur flickr propose la visite d’un atelier :


    Sur la photo ci-dessus, l’on voit que certaines images sont préférées à d’autres, et que les calendriers, même périmés, ne sont pas jetés : de l’autocollant permet d’avoir sous les yeux les photos souhaitées… et peut-être de les dissimuler en cas de visite impromptue.

    (voir aussi : dans une usine à l’abandon, dans une usine abandonnée, un entrepot abandonné et encore un entrepôt abandonné et encore un entrepôt, et enfin : [1], [2], [3]…)

    Comme on peut le voir dans certaines des photos, ces calendriers sont proposés par des fournisseurs. Ils savent que le calendrier sera affiché si les images sont érotiques.

    Ces illustrations sont perpétuellement en vogue. Ainsi en mars 2002, lors d’une visite, le responsable des garages d’un établissement public explique que les fournisseurs cherchent qu’elles soient conservées. «Il y a les calendriers “pratiques” en carton ou ceux avec des femmes dessus. Personne ne réclame les premiers alors que les autres sont demandés. Les fournisseurs le savent, il ne faut pas gaspiller.» (ref 4)

    calendrier-catalogueMais sortons un moment du monde ouvrier.
    Parmi les grands distributeurs de calendriers, l’on trouve la Poste, ou plutôt les facteurs. En décembre, ils passent diffuser “Le Calendrier du Facteur”. Dans un article (ref 5) Marie Cartier précise

    L’activité des calendriers s’étend sur toute l’année. Les calendriers sont produits par quatre entreprises. Les épreuves sont soumises au contrôle de la Poste en février. Des catalogues présentant les collections de calendriers et dotés d’un bon de commande sont envoyés chaque année en mars dans les bureaux de poste. Après avoir choisi les calendriers sur catalogue, les facteurs envoient leurs commandes aux fournisseurs. Ils reçoivent les calendriers dans les bureaux durant l’été.

    Si La Poste contrôle et valide ce qui est proposé dans les catalogues, il y a peu de risque que l’on se trouve face à une femme nue.
    calendrier-chaton Les calendriers les plus connus représentent de petits chatons, des chevaux, des paysages… Des chasseurs pour les régions rurales, des châteaux historiques pour les autres…
    Mais les fournisseurs de calendriers organisent aussi, en parallèle, un petit traffic. Les facteurs ont la possibilité de commander, par un bon “rose” spécial, des calendriers “SPECIAUX NUS X”, “NUS HARD” ou “NUS SOFT”.
    Ces calendriers, est-il précisé, « ne peuvent être commandés qu’à titre personnel (…) Vous ne devez en aucun cas les présenter aux usagers. Seuls les Almanachs du facteur peuvent être distribués dans le public. »
    facteur-calendrier-hard
    Commandés “uniquement à titre personnel“, certes, mais il y a la possibilité d’en commander plusieurs exemplaires, et la commande est faite avec celle de l’Almanach. J’aimerai bien savoir ce que ces calendriers deviennent. Face à quelqu’un qui ne veut pas de petit chat ou de cascade, de cheval ou de scène bucolique, mais qui demande “Vous n’avez pas un peu plus… osé ?”… les facteurs ne sont-ils pas tentés de proposer “autre chose” ? Cela m’étonnerait.
    Aujourd’hui, la commande se fait en ligne, chez Oberthur comme chez Oller. Ces entreprises proposent-elles toujours ces calendriers parallèles ?
    [Note : si oui, je suis preneur de copies d’écran !]

    *

    Cette excursion vers la Poste et ses facteurs n’était pas qu’une digression. Celles et ceux qui ont rencontré les calendriers érotiques dans le monde ouvrier signalent leur disparition : les camions perdent leurs femmes nues (ref 1), les ateliers sont expurgés des posters “osés”. Anne Monjaret (ref 7) l’a observé de près : les restructurations, l’arrivée des femmes ou de générations plus jeunes, des modes de management nouvelles ôtent tout sens aux posters de nus :

    Après le déménagement (…), les équipes qui ont suivi le mouvement ont dû fusionner, les « anciens » ont dû se confronter à la venue de « jeunes » formés autrement qu’eux. Les ateliers ne ressemblent plus à des ateliers, les établis sont devenus des bureaux. La construction d’un espace viril et plus encore corporatiste n’a, semble-t-il, pour le moment, plus lieu d’être. Quand le corporatisme n’a plus de sens, les signes référents sont abandonnés, les images de nus en faisaient partie. Elles se retrouvent parfois discrètement sur l’écran de veille de l’ordinateur. Certains « anciens » se retranchent dans cette pratique d’affichage, mais ils se savent isolés. Des « jeunes » se sont, eux, amusés brièvement avec ces images.

    Les usages de la pornographie sortent du monde du travail et se privatisent : sous cette hypothèse, les calendriers “SPECIAUX NUS X” des facteurs sont sans doute destinés à des usages privés.

    Il existe donc (ou du moins il existait), j’ai essayé d’en montrer des exemples, une circulation publique d’images de femmes nues, circulation connue (prise en compte par les fournisseurs d’outillage industriel, repérée par les sociologues) mais que je n’avais pas vraiment pris en compte dans ma réflexion (centrée sur le caractère privé de la consommation). Je suis fort heureux, donc, d’avoir pu lire récemment les articles d’Anne Monjaret.

    *

    Je suis preneur d’autres références (anglophones ?) et d’autres photos (plus anciennes par exemple)… Des anecdotes aussi m’intéressent.

    Références
    ref 1 : Bruno Lefevre, “La ritualisation des comportements routiers”, Ethnologie française, 1996-2,
    ref 2 : Beaud & Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999
    ref 3 : Robert Linhart, L’Etabli cité par Anne Monjaret “Posters de nus dans les espaces masculins” in Charif et Le Pape, Anthropologie historique du corps, Paris, L’Harmattan, 2006
    ref 4 : Anne Monjaret, “les calendriers illustrés de nus féminins dnas les espaces de travail masculins”, in Tamarozzi et Porporato, Oggetti e immagini, Omega Edizioni, 2006.
    ref 5 : Marie Cartier “le calendrier du facteur, Les significations sociales d’un échange anodin“, Genèse, 2000-4, n°41
    ref 7 : Anne Monjaret, “Images érotiques dans les ateliers masculins hospitaliers : virilité et/ou corporatisme en crise“, Mouvements, 2004 n°31