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Portrait des recrutements universitaires

On trouve sur la partie Bilans et statistiques du Ministère de l’enseignement supérieur, un rapport qui vient d’être publié sur la Campagne de recrutement et d’affectation des maîtres de conférences et des professeurs des universités. Session 2012 [pdf]

Ce rapport, fort détaillé, nous donne toute une série d’indications sur l’état actuel des recrutements :

  1. 3062 postes ouverts en 2012 contre 3303 en 2011. Il y avait eu 3509 postes ouverts au recrutement en 2006. 2746 postes ont été pourvus.
  2. La féminisation du corps des PR se ralentit 28,61 % des lauréats sont des femmes (33,7 % en 2011) [les femmes représentaient 30% des qualifications PR de 2012), mais ce n’est peut-être que temporaire ? En maths (section 25) seule une femme PR a été recrutée (il y avait 25 postes)
  3. En 2012, 215 postes ont été publiés dans le cadre des recrutements au « fil de l’eau ». En 2010 : 513 et en 2011 : 511. Est-ce parce que le “fil de l’eau” est finalement complexe à mettre en oeuvre, ou parce que cela permet des économies ? (le poste étant “gelé” au moins six mois)
  4. 12% des postes sont pourvus par mutation
  5. ces mutations permettent de dessiner quelques unes des trajectoires de mobilité géographique des enseignants-chercheurs (pages 19-21) [voir ici pour les mouvements de 2011]
  6. L’âge moyen est très distinctif : l’âge moyen au premier poste de PR est d’environ 44 ans. En sociologie, il est de 47 ans. En mathématiques, de 40 ans. Des différences aussi fortes existent concernant l’âge au premier recrutement des maîtres de conférences : la moyenne est à 33 ans et demi. 35 ans en sociologie, 30 ans en mathématiques. Les mathématiciens, ainsi, non seulement entrent plus jeunes dans la carrière, mais ils deviennent PR plus rapidement (10 ans en moyenne, contre plus de 12 ans ailleurs)… Les sciences de l’éducation recrutent des MCF qui ont l’âge des mathématiciens devenus professeurs.
    Mais l’âge moyen ne dit pas tout. Voici un graphique qui compare les politiques de recrutement PR de différents groupes de disciplines.
    attente-mcf-pr
    Une autre représentation graphique est plus simple :
    cumul-attente-mcf-pr

  7. toujours concernant l’âge : les auteurs du rapport signalent le ralentissement des carrières : “il y a depuis six ou sept ans un accroissement de l’ancienneté des MCF recrutés PR”
  8. âge encore : les femmes sont recrutées maîtresses de conférences en moyenne à 34 ans, les hommes à 32 ans.
  9. pour les maîtres de conférences : 46% des recrutés de 2012 ont été qualifiés en 2012, 25% des recrutés de 2012 sont des qualifiés de 2011…

Sources : DGRH-A1 (ministère de l’enseignement supérieur), 2013,Campagne de recrutement et d’affectation des maîtres de conférences et des professeurs des universités. Session 2012 [pdf] (mis en ligne en juin 2013)

Mobilité des enseignants-chercheurs

L’on trouve, dans les bilans statistiques publiés par la DGRH-A du ministère de l’enseignement supérieur, des informations intéressantes sur la mobilité des enseignants-chercheurs.
Pour 2011, par exemple, il est possible de voir de quelle académie et vers quelle académie ont eu lieu les mutations. Les mutations ne sont pas des changements de corps (MCF–>PR), mais des mouvements entre deux universités, mais dans le même corps. Les mutations ne sont effectives que si un département (par la voix d’un comité de sélection) accepte la candidature : il ne s’agit donc pas, à la différence des mutations dans le Secondaire, de mutations à l’ancienneté.
Le graphe suivant synthétise ces mutations. Je n’ai gardé que les mutations d’académie à académie qui apparaissaient plus d’une fois. Il faudrait cumuler les mutations sur plusieurs années pour obtenir des données plus solides. Mais on remarque déjà une ébauche de mouvements intra-région (entre Rennes et Nantes, entre Montpellier et Aix-Marseille, ou entre Lyon et Aix).
mobilite-2012
On remarque surtout l’attraction de Paris : les mouvements se font, visiblement et de manière importante, vers Paris.
Si l’on fait la somme des soldes migratoires, sur plusieurs années (2004-2011), alors on voit apparaître des académies plus recherchées que d’autres.

solde Académie
-134 Lille
-61 Nantes
-55 Nancy-Metz
-53 Rouen
-50 Rennes
-47 Amiens
-45 Orléans-Tours
-37 Reims
-36 Besançon
-29 Clermont-Ferrand
-27 Poitiers
-25 Caen
-21 Dijon
-19 Antilles-Guyane
-19 Limoges
-11 La Réunion
-10 Nice
-5 Grenoble
-4 Corse
-1 Strasbourg
1 Pacifique
17 Lyon
24 Créteil
26 Aix-Marseille
31 Toulouse
39 Bordeaux
43 Montpellier
54 Versailles
453 Paris

Ces données sont grossières : il faudrait pouvoir travailler non pas sur les académies (de taille très inégales), mais sur les universités elles-mêmes. Mais elles montrent un phénomène massif : le mouvement vers Paris.

Source des données Bilan des recrutements en 2011 : Bilan de la session « synchronisée » 2011, SECRÉTARIAT GÉNÉRAL, DIRECTION GÉNÉRALE DES RESSOURCES HUMAINES, Service des personnels enseignants de l’enseignement supérieur et de la recherche Sous direction des études de gestion prévisionnelle, statutaires et des affaires communes DGRH A1-1.

Deux passions françaises, les prénoms et le bac

Le dernier billet, sur les prénoms surreprésentés par série du bac, a été fortement diffusé. J’aimerai, pour m’en souvenir plus tard, faire ici un petit compte-rendu [sur ce modèle].
Tout d’abord, une objectivation temporelle :
stats-visites-7days
Le billet est publié le samedi 30 mars en fin de journée, au milieu du long week-end de Pâques. L’idée m’est venue en revisitant, dans le cadre d’un autre projet, les données recueillies en 2012. Le petit calcul donnant des résultats bien distinctifs, je me suis dit qu’il serait intéressant de faire une petite expérience : un billet court, avec un tableau sous forme d’image (l’image indiquant et le titre du tableau, et l’URL source). Publier, puis regarder l’éventuelle reprise [puisque le billet sur les mentions et les prénoms avait suscité l’intérêt journalistique, est-ce que celui-ci serait aussi repris ?].
Les reprises commencent plus ou moins rapidement sur twitter. Quelques comptes disposant de plusieurs milliers de “followers” (d’abonnés) indiquent ce billet. [Il est plus difficile de suivre les “partages” sur facebook.] J’ai recueillis les “twittes” similaires, qui montrent une espèce de surprise paradoxale :
adjectifs-en-ant
Mais comme le premier graphique permet de le constater, il n’y a pas, ni le 30, ni le lendemain, d’explosion du volume des visites. Il faut dire que beaucoup de monde semble en vacances. Aucun “blog” ne rediffuse le tableau : un signe, peut-être, que les blogs ne servent plus vraiment à rediffuser/partager (fonction conférée à twitter et facebook).

L’explosion des visites arrive suite à deux articles mis en ligne dans l’après-midi du 1er avril (lundi de Pâques) :
http://www.rue89.com/2013/04/01/bac-dis-prenom-dirai-section-241059 (1er avril 2013)

http://www.slate.fr/lien/70147/chaque-bac-son-prenom (1er avril 2013)
En fin de journée du 1er avril, un journaliste d’Europe1 me contacte (je ne sais pas si l’interview a été diffusée).

Le lendemain, mardi 2 avril, les articles se multiplient (la “Revue de Presse” de France Inter mentionne le matin même l’article de rue89). Voici ce que j’ai réussi à retrouver…

  1. http://www.20min.ch/ro/life/lifestyle/story/Le-bon-prenom-pour-un-futur-genie-27843746 (02 avril 2013 09:25)
  2. http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/prenoms-bac-augustin-en-s-ahmed-en-stg-allison-en-st2s-02-04-2013-2056310.php (2 avril 2013 à 09h48)
  3. http://www.lessentiel.lu/fr/lifestyle/tendances/story/Votre-reussite-dependrait-de-votre-prenom-11739441 (02 avril 2013 11:36)
  4. http://lci.tf1.fr/france/societe/alienor-en-l-augustin-en-s-et-ahmed-en-stg-a-chaque-bac-son-prenom-7911216.html (02 avril 2013 à 11h32)
  5. http://www.ladepeche.fr/article/2013/04/02/1596725-baccalaureat-dis-moi-ton-prenom-je-te-dirai-ta-section.html (Publié le 02/04/2013 à 14:19)
  6. http://www.blog-emploi.com/index.php/post/Les-prenoms-des-bacheliers-en-disent-long (02 avril 2013 · 14:33)
  7. http://www.cafepedagogique.net/
  8. http://www.terrafemina.com/vie-privee/famille/articles/24293-bac-2013-des-resultats-et-des-mentions-en-fonction-des-prenoms-.html
  9. http://www.mediaetudiant.fr/vie-etudiante/augustin-bacs-ahmed-bacstg-14316.php
  10. http://etudiant.lefigaro.fr/le-labeducation/actualite/detail/article/bac-alienor-en-l-henri-en-s-et-youssef-en-stg-1584/ (02/04/2013 à 16:03)
  11. http://www.lepoint.fr/societe/le-prenom-fait-il-le-bachelier-03-04-2013-1649593_23.php (Publié le 03/04/2013)
  12. http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130403.OBS6482/dis-moi-ton-prenom-je-te-dirais-quel-est-ton-bac.html (03-04-2013)
  13. Emission de Radio Notre Dame : mp3 (le 3 avril 2013)
  14. http://www.ladepeche.fr/article/2013/04/03/1597452-baccalaureat-a-chaque-filiere-ses-prenoms.html (03/04/2013)
  15. http://www.mediaetudiant.fr/vie-etudiante/augustin-bacs-ahmed-bacstg-14316.php
  16. Un article dans l’édition papier du Parisien : http://www.leparisien.fr/espace-premium/air-du-temps/a-chaque-bac-ses-prenoms-stars-04-04-2013-2695219.php (4/4/2013)
    leparisien-20130404
    … qui fait l’objet d’une mention dans la revue de presse de “Télématin”, dans émission de France Culture, et qui suscite une demande d’interview d’un journaliste de RTL.

Les reprises du billet se terminent par deux critiques sur “magicmaman” et “serialmother”

  1. http://www.magicmaman.com/,l-actu-bulle-un-prenom-un-bac-une-etude-absurde,2006337,2318853.asp
  2. http://serialmother.infobebes.com/baccalaureat-donne-moi-ton-prenom-et-je-te-dirai-quel-bac-passer/ (5 avril 2013)

Je préfère, de loin, que les journalistes me contactent. Cela me permet d’expliciter ce qui était resté à l’état d’implicite dans mes calculs.

Deux enseignements

Je tire de tous ces articles deux enseignements.

  1. Alors que je pensais avoir illustré les différences sociales entre séries du bac : surreprésentation des classes populaires dans les sections technologiques, surreprésentation de la bourgeoisie (bourgeoisie salariée) dans les sections générales… mon billet a été reçu sous une forme beaucoup plus individualiste : “dis-moi ton prénom et je te dirai ta série”.
    Hélas… ce n’était pas du tout ce qu’illustraient mes données. Prenons un exemple imagé :
    Imaginons que les points rouges soient les “Aliénor”. Elles sont plus nombreuses (24) à se trouver dans le groupe de droite. Mais en proportion, elles sont plus fréquentes dans le groupe de gauche (bien qu’étant moins nombreuses).
    proportions
    Le prénom Aliénor (ou les points rouges) est surreprésenté dans le groupe de gauche (15/160) mais il est plus nombreux dans le groupe de droite (24). Aliénor a plus de chance (ou de risque) de se trouver dans le groupe de droite, mais Aliénor est plus “caractéristique” du groupe de gauche.
    Donc alors que je pensais illustrer l’idée que le prénom était un bon indicateur… un “indice faible” individuellement, mais qui peut s’ajouter à d’autres indices faibles pour former une image solide… mes lecteurs ont souvent cru que j’illustrais les destins des individus.
  2. La notion de surreprésentation relative à une moyenne n’est sans doute pas évidente, et de nombreux lecteurs y ont vu une liste des prénoms les plus fréquents. Or la liste des prénoms les plus fréquents ne ressemble pas à la liste des prénoms surreprésentés, car les prénoms les plus fréquents sont fréquents un peu partout. La voici, cette liste :
    bac-frequence-series2012
    A part “Kevin”, premier prénom dans plusieurs séries technologiques et absent du “top 20” des séries générales, l’on ne trouve que peu de prénoms distinctifs. Les “Camille” (prénom très fréquemment donné au début des années 1990) sont partout : il y a des Camille filles de cadre, des Camilles filles d’ouvriers (ou fils de, fils de)…
    Deux listes différentes, donc, mais qui portent sur les mêmes données. Faisons une analogie photographique. La liste des prénoms les plus fréquents, c’est la photo de gauche, au contraste atténué, dans un brouillard (le brouillard, ce serait ici toutes les Camille, tous les Thomas). La liste des prénoms surreprésentés, c’est la photo de droite, au contraste renforcé : on y repère des “petits” prénoms (les arbres du fond de la photo, invisibles sur la photo de gauche).
    torremountain-fog

Notes : Le titre a été trouvé par @SH_lelabo.

Un classement ? Non, sire, un espace !

La semaine dernière, j’ai proposé de jouer à classer entre eux les départements de sociologie. Le jeu consistait à choisir entre des paires de départements (Paris 8 contre Perpignan; Paris 4 contre Paris 7…).
Deux cents personnes ont fourni plus de 5600 votes, et 2000 “non-votes”. J’ai commencé à analyser les données de ces votes. Les contraintes du jeu lui-même orientent fortement ce qu’il est possible de faire à partir des données.
Commençons par regarder les “non-votes”. Les votants avaient la possibilité de signaler qu’entre deux universités, ils ne pouvaient pas choisir car ils n’avaient pas assez d’informations sur ces universités, ou parce que ces deux universités étaient semblablement les mêmes.
Le graphe suivant considère que deux universités (mais il faudrait dire “deux départements de socio”) ont un “lien” entre elles quand des votants ont déclaré que ce sont “les mêmes” :
reseau-same-socio
Si vous cliquez, vous verrez mieux [pdf]

Les universités sont représentées par un point, et la taille du point dépend du nombre de réponses “ce sont les mêmes”. Comme on le voit, certaines universités/départements (Montpellier3, repère postmoderne; l’IEP de Paris; Paris9-Dauphine) apparaissent suffisamment distinctement pour ne pas être jugé “comme les autres”. Les universités “centrales” dans ce graphe (Amiens/Besançon/Metz) sont celles qui apparaissent souvent difficiles à distinguer. Mais Amiens, par exemple, apparaît très peu dans les réponses “je ne connais pas” (ce sont Chambéry et Saint-Etienne qui sont dans cette situation).
Enfin, j’ai réalisé une Analyse en composantes principales, en prenant en compte, pour chaque votant et chaque université, la proportion de votes “gagnants” : si V(i) [le votant n°i] a voté 3 fois pour le département de socio de l’université j, U(j), et une fois contre, alors P(i/j) est de 75%.
ACP-socio
C’est illisible : cliquez pour ouvrir un PDF

Dans ce graphique, les universités en rouge sont celles pour lesquelles les votants mettent beaucoup de temps avant de les déclarer préférables à d’autres.
Le premier axe oppose les universités/départements sur une échelle Province/Paris, qui est peut-être corrélée à une échelle de prestige : mais cela est peut-être directement lié aux contraintes du jeu lui-même. Le deuxième axe apparaît plus intéressant, en opposant entre elles des universités/départements sur ce qui m’apparaît être un principe de vision et de division “politique” (sur le principe générateur gauche/droite, où Paris8 s’oppose à l’IEP).
Si le jeu conduisait à l’établissement d’un “ranking” automatique, l’analyse rapide des données recueillies auprès de collègues (200 votants, 5600 votes et 2000 non-votes) montre la diversité des principes de division, qui pointent même quand l’on cherche uniquement à recueillir “l’évaluation sociale des formations”. C’est peut-être ce qui explique l’échec de la diffusion, en France, des tentatives de création d’échelles de prestige [Chambaz, Maurin, Torelli. L’évaluation sociale des professions en France. Construction et analyse d’une échelle des professions. Revue française de sociologie. 1998, 39-1. pp. 177-226. doi : 10.2307/3322788]. Sous l’échelle unidimensionnel, c’est l’espace multidimensionnel qui pointe.

La féminisation des revues de sociologie depuis 1960

Billet rédigé par B. Coulmont, A. Hobeika et É. Ollion, publié conjointement sur https://coulmont.com et http://data.hypotheses.org/637

Dans un récent article (PDF), West (un biologiste, pas la sociologue du genre) et ses collègues montraient à partir des articles de JSTOR que si le sex-ratio évolue sensiblement au cours des dernières décennies, l’égalité n’est pas encore de mise entre hommes et femmes dans les publications. Ils soulignaient en particulier que les hommes sont toujours sur-représentés dans des positions de prestige (premier et dernier auteur).

Qu’en est-il en France ? Partant d’une base des revues de sciences sociales françaises compilée par A. Hobeika et E. Ollion dans le cadre d’une recherche en cours sur l’histoire de la discipline par ses publications[1], on obtient une image de la sociologie dans le temps.

D’un point de vue global, au cours des années soixante aux années quatre-vingt-dix, la féminisation progresse, mais très lentement : 81% des auteurs sont des hommes dans les années 1960, ils ne sont plus que 71% dans les années 1990[2].

pie60s

pie90s

 

 

La féminisation est aussi très inégale suivant les revues. Certaines (Archives de sciences sociales des religions, Économie et statistique, Population) voient la part des auteures féminines augmenter substantiellement, alors que d’autres restent des bastions masculins (comme les Actes de la recherche en sciences sociales et la Revue française de sociologie)[3].

paletteRdYlBu

Déterminer le sexe des auteurs à partir de leurs prénoms ?

Pour établir le sexe des auteurs, nous nous sommes appuyés sur leur prénom, méthode utilisée par West (cité plus haut) ou par Carrasco pour retrouver le sexe des pacsés [Carrasco V., 2007. — « Le pacte civil de solidarité : une forme d’union qui se banalise ». Infostat justice, 97 pp. 1–4.]

Mais quand on cherche à inférer le sexe du prénom, plusieurs méthodes sont possibles.

La première consiste à faire ce codage manuellement : la familiarité avec la discipline permet de savoir que Claude Poliak n’a pas le même sexe que Claude Dargent, que Dominique Méda et Dominique Wolton non plus. Mais c’est très chronophage.

Parmi les techniques de codage automatique, deux autres sont possibles. On peut établir une liste de prénoms indiscutablement sexués (Baptiste, Yvette, Émile) à partir d’annuaires, et leur attribuer une valeur (M/F ou 0/1), laissant indéterminés les prénoms épicènes. Toutefois, si on dispose du fichier des prénoms (INSEE), une autre possibilité est d’associer à chaque prénom un score (de féminité, de masculinité) en fonction de son usage social : ainsi 99,95% des Catherine, au XXe siècle en France, ont été déclarées à la naissance comme étant du sexe féminin ; ce chiffre est de 0,08% pour les Simon. Les Dominique sont à 41% des filles, les Claude le sont à 12%, etc. Utiliser cette méthode revient donc à supposer que les prénoms des sociologues ont la même fréquence d’utilisation pour des hommes/femmes que dans la société française toute entière, ce qui semble raisonnable.

On a ici mené un test de ces méthodes, en recodant manuellement le sexe des auteurs pour une revue, la Revue Française de Sociologie. On compare les résultats à ceux des deux autres procédures. Pour la période 1960-1999, le nombre d’articles de cette revue dans notre base est de 1723. En excluant ceux pour lesquels aucun auteur n’est mentionné[4], on a in fine 1329 prénoms.

Les trois méthodes donnent sensiblement le même résultat, malgré des nombres de cas différents sur lesquels elles butent (« NA méthode » ci-dessous). Avec 17 prénoms non-détectés seulement (parfois répétés, d’où les 28 NA), le fichier des prénoms (INSEE) apparaît comme une solution à la fois commode et efficace pour un traitement automatisé tel que celui qu’on vient de faire[5].

Codage manuel Liste restreinte de prénoms Fichier des prénoms
Homme 79.08 78.64 78.67
Femme 20.92 21.35 21.33
Nb. individus 1329/1723 1063/1723 1301/1723
Infos manquantes 394 394 394
NA méthode 0 266 28

 

Des chiffres sur la situation dans la sociologie étasunienne, calculés avec des méthodes similaires, sont disponibles chez Neal Caren et chez Philip Cohen.

Et ci-dessous le graphique avec l’ensemble des revues de sociologies prises en compte dans l’analyse.

 

All-BuYlRd


[1] Elle recense les publications dans les revues de sociologie française depuis les années 1960 (articles et symposiums, mais pas compte-rendus). La base est organisée par signatures : chaque ligne désigne un auteur et un article (par exemple, Bourdieu P. & Wacquant L. 1999 donne lieu à deux lignes dans la base : une pour chaque auteur).

[2] La base recense plus de 20 000 articles et comptes-rendus dans une vingtaine de journaux : Agora, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Archives de Sciences Sociales des Religions, Critique internationale, Déviance et société, Espace population et sociétés, économie et statistiques, Genèses, Pôle Sud, Politix, Population, Réseaux, la Revue Française de Sociologie, Sociétés contemporaines, Sociologie et santé, Tiers-Monde. Elle s’appuie largement sur les données du site Persée, complétées ponctuellement pour les revues qui en sont absentes.

[3] Dont B. Lahire disait récemment qu’elles étaient « les deux revues françaises de sociologie les plus académiques »).

[4] Soit il n’y en avait pas, soit on n’a pas réussi à le dissocier du nom dans les rares cas où les deux n’étaient pas clairement séparés. C’est une limite de ce traitement complètement automatisé, même si on a de bonnes raisons de penser que cela ne change rien aux résultats présentés ici.

[5] Si les prénoms sont à l’avenir plus épicènes, alors cette méthode pourrait s’avérer problématique. Elle l’est parfois entre pays, Jean Leca n’étant pas du même sexe que Jean Comaroff.

Où faire une licence de sociologie ?

Un des signes distinctifs de la sociologie américaine, c’est l’objectivation du prestige. On en trouverait des exemples dans Street Corner Society, dans Middletown, mais aussi plus récemment chez Podolny (Status Signals). C’est dans cette tradition, probablement, que s’inscrit cette tentative d’établissement d’un classement des départements de socio étatsuniens.
J’ai utilisé le même outil, avec une liste des universités et autres établissements proposant des licences ou des masters de sociologie : vous pouvez répondre à la question Dans quel département de sociologie faire sa licence ou son master ? en choisissant, dans une paire de départements, celui que vous préférez.
On peut, avec ce processus, arriver à un “classement” (mais qui exprime quoi ? le “prestige” ? ce n’est pas certain) :
classement-paires-socio
Mais comme les données sont exportables, et que chaque “votant” reçoit un identifiant, il sera possible de faire d’autres traitements statistiques, qui montrent, probablement, un espace qui n’est pas structuré par une seule échelle.
classement-data-socio
Je donnerai accès au fichier de données à toute personne qui souhaiterait travailler dessus. En attendant, allez dire Où faire sa licence ou son master de sociologie.

L’évaporation académique : les qualifiés non postulants

Je vais parler ici de l’évaporation académique, c’est-à-dire des personnes qui, qualifiées par le Conseil national des universités, ne candidatent à aucun poste universitaire. Je vais m’appuyer sur les données des “DGRH A / LT & DGRH A1-1 / PR”.
Dans l’Etude de la promotion 2012 des qualifiés aux fonctions de MCF et de PR, on trouve quelques pages consacrées à ceci : “3589 personnes détenant globalement 4911 qualifications délivrées cette année n’ont pas candidaté sur les postes ouverts au recrutement. Elles représentent 43,5% des personnes qualifiées par le CNU au titre de l’année 2012”. La DGRH-A appelle cela “l’évaporation”.
Près d’une candidate sur deux, donc, qualifiée, ne candidate pas. Peut-être parce qu’il n’y a aucun poste qui lui convienne. Peut-être par autocensure…
Mais ce n’est peut-être pas dû uniquement aux candidates elles-mêmes. La plus ou moins grande sévérité des sections est liée à la plus ou moins grande proportion d’évaporées.
evaporation
Cliquez pour avoir un beau graphique en PDF

La taille des points est fonction (linéaire) du nombre de candidats qualifiés (je me suis limité, ici, à la qualification “maître de conférences”. La droite orange est la droite de régression linéaire. Une relation croissante existe entre le taux de qualification et le taux d’évaporation : dans les sections les plus “laxistes”, de nombreux candidats abandonnent avant même de postuler.
Mais c’est un peu plus compliqué encore (rien qu’avec les données de la DGRH A), car une relation évidente existe entre la “pression” (le nombre de qualifiés de l’année rapporté au nombre de postes ouverts au recrutement dans l’année). Ainsi, quand il y a environ un poste pour chaque qualifié (en droit, par exemple), il y a très peu d’évaporation. Mais quand il y a un poste pour 20 candidats, alors près de 60% des candidats abandonnent.pression
Cliquer pour agrandir

On remarquera, sur ce graphique, le comportement “optimiste” des politistes, de la 4e section du CNU : 15 candidats pour chaque poste, mais à peine 20% d’évaporation.
Et si l’on combine le tout ? En coloriant les points en fonction du taux de qualification ? On arrive, je pense, à la limite de la synthèse graphique possible.
evaporation-pression
Le “taux d’évaporation” était de 34% en 2007, et, depuis, il augmente régulièrement.
[mise à jour 2013-03-02] Regardons maintenant la relation entre la “porosité” des sections CNU et le taux d’évaporation. Le graphique suivant met en relation la proportion de “multiqualifiés” par section et l’évaporation. Il apparaît que, globalement, plus la section comporte de candidats multiqualifiés, plus ces candidats s’évaporent…
multiqualifies
Je trouve cela a priori étrange : je pensais que la proportion de multiqualifiés pouvait être un indicateur de la volonté des candidats de postuler aux postes universitaires.

Note : Données : evaporation.csv [j’ai extrait ces données du rapport de la DGRH-A, qui est au format PDF]

Mise à jour : Poursuite de l’analyse chez Olivier Bouba-Olga

Des proximités commerciales entre sociologues

Le site amazon propose des choses intéressantes. Non seulement mes livres, mais aussi les livres des collègues, et, souvent, une liste d’auteurs “similaires”. Ainsi, si vous allez sur la page du Coulmont, vous verrez que “les clients ont aussi acheté les livres de ces personnes” :

Aujourd’hui — car cette liste est mouvante — “je” me retrouve associé à d’illustres sociologues. Mais ce n’est pas réciproque. Sur la page du Bourdieu, “je” n’apparais pas comme lui étant associé.
Mais bon… amazon nous propose une sorte de trou de serrure par lequel apercevoir un réseau de relations commerciales entre auteurs.
On peut essayer de recomposer une partie de ce réseau (en agrandissant le trou de la serrure).

Cliquez pour télécharger un fichier PDF zoomable

Dans ce réseau, tel qu’il est ici reconstitué (en partant de la page “Coulmont” et en récupérant tous les liens d’ordre 2 — les voisins des voisins du Coulmont), fait sens : par exemple, les économistes ont tendance à se retrouver associés aux économistes (même si, ici, c’est une branche particulière, plutôt régulationniste, qui apparaît) :

Le point de départ importe : partir de “Coulmont” ne donnera pas tout à fait le même réseau de relations que partir de Louis Pinto ou du Lord Voldemort de la sociologie française… Mais quel que soit le point de départ, les “communautés” que l’on peut repérer semblent faire sens, de manière disciplinaire (sociologie, histoire, économie, philosophie) ou même entre sous-disciplines (sociologie de la culture, sociologie économique…).
Le tout a été réalisé avec R. Je peux mettre le code en ligne, mais je n’en suis pas très fier, c’est du code bidouillé et redondant.
Pour aller plus loin, je vous conseille le blog Data Sciences Sociales de Ollion et Hobeika.
mise à jour (31/10/12) : une visualisation plus interactive est proposée ici

L’anonymisation automatique des enquêtés

Les sociologues anonymisent leurs enquêtés : c’est une des différences avec le journalisme. Mme Dupont deviendra Mme Ponteau, ou alors Geneviève Pruvost deviendra Mme Genevost. Dans un des seuls articles existant sur la question, Anonymiser les enquêtés, Emmanuelle Zolesio donne quelques conseils.
La question a pris d’autant plus d’importance, ces dernières années, que se développaient des impératifs de protection de la vie privée : “confidentialité et anonymat sont (…) les deux faces d’un même problème” écrivent Béliard et Eideliman (cités dans Zolesio).
Il y a un peu plus d’un an, une collègue [Muriel D., ou Mme Murmon] m’écrivait, après avoir reçu Sociologie des prénoms :

je cherchais des outils internet pour anonymiser des enquêtés! Je cherchais notamment s’il n’y avait pas des données de type Besnard en ligne, et je suis rapidement arrivé à ton blog, à ta discussion sur les prenoms et aux sites que tu conseillais (ah, pas mal, ces sites, mais rien ne saurait remplacer un “anonymisateur” que tu vas inventer bientôt j’en suis sûre : un petit programme dans lequel les sociologues rentrent une liste de prénoms d’enquêtés, et qui sort une liste de prénoms anonymisés en tenant compte de la génération, de l’origine sociale etc!

Quelle demande ! Mais quelle demande intéressante. Et qui simplifierait un peu le travail. Ce mail m’est revenu en tête alors que je cherchais, moi-même, à anonymiser quelques personnes… et que je me suis tourné vers l’outil interactif mis en place après la petite étude sur les prénoms et les résultats au bac : https://coulmont.com/bac/
Et j’ai trouvé que, dans certaines circonstances, cela anonymisait pas mal. La “classification ascendante hiérarchique” réalisée à partir, simplement, de la répartition des résultats au bac groupait ensemble “Samir, Brahim et Said”, et les distinguait bien de “Alix, Jeanne, Josephine et Coline”. En discutant avec une autre collègue récemment, j’ai appris que je n’étais pas le seul à agir ainsi. En effet, me dit-elle, une doctorante du CREST, Joanie Cayouette, avait utilisé l’anonymisateur. Voici ce que Joannie m’écrit :

Dans le cadre de ma thèse en sociologie de l’éducation, qui consiste principalement à étudier, au moyen de leurs dossiers scolaires, les trajectoires d’une cohorte de 530 élèves, j’ai dû anonymiser, pour le moment, près de 120 prénoms d’élèves. Pour ce faire, outre le fait de choisir un prénom de même sexe, j’ai veillé à conserver l’appartenance nationale et/ou religieuse du prénom et, enfin, la connotation sociale des prénoms. Cela peut parfois se révéler particulièrement complexe. L’application coulmont.com/bac/ m’aide principalement pour les élèves au prénom français. Je chercher à partir du prénom de l’élève à anonymiser, un prénom dans la liste des prénoms au même profil. La principale contrainte apparaît lorsque le prénom de l’enquêté est trop rare et n’est pas inclus dans l’application. Il arrive alors que je trouve un prénom « analogue » mais déjà utilisé ou trop proche. À ce moment-là, je cherche à partir de celui-ci. Mais c’est parfois impossible. L’outil se révèle par contre moins adapté pour anonymiser les prénoms d’origine étrangère.

Lorsque j’ai commencé à travailler avec l’application coulmont.com/bac/, j’avais déjà anonymisé plus de la moitié des prénoms (grâce à la consultation de sites prénoms et/ou ma connaissance intuitive des prénoms et/ou en choisissant un prénom d’un élève « comparable » dans la base de données). Je pense qu’il est bon que tous les prénoms ne soient pas non plus anonymisés grâce à l’application puisque, les choix se révélant parfois limités lorsqu’il s’agit de choisir, au sein du groupe de prénoms, un prénom de même sexe et de même origine nationale et/ou religieuse, un risque existe que des enquêtés ou autres personnes refassent le chemin inverse à partir de l’application.

L’intérêt que J. Cayouette a trouvé à l’anonymisateur est lié à la grande proximité entre son objet d’étude (des élèves scolarisés dans le secondaire) et la source des données utilisées (les résultats nominatifs au bac). Il est très probable que, pour des populations plus “anciennes” (sur les maisons de retraites…), l’outil ne fonctionne pas du tout.
Et elle pointe un problème : l’anonymisateur permet parfois de “remonter la chaîne” de l’anonymisation, et de retrouver le prénom de départ. Dans ce cas précis, elle n’a pas d’inquiétude à avoir : dans quelques mois, la liste changera, et les “groupes-prénoms” seront plus larges ou légèrement modifiés, grâce à l’apport des résultats du bac 2013.

Comme vous le constatez, mes réflexions au sujet de l’anonymisation automatisée ne font que débuter. Si vous êtes sociologue (professeur émérite à Harvard ou étudiante de master à Reims, ou l’inverse), et si vous avez utilisé https://coulmont.com/bac/, dites-moi ce qui vous a été utile, ce que vous souhaiteriez voir intégré à l’anonymisateur, etc…

Le rapport de la 19e section du CNU (sociologie, démographie), édition 2012

La 19 section du Conseil national des universités vient de rendre public son rapport annuel, qui concerne les sessions de qualification (février 2012) et de promotion (mai 2012). Ce rapport sera en ligne sur le site de la section.
Rapport 2012 de la section 19 du CNU (pdf)

Les doctorantes et les docteures candidates à la qualification y trouveront des éléments d’orientation très importants.

La 19e section a, par exemple, cette année, produit des statistiques comparant les taux de succès en fonction des statuts des candidats. Ainsi, avoir obtenu une allocation de thèse modifie profondément les chances :

51% des candidats “allocataires” ont été qualifiés, ce n’est le cas que de 37% des candidats non-allocataires. [Le tableau permet aussi de remarquer que les candidatures des non-allocataires sont plus souvent “non recevables” ou “non reçues”]. Avoir été ATER, avoir été moniteur… augmente aussi les taux de succès.
Je ne peux que vivement encourager celles et ceux qui ont soutenu ou vont soutenir prochainement — et qui souhaitent obtenir une qualification en sociologie ou en démographie — à lire ce rapport, qui contient aussi des conseils pour la rédaction du dossier de candidature.